Perspectives de la psychanalyse
(Sur
l'interdépendance de la théorie et de la pratique)
(Ferenczi)
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Introduction
Comme on le sait, la méthode
psychanalytique s'est développée en une trentaine d'années. Tout d'abord
simple mode de traitement médico-thérapeutique de certains troubles névrotiques,
elle est devenue un vaste système scientifique qui ne cesse de s'étendre
progressivement et paraît conduire à une nouvelle conception du monde.
Si l'on voulait suivre
en détail le cours de cette évolution et dans ce but étudier comment la méthode
thérapeutique et la technique médicale se sont mutuellement influencées,
ainsi que l'interaction de leur extension scientifique, il faudrait écrire rien
moins qu'une suite à l'Histoire du mouvement psychanalytique. Pour
entreprendre cette tâche actuellement encore impossible, il faudrait nécessairement
aborder des questions qui dépassent de beaucoup le sujet proprement dit de la
psychanalyse et portent sur la relation entre les faits élaborés par une
science et cette science elle-même.
Si cette tâche est déjà
en elle-même extrêmement délicate car menant directement aux questions
fondamentales de notre méthodologie scientifique, elle devient pratiquement
impossible pour la psychanalyse qui se trouve encore en plein développement. Et
pour notre part il nous est bien difficile d'arriver à une vision objective de
l'état dans lequel se trouvent ces relations quand nous participons nous-mêmes
directement à ce processus, quand nous nous trouvons au cœur même de celui-ci
en tant que représentants des deux groupes, le groupe médico-thérapeutique et
le groupe théorico-scientifique.
En fait, on ne peut nier
l'apparition ces dernières années d'une désorientation croissante chez les
analystes, notamment en ce qui concerne les problèmes techniques posés par la
pratique. En contraste avec le développement rapide de la théorie
psychanalytique, la littérature a elle aussi singulièrement négligé, le
facteur technico-thérapeutique, qui a pourtant constitué le noyau primitif de
l'affaire et l'aiguillon véritable de tout progrès important de la théorie.
On pourrait en retirer
l'impression que la technique n'a pas bougé entre temps, d'autant plus que
Freud lui-même a toujours, comme on sait, fait preuve d'une extrême réserve
dans ce domaine et même n'a publié aucun ouvrage d'ordre technique depuis une
dizaine d'années. Pour les analystes qui n'avaient pas subi eux-mêmes une
analyse, ses rares articles techniques (réunis dans Samml. Kl. Schr. z.
Neurosenlehre, IV et sq.) ont constitué les seuls principes directeurs de
leur action thérapeutique ; bien que ces articles, de l'avis même de Freud
certainement incomplets et dépassés à certains points de vue par l'évolution
actuelle, paraissent devoir être modifiés.
Aussi s'explique-t-on
que la plupart de ces analystes, réduits à l'étude de la littérature, se
soient cramponnés avec beaucoup trop de rigidité à ces règles techniques,
incapables de les articuler avec les progrès accomplis entre temps par la
science psychanalytique. Mécontents de cet état de choses, nous nous sommes
sentis à plusieurs reprises obligés de suspendre notre travail pour nous
rendre compte de ces difficultés et de ces problèmes.
Nous avons alors découvert
que notre pouvoir technique avait fait entre temps des progrès non négligeables
dont la compréhension et l'appréciation pleines et conscientes permettaient d'étendre
assez considérablement notre savoir. Finalement nous avons trouvé nécessaire,
étant donné le besoin manifeste et général de clarifier la situation, de
communiquer notre expérience et le meilleur moyen nous paraît être d'exposer
tout d'abord comment nous pratiquons la psychanalyse aujourd'hui et ce que cela
veut dire actuellement pour nous.
Après quoi, nous
pourrons comprendre le pourquoi des difficultés qui surgissent un peu partout
aujourd'hui et, nous l'espérons, y remédier. Nous prendrons d'emblée pour
point de départ le dernier article technique de Freud « Remémoration, répétition
et perlaboration », dans lequel il attribue une importance incomparable
aux trois facteurs énumérés dans le titre ; la remémoration y est donnée
pour le but véritable du travail analytique, tandis que le désir de répétition,
au lieu de la remémoration, est considéré comme un symptôme de résistance
qu'il faut, comme tel, éviter.
Sous l'angle de la
compulsion de répétition, il est pourtant absolument inévitable que dans la
cure le patient répète des fragments entiers de son évolution et, comme l'expérience
l'a montré, précisément des fragments inaccessibles sous forme de remémoration;
de sorte que le patient ne peut faire autrement que de les reproduire et
l'analyste de les considérer comme le matériel inconscient véritable.
Il s'agit seulement de
comprendre cette forme de communication, le langage des gestes pour ainsi dire
(Ferenczi), et de l'expliquer au patient. Cependant, comme Freud nous l'a
appris, les symptômes névrotiques ne sont eux-mêmes que des discours déformés
où l'inconscient s'exprime dans un style de prime abord incompréhensible.
Ces considérations ont
fait ressortir la nécessité pratique non seulement de ne pas entraver les
tendances à la répétition dans l'analyse, mais même de les favoriser
à condition de savoir les maîtriser, sinon le matériel le plus important ne
peut être ni livré ni liquidé. D'autre part certaines résistances s'opposent
souvent à la compulsion de répétition, notamment des sentiments d'angoisse et
de culpabilité dont on ne peut venir à bout que par une intervention active,
c'est-à-dire en favorisant la répétition.
Finalement, dans la
technique analytique le rôle principal paraît donc revenir à la
répétition et non à la remémoration. Il ne s'agit nullement de se
borner à laisser les affects se perdre en fumée dans des « vécus » ; en
effet cette répétition consiste, nous l'exposerons plus loin en détail, à
permettre ces affects puis à les liquider progressivement, ou encore à transformer
des éléments répétés en souvenir actuel.
Il y a deux façons de
formuler et de concevoir les progrès que nous avons pu constater en faisant le
bilan de notre savoir. Sur le plan technique, il s'agit incontestablement d'une
tentative d' « activité » au sens d'une stimulation directe de la tendance
à la répétition dans la cure, qui a été jusqu'à présent négligée
et même considérée comme un phénomène secondaire gênant.
Du point de vue théorique,
il s'agit d'apprécier à sa juste valeur l'importance primordiale de la compulsion
de répétition, même dans les névroses, telle que Freud l'a établie
entre temps. Cette dernière découverte permet d'autant mieux de comprendre les
résultats obtenus par « l’activité » et justifie également sa nécessité
sur le plan théorique.
Nous sommes donc
convaincus de suivre Freud en accordant désormais à la compulsion de répétition
dans la cure le rôle qui lui revient biologiquement dans la vie psychique.
Rétrospective
historique critique
Après avoir brièvement
exposé ce qu'il faut entendre par méthode analytique, nous sommes en mesure de
constater rétrospectivement qu'une série de techniques défectueuses ne
correspondent en fait qu'à un arrêt à une certaine phase de l'évolution du
savoir analytique. On comprendra sans difficulté la possibilité voire
l'existence d'une stagnation de cet ordre à toutes les étapes du progrès
analytique, et même qu'elle persiste ou se répète aujourd'hui encore.
Nous allons essayer de
montrer à propos de certains points comment il faut comprendre tout cela ; et
il s'agit non seulement de faire la lumière sur la genèse de la psychanalyse,
mais surtout de permettre d'éviter à l'avenir de semblables erreurs. Ce qui va
suivre est donc en fait l'exposé d'une série de méthodes techniques erronées,
c'est-à-dire qui ne correspondent plus à l'idée que l'on se fait actuellement
de la psychanalyse.
Etant donné la
conception clinico-phénoménologique en usage en médecine, il n'y avait rien
d'étonnant à ce qu'on aboutisse souvent dans la pratique médicale à une
forme d'analyse descriptive, véritable contradictio in adjecto. Ce
genre d'analyse se bornait en règle générale à écouter ou à décrire
minutieusement les symptômes ou les impulsions perverses des patients, sans
agir fondamentalement sur le plan thérapeutique dans la mesure où elle négligeait
le facteur dynamique.
Un autre type d'analyse
erronée consistait à collectionner les associations, comme si elles
constituaient l'essentiel et non de simples bulles remontant à la conscience,
tout juste bonnes à nous indiquer à quel endroit, éventuellement à quelle
profondeur se dissimulent les motions affectives agissantes, et surtout quels
motifs poussent le patient à recourir dans un cas donné à tel mode
d'association plutôt qu'à tel autre.
Plus grave était le fanatisme
de l'interprétation qui conduisait à méconnaître la rigidité des
traductions lexicales, à oublier que la technique de l'interprétation est
uniquement un des moyens de connaître l'état psychique inconscient du patient
et non l'objet voire le but principal de l'analyse. Il convient d'accorder à
cette traduction des associations à peu près la valeur qu'on lui donne dans le
domaine linguistique, d'où la comparaison est d'ailleurs tirée. La recherche
des termes inconnus est le travail préparatoire indispensable à la compréhension
de l'ensemble du texte ; ce n'est pas une fin en soi.
A cette « traduction »
doit succéder 1' «interprétation » proprement dite, au sens d'un enchaînement
signifiant.
Dans cette perspective
disparaissent les querelles si fréquentes sur la justesse d'une interprétation,
c'est-à-dire de la traduction. Se demander, comme le font certains analystes,
si telle « interprétation » (ce qui veut dire traduction dans notre
terminologie) est juste ou encore ce que « signifie » ceci ou cela (dans
un rêve par exemple) témoigne d'une mauvaise compréhension de l'ensemble de
la situation analytique et de cette surestimation de certains détails à
laquelle nous faisions allusion tout à l'heure.
Ces détails peuvent
avoir telle signification dans un cas et telle autre dans un cas différent. Le
même symbole peut avoir ou prendre une autre signification pour le même
patient dans une autre relation, une situation différente, sous la pression ou
au terme d'une résistance. Il y a tant de choses dans l'analyse qui dépendent
de petits détails, de faits apparemment anodins, comme l'intonation, les
gestes, la mimique ; tant de choses dépendent d'une interpolation réussie,
d'un enchaînement signifiant, du sens pris par les propos du patient à
la lumière de son commentaire inconscient à l'aide de notre interprétation.
La technique de la
traduction a donc oublié au profit de la traduction « juste » du détail
que le tout, c'est-à-dire la situation analytique du patient comme telle, possède
également une signification et même la plus importante ; c'est toujours la
compréhension d'ensemble qui donne la bonne interprétation de détail des
parties traduites, cette fois sans difficultés ni hésitations, tandis que le
fanatisme de la traduction conduit à la schématisation et reste stérile sur
le plan thérapeutique.
Une autre faute méthodologique
a été de s'accrocher à la phase dépassée de l'analyse des symptômes. Comme
on le sait, l'analyse est passée jadis par une étape où elle partait des
symptômes et réveillait sous la pression de la suggestion les souvenirs qui,
agissant depuis l'inconscient, provoquaient les symptômes. Cette méthode est
depuis longtemps dépassée par l'évolution de la technique psychanalytique.
Il ne s'agit absolument
pas de faire disparaître les symptômes, ce que d'ailleurs toute méthode
suggestive est capable de faire sans difficultés, mais d'empêcher leur retour,
c'est-à-dire d'accroître la capacité de résistance du Moi. Cela exige précisément
une analyse de l'ensemble de la personnalité. Il faut donc toujours, selon la
prescription de Freud, que l'analyste parte de la surface psychique et il n'a
pas à traquer les liens associatifs avec le symptôme.
Evidemment, il était
trop séduisant et commode de s'informer sur le mode direct et d'interroger le
patient sur les détails de sa névrose ou de ses actes pervers et de l'amener
ainsi à se souvenir directement de la genèse de son anomalie. Seule une série
d'expériences convergentes peuvent permettre de comprendre les «sens »
multiples qu'un symptôme est susceptible de prendre dans tel cas précis.
Tout ce qu'on obtenait
en interrogeant directement le patient, c'était de centrer mal à propos son
attention sur ces éléments, qui du même coup devenaient la proie de la résistance
dans la mesure où le patient pouvait abuser de l'orientation donnée à son
attention, en soi pas forcément injustifiée. On pouvait donc être « analysé »
très, très longtemps sans parvenir à l'histoire infantile archaïque dont la
reconstruction est nécessaire pour qu'on puisse qualifier un traitement
d'analyse véritable.
Nous parlerons un peu
plus longuement d'une phase de la psychanalyse qu'on peut appeler «l’analyse
des complexes » et qui perpétue une phase importante des relations à
la psychologie scolastique. C'est Jung qui le premier a employé le terme de «
complexe» pour résumer un état psychologique complexe et pour désigner
certaines tendances caractéristiques de la personne ou un groupe homogène de
représentations à coloration affective.
Ce terme, dont la
signification était devenue de plus en plus large et qui par conséquent ne
voulait pratiquement plus rien dire, Freud en a restreint le sens par la suite
et sous le nom de e complexe » il a circonscrit uniquement les parties
inconscientes refoulées de ces groupes de représentations. Mais plus les
processus d'investissement dans le psychique, labiles et fluctuants, devenaient
accessibles à l'étude, plus on trouvait superflue l'hypothèse de composantes
psychiques rigoureusement séparées, homogènes en soi, mobiles et excitables
seulement in toto, composantes psychiques qui, comme le montrait une
analyse plus précise, étaient beaucoup trop « complexes » pour être traitées
comme des éléments non décomposables.
Dans les récents
travaux de Freud, cette notion ne figure d'ailleurs qu'à titre de vestige d'une
phase dépassée de la psychanalyse, et il n'y a en fait plus de place pour elle
dans le système psychanalytique, surtout depuis l'élaboration de la métapsychologie.
Le plus logique aurait été de reléguer dans un tiroir ce vestige des temps
anciens, devenu désormais inutile, et d'abandonner la terminologie affectionnée
par la plupart des analystes au profit d'une meilleure compréhension.
A la place, on a souvent
présenté l'ensemble de la psyché comme une sorte de mosaïque de complexes et
pratiqué l'analyse comme s'il était nécessaire d' « analyser jusqu'au
bout>) un complexe après l'autre. De même, on a également tenté de
traiter toute la personnalité comme une somme de complexes paternel, maternel,
fraternel, sororal, etc. Certes il était facile de réunir un matériel relatif
à ces complexes puisque tout être humain possède en effet tous les «
complexes » et qu'il a bien été obligé de venir à bout, d'une façon
ou d'une autre, de la relation aux personnes et aux choses qui l'entourent.
L'énumération systématique
des complexes ou des indices de complexe a peut-être sa place dans la
psychologie descriptive mais certainement pas dans le traitement analytique du névrosé
; ni même dans les recherches analytiques sur les productions de la littérature
ou de la psychologie des peuples, domaine où elle devait infailliblement
conduire à une monotonie nullement justifiée par la diversité du sujet,
monotonie à peine atténuée par la prédilection accordée tantôt à tel
complexe tantôt à tel autre.
Si une présentation
scientifique aussi plate paraissait parfois inévitable, on n'avait pas pour
autant à introduire ces idées étriquées dans la technique. L'analyse des
complexes amenait facilement le patient à être agréable à son analyste en
lui servant à volonté du « matériel complexuel » mais en se gardant bien de
lui révéler ses véritables secrets inconscients. Ainsi on aboutissait à des
comptes rendus cliniques où les patients racontaient des souvenirs en fabulant
carrément, comme il n'arrive jamais dans les analyses sans présupposés, et il
est difficile de ne pas y voir le fruit de cette «culture du complexe». Des résultats
de ce genre allaient naturellement être utilisés tantôt subjectivement pour
justifier sa propre technique d'interprétation, tantôt servir à des
conclusions et démonstrations théoriques.
Il arrivait très
souvent que les associations du patient soient orientées ou centrées mal à
propos sur le sexuel quand il venait en analyse, cas fréquent, avec l'idée
qu'il devait constamment et uniquement parler de sa vie sexuelle, actuelle ou
infantile. Outre que l'analyse ne porte pas aussi exclusivement sur la sexualité
que nos adversaires le supposent, on offre souvent au patient, en le laissant se
livrer à ces débordements sexuels, la possibilité de neutraliser les effets
thérapeutiques de la frustration qui lui est imposée dans le traitement.
En introduisant la théorie
des complexes dans la dynamique de l'analyse, on n'a pas particulièrement
favorisé la compréhension de ces contenus psychiques importants et polymorphes
qui se cachent sous le terme générique de complexe de castration. Au
contraire, le regroupement théorique prématuré des faits sous le concept de
complexe a plutôt empêché, je crois, de pénétrer le sens de couches
psychiques plus profondes.
Nous pensons également
que l'on n'a pas encore vraiment défini ce que le praticien analyste a
l'habitude de régler avec son étiquette de complexe de castration », et il
vaudrait mieux par conséquent ne pas donner à la légère cette explication
provisoire pour l'ultima ratio d'états et de processus psychiques aussi
divers et nombreux. Du point de vue dynamique, seul justifié dans la pratique,
il est souvent difficile de voir autre chose dans les modes d'expression du
complexe de castration, tels qu'ils se manifestent au cours d'une analyse,
qu'une des formes de résistance que le patient dresse contre des motions
libidinales plus profondes.
Au tout début de
certaines analyses, l'angoisse de castration s'avère servir de
moyen d'expression à l'angoisse transférée sur l'analyste avec l'intention de
se protéger d'une analyse plus profonde. Comme nous l'avons déjà indiqué,
les difficultés techniques ont surgi d'un trop grand savoir de
l'analyste. Ainsi l'importance de la théorie du développement sexuel élaborée
par Freud a conduit bon nombre d'analystes à utiliser certains autoérotismes
et systèmes d'organisation de la sexualité, qui nous permettaient
au début de comprendre le développement sexuel normal, de manière erronée et
par trop dogmatique dans le traitement des névroses.
La tâche analytique véritable
a donc été négligée dans certains cas au profit de la recherche des éléments
constitutifs de la théorie sexuelle. Ces analyses étaient en quelque sorte des
« analyses élémentaires » psychochimiques. On a une fois de plus
constaté que l'intérêt théorique ne coïncidait pas toujours avec l'intérêt
pratique dans l'analyse. La technique n'a pas à dégager scolairement toutes
les phases - pour ainsi dire prescrites - du développement libidinal et encore
moins à faire de la découverte de tous les détails et hiérarchies constatés
théoriquement un principe du traitement des névroses.
Il est également
superflu dans la pratique de découvrir tous les éléments fondamentaux d'une
«structure » hautement complexe, en principe connus d'avance, alors qu'on n'a
aucune idée du lien psychique qui unit un petit nombre d'éléments
fondamentaux à des phénomènes toujours nouveaux et différents.
La même chose vaut pour
les érotismes (par exemple urétral, anal, etc.), pour les stades
d'organisation de la sexualité (orale, sadique-anale et autres phases prégénitales)
et pour les complexes : aucun développement humain ne se fait sans eux, mais
quand il s'agit de l'analyse, on ne peut leur accorder l'importance dans l'évolution
de la maladie que la résistance paraît leur attribuer sous la pression de la
situation analytique.
Tout bien considéré,
on pouvait constater l'existence d'un certain rapport interne entre les «analyses
élémentaires» et les «analyses de complexe» ; ces dernières butaient en
effet sur le granit des «complexes» en s'efforçant d'appréhender les
profondeurs psychiques et leur travail allait en s'étendant au lieu de
s'approfondir.
Elles tentaient généralement
de pallier le manque de profondeur de la dynamique libidinale par un saut dans
la théorie sexuelle et reliaient les indices complexuels fixes à des éléments
fondamentaux de la théorie sexuelle qu'elles traitaient d'ailleurs de façon
tout aussi schématique; mais elles méconnaissaient le jeu de forces intermédiaire
des tendances libidinales.
Cette attitude allait
conduire à une surestimation théorique du facteur quantitatif qui
consistait à attribuer la responsabilité de tous les éléments pathogènes à
un érotisme d'organe particulièrement puissant, etc., conception qui,
recourant à des slogans comme «l’hérédité », la « dégénérescence »
ou la « prédisposition » à la manière des écoles neurologiques préanalytiques,
barrait la voie à une compréhension du jeu de forces des causes pathogènes.
Depuis que la théorie
des pulsions et avec elle les connaissances biologiques et physiologiques
ont été mises à contribution pour expliquer provisoirement les processus
psychiques, surtout depuis que la psychanalyse s'est intéressée aux « pathonévroses »,
aux névroses d'organe et même aux maladies organiques, des querelles de frontière
se sont élevées entre la psychanalyse et la physiologie.
On ne saurait admettre
la traduction stéréotypée des processus physiologiques en langage
psychanalytique. Dans la mesure où l'on tente une approche psychanalytique des
processus organiques, il s'agit ici aussi de respecter strictement les règles
de la psychanalyse. Il faut s'efforcer d'oublier pour ainsi dire le savoir médical,
physiologique et organique, et considérer uniquement la personnalité psychique
et ses réactions.
Il était par ailleurs déconcertant
de voir de simples faits cliniques liés aussitôt à des spéculations sur
le devenir, l'être et le néant ; et celles-ci introduites dans la pratique
analytique à titre de règles bien établies, alors que Freud lui-même n'a
cessé de souligner leur caractère hypothétique dans ses derniers travaux de
synthèse. Ce penchant à la spéculation semble fréquemment n'avoir été
qu'un moyen d'esquiver des difficultés techniques gênantes.
Nous connaissons les
conséquences fâcheuses du point de vue technique que peut entraîner un désir
de tout regrouper sous un principe spéculatif (théorie de Jung). Il était également
incorrect de négliger le facteur individuel et, pour expliquer les symptômes,
de recourir immédiatement à des analogies phylogénétiques et culturelles, si
instructives soient-elles.
D'autre part, la
surestimation du facteur actuel a entraîné une interprétation prospective
anagogique qui s'est montrée stérile face aux fixations pathologiques. Les
« anagogues» et bon nombre de «généticiens » ont négligé le présent
du patient, outre son passé et son avenir; et pourtant tout le passé et
tout ce vers quoi le sujet aspire inconsciemment, dans la mesure où il n'en
n'est pas directement conscient ou ne s'en souvient pas (le contraire est extrêmement
rare), s'exprime dans les réactions actuelles à la relation avec le médecin
ou par rapport à l'analyse, autrement dit dans le transfert sur la
situation analytique.
La catharsis selon
Breuer et Freud avait pour prétention théorique de ramener directement les
quantités d'affects déplacées sur des manifestations symptomatiques à des
traces mnésiques pathogènes et d'amener ainsi leur décharge et un nouvel
ancrage. Cela s'est avéré irréalisable sauf en ce qui concerne le matériel
mnésique mal refoulé, généralement préconscient, ainsi que certains
rejetons de l'inconscient proprement dit.
Cet inconscient lui-même,
dont la découverte est la tâche principale de la psychanalyse, ne peut -
puisqu'il n'a jamais été « ressenti » - être « remémoré» et
certains signes obligent à le laisser se reproduire. La simple communication,
par exemple une « reconstruction », n'est pas en mesure à elle seule de
produire des réactions affectives ; elle reste tout d'abord sans effet sur les
patients. Il faut attendre qu'ils vivent quelque chose d'analogue actuellement,
dans la situation analytique, c'est-à-dire dans le présent, pour
arriver à se convaincre de la réalité de l'inconscient, encore leur faut-il
plusieurs expériences de ce genre.
Notre récente compréhension
de la topique du psychisme. et des fonctions des diverses couches permet
d'expliquer cette attitude. Le refoulé, ou l'inconscient, n'a pas accès à la
motilité, ni à ces innervations motrices dont la somme compose la décharge
d'affects; le passé et le refoulé sont donc contraints de
trouver un représentant dans le présent et le conscient (préconscient),
donc dans la situation psychique actuelle, pour pouvoir être éprouvés
affectivement. Au contraire des réactions cathartiques violentes, on peut définir
la décharge des affects qui se produit progressivement dans la situation
analytique comme une catharsis fractionnée.
Nous pensons du reste
que pour devenir efficients les affects doivent tout d'abord être ravivés,
c'est-à-dire actualisés. En effet, ce qui ne nous affecte pas directement dans
le présent, donc réellement, restera sans effet psychique. Il faut toujours
que l'analyste tienne compte de la pluritemporalité qui affecte
pratiquement toutes les manifestations du patient, mais il dirigera son
attention essentiellement sur la réaction présente.
Sous cet angle, il peut
d'abord réussir à découvrir les racines de la réaction actuelle dans le passé
du patient, ce qui revient à transformer la tendance à la répétition en remémoration.
L'avenir n'a pas à le préoccuper outre mesure. On peut bien laisser ce soin à
qui a été suffisamment éclairé sur ses tendances psychiques présentes et
passées. Quant aux analogies tirées de la phylogenèse et de l'histoire de la
civilisation, on n'en parlera pratiquement jamais dans l'analyse. De ce lointain
passé, le patient n'a presque jamais à s'occuper et le médecin très
rarement.
Il nous faut maintenant
considérer certains malentendus concernant les explications à donner à
l'analysé. A une certaine étape du développement de la psychanalyse, on
pensait que le traitement analytique avait pour but de combler par le savoir
certaines lacunes dans les souvenirs du patient. Par la suite, on s'est aperçu
que l'ignorance névrotique provenait de la résistance, c'est-à-dire de la
volonté de ne pas savoir, et c'était cette résistance qu'il fallait
inlassablement démasquer et neutraliser.
Si l'on procède ainsi,
les amnésies actuelles dans la chaîne mnésique du patient se comblent en
grande partie automatiquement et sans qu'on ait besoin de fournir beaucoup
d'interprétations et d'explications. Le patient n'apprend donc rien de plus et
rien d'autre que ce dont il a besoin pour liquider ses principaux troubles. C'était
une erreur malheureuse de croire qu'on ne pouvait être parfaitement analysé
sans être initié sur le plan théorique de tous les détails et
particularités de son anomalie.
A vrai dire il n'est pas
facile de déterminer jusqu'où il faut mener l'instruction du patient. Les
interruptions du cours normal de l'analyse par des séries d'explications
formelles peuvent satisfaire le médecin comme le patient mais sans rien changer
à l'attitude libidinale de ce dernier. Ce procédé avait pour résultat de
pousser insensiblement le patient à échapper au travail analytique proprement
dit grâce à l'identification à l'analyste. On sait bien, et il faudrait
davantage en tenir compte, que le désir d'enseigner et celui d'apprendre créent
une attitude psychique peu favorable à l'analyse.
On entendait souvent les
analystes se plaindre que telle analyse avait échoué à cause de « résistances
trop fortes » ou d'un « transfert trop intense ». Il faut admettre par
principe la possibilité de ces cas extrêmes ; parfois nous nous heurtons
effectivement à des facteurs quantitatifs que nous n'avons absolument pas le
droit de sous-estimer sur le plan pratique car ils jouent un rôle décisif tant
dans la terminaison de l'analyse que dans les causes qui l'ont motivée.
Mais le facteur
quantitatif, en soi si important, peut servir de couverture à une compréhension
insuffisante du jeu des motivations, lequel décide finalement de la répartition
et du mode d'utilisation de ces quantités. Ce n'est pas parce que Freud a dit
un jour : « Tout ce qui perturbe le travail analytique est une résistance »,
qu'on peut affirmer dès que l'on rencontre un obstacle dans l'analyse :
« C'est une résistance ».
Cette conception créait,
surtout avec les patients atteints d'un sentiment de culpabilité très
virulent, une atmosphère analytique où le malade craignait de commettre le faux
pas d'une « résistance», tandis que l'analyste était sans recours
devant cette situation. On oubliait manifestement une autre affirmation de
Freud, à savoir qu'il faut s'attendre à rencontrer sous forme de « résistances »
les mêmes forces qui en leur temps ont produit le refoulement, et précisément
dès que nous tentons de lever ces refoulements.
Une autre situation
analytique que nous avons l'habitude de ranger également à tort sous l'étiquette
de « résistance », c'est le transfert négatif. Or ce
dernier ne peut manifester sa nature que sous la forme d'une «résistance» et
son analyse est la tâche principale de l'action thérapeutique. On n'a pas à
craindre les réactions négatives du patient, elles appartiennent au fond de réserve
de toute analyse.
D'ailleurs le transfert
positif violent, surtout au début d'une analyse, n'est souvent qu'un symptôme
de résistance qui demande à être démasqué. Dans d'autres cas, notamment
dans les stades plus tardifs de l'analyse, il sert en fait de véhicule à la
manifestation de tendances encore inconscientes.
Il faut encore
mentionner à cet égard une règle importante de la technique psychanalytique :
la règle qui concerne les relations personnelles entre médecin et patient. En
exigeant par principe de s'abstenir de tout contact personnel en dehors
de l'analyse, on a en général été conduit à une exclusion assez
artificielle de toute humanité dans le cadre même de l'analyse et par là à
théoriser encore une fois le ressenti analytique.
Conséquence de cette
attitude, bon nombre de praticiens ont été par trop enclins à ne pas accorder
à un changement de la personne de l'analyste l'importance qui lui
revient selon la conception de l'analyse, processus psychique dont l'unité est
conditionnée par la personne de l'analyste. Il y a bien des cas exceptionnels où
un changement d'analyste ne peut, pour des raisons extérieures, être évité,
mais nous croyons qu'il ne suffit pas de choisir un analyste de l'autre sexe
(par exemple dans le cas des homosexuels) pour éviter les difficultés
techniques.
Dans toute analyse
normale, l'analyste joue en effet tous les rôles possibles, sans exception,
pour l'inconscient du patient; il ne tient qu'à lui de reconnaître ce rôle
chaque fois au moment opportun et de s'en servir consciemment selon les
circonstances. En particulier quand il s'agit du rôle des deux imagos
parentales (père et mère), l'analyste passe constamment de l'une à l'autre
(transfert et résistance).
Ce n'est pas un hasard
si les erreurs techniques se sont produites précisément à propos des
manifestations du transfert et de la résistance. On s'est laissé facilement
surprendre par ces ressentis élémentaires dans l'analyse et, chose
remarquable, on a oublié, justement dans ce cas, la théorie qu'on avait mise
à tort au premier plan. Il se peut que la cause en soit un facteur subjectif
chez le médecin.
Le narcissisme de
l'analyste paraît propre à créer une source d'erreurs particulièrement
abondante dans la mesure où il suscite parfois une sorte de contre-transfert
narcissique qui amène les analysés à mettre en relief les choses qui
flattent le médecin et par ailleurs à réprimer les remarques et associations
peu favorables qui le concernent.
Ces deux attitudes sont
techniquement erronées; la première parce qu'elle peut produire chez le
patient des améliorations dont le seul but est de séduire l'analyste et de
gagner en retour sa sympathie libidinale, la seconde parce qu'elle détourne
l'analyste d'une tache technique, celle qui consiste à découvrir les signes de
critique, déjà faibles et en général timides, et qu'elle l'empêche aussi
d'amener le patient à s'exprimer ou à abréagir ouvertement.
L'angoisse et le
sentiment de culpabilité du patient ne peuvent jamais être surmontés sans
cette autocritique de l'analyste - qui exige d'ailleurs un certain effort - et
pourtant ces deux facteurs affectifs sont essentiels pour le surgissement ou le
maintien du refoulement.
Quant à une autre
formule qui servait à dissimuler l'insuffisance technique, certains analystes
l'ont trouvée dans une déclaration de Freud selon laquelle le narcissisme
du patient constituait sans doute une limite à l'influence de l'analyste.
Quand l'analyse ne marchait pas bien, on se consolait en se disant que le
patient était « trop narcissique ». Et comme le narcissisme fait plus ou
moins partie de tout processus psychique en tant que lien entre les aspirations
du Moi et celles de la libido, il n'était pas très difficile de trouver dans
les faits et gestes du patient des preuves de son « narcissisme».
Pourtant le « complexe
de castration » ou le « complexe de virilité », conditionnés par le
narcissisme, ne peuvent être traités comme s'ils marquaient la limite de
l'analyse, comme s'ils étaient indécomposables. Quand l'analyse se heurtait à
la résistance du patient, on ne se rendait pas toujours compte qu'il ne
s'agissait bien souvent que de tendances pseudo-narcissiques, on peut se
convaincre, en considérant les analyses des sujets qui viennent en analyse avec
déjà une certaine formation théorique, qu'une bonne part de ce que la théorie
nous incite à mettre au compte du narcissisme est en fait secondaire,
pseudo-narcissique, et, à mesure que l'analyse progresse, se laisse entièrement
décomposer dans la relation aux parents.
Cela nécessite bien sûr
une incursion analytique dans le développement du Moi du patient, de même
d'ailleurs que toute analyse des résistances exige l'analyse du Moi, bien trop
négligée jusqu'ici et sur laquelle Freud a donné dernièrement de précieuses
indications. La nouveauté d'une conception technique, récemment introduite
sous le nom d' « activité » (Ferenczi), a conduit certains, enclins à
esquiver des difficultés techniques, à harceler le patient d'injonctions et
d'interdictions brutales, ce qu'on pourrait qualifier d' « activité sauvage ».
Sans doute faut-il y
voir une réaction à l'autre extrême, qui consistait à s'en tenir strictement
à une « passivité »dans la technique, beaucoup trop rigide. Certes cette
attitude est plus ou moins justifiée par la position théorique de l'analyste
qui doit être en même temps un chercheur. Mais cela conduit facilement dans la
pratique à vouloir épargner au patient la douleur d'interventions nécessaires
et à lui abandonner par trop la direction de ses associations et l'interprétation
de ses idées.
L’activité modérée,
mais si nécessaire énergique, qui est exigée par l'analyse réside dans le
fait que le médecin accepte dans une certaine mesure de remplir vraiment le rôle
qui lui est prescrit par l'inconscient du patient et ses tendances à la fuite.
On favorise ainsi la tendance à répéter des expériences traumatiques
précoces, en général légèrement inhibée, avec bien entendu pour visée
ultime de vaincre définitivement cette tendance à la répétition en dévoilant
son contenu.
Quand cette répétition
surgit spontanément, il est superflu de la provoquer et le médecin n'a plus
qu'à faire en sorte que la répétition se transforme en remémoration (ou en
reconstruction plausible). Ces dernières remarques purement techniques nous ramènent
au thème, déjà très souvent effleuré, de l'interaction de la théorie et de
la pratique, thème auquel nous pouvons maintenant consacrer quelques remarques
méthodologiques générales.
Les débuts de la
psychanalyse avaient un caractère purement pratique. Mais rapidement on a vu naître,
produits secondaires de l'action thérapeutique sur les névrosés, des conceptions
scientifiques concernant la structure et la fonction de l'appareil
psychique, son ontogenèse et sa phylogenèse et pour finir ses fondements
biologiques (Théorie des pulsions).
Ces connaissances se
sont avantageusement répercutées sur la pratique analytique et la conséquence
principale en a été la découverte du complexe d’œdipe comme complexe
nodal des névroses et de l'importance de la répétition de la
relation oedipienne dans la situation analytique (transfert).
Cependant l'essentiel de
l'intervention analytique proprement dite ne consiste ni dans la constatation
d'un (c complexe d’œdipe ni dans la simple répétition de la relation
oedipienne en relation avec l'analyste, mais bien davantage dans la dissolution
ou le détachement de la libido infantile de sa fixation aux tout
premiers objets.
Ainsi la thérapie
psychanalytique telle que nous la concevons aujourd'hui est devenue une méthode
qui a pour but de faire vivre pleinement la relation oedipienne dans la
relation du patient au médecin afin que la connaissance acquise lui permette
d'aboutir à une solution nouvelle et meilleure.
Cette relation s'établit
d'elle-même dans les conditions de l'analyse ; à l'analyse revient la tâche
de la découvrir rien qu'à de légers signes et d'amener le patient à la reproduire
pleinement dans le vécu analytique ; parfois des mesures appropriées
s'imposent pour amener ces traces à s'affirmer (activité).
Quant aux connaissances
sur le développement psychique normal (théorie des rêves, de la sexualité,
etc.), importantes sur le plan théorique et indispensables en soi, il ne
faut s'en servir dans la pratique que dans la mesure où elles peuvent permettre
ou faciliter la reproduction de la relation oedipienne qu'on vise à atteindre
dans la situation analytique.
Se perdre dans les détails
de l'histoire individuelle sans refaire constamment le point en ce qui concerne
cette relation est erroné et stérile dans la pratique et pour ce qui est du
plan théorique cette technique est loin de donner autant de résultats solides
que ceux obtenus dans la pratique telle que nous venons de l'exposer.
L'importance
scientifique d'un maniement correct de
la technique a été négligée jusqu'à présent et il est temps de
l'estimer à sa juste valeur. Les résultats théoriques ne doivent pas être répercutés
sur la technique de façon aussi mécanique qu'on l'a fait jusqu'ici et plus
encore il faut une correction constante de la théorie par les
nouvelles connaissances apportées par la pratique.
Partie essentiellement
de la pratique, la psychanalyse est parvenue, sous l'influence des premières découvertes
surprenantes, à une phase de connaissance. La connaissance de tous les mécanismes
psychiques s'est rapidement accrue et les résultats thérapeutiques si
frappants du début sont devenus insatisfaisants ; il faudrait donc songer à
accorder de nouveau le savoir récemment acquis et le pouvoir thérapeutique, le
premier ayant de loin dépassé le second.
Nos propres exposés
esquissent dans ce sens le début d'une phase que nous voudrions appeler, par
contraste avec la précédente, la phase de ressenti. Alors qu'on
s'efforçait auparavant d'obtenir un effet thérapeutique de la réaction du
patient aux explications données, nous voulons désormais mettre le savoir
acquis par la psychanalyse totalement au service du traitement en provoquant directement,
en fonction de notre savoir, les expériences vécues (Erlebnisse) adéquates
et en nous bornant à expliquer au patient seulement ce ressenti, qui bien
entendu lui est aussi directement perceptible.
Ce savoir qui nous met
en mesure de situer et de doser correctement nos interventions réside
essentiellement dans la conviction de l'importance universelle de certains ressentis
précoces fondamentaux (par exemple le complexe d’œdipe) dont l'effet
traumatique est ranimé dans l'analyse (à la manière des « traitements réactivants
)) en médecine) et, sous l'influence de l'expérience pour la première fois
consciemment éprouvée dans la situation analytique, il est amené à se décharger
de manière plus appropriée.
Cette thérapeutique se
rapproche à certains égards d'une technique pédagogue car l'éducation
elle-même - ne fût-ce que par la relation affective à l'éducateur - s'appuie
beaucoup plus sur le ressenti que sur l'explication. Là encore, comme en médecine,
on voit se répéter l'immense progrès que représente le passage d'une
intervention purement intuitive et, partant, souvent malencontreuse, à
l'introduction délibérée du vécu analytique car sous-tendue par la compréhension.