A propos des présentations cliniques

de Jacques Lacan

François Leguil

 

Au début de son Séminaire sur les psychoses et pour faire pressentir la particularité exclusive du mécanisme de la formation des symptômes, Lacan choisit de s’appuyer sur la découverte qu’une présentation clinique lui a permis de préciser à l’hôpital Sainte-Anne. L’exemple est bien connu de ses lecteurs et de ses élèves, celui de la jeune fille hallucinée qui murmure: "Je viens de chez le charcutier " et s’entend injuriée : " Truie ! "

Dans ses Ecrits, Lacan décrit l’attitude requise lors de ces exercices: " Nous illustrerons ce qui vient d’être énoncé par un phénomène détaché d’une de nos présentations cliniques... Disons que semblable trouvaille ne peut être que le prix d’une soumission entière, même si elle est avertie, aux positions proprement subjectives du malade, positions qu’on force trop souvent à les réduire dans le dialogue au processus morbide, renforçant la difficulté de les pénétrer d’une réticence provoquée non sans fondement chez le sujet" (p. 534).

Si pénétrer une position subjective, en accompagnant son effort d’une théorie erronée (ici celle du processus morbide) sur le plan causal, provoque une réticence, le refus du patient porte non sur cela que son intimité est exposée au public, mais sur ceci que le médecin manque à la vérité par l’interposition d’une conception fautive qui hisse le clinicien et le met en situation de force du côté du savoir. Ici, Lacan renouvelle la proposition formulée dès la première année de son Séminaire: la résistance de l’analysant est la résistance de l’analyste et la réticence du délirant est dans l’attitude de l’examinateur quand il croit qu’il sait, c’est-à-dire lorsqu’il prétend comprendre. On peut citer le commentaire plus développé livré dans une leçon de décembre 1955 : "Si vous comprenez tant mieux, gardez-le pour vous, l’important n’est pas de comprendre mais d’atteindre le vrai. Mais si vous l’atteignez par hasard, même si vous comprenez, vous ne comprenez pas (...) [la patiente] voulait que je comprenne (...) c’est justement ce qu’il ne faut pas faire. Ce à quoi il faut s’intéresser, c’est au point de savoir pourquoi elle voulait justement que l’autre comprenne cela et pourquoi elle ne le lui disait pas clairement, mais par allusion. Si je comprends, je passe, je ne m’arrête pas à cela, puisque j’ai déjà compris...Ce qu’il y a à comprendre, c’est pourquoi il y a quelque chose qu’on donne à comprendre. Pourquoi a-t-elle dit "Je viens de chez le charcutier ", et non pas " Cochon "? " (livre III, p. 59-60).

Un couple d’opposition entre compréhension et soumission aux positions subjectives donne l’idée d’un enjeu immédiat de la rencontre : refuser de répondre à la demande implicite du malade d’être compris est se refuser soi-même d’accepter l’interposition d’un savoir sur la causalité, que l’on pense avoir à sa disposition, renforçant la tentative inconsciente du malade de dissimuler ce qui est en cause dans sa parole. Le "pouvoir discrétionnaire de l’auditeur" qu’évoque Lacan dans un autre écrit n’est pas ici du seul côté du médecin puisqu’il lui faut s’effacer afin que le noyau véritable ait quelque chance d’être cerne.

Il faut préciser le contexte de cet exemple princeps de l’enseignement de Lacan sur les psychoses: un hôpital, un asile, une malade hospitalisée avec sa mère contre son gré, vraisemblablement lassée qu’on lui impose la répétition de cet exercice public, et tout cela à l’époque qui précède juste les grands bouleversements introduits par la chimiothérapie "J’ai tout lieu de penser qu’elle avait été examinée et présentée avant que je m’en occupe, et, vu la fonction que jouent les malades dans un service d’enseignement, une bonne dizaine de fois. On a beau être délirant, on en a assez vite par-dessus la tête de ces sortes d’exercices, et elle n’était pas particulièrement bien disposée " (livre III, p. 58-59).

Voilà en effet une question forte : en quoi la pratique de la présentation clinique, commise aussi à des fins d’enseignement, est-elle admissible pour un analyste qui en mesure le caractère presque " inhumain "? N’est-elle pas la caricature mise en scène de ce qu’avec le Sartre de L’Etre et le Néant, on pourrait épingler comme l’inévitable volonté d’une conscience asservissant une liberté dans sa relation à autrui ?

L’affaire est rude car pendant plus de trente années Lacan est allé à l’hôpital psychiatrique deux fois par mois pour y accomplir cet exercice si critiqué. Dans le compliment qu’il fait au début de son dernier écrit, " L’Etourdit", au Dr Daumézon, alors médecin directeur de l’hôpital Henri-Rousselle, Lacan avoue avoir hérité cette pratique des aliénistes qui l’ont formé et accepte, sans davantage prétendre s’en justifier, cette tradition classique en leur rendant hommage " pour la faveur que les miens et moi y avons reçue dans un travail dont j’indiquerai ce qu’il savait faire, soit passer la présentation " (Scilicet n° 4, p. 5).

Nous allons essayer de montrer comment il n’y a là ni provocation ni superbe en avançant cette proposition : la présentation clinique du Dr Lacan était l’un des principaux témoignage, nécessaire et irréfutable, de sa modestie scientifique. Faisons-le en mêlant trois questions: à quoi répondait dans la tradition classique cet exercice? Pourquoi pouvait-il paraître à la plupart, à partir des années cinquante, obsolète, inutile, voire condamnable? Pourquoi Jacques Lacan a là véritablement pris le relais d’une pratique qui sans lui serait devenue caduque?

Ce que décrivent ceux-là qui avaient la chance d’accueillir le Dr Lacan à l’hôpital est marqué, d’une part, par le souvenir de sa prévenance, de ses ménagements, de son attention extrême aux jeunes médecins qui lui parlaient du cas qu’on souhaitait lui faire connaître, par le souvenir de son souci de leur manifester une gratitude qui bien évidemment les surprenait, pris qu’ils se trouvaient dans l’idée de lui être plutôt redevable, et, d’autre part, par l’observation que Lacan venait à l’hôpital non pas en obligé, mais comme s’il allait de soi de considérer qu’il y venait depuis toujours. La façon avisée et instruite avec laquelle il s’informait de l’aspect pittoresque ou contingent du déroulement d’un séjour hospitalier indiquait presque le maintien d’une familiarité avec la chose psychiatrique saisie dans son quotidien. Parlant dès après la guerre, à Bonneval, à ses anciens collègues rassemblés autour de son ami Henri Ey, il évoque même son goût : " Car l’authentique dialectique où vous engagez vos termes (...) suffit à garantir la rigueur de votre progrès. J’y prends appui moi-même et m’y sens combien plus à l’aise que dans cette révérence idolâtrique des mots qu’on voit régner ailleurs et spécialement dans le sérail psychanalytique "(Ecrits, p. 161).

La question qu’il posait alors aux médecins était simple et vigoureuse :" L’originalité de notre objet est-elle de pratique - sociale - ou de raison - scientifique? " (Ecrits, p. 154) et en quoi " un malade se distingue-t-il d’un fou? " (Ecrits, p. 156).

Dans les années soixante et soixante-dix certes - sans doute même avant - Lacan ne leur proposait plus ce qu’il disait être son ambition en 1946, à savoir " la mise en équation des structures délirantes et des méthodes thérapeutiques appliquées aux psychoses (...) à partir de la valeur sédative de l’explication médicale, en passant par l’action de rupture de l’épilepsie provoquée, jusqu’à la catharsis narcissique de l’analyse " (Ecrits, p. 192). Pourtant, on ne le voyait jamais effarouché ou pudibond lorsqu’il était averti que telle mesure

administrative imposée au patient cherchait davantage à obtenir la protection des biens et des personnes qu’à parfaire le soin; on ne le voyait jamais adopter une attitude " pylorique lorsqu’il lui fallait tenir compte de la brutalité effective d’un traitement chimique, voire d’électrochoc. Il ne venait visiblement plus à l’hôpital pour juger de la médecine, prendre le pas sur les médecins, pour en améliorer l’opérativité ou peaufiner la conceptualisation. Nous pensons qu’il allait à l’hôpital car, tout comme Freud qu’il nommait un jour " ce clinicien attaché au terre à terre de la souffrance"(Ecrits, p. 642), il considérait qu’il fallait bien autrement prendre le relais de la mission abandonnée par ses anciens collègues regroupés avec lui dans les années trente à L’Evolution psychiatrique. Il était constant qu’il n’espérait plus que " les ressources de science "qu’ils avaient montrées sussent désormais repérer quoi que ce soit qui pose " la loi où se règle notre efficience " et fussent aptes à répondre à sa question: qu’est-ce que " la matière psychique "? (Ecrits, p. 161)

En marge de sa présentation, mais dans le même lieu, il le fera connaître aux jeunes psychiatres venus l’écouter au milieu des années soixante: " C’est bien frappant que depuis une trentaine d’années, il n’y a pas eu, dans le champ psychiatrique, la moindre découverte! Pas la plus petite modification du champ clinique, pas le moindre apport... Maintenant si vous allez chercher jusqu’à la plus extrême pointe, là où ça devient complètement minuscule, vous prenez cette dernière retouche : ma thèse, la paranoïa d’autopunition. J’ajoute un petit truc à l’emmanchure KraeplinClérambault. " Depuis, dans la psychiatrie, " entrée entièrement dans le dynamisme pharmaceutique (...) se produisent des choses nouvelles: on obnubile, on tempère, on interfère, on modifie", mais d’un point de vue clinique on n’invente plus rien qui oriente plus avantageusement sur " le sens des phénomènes ".

Louant avec enthousiasme le Michel Foucault de l’Histoire de la folie à l’âge classique et celui de Naissance de la clinique, Lacan fait sienne la thèse selon laquelle " la position psychiatrique est parfaitement définissable historiquement " dans " cette mutation essentielle du traitement de la folie dans les registres du sacré et son abord humanitaire, soit l’enfermement ". La pratique clinique des présentations de Lacan s’inscrit aussi bien dans ce contexte du dépérissement définitif de la " psychiatrie d’observation " au profit d’une psychiatrie d’intervention, contemporaine et complice du naufrage des conditions d’élaboration de son savoir.

Un peu comme l’historien note que " la montée de la folie sur l’horizon de la Renaissance s’aperçoit d’abord à travers le délabrement du symbolisme gothique " (Histoire de la folie, p. 28), la chute du progrès des connaissances sémiologiques et nosologiques - soit, avant la Seconde Guerre mondiale, la fin de l’invention de nouveaux tableaux cliniques - provoque le surgissement sur la scène de la figure du fou, exalté et célébré comme nouveau maître de la vérité. On peut distinguer trois vérités, chacune contestant par une incompatibilité spécifique le bien-fondé de cet exercice de la présentation clinique

1) Accueillie par l’antipsychiatrie, la figure du fou comme maître d une vente explosive dénonce le mensonge de l’aliénation quotidienne de la parole interdite par les pouvoirs de la conformité. Le pathétique est estimé engendré par l’étouffement du secret dont le patient est détenteur à son corps défendant.

2) Convenant aux courants dits " institutionnels", la figure du fou comme maître d’une vérité révélant l’absurdité d’une société en impasse est appelée au renfort de la rébellion contre l’ordre du collectif qui opprime le sujet. Un traitement de la folie en résulte qui ne privilégie pas la séparation des sujets, leur distinction, mais installe le malade dans un cadre préservé, chargé de promouvoir la contestation des avancées de la société technique.

3) La figure du fou, en troisième lieu, comme maître de la vérité d’un désordre de la raison, qu’il faut réduire et mettre à quia en le corrigeant biologiquement, conjoint la double origine juridico-médicale et policière que repère Foucault. Elle domine maintenant la médecine des choses mentales car elle était la plus attendue. Le fou est ce maître paradoxal comme l’est la maladie pour le médecin qui se met au service de tout ce qui la combat. La Faculté reconnaît dans la folie une maladie passant par la parole et s’adresse au malade comme à celui qu’il faut faire taire parce que les forces supplétives de la psychologie universitaire lui serinent depuis plus d’un siècle que le désordre n’est plus seulement dans les actes et le mouvement mais dans ce qui se dit et s’avoue penser.

La psychiatrie d’observation achevée, c’est-à-dire la clinique psychiatrique constituée, la présentation, installée jusqu’alors au croisement de ce qui se cherchait et de ce qu’on trouvait et savait transmettre, n’est plus que l’occasion d’illustrer des tableaux déjà connus. Toute dans l’automatique de l’académisme, cette pratique déserte le terrain de la tuchè, de la trouvaille, de la rectification d’une recherche. La fin ou la contestation du maintien artificiel de la présentation répondait d’une part au dépérissement du savoir officiel, au discrédit justifié de la psychopathologie de lui offrir son aggiornamento, et d’autre part à la nature des trois alternatives antipsychiatrique, psychiatrique-institutionnelle et psychopharmacologique.

Pour la première, la folie interpelle et n’a pas à être interrogée sous peine d’en perdre l’éclat; pour la seconde, la folie est pur effet et il est vain de vouloir en dégager la cause dans la seule considération du sujet, puisque le remède est là dans le rétablissement de nouvelles voies de communication sociale. Pour la troisième, la " biologique", la présentation se réduit à un dispositif d’exposition universitaire à l’usage des impétrants. Elle n’a plus que la vocation d’illustrer ce qu’on professe pour animer le savoir, mais elle n’est plus l’épreuve de vérité d’une confrontation ainsi que l’on peut par suffisamment d’exemples probants prouver qu’elle l’était d’un Morel à un Seglar, d’un Meyer à un Binswanger.

Le pourrissement sur pied de la psychiatrie ôte à la présentation sa vertu heuristique en promouvant dans les failles de ce qu’elle recouvrait par son ambition symbolique ces trois figures contemporaines de la folie qui rendent l’exercice de la confrontation publique et réglée avec le malade scandaleux pour la première, incongru pour la seconde, superfétatoire pour la dernière.

Si Jacques Lacan a contre le sens commun préservé cette pratique, n’est-ce pas en raison de cela qu’il considérait qu’on devait encore y chercher et y trouver un rapport spécifique et irremplaçable à la vérité en cause dans la clinique? Le retour mélangé et livide de la folie dans " sa nature de ténèbres", dans sa capacité de dérangement " d’une conscience susceptible de scandale " et surtout sous l’aspect de ce par quoi l’homme brigue " une prise objective sur lui-même" (Histoire de la folie, p. 31, 143, 481), édifiait le triple obstacle épistémologique et éthique contre lequel se portait l’enseignement de Lacan à l’hôpital.

Mise en question ininterrompue des savoirs constitués et passion de la découverte humble et prosaïque, la rencontre de Lacan avec les patients se voulait néanmoins certaine. Il démontrait, à l’endroit même où la clinique a pris naissance en devenant "un moment essentiel à la cohérence scientifique " (Naissance de la clinique, p. 70), qu’être psychanalyste est aujourd’hui être clinicien, puisqu’être clinicien est aujourd’hui n’être plus vraiment psychiatre. Entré comme phénoménologue dans l’action qui opérait sur la nosologie classique à partir de l’œuvre freudienne, Lacan pouvait poser au début de ses leçons cliniques qu’" avant de faire parler les faits, il convient de reconnaître les conditions de sens qui nous les donnent comme tels " (Ecrits, p. 163). Vingt-cinq ans après, il précisait que " ces conditions de sens", sans lesquelles un fait n’est pas un fait clinique, sont en réalité les conditions qui permettent le repérage pertinent d’une " fonction-sujet ", distincte par sa dimension d’être " du psychisme, de la connaissance ou de la représentation. Ces " conditions de sensé " sont justement ce qui dans le sens s’impose comme non-sens. Un peu avant 1970, Lacan va chez les psychiatres pour le leur stipuler en soutenant que " s’il y a quelque chose que la psychanalyse est faite pour faire ressortir, ça n’est certainement pas le sens, au sens en effet où les choses font sens, où on croit se communiquer un sens, mais justement de marquer en quels fondements radicaux de non-sens et en quels endroits les non-sens décisifs existent, sur quoi se fonde l’existence d’un certain nombre de choses qui s’appellent les faits subjectifs". La cohérence secrète de ces propositions - la condition de sens, qui fait qu’un fait est un fait, est du côté du non-sens - et leur solidarité au-delà d’une contradiction de surface traversaient ce que Lacan montrait : la clinique analytique et, à l’hôpital, la présentation, qui en est une rare modalité transmissible, ne valent que par l’aptitude du clinicien à échapper à ce qui s’offre à lui dans l’entretien comme captation imaginaire; celui qui s’y prête en public est engagé dans une épreuve de capacité qui dévoile, pour les autres et dans l’instant, la vérité de là où il en est et des moyens qu’il se donne, afin que son attitude conjoigne la mise en suspens d’un savoir étoffé avec la recherche de ce qui chez l’autre fonctionne comme vérité, afin que ses manières de parler associent à une non-maîtrise affichée une certitude dans une direction paradoxale, puisqu’elle est également soumission, docilité aux positions subjectives de l’autre.

Il est important de rappeler que cette attitude est une des grandes intuitions pratiques de la thèse sur la paranoïa d’autopunition:

" Nous nous entretenions un jour (exactement un 2 mars) avec notre malade. Les plans d’interrogatoire, dont certains se targuent d’apporter le bienfait à la psychiatrie, n’ont que peu d’avantages auprès de gros inconvénients. Celui de masquer les faits non reconnus ne nous paraît pas moindre que cet autre qui est d’imposer au sujet l’aveu de symptômes connus. Ainsi est-ce à bâtons rompus que nous devisions, quand nous avons eu la surprise d’entendre notre malade... " (De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, p. 212-213). Prôner l’entretien contre la technique de l’interrogatoire, c’est-à-dire l’ouverture au neuf contre la confirmation, est d’emblée le premier versant, le second étant toujours - déjà avec Aimée - la décision de renoncer au " tableau clinique" pour privilégier après Freud et Jaspers une clinique du cas et de la monographie, de préférer à " la synthèse descriptive "" la description complète (...) des liens étiologiques et significatifs par où la psychose dépend étroitement de l’histoire vécue du sujet "(De la psychose paranoïaque, p. 267).

Partir du cas et le faire dans " sa totalité " est resté l’ambition des présentations de Lacan, manifeste lorsqu’il précisait que l’entretien se devait " de faire le tour de la chose". Dans le choix de cette clinique du cas contre la tradition classique du tableau, Lacan se voulait phénoménologue mais se reconnaissait aussi héritier de Freud, de sa lecture de Schreber, de " sa nouveauté fulgurante, en même temps qu’éclairante, qui permet de refaire une classification de la paranoïa sur des bases complètement inédites" (livre III du Séminaire, p. 38).

Lacan venait à l’hôpital pour y relever le gant abandonné par les psychiatres et le défi lancé par la psychose à l’œuvre de Freud; il lui fallait assumer ce qu’il nommait l’"antinomie " (De la psychose paranoïaque, p. 280) d’une cure, seule source de "progrès " mais qui ne peut se dérouler à l’asile. Parce qu’il est scabreux, voire impossible, de concevoir une cure analytique ailleurs que chez un analyste, la présentation de Lacan est aujourd’hui la pierre angulaire de notre réflexion sur la présence de l’analyste à l’hôpital.

Lacan voulait que cette affaire continue de travailler, là où ils étaient, ceux-là dont il disait sans aucun égard de style que leur lot était d’être " concernés avec le fou". Jacques Lacan les prévenait que la vérité de leur rencontre avec la psychose passait presque inévitablement par l’angoisse. Le devoir de la psychanalyse était selon lui de faire en sorte qu’on pût répondre autrement que par l’angoisse à la question de l’objet dans la psychose, à la question de l’objet (a) qui fait du psychotique qui ne le demande pas à l’autre un " homme libre". Lacan voulait cela, et ceux qui assistaient à ses leçons le sentaient, et voyaient bien qu’il y parvenait.