Cet article est paru dans les Annales Médico-Psychologiques 1931, tome 2, pp. 418-428.

Nous avons l’honneur de présenter devant votre Société deux nouveaux cas de Parkinsonisme avec troubles démentiels. Dans un cas, il s’agit d’un syndrome démentiel simple, dans l’autre d’une démence paranoïde.

 

I.– B… est une femme de 26 ans, entrée à la clinique le 7 octobre 1930, « dans un état confusionnel datant de plusieurs semaines et évoluant sur un fond de débilité ».

Son développement somatique et intellectuel s’est effectué normalement. Jusqu’à 12 ans, dit son père, elle était intelligente et travaillait bien. À 13 ans (en 1917), elle eut une « scarlatine » sur laquelle nous ne pouvons avoir que des renseignements vagues. Depuis cette maladie, dit le père, elle devint « peu délurée », elle était très indifférente à tout.

A 18 ans, elle eut une première bouffée confusionnelle qui s’est prolongée pendant près de 2 ans avec des intermittences. Son état mental s’amenda un peu et un médecin conseilla le mariage (1924).

A 20 ans (1925), elle connut son mari et se maria.

Elle devint enceinte en 1929 et accoucha en novembre. Un mois après l’accouchement, elle tint des propos incohérents, répétant : « Je veux aller à Calais… Je veux aller à Calais. », pendant des heures. Elle ne paraissait pas reconnaître son entourage.

Au début de 1930 sont apparus quelques nouveaux troubles, « elle parlait drôlement » et « sautillait » en marchant.

Son inertie, son incapacité à se conduire l’ont amenée à l’asile.

 

1° À son entrée dans le service, en présence des troubles de la marche qu’elle offrait, nous l’avons examinée systématiquement au point de vue neurologique et d’emblée, malgré la discrétion des symptômes, nous notions un syndrome d’hypertonie à prédominance gauche (8 octobre 1930) :

Les mouvements sont raides et saccadés. Les diverses articulations des membres gauches sont moins souples qu’à droite. Les réflexes de posture sont exagérés à gauche. La contraction volontaire s’établit dans le biceps gauche par une série de petites contractions successives donnant une ébauche de roue dentée.

Nous notons de suite un signe important : l’absence de balancement automatique du bras gauche pendant la marche.

La voix est monotone et quelques syllabes explosives. Le visage peu mobile.

Il n’existe pas de tremblement ni de troubles végétatifs.

La marche présente un caractère de spasmodicité. Le membre inférieur gauche ne se soulève que par une brusque flexion de la jambe qui donne à la marche un caractère « sautillant ».

Au point de vue de son système pyramidal, nous notons un affaiblissement de la force musculaire à gauche, les fléchisseurs du membre supérieur et les extenseurs du membre inférieur sont les plus frappés. Clonus des deux pieds et des rotules. Réflexes ostéo-tendineux très vifs, surtout à gauche. Réflexes cutanés-muqueux normaux (en particulier, il n’existe pas de signe de Babinski).

Ponction lombaire : albumine : 0,40. Pandy et B.-W. négatifs. Benjoin normal. Cytologie : 0,8 élément par mm3.

Examen oculaire : pupilles normales, réflexes normaux, pas de troubles de la convergence, pas de nystagmus.

Nous n’avons pas hésité à ce moment à porter le diagnostic de syndrome parkinsonien au début.

L’examen psychiatrique révélait chez cette malade un léger déficit des fonctions mentales comme en présentent les malades au sortir d’un état confusionnel (obtusion, bradykinésie, bradypsychie).

 

Évolution du syndrome parkinsonien. – Cette malade a été soumise de suite à un traitement par le salicylate de soude intra-veineux (0,10 par jour pendant 6 mois consécutifs), et malgré cela nous avons vu le syndrome parkinsonien s’installer et progresser sous nos yeux.

Dès le mois de janvier 1931, nous notons : « gâtisme, faciès figé, voix monotone, démarche sautillante ».

En février, le faciès devient de plus en plus rigide, la mimique-, s’appauvrit. Les troubles de la statique apparaissent : la malade, dans la station debout, se trouve entraînée à droite. Elle dévie dans sa marche. Son attitude d’ensemble est figée, elle reste les mains jointes, en attitude de pronation.

Tremblement à grande amplitude au niveau du pouce gauche.

Le signe de la roue dentée apparaît des deux côtés, mais prévalent nettement à gauche.

Légère limitation de la convergence des globes oculaires. Son état s’aggrave, la contracture s’installe et s’accentue à l’hémicorps gauche.

En juin apparaissent des accès de protrusion de la langue. Ces accès sont caractérisés par la projection spasmodique de la langue hors de la cavité buccale. Par intervalles, le spasme cesse, mais quelques secondes après, la langue est de nouveau « tirée » en dehors. Ces accès durent une dizaine de minutes, ils se renouvellent assez irrégulièrement. Ils ne s’accompagnent pas de la morsure de la langue par contraction concomitante des muscles masticateurs. Ils sont aussi bien nocturnes que diurnes.

Depuis lors, la malade a vu encore s’accroître son état d’hypertonie : la marche est très gênée, tout l’hémicorps gauche est soudé, le membre inférieur traîne, le bras reste éloigné du corps. Ses latéro et ses rétropulsions entraînent une progression irrégulière.

Signalons encore des accès d’automatisme ambulatoire très brusques et courts. Elle se précipite brusquement hors de son lit et marche devant elle, puis s’arrête.

La malade présente une contracture extrapyramidale à type parkinsonien évident. L’aspect hémiplégique qu’elle présente à première vue (steppage, main en pronation, avec demi-flexion sur l’avant-bras, sur le bras, la maladresse des mouvements du côté gauche), joints aux troubles des réflexes (hyperréflexie plus marquée à gauche), a pu nous faire penser un instant à un syndrome pyramidal sous-jacent à cette rigidité. Mais l’analyse des symptômes, la prédominance proximale de la contracture des membres, la raideur qui effectivement gêne les mouvements volontaires, la disparition notable de ces attitudes après injection de 1/2 mmgr. de scopolamine, nous font écarter ce diagnostic et nous pensons qu’il s’agit d’un état parkinsonien pur que nous avons vu se constituer rapidement sous nos yeux.

 

Évolution du syndrome démentiel. – Cette malade qui depuis sa « scarlatine », en 1917, avait subi un déficit intellectuel noté par sa famille, a présenté pendant plusieurs mois, aux environs de 1924-1925 des troubles mentaux à caractère confusionnel.

Ici, dans le service, nous l’avons d’abord considérée comme une confuse sans grand intérêt en dehors de son syndrome neurologique. Mais rapidement s’est installé un syndrome démentiel profond.

Elle s’est désintéressée rapidement de sa situation, de son entourage. Elle est plongée maintenant dans un mutisme presque continuel, entrecoupé seulement de quelques grognements.

Sollicitée de répondre, de s’intéresser à ce qu’on lui dit, elle oppose toujours une inertie profonde. Son inactivité est naturellement complète.

Elle est totalement désorientée.

Il y a dans l’état de démence qu’elle présente quelques traits (l’indifférence, les impulsions motrices, les stéréotypies verbales et du comportement) qui la rapprochent des états hébéphréno-catatoniques. Il y a chez elle un tel effondrement intellectuel que nous ne voulons pas insister sur le diagnostic différentiel, il nous importe seulement à noter qu’il y a un gros déficit démentiel qui accompagne son état parkinsonien.

 

v

 

II. – H…, âgée de 27 ans, est entrée dans le service le 22 juin 1930. Elle est Rhénane, mariée à un sous-officier français, M. D.

 

1°– Antécédents

 

Héréditaires. – Père nerveux, alcoolique, mère « coléreuse », sœur à tendances mélancoliques.

Personnels. – A eu la grippe en 1918. (Schläffgrippe, disent les certificats médicaux), alors qu’elle avait 16 ans. En 1920, elle a connu son mari avec qui elle s’est mariée et dont elle a eu quatre enfants.

Début des troubles mentaux. – Frigide pendant de longues années, elle était très douce, très docile. Dès la fin de 1920 elle s’occupa d’astrologie. Elle essaya, par ce moyen, de retrouver un de ses anciens amis. À propos d’un héritage qu’elle devait faire effectivement, elle interrogeait cartomanciennes et astrologues en 1927.

Ce fut en juillet 1928 que les idées délirantes se développèrent. Tout le monde lui en voulait, disait-elle. Son mari note « qu’elle faisait des rêves à moitié endormie ».

Un jour, elle alla sur le Rhin dans un canot ; elle aurait manifesté, dans cette occurrence, des idées de suicide.

Elle fut internée à Maréville en avril 1929. Le certificat mentionne des idées d’influence et de persécution, des sentiments d’étrangeté, l’illusion de sosie de son mari.

Durant son séjour à l’asile, d’avril 1929 à mai 1930, le diagnostic de démence précoce s’affirme : alternance d’état de confusion avec agitation extrême et de stupeur, rires et pleurers sans motif.

Amenée en mai 1930 à l’Hôpital Henri-Rousselle, c’est là que, pour la première fois, le diagnostic d’hémiparkinsonisme est posé.

On a noté alors la rigidité du masque, l’abolition du balancement automatique du bras droit et la possibilité de rattacher son syndrome de rigidité, à ce moment très discret, à l’épisode encéphalitique de 1918.

Au point de vue mental : hallucinations cénesthésiques, idées alambiquées, incohérentes d’influence et de transformation corporelle. Obnubilation. Inhibition. Opposition par intervalles.

 

II. OBSERVATION DU SERVICE

 

I. Présentation. Conduite. – Cette malade reste alitée dans sa cellule. Elle se complaît dans un état de rêverie hallucinatoire continuelle.

Par instants, elle présente de brusques impulsions, accès de colère (elle a battu plusieurs fois les infirmières).

 

II. Délire. – « Ici, c’est une clinique de rajeunissement, j’y suis déjà venue souvent depuis trois siècles. Je suis arrivée ici avec Joseph Holmes, un détective parisien qui vient me voir de temps en temps. Il passe par-dessus le mur. À Maréville, c’était une cure de vieillissement. Mais quand on m’arrache une dent, chaque fois je deviens plus jeune. À Maréville, il y avait Mlle X…, c’est la dactylo d’Arsène Lupin, elle a pris mon nom. J’aurais dû être élevée en France, mais on a envoyé quelqu’un à ma place. Je suis une aristocrate. Tenez, regardez ma main, on voit bien écrit sur les. lignes A. D. L. P. S. (sic). Pourquoi parle-t-on des aristocrates du Dr Lenlais, Guislain ? Ce sont des rencontres de famille. Il me semble que c’est M. Lupin qui se moque un peu de nous. Tout çà, c’est réel. J’étais dans une clinique de vieillesse. C’est Mayence ou Mayenne, les pays se ressemblent tellement. Il y a plusieurs Anne Hergen dans tous les pays. En Espagne, il y a Gugenheim, près de Madrid. J’ai perdu mes parents depuis quatre siècles. J’étais brune le siècle avant celui-ci, mais ensuite j’ai des poils blonds. Je suis tombée dans l’Apen. J’avais un peignoir mauve, la deuxième fois, je suis tombée ici. Je ne me suis rajeunie jamais au-dessous de quatre ans et deux mois. J’ai habité ici dans la maison à côté, au 1er étage, c’est à Gugenheim, toujours en France. Je suis blonde comme Marthe Dutemple (sa fille). On m’a demandé si j’avais des enfants, j’en ai mis quatre au monde ; pendant la naissance des garçons, j’ai perdu beaucoup de sang. Mais on dit toujours que sur le papier, il y a enfants : zéro.

C’est toujours cette malheureuse dent que l’on m’a arrachée. On l’arrache, puis me donne des tickets. Seulement, moi, j’allais à l’école et je ne faisais pas attention, alors j’ai jeté le ticket.

Dans ma main il y a encore écrit Pulaz en africain. C’est comme anicho. Dans chaque pays, il y a les mêmes gens. Je les vois par les yeux intérieurs. Je les vois aussi dans la nuit. Ce sont des gens qui vivent. Il y a toujours quelqu’un derrière moi. Ils parlent dans le mur. Ce mur est très grand. Puis, ils sortent. Il y a le Dr Maître, de Mayence. J’ai vu avec mes yeux tout ce qu’il y a dans mon corps. C’est très facile, on voit tout ce qui est dedans. Vous avez entendu maintenant, elle vient de dire qu’il faut que je me décide. C’est le moment de me marier… Les infirmières font de drôles de gestes. Elles viennent la nuit se mettre sur moi. C’est sale… »

Caractères du délire. – Juxtaposition sans enchaînement rationnel.

Groupes de souvenirs organisés ou de scènes imaginées, souvent à type dramatique : on lui a donné des coups de marteau, elle est tombée dans l’eau, elle a jeté le ticket dans un ruisseau (scènes à caractère onirique).

Indifférence aux catégories rationnelles (changements d’identité, de temps, d’espace).

Caractères de la pensée. – 1° Altérations de la réalité. Illusions. Hallucinations. – Elle voit des têtes de mort dans sa cellule (elle désigne du doigt des taches dans le mur qui effectivement ont cette apparence).

Elle entend parler sur le conseil d’écouter. Ces voix disent de « ce qu’elle regarde par les yeux intérieurs ». Pêle-mêle des souvenirs, des lectures, des contractions imaginatives. « Tout est réel, dit-elle. Tout m’est arrivé régulièrement. Avec les yeux intérieurs on voit tout. Quand je lis ce que je pense, je vois les choses réelles ».

Symbolisme. – Exemples : « Je suis morte en 1929 » (date de son internement). – « Sur le papier, il y a enfants : zéro » (pour indiquer qu’elle n’a plus d’enfants). – Elle établissait une analogie entre Mayence et Mayenne, elle déclare que les paysages sont les mêmes dans ces deux régions.

 

III. Affectivité. – l° Confiance. Expansion. – « J’ai une grande force. J’ai beaucoup de vie. Je ne puis pas mourir. C’est impossible. On m’a donné un coup de revolver, çà ne m’a rien fait. Si on me coupait le cou çà repousserait. »

Euphorie. Bien-être.– Je suis très bien ici. Je me trouve très bien. »

Indifférence absolue à l’égard de ses enfants. – Dans le cours de ses propos délirants, une première fois nous lui disons : « Savez-vous que votre fille Marthe est très gravement malade ? » Elle s’arrête, étonnée et dit : « C’est ennuyeux, on ne me dit jamais rien. Je ne savais pas çà ». Puis, après quelques secondes, elle reprend le cours de ses propos, avec un calme parfait. Pas un moment elle ne demande de précisions.

Une deuxième fois, dix minutes après, nous lui disons : « Non seulement elle est très malade, mais votre fille est morte. » Elle s’arrête, s’étonne encore qu’on ne lui ait rien dit et reprend avec tranquillité la suite de ce qu’elle disait.

Sexualité. – « Je restais morte sur le lit dans mes rapports, ça ne fait rien. Il n’y a que moi qui puis arriver. » Elle subit des outrages de la part des infirmières.

Son mari, le vrai, était trop vieux. On l’a changé depuis.

Son érotisme est évident à travers ses propos et son comportement.

 

Fond mental. – Dans les diverses épreuves, l’activité délirante gêne beaucoup l’appréciation.

Mémoire. – Elle se plaint d’avoir des troubles de la mémoire. Elle dit ne pas se rappeler les choses. Cependant, l’épreuve des tests de fixation et de reconnaissance est satisfaisante.

Attention. – Très bonne épreuve des a barrés.

Opérations intellectuelles. – Mise en présence de questions difficiles ou de problèmes exigeant un peu de réflexion, elle aboutit rarement à une réponse satisfaisante. Elle discerne assez bien les difficultés, mais se perd un peu dans l’établissement du raisonnement.

Ainsi : « Vaut-il mieux pour un écolier que la pendule de l’école retarde ou avance ? » Elle ne fait pas la distinction essentielle de l’entrée et de la sortie : « Pour sortir, si on est pressé, il vaut mieux que le temps marche plus vite, que la pendule marche plus vite. » Mais la réponse n’est pas donnée avec clarté. Elle s’embrouille et ne fait pas l’effort suffisant.

Cours de la pensée. – Les phrases sont embrouillées. Les propositions ne s’enchaînent pas. On note des coq-à-l’âne, des dérivations, de brusques « barrages ».

Elle se perd brusquement dans le dévidement de ses explications : « Je ne sais plus où j’en suis. ». La plupart du temps elle ne s’en aperçoit pas et elle glisse insensiblement vers des thèmes toujours plus éloignés.

Ainsi, elle veut faire une phrase avec ces deux mots : peur et porte. Elle conçoit l’idée d’une porte qui, violemment fermée, fait sursauter et elle dit : « Quand j’ai voulu partir il faisait du vent, j’ai ouvert la porte, puis le vent m’a fait tomber. Je suis forte pourtant et je ne me suis pas fait mal, etc. » Elle perd pied et ne sait plus ce qu’elle voulait dire.

Orientation. – Assez correcte. Apprécie justement la durée de son séjour et la date. Cependant, elle parle au temps passé comme s’il avait duré « très longtemps », elle l’exprime par « plusieurs siècles de 30 ans chacun ».

Il existe donc chez elle une discordance dans l’exercice de ses fonctions élémentaires. On relève des troubles importants dans le cours de la pensée (dérivations, arrêts). La synthèse mentale, l’effort mental ne sont pas très efficaces. Sa pensée reste en général de caractère inférieur : juxtaposition de souvenirs, constructions à caractère onirique, incapacité de la distinction essentielle du réel et de l’imaginaire, etc.

 

V. Syndrome parkinsonien. – Limitation de la convergence des globes.

Hypertonie marquée à droite, moins marquée à gauche (balancement automatique du bras diminué à droite).

Adiadococinésie par raideur musculaire, exagération des réflexes de posture (phénomène de la roue dentée).

Pas de signes pyramidaux ni de troubles trophiques.

Hémiface droite rigide et inerte.

Liquide céphalo-rachidien normal. Azotémie : 0,20. Bien réglée.

4 octobre 1930. – Impaludation (malaria de souche non syphilitique). Elle a présenté seulement quatre accès fébriles qui se sont épuisés spontanément. Idées délirantes riches, mobiles et incohérentes surtout à thème mégalomanique.

9 octobre. – Plus calme. Hallucinations auditives actives en allemand.

15 novembre. – Inoculation de deux gouttes de venin de cobra réaction locale discrète sans phénomènes généraux. État mental sans modification sensible.

Cette thérapeutique a été renouvelée 6 fois encore sans résultat.

La malade a été transférée sans modification de son état mental et de son état parkinsonien en août 1931.

 

Les deux observations de nos malades appellent quelques commentaires :

 

Nature encéphalitique du Parkinsonisme. – Dans le cas de notre malade H. la notion d’une encéphalite est certaine. Nous avons pu voir des certificats médicaux qui mentionnent une Schlaffgrippe en 1918. La malade serait restée à ce moment-là en état narcoleptique pendant 9 jours.

Pour notre malade B., au contraire, le doute est permis et rendu plus troublant par l’affirmation du médecin qui l’a soignée et qui a constaté une « scarlatine ». Cette « scarlatine », à la suite de laquelle on note une régression mentale considérable et qui provoque 7 ans après l’apparition d’un syndrome parkinsonien, cette « scarlatine » de 1917, à un moment où la maladie de Cruchet et d’Economo n’était pas connue, peut être considérée comme suspecte et peut-être pourrait-il s’agir d’une forme érythémateuse de l’encéphalite. Nous ne pouvons évidemment ici que discuter ce point sans essayer de l’élucider complètement.

Syndrome parkinsonien. – Nos deux malades sont porteuses d’un syndrome parkinsonien. Chez toutes les deux, c’est au décours de troubles mentaux que le syndrome s’est insidieusement installé. L’évolution la plus remarquable est celle de la malade B. chez qui nous avons véritablement assisté à la progression très rapide des symptômes en un an, la conduisant maintenant à un état de rigidité extrême. Nous avons soulevé, en exposant l’observation de B., la question de savoir s’il n’y avait pas chez elle, sous-jacent à son syndrome parkinsonien, un syndrome pyramidal, mais nous ne pensons pas devoir nous y arrêter.

Nous insistons, à propos de l’observation de B., sur un petit symptôme qui ne prend de valeur spéciale que par sa rareté : la protrusion spasmodique de la langue, qui n’est signalée que par quelques auteurs et notamment par l’un de nous[1].

Caractères des syndromes démentiels. – Nos deux observations présentent une notable différence : dans l’une il s’agit d’un état démentiel simple qui va poser devant nous la question des formes hébéphréniques de l’encéphalite ; dans l’autre, il s’agit d’un état démentiel et délirant qui nous incite à dire quelques mots de ses caractères paranoïdes.

Notre première observation montre, chez une malade atteinte d’un syndrome parkinsonien progressif, le développement d’un état démentiel. Il s’agit bien ici d’un état démentiel et non pas, comme dans la plupart des cas, de ce syndrome de « bradyphrénie » qui gêne, entrave la pensée des malades sans l’altérer profondément. Ici, les grands critères de la, démence : l’inconscience, l’inadaptation au milieu, l’effondrement des fonctions élémentaires (mnésiques, attentives, réflectives) sont évidents.

Nous avons déjà noté quelques traits de comportement, les itérations, les stéréotypies, les impulsions, l’indifférence qui rapprochent ce cas des syndromes hébéphréniques, et nous ne voulons pas rouvrir la discussion des relations de la démence précoce avec l’encéphalite. Nous nous bornerons à rappeler que, tandis que pour Guiraud, l’analogie de mécanisme est complète, pour Claude, au contraire, il s’agit de syndromes qui, sous leur aspect catatonique, sont bien différents. Parmi les plus récentes, rappelons l’observation de Marchand en 1929.

Notre deuxième observation se rapproche des cas tels que ceux publiés par Heuyer et Le Guillant, Courtois et Trelles, Baruk et Meignant (pour ne citer que quelques observateurs), où il s’agissait de syndromes hallucinatoires complexes.

Notre malade – nous avons essayé de le montrer au cours de l’exposé de son observation – présente un vaste, riche et absurde délire paranoïde, et on retrouve chez elle une altération du fond mental, caractéristique de la dislocation schizophrénique, telle que Bleuler l’a magistralement décrite. Le diagnostic de démence paranoïde nous paraît dans ce cas tout à fait fondé. Signalons, en passant, qu’il ne s’agit pas, en tous cas, de ces syndromes hallucinatoires dont le sujet reconnaîtrait le caractère pathologique, aurait une vague conscience : il n’y a pas hallucinose, mais les plus authentiques hallucinations intégrées dans une atmosphère délirante paranoïde à laquelle les bouffées oniroïdes ou oniriques du début, et peut-être au cours de la maladie, ne peuvent pas être étrangères.

En terminant, pour souligner l’intérêt des cas que nous venons de vous présenter, nous insistons sur ce fait que, tandis qu’en règle générale – comme y insistait tout récemment Heuyer[2] – l’encéphalite réalise presque exclusivement des troubles moteurs, de l’humeur ou du caractère, qu’elle impose au comportement et à la pensée du sujet une certaine discontinuité et une certaine gène, qu’elle agit – selon l’image habituelle – en libérant des automatismes instinctifs et moteurs, en forçant constamment la conscience du sujet dans des phénomènes comme l’hallucinose, l’obsession, l’impulsion, les expressions émotives incoercibles, etc., dans nos cas il s’agit avant tout de syndromes psychiques qui altèrent la sphère intellectuelle avec un minimum de troubles instinctifs et affectifs.

 

M. Georges PETIT. – Les deux syndromes psychopathiques, dont l’observation si intéressante vient d’être rapportée par MM. Ey et Lacan, paraissent ressortir l’un et l’autre à l’évolution d’une encéphalite, du type encéphalite épidémique chronique.

Pendant les grandes épidémies de 1918, 1919, 1920 et 1921, nous avons pu observer les épisodes initiaux les plus polymorphes de cette affection, en particulier, – comme dans la première observation des présentateurs, – des syndromes fébriles, avec angine et éruption de type scarlatiniforme, qui ont pu imposer, parfois, le diagnostic de scarlatine.

Il nous parait, d’autre part, contraire à l’observation clinique de prétendre que l’encéphalite épidémique se juge par des syndromes psychopathiques particuliers et caractéristiques de cette affection. En réalité – et comme nous en avons rapporté de nombreux exemples depuis 1920, – l’encéphalite épidémique peut réaliser tous les symptômes et tous les syndromes de la psychiatrie, soit à titre de syndromes épisodiques, avec ou sans réalisations consécutives, soit sous une forme continue, donnant ainsi tous les tableaux cliniques de la nosologie psychiatrique, dans leurs formes les plus classiques comme dans leurs manifestations les plus polymorphes.

 

La séance est levée à midi.

 

Les Secrétaires des Séances,

Courbon et Demay.

 

 



[1] LACAN (Jacques). –  Société de Psychiatrie, Novembre 1930.

[2] Semaine des Hopitaux, juin 1931.