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Jean MELON 
 
 

REVISION DE LA DOCTRINE SZONDIENNE DES PULSIONS 

LES THESES DE L'ECOLE DE LOUVAIN 
 
 
 

I - Le Problème structural de la Schicksalsanalyse 
 

La théorie szondienne dans sa version originale, soulève toujours le

scepticisme sur plusieurs points, en particulier sur la thèse selon laquelle

l'hérédité psychique reposerait sur huit paires de gènes allèles. Chacun

sait combien cette thèse peut être invraisemblable en regard des conceptions

de la génétique moderne. 

Accorder crédit malgré tout à la théorie szondienne suppose qu'on

la perçoive et qu'on l'aborde sous un jour nouveau et que l'on en recherche

la validité par des chemins différents. 

C'est là précisément la démarche de J. Schotte. L'abord original

par lequel il a entrepris d'explorer la Schicksalsanalyse a été exposé

pour la première fois dans l'article intitulé

Schotte met entre parenthèses les lacunes, contradictions, invraisemblances

qui peuvent exister dans la théorie de base de Szondi, et considère

le schéma pulsionnel comme une structure. En procédant de la sorte,

Schotte renverse les termes du problème. Il se demande: de quoi le

schéma pulsionnel est-il l'expression? On verra que la réponse ne s'exprime

pas en termes de gènes, mais en termes de catégories existentielles.

Mais il faut d'abord parcourir la Notice pour commencer à le découvrir. 
 

a) Voyons sommairement comment Schotte aborde et décrit les propriétés

structurales du schéma pulsionnel.

Schotte constate que, dans l'ensemble de son oeuvre, Szondi a énuméré

et recensé les pulsions, les besoins, les couches de l'inconscient, etc... 

Le problème essentiel de la Schicksalsanalyse se pose au travers des

énumérations qui sont présentées comme closes. Dès lors, dit Schotte, se

pose la question du caractère d'accomplissement et comme de perfection

interne, de l'énumération (2). 

Ces énumérations concernent les radicaux du Triebsystem: les facteurs

et vecteurs pulsionnels. 

C'est la clôture de l'énumération des facteurs et vecteurs pulsionnels, et leur présentation dans le tableau de protocole du test qui confère au schéma pulsionnel son caractère de structure. Désormais, chaque facteur, chaque vecteur, chaque constituant du tableau se définit par rapport aux autres: 

Plus rien n'a d'existence autonome, tout est reconstitué en et par des réseaux de relations significatives: nous venons de quitter le régime dans lequel les maladies mentales sont considérées "partes extra partes", pour l'articulation d'une structure unique dont l'ensemble les recoupe et non plus les regroupe (3). 

De par la mise en tableau, chaque constituant reçoit, outre sa signification propre, une valeur de position dans l'ensemble. 

b) Schotte fait un pas supplémentaire en avançant l'idée que la mise en tableau des maladies mentales au moyen du schéma opère un passage des classes aux catégories. 

Chaque vecteur serait à comprendre, non pas comme une classe, mais comme une catégorie de pensée et d'être, ayant une signification existentielle. 

A l'instar des existentiaux de la logique médiévale, les catégories sont des notions transcendantales. Quel type d'arguments apporter pour appuyer l'affirmation qu'il s'agit effectivement de catégories, au sens qui vient d'être défini? Comment manier une catégorie, si précisément elle n'est pas définie en extension? 

La première indication d'un principe réflexif, de l'existence d'une autoapplication des catégories à elles-mêmes est donnée dans le fonctionnement même du test. Le test est fait de la matière psychiatrique elle-même, et le sujet va se les appliquer à lui-même. 

Ceci a un corollaire extrêmement important sur le plan clinique: proposer le test de Szondi à un sujet, c'est lui proposer d'être lui-même le critère de validité des réponses qu'il donne. C'est le sens même du concept de choix dans la théorie szondienne. C'est également ce que Schotte veut souligner en montrant que la propriété de réflexivité concerne avant toute chose le matériel même du test. Le sujet se choisit au travers des catégories proposées, et, à la limite, les sujets dont les photos ont servi à la construction du test auraient pu être testés. 

Il - La lecture ordonnée des vecteurs et la dimension génétique 

A propos des modalités temporelles, nous allons rencontrer une présentation de l'ordre des vecteurs qui ne correspond pas à celui du schéma lui-même, tel que Szondi nous l'a livré. Effectivement, Schotte introduit une lecture ordonnée des vecteurs selon la formule:  C; S; P; Sch. 

Ce nouvel ordonnancement permet une lecture génétique du schéma. Les matériaux les plus significatifs pour cette lecture génétique sont empruntés par Schotte à la théorie psychanalytique. Les phases du développement de la libido selon Freud en sont une première version:

oralité et facteur "m",

analité et facteur "d";

stade sadique-anal et moteur et facteur "s",

stade phallique et uréthral et vecteur P. 

Une seconde version consiste à interroger les modes fondamentaux de relation à autrui, perspective qui n'est d'ailleurs déjà plus exclusivement génétique. On peut alors parler des

relations maternelles pour C,

des relations de type fraternel pour S,

des relations de type paternel pour P. 

Enfin, les complexes fondamentaux tels qu'ils ont été formulés par Lacan permettent un rapprochement génétique déjà plus systématique avec les vecteurs:

Le sevrage serait à rapprocher de C,

I'intrusion de S et l'Oedipe de P.

Au vecteur Sch correspond alors le complexe de castration qui "met en jeu l'identité et l'intégrité même de l'individu dans son incarnation" (4). 

III- La patho-analyse 

Schotte intitule le cours de questions approfondies de psychologie clinique '77-'78:

"La nosographie psychiatrique comme patho-analyse de notre condition".  

Le but du présent chapitre est de faire une analyse sommaire de cette formule, en montrant la place que tient le schéma pulsionnel dans ce projet. 

Selon la perspective freudienne, la maladie mentale peut être considérée comme un révélateur de la structure de la condition humaine. Freud a utilisé l'image du cristal qui se brise pour indiquer ce principe: 

Là où la pathologie nous montre une brèche ou une fêlure, il y a peut-être normalement un clivage: jetons par terre un cristal, il se brisera, non pas n'importe comment, mais suivant ses lignes de clivage, en morceaux dont la délimitation quoique invisible, était cependant déterminée auparavant par la structure du cristal. (5) 

Selon ce principe, le pathologique révèle donc la structure du normal. C'est ce que Schotte appelle la patho-analyse. 

Ayant découvert dans l'oeuvre même de Freud le principe de la pathoanalyse, il reste à examiner l'apport spécifique de Szondi quant à cette problématique. 

Avec les recherches généalogiques, Szondi envisage un champ qui dépasse largement le domaine psychiatrique, puisqu'il prend en considération aussi les autres maladies, ainsi que les choix professionnels et les choix amoureux. 

Lorsque Szondi construit le test, destiné à remplacer les études généalogiques trop longues à mener, il opère une sorte d'échantillonnage parmi les physionomies présentées par les malades mentaux. 

Si Szondi déclare ne pas savoir si son échantillonnage est exhaustif quant à l'éventail des maladies mentales possibles, par contre il a toujours présenté le résultat de cet échantillonnage comme un système pulsionnel, en ce sens que chaque entité nosographique retenue est insérée dans un jeu de relations avec l'ensemble des autres. 

C'est là que réside l'apport propre de Szondi par rapport au principe du cristal de Freud:

Les maladies mentales susceptibles de révéler la structure de la condition humaine sont présentées sous forme d'un système, possédant des propriétés en tant que système.

Pour exprimer cette idée, Szondi a utilisé l'image du spectre des couleurs: 

Un système pulsionnel doit nous donner une vue synthétique de tout l'ensemble de la vie pulsionnelle comparable à l'impression globale que nous donne la lumière blanche, mais il doit également permettre d'étaler ce "spectre" des pulsions tout comme la lumière est décomposable en ses couleurs (6). 

Pour justifier qu'il s'agit aussi d'une analyse des dimensions constitutives de l'existence humaine, il faut expliciter à présent comment le schéma pulsionnel est susceptible de s'accorder à un travail d'analyse plus anthropologique. C'est ce que montre la lecture triadique du schéma pulsionnel. 

IV - Une lecture triadique du schéma pulsionnel 

Dès la notice, complémentairement à l'idée d'une lecture ordonnée des vecteurs, apparaît la notion d'une lecture triadique du schéma, obtenue par le rapprochement des vecteurs S et P, constituant ensemble le second temps de la triade. 

Schotte emprunte l'idée des triades à la phénoménologie de Deese (7) qui tente de ressaisir dans différentes directions ce qui fait le mouvement même de l'existence humaine. On peut citer en exemple de ces triades, la marche, le jet et le saut; le dire, le discourir et le parler; la force (Kraft) la violence (Gewalt) et le pouvoir (Macht)... 

Quelques autres triades particulièrement significatives ont été dégagées par Schotte dans le contexte du rapprochement avec le schéma pulsionnel:

La triade base, fondement, origine, ressaisit respectivement:  

À la base, le monde de la mère et le rapport que chacun entretient avec ce registre;

Au fondement, le monde du père ou le point de vue d'une explication conflictuelle avec le père et les frères;

A l'origine, le vouloir-vivre du sujet lui-même, que ni le père ni la mère ne peuvent donner.  

a)L'origine est déjà à l'origine de la base et du fondement. Si on prend la comparaison avec la construction d'un bâtiment,

b) la base est ce qui se trouve au niveau du sol,

le fondement désigne la fondation cachée,

c) I' origine renvoie au projet même de l'architecte ou du maître d'oeuvre .On saisit fort bien au travers de cet exemple le statut paradoxal du troisième terme de la triade, qui se révèle être le premier à mesure que l'investigation progresse d'un terme vers le suivant. 

Mais quelle est la signification générale des trois termes qui apparaissent dans chacune des triades? On peut tenter de le saisir en s'appuyant sur le concept même d'intentionnalité, concept clé de la phénoménologie husserlienne, et à peu près synonyme de transcendance ou ”d'être au monde”, car dit Schotte: 

La vie intentionnelle qui est la notion chez Husserl qui correspond à ce que Freud appelle la vie pulsionnelle et Heidegger ”l'être au monde” ou ”dans le monde”, peut se vivre de trois façons, selon trois accentuations possible (8). 

La première accentuation, correspondant au premier temps des triades, fait porter le mouvement intentionnel (ou existentiel, ou pulsionnel) sur le monde lui-même. C'est l'accentuation noématique  

La seconde accentuation porte sur le pôle de l'actant ou du sujet, qui se distingue activement du monde et s'oppose à lui. C'est l'accentuation noétique. 

La troisième accentuation porte non plus sur le noème ou sur la noèse, mais sur leur rapport même. L'accentuation porte ici sur l'être dans le monde comme tel. 

Transposée au niveau du schéma pulsionnel, cette structure ternaire engendre la distinction entre deux sens de lecture:

le premier qui va de C à Sch représente le point de vue ontique ou génétique, le second qui part de Sch représente le point de vue ontologique, qui place en première position le problème de l'origine et du rapport à soi. 

Schotte a proposé le graphe suivant pour représenter l' imbrication de ces deux points de vue par rapport au schéma pulsionnel. 

en traits simples: 
 
 

L'axe de la succession temporelle linéaire:

ordre ontique de succession au niveau des faits.

En traits redoublés:

L'ordre ontologique au niveau des fondements. 

Dans le cadre de la lecture triadique du schéma, la perspective génétique est toujours imbriquée avec une perspective non génétique, soit une perspective ontologique. 
 

V - Les circuits pulsionnels 

En 75-78, Schotte propose de généraliser aux quatre vecteurs du schéma la notion de circuit pulsionnel que Szondi avait introduite pour le seul vecteur Sch. 

Cette notion de circuit, chez Szondi lui-même, renvoie à deux idées:

d'une part, I'idée que la normalité ou la santé mentale est liée à une certaine mobilité de la vie pulsionnelle, par opposition à la pétrification dans certains clivages ou dans certaines structures rigides.  

D'autre part, la notion de circuit évoque l'idée d'un ordre de complexité croissante entre les différentes fonctions du moi. 
 
 

Le circuit du moi proposé par Szondi est le suivant: (p- , p+, k+ ,k-)

Ce circuit est concrétisé par la marche d'un traitement analytique ou psychothérapeutique, et suppose que tout ”contenu psychique " est successivement traité dans la vie du moi selon l'ordre des fonctions dites de défense..." (9).  

Le contenu apparaîtrait d'abord sous forme projective, comme s'il venait de l'extérieur (p-),  puis fait l'objet d'une prise de conscience qui suscite une assimilation de cette représentation (p+). Cette prise de conscience engendre à son tour l'introjection (k+) d'une partie des contenus assimilés par la conscience, et enfin, la partie qui n'est pas introjectée est refoulée (k- ). 

Schotte remarque que cette conception n'est pas étayée par des résultats empiriques, et notamment par des données de type génétique. En effet, I'inflation "p+" par exemple s'avère presque inexistante chez l'enfant, et apparaît surtout à l'adolescence, période où s'achève l'évolution génétique. 

Schotte va alors proposer une autre formule de circuit pour le vecteur Sch, et en outre généraliser cette notion de circuit aux quatre vecteurs pulsionnels. 
 

a) Les circuits vectoriels: 

La formule proposée par Schotte s'exprime dans le tableau suivant: 
 
 

A l'intérieur de chaque vecteur, un ordre de succession est introduit entre les quatre pôles constitués par les positions positive et négative de chaque facteur. 

- Les circuits introduisent une asymétrisation entre les deux facteurs de chaque vecteur. Désormais, il existe dans chaque vecteur un facteur dont la dialectique interne est médiatisée par l'autre. Le passage de la première position du circuit à la dernière se fait par l'intermédiaire du second facteur qui sert de médiateur (s, hy, k, d). 

- Vu la remarque précédente, les circuits peuvent aussi être considérés comme l'introduction de la lecture triadique à l'intérieur de chaque facteur. Chaque circuit est donc le reflet de l'ensemble du schéma. 

Enfin, les circuits introduisent une dimension temporelle dans la lecture du schéma et des positions, là où Szondi en avait proposé un ordonnancement exclusivement spatial 

La lecture génétique que nous envisageons est évidemment une exploitation de cette dernière propriété. 
 

b) La "Table de Mendéléev" 

Si chaque circuit est le reflet de l'ensemble du schéma, réciproquement, la lecture triadique, qui repose sur l'ordre "C-S-P-Sch", se trouve complétée ou enrichie. L'ensemble du schéma pouvant désormais aussi être l'objet d'une lecture en circuit. 

Cela signifie que les relations que les vecteurs entretiennent entre eux dans le schéma sont homologues aux relations qu'entretiennent entre elles les positions à l'intérieur d'un vecteur. 

L'introduction des circuits fait du schéma pulsionnel une structure à deux niveaux, caractéristique qui se révélera fondamentale pour nos développements futurs. 

Le double niveau des circuits permet d'introduire les 16 positions pulsionnelles dans un tableau à double entrée, qui les présente en série et en niveaux, évoquant le tableau périodique des éléments conçu par Mendeléev. 
 

Level

 

1

2

3

4

C

 

m+

d-

d+

m-

S

 

h+

s-

s+

h-

P

 

e-

hy+

hy-

e+

Sch

 

p-

k+

k-

p+

 
 

c) Description des quatre niveaux des circuits 

Tentons maintenant de décrire brièvement les caractéristiques des différents niveaux représentés par les colonnes du tableau, et supposés se trouver dans un ordre de complexité croissante. 

Niveau 1 (et vecteur Contact)

Le niveau I concerne un sujet essentiellement dépendant, à tous points de vue, tributaire de ce qui se passe dans son environnement, par conséquent susceptible d'être facilement frustré si l'entourage ne répond pas à son attente 

Niveau 2 (et vecteur Sexuel)

Les secondes positions des circuits correspondent à un moment de rebroussement auto-érotique dans le fantasme (10), c'est un moment spéculaire, imaginaire. En ce sens, il marque une première autonomisation par rapport aux positions précédentes. 

Si au niveau I prévaut l'idée d'environnement ou de milieu, au niveau 2 apparaît la notion d' objet en particulier le corps perçu comme totalité objectivée dans le champ visuel, ce qui souligne la dimension imaginaire de la catégorie de l'objet  

Niveau 3 (et vecteur P) 

Au niveau 3, le sujet s'arrache à l'autocomplaisance de la position 2, sous l'impact de la loi - privation et interdiction. Le passage de 2 à 3 met en jeu une opération de négation des investissements d'objets conçus dans la position deuxième où prévaut la dimension fantasmatique.

Le contre-investissement donne accès à des objets extérieurs, cette fois réellement autres. La position 3 est la position légaliste-réaliste. 

Niveau 4 (et vecteur Sch) 

Le niveau 4 marque l'entrée en scène du sujet en première personne: sujet en projet, sujet désirant, sujet de la parole propre. 

C'est le temps de l'autonomisation maximale du sujet, autonomisation qui prend une tournure pathologique si elle est corrélative d'une rupture avec l'environnement. 

Le niveau 4  est aussi potentiellement le niveau de la sublimation et de la création où le sujet projette d'être libre et responsable de son destin, conçu comme histoire à faire. 

VI - Les positions des circuits et les fantasmes originaires 

Le problème posé par les fantasmes originaires est celui d'un noyau phylogénétique de l'inconscient, ou celui d'un équivalent de l'instinct animal. Ce patrimoine instinctif constituerait le noyau de l'inconscient, une sorte d'activité mentale primitive.. (Il). 

Freud définit les éléments de ce patrimoine comme des schémas phylogénétiques que l'enfant apporte en naissant, schémas qui, semblables à des "catégories philosophiques", ont pour rôle de "classer" les impressions qu'apporte ensuite la vie (12). 

Comme Freud, nous pensons (13) que les fantasmes originaires ne sont pas comparables à des instincts, car ce ne sont pas des déclencheurs de comportement, mais plutôt des ordonnateurs du désir humain. 

Les fantasmes originaires sont comme des sortes de matrices qui informent certaines excitations corporelles de telle sorte qu'elles sont traduites en manifestations pulsionnelles, et de là, en phénomènes psychiques. Les fantasmes originaires sont les vecteurs de transformation du "Reiz" en "Trieb" (14). 

Freud a reconnu quatre fantasmes originaires, sans toutefois en clôturer explicitement la liste: Séduction, Scène primitive, Castration et

Régression intra-utérine. 

Nous proposons l'idée selon laquelle il faut conférer aux gènes de la théorie szondienne un statut métaphorique. Ce que Szondi désigne par la notion de qène renvoie en fait à ces catégories de l'inconscient que sont les fantasmes originaires. 

Dès lors, s'opère le rapprochement suivant avec les vecteurs szondiens:

 
 

Pour être complet, il faudrait expliquer comment les positions possibles du sujet dans le fantasme sont homologues aux positions pulsionnelles de chaque vecteur. 

Un exposé exhaustif n'est toutefois pas nécessaire ici. Ce qui nous intéresse d'abord est de montrer que le processus de rapprochement avec le schéma procède d'une démarche immuable:  

La série des fantasmes est considérée comme close, et ceux-ci sont ordonnés en fonction de leur affinité avec chaque vecteur. Cet ordonnancement est supposé correspondre à une complexification croissante d'un vecteur à l'autre. 

Philippe Lekeuche (15) a proposé l'idée que la problématique de la loi, en principe caractéristique du vecteur paroxysmal, devait aussi être abordée au travers de l'ensemble du schéma. Pour effectuer cette analyse, Lekeuche prend l'acception la plus large, la moins spécifique de la notion de loi, et propose la formule suivante:  

La loi pose des limites; Ia loi structure notre existence en la délimitant (16) Cette définition étant posée, il devient possible d'explorer au travers de chaque vecteur, sous quelles modalités différentes la loi peut poser des limites: 

Au vecteur Contact:

la limite est celle des cycles vitaux. Le respect de la rythmicité, des cycles vitaux est ce qui rend possible le mouvement même de la vie. C'est une modalité de la loi qui s'applique au règne vivant dans son ensemble. 

Au vecteur Sexuel:

La limite n'est plus dans le cycle, mais dans l'objet: Le corps de l'autre en tant qu'objet pose la limite qu'il me faut franchir si je veux avoir accès à ma jouissance. C'est une modalité de la loi qui est valable au niveau de l'espèce. 

Au vecteur Paroxysmal:

La limite vient ici du tiers de la scène primitive et le sujet est censé prendre sur lui cette limite venant de l'autre, dans un mouvement réflexif. C'est une modalité de la loi qui trouve son champ d'application à l'intérieur du cercle familial. 

Au vecteur Sch:

Il s'agira d'être soi-même sa propre limite ou sa propre mesure. Ceci implique l'introjection de la limitation venue de l'Autre, mais aussi la transgression de cette limitation et l'ouverture à un devenir soi.

 

VII - Conclusions sur les thèses de l'école szondienne de Louvain 

Parmi les thèses et les propositions défendues par Szondi dans l'ensemble de son oeuvre, Schotte et à sa suite l'école de Louvain a privilégié l'élément considéré comme le plus fécond, à savoir le schéma pulsionnel. 

Ce choix implique en fait une critique à l'égard d'autres aspects de l'oeuvre szondienne qui n'ont pas été retenus ni développés, en particulier la théorie des gènes et les propositions qui en découlent. 

Pour Schotte, le schéma pulsionnel doit servir de support à l'élaboration d'une psychiatrie théorique systématique, ou d'une pathoanalyse. 

Toutefois, la Notice comportait davantage qu'un projet de théorie psychiatrique. C'est un projet de systématique des phénomènes humains: c'est à la Notice qu'est empruntée l'idée d'une lecture génétique du schéma, et par là, d'une systématisation des étapes du développement. 

C'est la théorie des circuits qui va fournir à notre projet de lecture génétique du schéma une base précise: désormais, un ordre de succession est introduit entre les vecteurs et entre les positions. 

Par ailleurs, la théorie des circuits révèle le pouvoir de systématisation du schéma pulsionnel: comme on l'a vu sur l'exemple des fantasmes originaires, une mise en forme systématique des concepts essentiels de la théorie psychanalytique se révèle possible. Réciproquement, ce travail de mise en forme systématique des concepts analytiques constitue un dévoilement progressif des fondements du schéma en un tout autre lieu que celui des gènes où Szondi les avait initialement cherchés. 

C'est effectivement aussi en fonction de ce pouvoir de systématisation que le schéma pulsionnel sera utilisé dans nos travaux théorico-cliniques: il n'est pas utilisé en tant qu'il apporterait des éléments originaux à une théorie du développement génétique. Il n'est d'ailleurs pas une théorie génétique. Le schéma pulsionnel est utilisé en tant qu'il est présumé fournir un cadre de systématisation à une théorie du fonctionnement psychique, comme il est présumé en fournir à la psychiatrie, et aux concepts majeurs de la psychanalyse.  

Nous insistons encore une fois sur ce fait essentiel que dans le cadre de la théorie des circuits, la perspective génétique (ou ontique) ne doit jamais s'envisager de façon isolée; elle est toujours imbriquée avec une dimension structurale (point de vue ontologique). 

Il en découle que les moments significatifs d'une lecture génétique devraient correspondre point par point aux éléments de la structure. Chaque moment génétique essentiel doit aussi avoir une signification structurale. 

C'est cette double articulation qui fait la richesse du schéma pulsionnel réinterprété à la lumière de la théorie des circuits pulsionnels. 
 
 

NOTES 

( 1) SCHOTTE, J.: "Notice..." in Szondiana V, 1963, pp. 114-2O1.

( 2) SCHOTTE, J.: "Notice..." pp. 147.

( 3) SCHOTTE, J.: "Notice..." pp. 155.

( 4) SCHOTTE, J.: Questions approfondies de Psychologie différentielle, notes de cours, p. 67-68.

( 5) FREUD, S.: Nouvelles conférences sur la psychanalyse. fr. vert., p. 8O. orig.: Neue Folge der Vorlesungen in die Psychoanalyse, 1933. G.W. XV.

( 6) SZONDI, L.: Lehrbuch der experimentellen Triebdiagnostik, Bern, Huber, 196O, cité par Schotte in "L'analyse du destin comme patho-analyse", notes de cours, 1981, p.IV 5.

( 7) phénoménologue allemand (Freiburg in Breisgau) qui n'a malheureusement pas laissé de publications.

( 8) SCHOTTE, J.: "Notice...", pp. 114-2O1.

( 9) SCHOTTE, J.: "Notice...", pp. 114-2O1.

(1O) Melon J. & Lekeuche Ph.: Dialectique des pulsions, p.25.

(11) FREUD, S.: Cinq psychanalyses, fr. vert. p.419, orig. Aus der Geschichte einer infantilen Neurose, 1918, G.W. XII.

(12) FREUD, S.: idem, p. 418.

(13) MELON, J.: Positions pulsionelles, fantasmes originaires et système des pulsions, in Les Feuillets psychiatriques de Liège 13/1, 198O.

(14) Idem, p.18. Paru également en version abrégée in Psychanalyse a l'université, 1O, 198O.

(15) Lekeuche Ph.: Séminaire d'été à Louvain-la-Neuve, le 29 aôut 1982.

(16) Lekeuche Ph.: Dialectique des pulsions, p.132.