Présenté par MM. Georges Heuyer et Jacques Lacan à la Société de psychiatrie, le 20 juin 1929, paru dans L’Encéphale, 1929, n° 9, pp. 802-803.

Nous présentons une malade de 40 ans, dont la paralysie générale est certaine, et chez laquelle le mode symptomatique de début offre un certain intérêt. Pendant deux ans un syndrome hallucinatoire au complet a tenu le premier plan, et c’est comme persécutée qu’elle a été envoyée à l’Infirmerie spéciale de la Préfecture de Police où nous avons eu l’occasion de l’examiner et de la certifier par internement.

 

Observations.– Mlle L., 40 ans, envoyée à l’Infirmerie spéciale le 18 avril 1929 pour des idées de persécution et des troubles de la conduite.

Dès les premiers mots, la malade se présente comme une hallucinée. Elle se plaint d’être surveillée, photographiée à travers les murailles. On fait de sa vie, un film, « un film sonore ». Des voix la menacent de lui faire subir les derniers outrages, de la tuer. Les hallucinations génitales sont très intenses. Le syndrome d’automatisme mental est au complet. On prend sa pensée, on répète sa voix, elle est en dialogue constant avec des personnes qui l’informent de faits de toutes sortes, d’enquêtes faites sur elle. Parmi les voix, il en est de menaçantes, telle celle de la propriétaire, d’autres d’agréables. Elle a des troubles cénesthésiques, on lui fait de l’électricité, on lui envoie des sensations combinées qu’elle compare à des fils d’une longueur démesurée. Hallucinations olfactives, mauvaises odeurs qui sentent « la blennorragie, l’héroïne, l’éther, la coco ». Hallucinations gustatives, on lui donne de mauvais goûts, « qui sentent le vinaigre ».

Elle interprète peu. Elle pense qu’elle est la victime de la police judiciaire, peut-être de soldats. Elle se plaint à peine : « Quelle vie ! » dit-elle en souriant. Dans l’ensemble, cet automatisme est à peu près anidéïque, presque sans idées de persécution.

Par contre, il y a des idées de grandeur imaginatives qui indiquent un déficit intellectuel : les policiers qui couchent avec elle lui ont donné 500 000 francs, etc. L’approbabilité, l’euphorie, un peu de désorientation, le caractère fabulatoire et absurde des idées délirantes mégalomaniaques, font soupçonner la paralysie générale, que confirment les signes physiques : dysarthrie aux mots d’épreuve, tremblement de la langue et des doigts, vivacité des réflexes tendineux. Il n’y a pas de troubles pupillaires. Dans les antécédents : syphilis à 18 ans, mise en carte, soins réguliers et énergiques à Saint-Lazare, huile grise et novar. L’ami de la malade insiste sur le traitement régulier et prolongé qu’elle a suivi pour sa syphilis.

 

Il y a donc un syndrome d’automatisme mental évoluant au cours d’une paralysie générale. Les hallucinations existent depuis deux ans sans aucune modification, le désordre des actes qui a nécessité l’intervention est plutôt symptomatique de la paralysie générale : fugue, errance, onanisme en public.

Les examens de laboratoire ont confirmé le diagnostic : albumine rachidienne 0 gr 45. Pandy positif, lymphocytes 4 par mm3, Wassermann positif dans le sang et le liquide céphalo-rachidien, réaction du benjoin positive.

La malade placée à l’Admission chez le docteur A. Marie a été suivie par nous pendant deux mois. Le syndrome hallucinatoire a persisté d’abord sans aucune modification. Puis peu à peu l’affaiblissement intellectuel s’est accentué, la démence est devenue telle qu’il n’y a plus depuis 15 jours qu’une verbigération, avec enchaînement par assonance de phrases incohérentes. L’euphorie, l’apathie se sont encore accentuées et actuellement l’interrogatoire de la malade sur son thème délirant est rendu difficile tant elle est approbative et suggestible.

Nous l’avons présentée à la Société parce que c’est un nouvel exemple d’automatisme mental au début et au cours d’une paralysie générale. Les observations de ce genre ne sont pas rares. Déjà M. Janet en avait rapporté un cas en 1906 dans le Journal de Psychologie. Depuis lors, MM. Laignel-Lavastine et P. Kahn, l’un de nous avec M. Sizaret et M. Le Guillant, M. Lévy-Valensi en ont présenté plusieurs observations. Celle-ci nous a paru intéressante parce que pendant deux ans le syndrome d’automatisme mental quasi pur a dominé le tableau clinique tant que la démence n’a pas été très marquée. Le syndrome d’automatisme mental bien constitué a résisté longtemps à la démence paralytique. C’est lorsque l’effondrement intellectuel a été total et complet que nous avons vu s’effriter les éléments du syndrome et disparaître sa cohérence.

De plus, nous comptons appliquer à cette malade un traitement de malariathérapie. M. Le professeur Claude a montré de nombreux cas de paralysie générale qui, après un traitement de malariathérapie, présentaient une forme paranoïde. Ici c’est une situation inverse : l’état paranoïde, symptomatique de la paralysie générale, précède la malariathérapie, et il paraît intéressant de voir ce que deviendra le syndrome hallucinatoire à la suite de l’impaludation.