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Jean MELON
REVISION DE
LA DOCTRINE SZONDIENNE DES PULSIONS
LES THESES DE
L'ECOLE DE LOUVAIN
I - Le Problème structural
de la Schicksalsanalyse
La théorie szondienne dans sa version originale, soulève toujours le
scepticisme sur plusieurs points, en particulier sur la thèse selon laquelle
l'hérédité psychique reposerait sur huit paires de gènes allèles. Chacun
sait combien cette thèse peut être invraisemblable en regard des conceptions
de la génétique moderne.
Accorder crédit malgré tout à la théorie szondienne suppose qu'on
la perçoive et qu'on l'aborde sous un jour nouveau et que l'on en recherche
la validité par des chemins
différents.
C'est là précisément la démarche de J. Schotte. L'abord original
par lequel il a entrepris d'explorer la Schicksalsanalyse a été exposé
pour la première fois dans l'article intitulé
'Notice pour introduire le problème
structural de la Schicksalsanalyse',
paru en 1963 (1).
Schotte met entre parenthèses les lacunes, contradictions, invraisemblances
qui peuvent exister dans la théorie de base de Szondi, et considère
le schéma pulsionnel comme une structure. En procédant de la sorte,
Schotte renverse les termes du problème. Il se demande: de quoi le
schéma pulsionnel est-il l'expression? On verra que la réponse ne s'exprime
pas en termes de gènes, mais en termes de catégories existentielles.
Mais il faut d'abord parcourir
la Notice pour commencer à le découvrir.
a) Voyons sommairement comment Schotte aborde et décrit les propriétés
structurales du schéma pulsionnel.
Schotte constate que, dans l'ensemble de son oeuvre, Szondi a énuméré
et recensé les pulsions, les
besoins, les couches de l'inconscient, etc...
Le problème essentiel de la Schicksalsanalyse se pose au travers des
énumérations qui sont présentées comme closes. Dès lors, dit Schotte, se
pose la question du caractère d'accomplissement et comme de perfection
interne, de l'énumération (2).
Ces énumérations concernent les radicaux du Triebsystem: les facteurs
et vecteurs pulsionnels.
C'est la clôture de l'énumération
des facteurs et vecteurs pulsionnels, et leur présentation dans le tableau
de protocole du test qui confère au schéma pulsionnel son caractère
de structure. Désormais, chaque facteur, chaque vecteur, chaque constituant
du tableau se définit par rapport aux autres:
Plus rien n'a d'existence autonome,
tout est reconstitué en et par des réseaux de relations significatives:
nous venons de quitter le régime dans lequel les maladies mentales sont
considérées "partes extra partes", pour l'articulation d'une
structure unique dont l'ensemble les recoupe et non plus les regroupe
(3).
De par la mise en tableau,
chaque constituant reçoit, outre sa signification propre, une valeur
de position dans l'ensemble.
b) Schotte fait un pas supplémentaire
en avançant l'idée que la mise en tableau des maladies mentales au moyen
du schéma opère un passage des classes aux catégories.
Chaque vecteur serait à comprendre,
non pas comme une classe, mais comme une catégorie de pensée et d'être,
ayant une signification existentielle.
A l'instar des existentiaux
de la logique médiévale, les catégories sont des notions transcendantales.
Quel type d'arguments apporter pour appuyer l'affirmation qu'il s'agit
effectivement de catégories, au sens qui vient d'être défini? Comment
manier une catégorie, si précisément elle n'est pas définie en extension?
La première indication d'un
principe réflexif, de l'existence d'une autoapplication des catégories
à elles-mêmes est donnée dans le fonctionnement même du test. Le test
est fait de la matière psychiatrique elle-même, et le sujet va se les
appliquer à lui-même.
Ceci a un corollaire extrêmement
important sur le plan clinique: proposer le test de Szondi à un sujet,
c'est lui proposer d'être lui-même le critère de validité des réponses
qu'il donne. C'est le sens même du concept de choix dans la théorie
szondienne. C'est également ce que Schotte veut souligner en montrant
que la propriété de réflexivité concerne avant toute chose le matériel
même du test. Le sujet se choisit au travers des catégories proposées,
et, à la limite, les sujets dont les photos ont servi à la construction
du test auraient pu être testés.
Il - La lecture ordonnée des
vecteurs et la dimension génétique
A propos des modalités temporelles,
nous allons rencontrer une présentation de l'ordre des vecteurs qui
ne correspond pas à celui du schéma lui-même, tel que Szondi nous l'a
livré. Effectivement, Schotte introduit une lecture ordonnée des vecteurs
selon la formule: C; S; P; Sch.
Ce nouvel ordonnancement permet une lecture génétique du schéma. Les matériaux les plus significatifs pour cette lecture génétique sont empruntés par Schotte à la théorie psychanalytique. Les phases du développement de la libido selon Freud en sont une première version:
oralité et facteur "m",
analité et facteur "d";
stade sadique-anal et moteur et facteur "s",
stade phallique et uréthral
et vecteur P.
Une seconde version consiste à interroger les modes fondamentaux de relation à autrui, perspective qui n'est d'ailleurs déjà plus exclusivement génétique. On peut alors parler des
relations maternelles pour C,
des relations de type fraternel pour S,
des relations de type paternel
pour P.
Enfin, les complexes fondamentaux tels qu'ils ont été formulés par Lacan permettent un rapprochement génétique déjà plus systématique avec les vecteurs:
Le sevrage serait à rapprocher de C,
I'intrusion de S et l'Oedipe de P.
Au vecteur Sch correspond alors
le complexe de castration qui "met en jeu l'identité et l'intégrité
même de l'individu dans son incarnation" (4).
III- La patho-analyse
Schotte intitule le cours de questions approfondies de psychologie clinique '77-'78:
"La nosographie psychiatrique
comme patho-analyse de notre condition".
Le but du présent chapitre
est de faire une analyse sommaire de cette formule, en montrant la place
que tient le schéma pulsionnel dans ce projet.
Selon la perspective freudienne,
la maladie mentale peut être considérée comme un révélateur de la structure
de la condition humaine. Freud a utilisé l'image du cristal qui se brise
pour indiquer ce principe:
Là où la pathologie nous montre
une brèche ou une fêlure, il y a peut-être normalement un clivage: jetons
par terre un cristal, il se brisera, non pas n'importe comment, mais
suivant ses lignes de clivage, en morceaux dont la délimitation quoique
invisible, était cependant déterminée auparavant par la structure du
cristal. (5)
Selon ce principe, le pathologique
révèle donc la structure du normal. C'est ce que Schotte appelle la
patho-analyse.
Ayant découvert dans l'oeuvre
même de Freud le principe de la pathoanalyse, il reste à examiner l'apport
spécifique de Szondi quant à cette problématique.
Avec les recherches généalogiques,
Szondi envisage un champ qui dépasse largement le domaine psychiatrique,
puisqu'il prend en considération aussi les autres maladies, ainsi que
les choix professionnels et les choix amoureux.
Lorsque Szondi construit le
test, destiné à remplacer les études généalogiques trop longues à mener,
il opère une sorte d'échantillonnage parmi les physionomies présentées
par les malades mentaux.
Si Szondi déclare ne pas savoir
si son échantillonnage est exhaustif quant à l'éventail des maladies
mentales possibles, par contre il a toujours présenté le résultat de
cet échantillonnage comme un système pulsionnel, en ce sens que chaque
entité nosographique retenue est insérée dans un jeu de relations avec
l'ensemble des autres.
C'est là que réside l'apport propre de Szondi par rapport au principe du cristal de Freud:
Les maladies mentales susceptibles de révéler la structure de la condition humaine sont présentées sous forme d'un système, possédant des propriétés en tant que système.
Pour exprimer cette idée, Szondi
a utilisé l'image du spectre des couleurs:
Un système pulsionnel doit
nous donner une vue synthétique de tout l'ensemble de la vie pulsionnelle
comparable à l'impression globale que nous donne la lumière blanche,
mais il doit également permettre d'étaler ce "spectre" des
pulsions tout comme la lumière est décomposable en ses couleurs (6).
Pour justifier qu'il s'agit
aussi d'une analyse des dimensions constitutives de l'existence humaine,
il faut expliciter à présent comment le schéma pulsionnel est susceptible
de s'accorder à un travail d'analyse plus anthropologique. C'est ce
que montre la lecture triadique du schéma pulsionnel.
IV - Une lecture triadique
du schéma pulsionnel
Dès la notice, complémentairement
à l'idée d'une lecture ordonnée des vecteurs, apparaît la notion d'une
lecture triadique du schéma, obtenue par le rapprochement des vecteurs
S et P, constituant ensemble le second temps de la triade.
Schotte emprunte l'idée des
triades à la phénoménologie de Deese (7) qui tente de ressaisir dans
différentes directions ce qui fait le mouvement même de l'existence
humaine. On peut citer en exemple de ces triades, la marche, le jet
et le saut; le dire, le discourir et le parler; la force (Kraft) la
violence (Gewalt) et le pouvoir (Macht)...
Quelques autres triades particulièrement significatives ont été dégagées par Schotte dans le contexte du rapprochement avec le schéma pulsionnel:
La triade base, fondement,
origine, ressaisit respectivement:
À la base, le monde de la mère et le rapport que chacun entretient avec ce registre;
Au fondement, le monde du père ou le point de vue d'une explication conflictuelle avec le père et les frères;
A l'origine, le vouloir-vivre
du sujet lui-même, que ni le père ni la mère ne peuvent donner.
a)L'origine est déjà à l'origine de la base et du fondement. Si on prend la comparaison avec la construction d'un bâtiment,
b) la base est ce qui se trouve au niveau du sol,
le fondement désigne la fondation cachée,
c) I' origine renvoie au projet
même de l'architecte ou du maître d'oeuvre .On saisit fort bien au travers
de cet exemple le statut paradoxal du troisième terme de la triade,
qui se révèle être le premier à mesure que l'investigation progresse
d'un terme vers le suivant.
Mais quelle est la signification
générale des trois termes qui apparaissent dans chacune des triades?
On peut tenter de le saisir en s'appuyant sur le concept même d'intentionnalité,
concept clé de la phénoménologie husserlienne, et à peu près synonyme
de transcendance ou ”d'être au monde”, car dit Schotte:
La vie intentionnelle qui est
la notion chez Husserl qui correspond à ce que Freud appelle la vie
pulsionnelle et Heidegger ”l'être au monde” ou ”dans le monde”, peut
se vivre de trois façons, selon trois accentuations possible (8).
La première accentuation, correspondant
au premier temps des triades, fait porter le mouvement intentionnel
(ou existentiel, ou pulsionnel) sur le monde lui-même. C'est l'accentuation
noématique
La seconde accentuation porte
sur le pôle de l'actant ou du sujet, qui se distingue activement du
monde et s'oppose à lui. C'est l'accentuation noétique.
La troisième accentuation porte
non plus sur le noème ou sur la noèse, mais sur leur rapport même. L'accentuation
porte ici sur l'être dans le monde comme tel.
Transposée au niveau du schéma pulsionnel, cette structure ternaire engendre la distinction entre deux sens de lecture:
le premier qui va de C à Sch
représente le point de vue ontique ou génétique, le second qui part
de Sch représente le point de vue ontologique, qui place en première
position le problème de l'origine et du rapport à soi.
Schotte a proposé le graphe
suivant pour représenter l' imbrication de ces deux points de vue par
rapport au schéma pulsionnel.
en traits simples:
L'axe de la succession temporelle linéaire:
ordre ontique de succession au niveau des faits.
En traits redoublés:
L'ordre ontologique au niveau
des fondements.
Dans le cadre de la lecture
triadique du schéma, la perspective génétique est toujours imbriquée
avec une perspective non génétique, soit une perspective ontologique.
V - Les circuits pulsionnels
En 75-78, Schotte propose de
généraliser aux quatre vecteurs du schéma la notion de circuit pulsionnel
que Szondi avait introduite pour le seul vecteur Sch.
Cette notion de circuit, chez Szondi lui-même, renvoie à deux idées:
d'une part, I'idée que la normalité
ou la santé mentale est liée à une certaine mobilité de la vie pulsionnelle,
par opposition à la pétrification dans certains clivages ou dans certaines
structures rigides.
D'autre part, la notion de
circuit évoque l'idée d'un ordre de complexité croissante entre les
différentes fonctions du moi.
Le circuit du moi proposé par Szondi est le suivant: (p- , p+, k+ ,k-)
Ce circuit est concrétisé par
la marche d'un traitement analytique ou psychothérapeutique, et suppose
que tout ”contenu psychique " est successivement traité dans la
vie du moi selon l'ordre des fonctions dites de défense..." (9).
Le contenu apparaîtrait d'abord
sous forme projective, comme s'il venait de l'extérieur (p-),
puis fait l'objet d'une prise de conscience qui suscite une assimilation
de cette représentation (p+). Cette prise de conscience engendre à son
tour l'introjection (k+) d'une partie des contenus assimilés par la
conscience, et enfin, la partie qui n'est pas introjectée est refoulée
(k- ).
Schotte remarque que cette
conception n'est pas étayée par des résultats empiriques, et notamment
par des données de type génétique. En effet, I'inflation "p+"
par exemple s'avère presque inexistante chez l'enfant, et apparaît surtout
à l'adolescence, période où s'achève l'évolution génétique.
Schotte va alors proposer une
autre formule de circuit pour le vecteur Sch, et en outre généraliser
cette notion de circuit aux quatre vecteurs pulsionnels.
a) Les circuits vectoriels:
La formule proposée par Schotte
s'exprime dans le tableau suivant:
A l'intérieur de chaque vecteur,
un ordre de succession est introduit entre les quatre pôles constitués
par les positions positive et négative de chaque facteur.
- Les circuits introduisent
une asymétrisation entre les deux facteurs de chaque vecteur. Désormais,
il existe dans chaque vecteur un facteur dont la dialectique interne
est médiatisée par l'autre. Le passage de la première position du circuit
à la dernière se fait par l'intermédiaire du second facteur qui sert
de médiateur (s, hy, k, d).
- Vu la remarque précédente,
les circuits peuvent aussi être considérés comme l'introduction de la
lecture triadique à l'intérieur de chaque facteur. Chaque circuit est
donc le reflet de l'ensemble du schéma.
Enfin, les circuits introduisent
une dimension temporelle dans la lecture du schéma et des positions,
là où Szondi en avait proposé un ordonnancement exclusivement spatial
La lecture génétique que nous
envisageons est évidemment une exploitation de cette dernière propriété.
b) La "Table de Mendéléev"
Si chaque circuit est le reflet
de l'ensemble du schéma, réciproquement, la lecture triadique, qui repose
sur l'ordre "C-S-P-Sch", se trouve complétée ou enrichie.
L'ensemble du schéma pouvant désormais aussi être l'objet d'une lecture
en circuit.
Cela signifie que les relations
que les vecteurs entretiennent entre eux dans le schéma sont homologues
aux relations qu'entretiennent entre elles les positions à l'intérieur
d'un vecteur.
L'introduction des circuits
fait du schéma pulsionnel une structure à deux niveaux, caractéristique
qui se révélera fondamentale pour nos développements futurs.
Le double niveau des circuits
permet d'introduire les 16 positions pulsionnelles dans un tableau à
double entrée, qui les présente en série et en niveaux, évoquant le
tableau périodique des éléments conçu par Mendeléev.
Tableau des séries
pulsionnelles
Level |
1 |
2 |
3 |
4 | |
C |
m+ |
d- |
d+ |
m- | |
S |
h+ |
s- |
s+ |
h- | |
P |
e- |
hy+ |
hy- |
e+ | |
Sch |
p- |
k+ |
k- |
p+ |
c) Description des quatre niveaux
des circuits
Tentons maintenant de décrire
brièvement les caractéristiques des différents niveaux représentés par
les colonnes du tableau, et supposés se trouver dans un ordre de complexité
croissante.
Niveau 1 (et vecteur Contact)
Le niveau I concerne un sujet
essentiellement dépendant, à tous points de vue, tributaire de ce qui
se passe dans son environnement, par conséquent susceptible d'être facilement
frustré si l'entourage ne répond pas à son attente
Niveau 2 (et vecteur Sexuel)
Les secondes positions des
circuits correspondent à un moment de rebroussement auto-érotique dans
le fantasme (10), c'est un moment spéculaire, imaginaire. En ce sens,
il marque une première autonomisation par rapport aux positions précédentes.
Si au niveau I prévaut l'idée
d'environnement ou de milieu, au niveau 2 apparaît la notion d' objet
en particulier le corps perçu comme totalité objectivée dans le champ
visuel, ce qui souligne la dimension imaginaire de la catégorie de l'objet
Niveau 3 (et vecteur P)
Au niveau 3, le sujet s'arrache à l'autocomplaisance de la position 2, sous l'impact de la loi - privation et interdiction. Le passage de 2 à 3 met en jeu une opération de négation des investissements d'objets conçus dans la position deuxième où prévaut la dimension fantasmatique.
Le contre-investissement donne
accès à des objets extérieurs, cette fois réellement autres. La position
3 est la position légaliste-réaliste.
Niveau 4 (et vecteur Sch)
Le niveau 4 marque l'entrée
en scène du sujet en première personne: sujet en projet, sujet désirant,
sujet de la parole propre.
C'est le temps de l'autonomisation
maximale du sujet, autonomisation qui prend une tournure pathologique
si elle est corrélative d'une rupture avec l'environnement.
Le niveau 4 est aussi
potentiellement le niveau de la sublimation et de la création où le
sujet projette d'être libre et responsable de son destin, conçu comme
histoire à faire.
VI - Les positions des circuits
et les fantasmes originaires
Le problème posé par les fantasmes
originaires est celui d'un noyau phylogénétique de l'inconscient, ou
celui d'un équivalent de l'instinct animal. Ce patrimoine instinctif
constituerait le noyau de l'inconscient, une sorte d'activité mentale
primitive.. (Il).
Freud définit les éléments
de ce patrimoine comme des schémas phylogénétiques que l'enfant apporte
en naissant, schémas qui, semblables à des "catégories philosophiques",
ont pour rôle de "classer" les impressions qu'apporte ensuite
la vie (12).
Comme Freud, nous pensons (13)
que les fantasmes originaires ne sont pas comparables à des instincts,
car ce ne sont pas des déclencheurs de comportement, mais plutôt des
ordonnateurs du désir humain.
Les fantasmes originaires sont
comme des sortes de matrices qui informent certaines excitations corporelles
de telle sorte qu'elles sont traduites en manifestations pulsionnelles,
et de là, en phénomènes psychiques. Les fantasmes originaires sont les
vecteurs de transformation du "Reiz" en "Trieb"
(14).
Freud a reconnu quatre fantasmes originaires, sans toutefois en clôturer explicitement la liste: Séduction, Scène primitive, Castration et
Régression intra-utérine.
Nous proposons l'idée selon
laquelle il faut conférer aux gènes de la théorie szondienne un statut
métaphorique. Ce que Szondi désigne par la notion de qène renvoie en
fait à ces catégories de l'inconscient que sont les fantasmes originaires.
Dès lors, s'opère le rapprochement suivant avec les vecteurs szondiens:
Vecteur C: |
Régression intra-utérin |
|
Vecteur S: |
Séduction |
|
Vecteur P: |
Scène primitive |
|
Vecteur Sch: |
Castration. |
Pour être complet, il faudrait
expliquer comment les positions possibles du sujet dans le fantasme
sont homologues aux positions pulsionnelles de chaque vecteur.
Un exposé exhaustif n'est toutefois
pas nécessaire ici. Ce qui nous intéresse d'abord est de montrer que
le processus de rapprochement avec le schéma procède d'une démarche
immuable:
La série des fantasmes est
considérée comme close, et ceux-ci sont ordonnés en fonction de leur
affinité avec chaque vecteur. Cet ordonnancement est supposé correspondre
à une complexification croissante d'un vecteur à l'autre.
Philippe Lekeuche (15) a proposé
l'idée que la problématique de la loi, en principe caractéristique du
vecteur paroxysmal, devait aussi être abordée au travers de l'ensemble
du schéma. Pour effectuer cette analyse, Lekeuche prend l'acception
la plus large, la moins spécifique de la notion de loi, et propose la
formule suivante:
La loi pose des limites; Ia
loi structure notre existence en la délimitant (16) Cette définition
étant posée, il devient possible d'explorer au travers de chaque vecteur,
sous quelles modalités différentes la loi peut poser des limites:
Au vecteur Contact:
la limite est celle des cycles
vitaux. Le respect de la rythmicité, des cycles vitaux est ce qui rend
possible le mouvement même de la vie. C'est une modalité de la loi qui
s'applique au règne vivant dans son ensemble.
Au vecteur Sexuel:
La limite n'est plus dans le
cycle, mais dans l'objet: Le corps de l'autre en tant qu'objet pose
la limite qu'il me faut franchir si je veux avoir accès à ma jouissance.
C'est une modalité de la loi qui est valable au niveau de l'espèce.
Au vecteur Paroxysmal:
La limite vient ici du tiers
de la scène primitive et le sujet est censé prendre sur lui cette limite
venant de l'autre, dans un mouvement réflexif. C'est une modalité de
la loi qui trouve son champ d'application à l'intérieur du cercle familial.
Au vecteur Sch:
Il s'agira d'être soi-même sa propre limite ou sa propre mesure. Ceci implique l'introjection de la limitation venue de l'Autre, mais aussi la transgression de cette limitation et l'ouverture à un devenir soi.
VII - Conclusions sur les thèses
de l'école szondienne de Louvain
Parmi les thèses et les propositions
défendues par Szondi dans l'ensemble de son oeuvre, Schotte et à sa
suite l'école de Louvain a privilégié l'élément considéré comme le plus
fécond, à savoir le schéma pulsionnel.
Ce choix implique en fait une
critique à l'égard d'autres aspects de l'oeuvre szondienne qui n'ont
pas été retenus ni développés, en particulier la théorie des gènes et
les propositions qui en découlent.
Pour Schotte, le schéma pulsionnel
doit servir de support à l'élaboration d'une psychiatrie théorique systématique,
ou d'une pathoanalyse.
Toutefois, la Notice comportait
davantage qu'un projet de théorie psychiatrique. C'est un projet de
systématique des phénomènes humains: c'est à la Notice qu'est empruntée
l'idée d'une lecture génétique du schéma, et par là, d'une systématisation
des étapes du développement.
C'est la théorie des circuits
qui va fournir à notre projet de lecture génétique du schéma une base
précise: désormais, un ordre de succession est introduit entre les vecteurs
et entre les positions.
Par ailleurs, la théorie des
circuits révèle le pouvoir de systématisation du schéma pulsionnel:
comme on l'a vu sur l'exemple des fantasmes originaires, une mise en
forme systématique des concepts essentiels de la théorie psychanalytique
se révèle possible. Réciproquement, ce travail de mise en forme systématique
des concepts analytiques constitue un dévoilement progressif des fondements
du schéma en un tout autre lieu que celui des gènes où Szondi les avait
initialement cherchés.
C'est effectivement aussi en
fonction de ce pouvoir de systématisation que le schéma pulsionnel sera
utilisé dans nos travaux théorico-cliniques: il n'est pas utilisé en
tant qu'il apporterait des éléments originaux à une théorie du développement
génétique. Il n'est d'ailleurs pas une théorie génétique. Le schéma
pulsionnel est utilisé en tant qu'il est présumé fournir un cadre de
systématisation à une théorie du fonctionnement psychique, comme il
est présumé en fournir à la psychiatrie, et aux concepts majeurs de
la psychanalyse.
Nous insistons encore une fois
sur ce fait essentiel que dans le cadre de la théorie des circuits,
la perspective génétique (ou ontique) ne doit jamais s'envisager de
façon isolée; elle est toujours imbriquée avec une dimension structurale
(point de vue ontologique).
Il en découle que les moments
significatifs d'une lecture génétique devraient correspondre point par
point aux éléments de la structure. Chaque moment génétique essentiel
doit aussi avoir une signification structurale.
C'est cette double articulation
qui fait la richesse du schéma pulsionnel réinterprété à la lumière
de la théorie des circuits pulsionnels.
NOTES
( 1) SCHOTTE, J.: "Notice..." in Szondiana V, 1963, pp. 114-2O1.
( 2) SCHOTTE, J.: "Notice..." pp. 147.
( 3) SCHOTTE, J.: "Notice..." pp. 155.
( 4) SCHOTTE, J.: Questions approfondies de Psychologie différentielle, notes de cours, p. 67-68.
( 5) FREUD, S.: Nouvelles conférences sur la psychanalyse. fr. vert., p. 8O. orig.: Neue Folge der Vorlesungen in die Psychoanalyse, 1933. G.W. XV.
( 6) SZONDI, L.: Lehrbuch der experimentellen Triebdiagnostik, Bern, Huber, 196O, cité par Schotte in "L'analyse du destin comme patho-analyse", notes de cours, 1981, p.IV 5.
( 7) phénoménologue allemand (Freiburg in Breisgau) qui n'a malheureusement pas laissé de publications.
( 8) SCHOTTE, J.: "Notice...", pp. 114-2O1.
( 9) SCHOTTE, J.: "Notice...", pp. 114-2O1.
(1O) Melon J. & Lekeuche Ph.: Dialectique des pulsions, p.25.
(11) FREUD, S.: Cinq psychanalyses, fr. vert. p.419, orig. Aus der Geschichte einer infantilen Neurose, 1918, G.W. XII.
(12) FREUD, S.: idem, p. 418.
(13) MELON, J.: Positions pulsionelles, fantasmes originaires et système des pulsions, in Les Feuillets psychiatriques de Liège 13/1, 198O.
(14) Idem, p.18. Paru également en version abrégée in Psychanalyse a l'université, 1O, 198O.
(15) Lekeuche Ph.: Séminaire d'été à Louvain-la-Neuve, le 29 aôut 1982.
(16) Lekeuche Ph.: Dialectique des pulsions, p.132.