Présenté à la Société Médico-Psychologique le 27-11-1933 par MM. G. Heuyer et Lacan. Publié dans les Annales Médico-Psychologiques 1933, tome II, page 531-546 et résumé dans l’Encéphale 1934, Tome I page 53.

 

(531)Les auteurs des premières descriptions du délire subaigu alcoolique ont noté les variétés multiples des formes. Lasègue, qui a décrit le délire des persécutions (archives générales de médecine, 1858) et le délire subaigu alcoolique (Archives générales de médecine, 1868-69), a accumulé les oppositions séméiologiques entre ces deux entités morbides nouvelles, dont il a doté la psychiatrie. Il considère les cas où la clinique montre un mélange des traits caractéristiques de chacune des formes comme des faits d’association morbide, où la suspension du toxique fait facilement retrouver le délire de persécution permanent et pur. Toutefois, dans les observations qu’il rapporte de délire alcoolique subaigu, on s’aperçoit que, dans certaines d’entre elles[1], prédominent les hallucinations auditives verbales, que l’agitation motrice corrélative de l’extrême mobilité des hallucinations visuelles est moindre, que l’anxiété n’est pas aussi vive, que le délire prend une forme de menace moins immédiatement imminente, et apparaît plutôt comme une tentative de démonstration raisonnée et systématique.

Ces cas de délire subaigu participent aux caractères même que Lasègue a assignés au « délire des persécution ».

Magnan a repris, dans les mêmes termes que Lasègue, l’opposition des 2 termes cliniques. Dans son mémoire sur l’alcoolisme pour le prix Civrieux, en 1872, il précise les caractères propres aux hallucinations du délire subaigu. Il les définit comme pénibles, comme mobiles, comme ayant pour objet les occupation ordinaires et les préoccupations dominantes du malade ; il analyse leur grande variété sensorielle ; mais il insiste peu sur les hallucinations auditives qui seraient, selon lui, des sensations acoustiques simples avant de devenir des hallucinations verbales. À l’aide d’une phrase de Lasègue lui-même, il oppose la mobilité de ce délire à la stéréotypie du délire chronique. Mais le classement évolutif qu’il fait des délires subaigus l’amène à grouper « certains malades prédisposés, atteints de délire alcoolique, à rechutes fréquentes, et à convalescence souvent entravée par des idées délirantes, affectant plus ou moins la forme du délire partiel ». Les cas qu’il cite se distinguent (532)par la prédominance des hallucinations auditives verbales et des interprétations délirantes, au sens moderne de ce terme.

Nous insistons sur ces points d’histoire pour montrer comment, dès le début, s’est posée la question du terrain pour l’éclosion de certaines formes spéciales du délire subaigu toxique.

Nous ne ferons pas l’histoire des recherches nombreuses que cette question a suscitées. II s’agit surtout d’études physiologiques tendant à préciser le terrain neuro-végétatif. Nous ne voulons apporter ici que l’appoint d’un simple fait clinique. Sa constatation nous a été facilitée par la précision qu’a apportée, dans la recherche des hallucinations auditives verbales, le syndrome dit d’automatisme mental. C’est la recherche méthodique des divers éléments de ce syndrome qui nous a permis d’isoler un groupe de cas qui répond à une individualité pressentie et indiquée par Lasègue et par Magnan, et dont nous verrons les caractères. Dans certaines observations d’alcoolisme subaigu, nous avons trouvé un pouls normal ou ralenti, dont la corrélation clinique avec certains éléments du syndrome d’automatisme mental, nous parait tout à fait importante comme valeur pronostique et comme signification pathogénique. Dans les descriptions qui sont faites de l’alcoolisme subaigu, ou delirium tremens, il est classique de décrire l’accélération du pouls ; ce symptôme, plus même que le tremblement, est un élément important du pronostic vital. Or, dans un certain nombre d’observations que l’un de nous a pu faire depuis plusieurs années, à l’Infirmerie spéciale de la Préfecture de Police, certains alcooliques subaigus présentaient un pouls normal, ou ralenti, en même temps qu’existaient des hallucinations auditives, et quelquefois, un syndrome complet d’automatisme mental, avec un minimum d’hallucinations visuelles. Nous rapporterons d’abord nos observations qui permettront de mettre en évidence les faits cliniques essentiels.

 

Nous avons classé nos observations en 3 groupes. Dans un premier groupe, il s’agit de formes subaiguës réelles qui se terminent par la guérison. Dans un deuxième groupe, il s’agit de malades qui ont évolué ultérieurement vers un délire chronique de persécution. Enfin, dans un troisième groupe, l’alcoolisme a donné seulement une teinte nouvelle à un déséquilibre qui existait déjà antérieurement.

 

(533)Observation I. – K. Maurice, 40 ans, interné par l’un de nous le 4 février 1932, avec le certificat suivant :

Infirmerie spéciale 4 février 1932.

Alcoolisme chronique. Idées délirantes de persécution. Hallucinations auditives très actives. Entend des voix à travers les murs. Injures. Menaces. Propositions obscènes. Écho des actes et des lectures. Interprétations : a été intoxiqué par la cocaïne. Moyen érotique employé pour l’intoxiquer. Bande d’ennemis qu’il connaît et qui, par l’intermédiaire de Ripa, veut le faire disparaître. Pas de confusion. Pas d’onirisme visuel. Est allé se plaindre spontanément au commissariat de police. Peau chaude et moite. Tremblement digital et lingual. Tendance au myosis. Pouls 72. Aveu d’excès de boisson (3 litres, de plus, apéritifs et cafés arrosés). Obésité. Début il y a 3 semaines.

« Signé : Dr Heuyer »

 

Voici le certificat immédiat fait à Sainte-Anne et à Villejuif :

Immédiat, Asile de Sainte-Anne, 5 février 1932 :

Est atteint d’alcoolisme avec hallucinations pénibles et idées de persécution, excitation passagère et demande de secours au commissariat, insomnie.

« Signé : Dr Simon »

Immédiat, Asile de Villejuif, 7 février 1932:

Alcoolisme chronique. Épisode subaigu récent. Corrige actuellement son délire et en reconnaît l’origine. À maintenir provisoirement.

« Signé : Dr Maurice Ducosté »

 

Quelques jours après son entrée à l’asile de Villejuif, l’un de nous l’examine, avec l’autorisation du Dr Ducosté. II se trouve en présence d’un sujet un peu obèse, qui répond avec précision aux questions et qui paraît avoir réduit en partie ses croyances délirantes.

Toutefois, on remarque une certaine mimique anxieuse, des formules de perplexité, des modifications du ton de la voix quand il parle de son délire récent.

II était entré, dit-il, le 31 janvier 1932 à l’hôpital Tenon et n’a pu y rester que 4 jours à cause de son agitation.

Depuis une dizaine de jours, il entendait des voix. Elles lui disaient : « Tu vas mourir, dégueulasse », et puis : « des saloperies, des cochonneries : Enc… ! ». « Je me faisais dans l’idée qu’ils voulaient me tuer. »

Il y a un dialogue entre les voix hostiles et d’autres voix favorables : « Tu vas mourir syphilitique dans un hôpital. » À quoi, d’autres (534)voix répondent : « Viens avec nous : c’est malheureux de te laisser mourir comme ça. T’auras de l’argent. » Des voix hostiles elles-mêmes reconnaissent l’injustice de son sort : « T’as été courageux et travailleur, c’est malheureux, mais tu mourras. » D’autres fois, elles se font tentatrices : « Rentre dans notre société. On te donnera 6.000 fr. »

L’élément d’imminence anxieuse propre au toxique alcoolique apparaît dans le contenu des propos qui marquent les délais proches de la menace : « Tu seras mort demain matin…, à 9 heures, je te tuerai. »

Ces voix étaient chuchotées. Il reconnaissait néanmoins ses interlocuteurs, deux de ses voisins, Trub…, avec qui il avait bu « quelques petites chopines » et Bout… Pour les propos encourageants et les marques de compassion, c’était « la femme à Trub… » qui s’en chargeait.

Les phénomènes subtils de l’automatisme mental ne manquaient point au syndrome. Pensait-il à sa femme. ? « Il pense à sa femme », disaient les voix. À sa fille ? « Il pense à sa fille. » De même, ses actes étaient commentés. Prenait-il une attitude indifférente à l’égard des importuns, il entendait dire : « Il est malin, il lit son journal. » Ce journal, derrière lequel il se réfugiait, « on le lisait tout haut en même temps que lui à l’hôpital ».

À noter la perception de mauvaises odeurs sans véritable conviction délirante. Par contre, les vertiges, les fléchissements qu’il éprouve lui avaient fait croire qu’il était empoisonné : « Il m’était venu dans l’idée que c’était de la cocaïne. »

Il y avait une étroite intrication de ces phénomènes hallucinatoires avec les interprétations. S’il a imputé une grande partie de ces phénomènes à ses voisins de lit à l’hôpital, en raison même de ce voisinage (« ils faisaient semblant comme un bruit de revolver »), il a bien compris le sens symbolique de certaines de leurs attitudes : « Ils m’ont fait comprendre que c’était une bande de mauvaises gens. »

L’insomnie existait depuis plusieurs mois, de même les cauchemars se rapportant à « son travail ou à quelque chose qui n’allait pas ». Il ressentait des secousses, des crampes.

Tourneur-robinetier, le sujet s’était livré à l’alcoolisme depuis la mort de sa femme survenue un peu moins d’un mois auparavant. Trois litres de « piccolo » par jour, corsé d’innombrables « apéros » le soir (Byrrh, Turin et Mandarin), formèrent dès lors son régime.

 

Antécédents. – Sa femme est morte de tuberculose. Un enfant est mort à 4 jours, il y a une fille bien portante.

Il a eu un ictère en 1918 et la grippe en 1932.

Actuellement, il a le ventre un peu gros, un gros foie, un peu de (535)tremblement. Ses pupilles sont inégales, D. > G. ; réagissent bien à la lumière. Le pouls est à 80. II est bien orienté.

Il sort de l’asile le 3 mars 1933 considéré comme guéri. II n’a plus été observé depuis.

 

Observation II. – Voici une autre observation, peut-être moins typique, dans laquelle le syndrome a une évolution plus lente, a constitué un épisode isolé, sans récidive, et se terminant par la guérison.

N. Henri, chauffeur, 36 ans. Interné par l’un de nous le 14 juin 1931 :

« Alcoolisme chronique, accidents subaigus, état confusionnel. Amnésie. Désorientation. Obtusion. Onirisme. Poursuite par 3 individus, deux hommes et une femme, qui le surveillaient par un trou du plafond, ils sont armés et le menacent. Hallucinations auditives. Exposé calme des faits. Peu d’éléments visuels. Demande spontanée de protection aux agents. Congestion céphalique. Tremblement lingual et digital. Pouls 64.

« Signé : Dr Heuyer »

 

L’un de nous le voit à Sainte-Anne et se trouve en présence d’un sujet qui n’est plus désorienté, mais qui reste marqué d’une nette obtusion intellectuelle. Le type du délire est onirique, avec raptus de fuite, qui est l’origine d’une suite de migrations domiciliaires. Mais il est néanmoins très précis sur les hallucinations auditives, il les interprète. « On voulait le faire quitter sa chambre pour la louer à un prix supérieur. »

L’éthylisme est ancien et s’est trouvé renforcé par un chômage récent.

Le sujet écrit au Préfet de police pour protester contre son internement. La réduction des hallucinations auditives a été rapide, mais en septembre de la même année, nous constatons la persistance de la conviction délirante, dirigée contre la patronne de son hôtel. Un an après son internement, l’un de nous le revoit à Ville-Evrard. La conviction délirante est réduite. Le malade travaille et est bien noté. Il est bien orienté, mais il conserve une certaine bradypsychie. Il a encore un teint subictérique et un tremblement digital et lingual. Son pouls est à 56.

Il sort en juillet de cette seconde année d’internement et recouvre 6 mois après son permis de conduire.

 

Observation III – F. Gelino, 31 ans, interné le 14 mars 1932, pour :

« Alcoolisme chronique. Légère confusion. Orientation imparfaite. Automatisme mental. Hallucinations auditives. Voix de dessous de l’étage. Prise et écho de la pensée et des actes. Hallucinations psychomotrices. Pensées étrangères. Troubles cénesthésiques. Secousses « névrosthéniques ». Minimum d’interprétations. Un jeune (536)homme de ses amis paraît en être cause. Pas de système de persécution. Anxiété. Crainte d’être guillotiné. Marche automatique, pieds nus, au milieu de la rue. Aveu d’excès de boisson (vin, apéritifs, marc). Tremblement digital et lingual. Cauchemars zoopsiques. Pouls : 72. »

Transféré en Italie. Notons, à la limite de ces délires subaigus, ou l’automatisme mental existe au moins sous la forme d’hallucinations auditives, des délires à prédominance interprétative qui sont eux-mêmes corrélatifs d’un pouls ralenti.

 

Observation IV.– P. Dim Journalier, 40 ans, interné le 13 juin 1931, avec le certificat suivant :

Idées délirantes de persécution. Interprétations morbides. Depuis trois ans, il est suivi par la police. On prévient partout de son passage. Quand il veut travailler, son patron est prévenu. Probabilité d’hallucinations auditives. Entend des voix avec injures, allusions. Onirisme probable. Poursuite par des individus dans la rue. Les voit aiguiser leurs couteaux. Cauchemars. Rêves de prémonition. Arrêté pour avoir jeté une pierre dans la devanture du journal « Le Matin ». Alcoolisme chronique. Visage vultueux. Tremblement digital et lingual. Légère confusion. Pouls : 64. Syphilis. Chancre en 1919. Quelques injections intraveineuses.

Pas de signes neurologiques.

Début de leucoplasie commissurale.

Ancien légionnaire.

« Signé : Dr Heuyer. »

 

Maintenu pour persistance des idées de persécution depuis un an. Se dit poursuivi par la police et accusé d’espionnage. Aurait déjà été interné à Marseille il y a 3 ans.

II

 

Nous allons rapporter maintenant des observations où la question de terrain est posée, soit par la note spéciale des réactions, soit par les récidives du délire, soit par son évolution vers la chronicité. Dans cette série d’observations, il y a encore coexistence d’hallucinations auditives verbales et d’un pouls lent, mais divers éléments permettent de faire entrer en ligne de compte la notion d’un terrain particulier.

Nous rapporterons d’abord des observations que caractérise une note mélancolique avec idées d’auto-accusation et fréquemment une réaction suicide.

Les récidives de l’intoxication y sont fréquentes et se reproduisent avec la même note dépressive. L’hérédité y apparaît souvent chargée et les passages à la chronicité s’y rencontrent.

 

(537)Observation V. – R. Pierre-François se présente le 7 janvier 1931 au commissariat de police de sa commune et s’y accuse d’avoir commis une dizaine de viols et d’attentats à la pudeur. Il est envoyé à l’Infirmerie. Il est interné par l’un de nous avec le certificat suivant :

« B. Pierre-François, 24 ans, plombier-couvreur.

Alcoolisme chronique. Accidents subaigus. État confusionnel léger. Troubles de la mémoire. Poursuivi par une bande de romanichels qui pénètrent chez lui, l’attendent à la porte, tirent des coups de revolver ; l’ont emporté dans leur roulotte, lui ont piqué le visage. Chez lui, ils ont placé un voile sur un mur, espèce d’écran sur lequel défilaient des hommes et des femmes. Hallucinations visuelles colorées : vêtements bleus, verts, jaunes. Hallucinations auditives. T. S. F. Injures. Accusations d’avoir violé des filles, d’en avoir rendu quelques-unes enceintes. Réaction dépressive. S’est présenté spontanément au commissariat en s’accusant de viols et d’attentats à la pudeur. Intention suicide. Lettres à ses parents. Actuellement, narration d’une tentative de suicide inexistante, production onirique. Visage vultueux. Tremblement digital et lingual. Pouls : 76. Hérédité alcoolique : père mort à 52 ans de delirium tremens.

« Signé : Dr Heuyer »

 

Admis à Sainte-Anne avec le certificat suivant :

Est atteint d’alcoolisme avec accidents subaigus. Hallucinations multiples et pénibles. Frayeurs et tendances au suicide. Insomnies, étourdissements et tremblement des mains ».

« Signé : Dr Simon ».

 

Il est signalé dans le service comme halluciné et persécuté. Le certificat de quinzaine du 22 janvier 1931 signale la décroissance des accidents subaigus. Le certificat de sortie du 31 mars 1931 déclare le malade « actuellement calme, ne parait plus présenter de délire, travaille régulièrement et peut être rendu à sa mère qui le réclame. »

II est de nouveau interné d’office le 18 février 1932 avec le certificat suivant :

Dégénérescence. Alcoolisme. Troubles prédominants de l’humeur et du comportement. Ivresses subintrantes. Obtusion morale. Négations cyniques. Violences sur sa mère infirme (contusions multiples récentes). Paresse morbide. Instabilité. Tyrannisme familial. Sujet pour asiles spéciaux. Père mort éthylique. Mère débile.

« Signé : Dr De Clérambault. »

 

Le sujet, que l’un de nous examine le 3 avril 1932, est un débile mental ; plombier-couvreur, amputé de la jambe gauche à la suite d’un accident, il était en chômage depuis sa dernière sortie de l’asile. Employé comme cantonnier dans sa commune, « on lui offrait des (538)verres ». Sa mère, trépanée à la suite d’un accident d’automobile, devenue infirme sans indemnité, irritable, se querellait fréquemment avec lui. Le sujet avoue les violences auxquelles il s’est laissé aller dans ces disputes.

Émotivité. Instabilité du pouls. Tremblement. Réduction actuelle des convictions délirantes. Maintenu néanmoins en raison de la situation familiale particulière. Foie légèrement débordant.

Lors de son premier passage à Sainte-Anne, il remarquait que tout le monde lui en voulait. On le narguait. Les phénomènes d’automatisme mental ont complètement disparu.

 

Observation VI.– M. Pierre, 41 ans, interné le 21 novembre 1931 avec le certificat suivant :

Alcoolisme chronique. Idées délirantes de persécution. Est victime de ses voisins qui veulent troubler son ménage. Automatisme mental. Hallucinations auditives. Injures à lui-même et à sa femme. Commentaires des actes. Prise de la pensée. Sentiment d’étrangeté, de perplexité. Imprécision des idées délirantes. Obnubilation. Désordre des actes. Fugues. Tentative de suicide collectif (a ouvert le robinet à gaz de son logement). Aveu d’excès de boisson. Tremblement digital et lingual. Pouls : 64.

« Signé : Dr Heuyer. »

 

Le certificat immédiat à Sainte-Anne insiste sur « un léger état de confusion mentale avec idées de persécution. Interprétations, tendances mélancoliques. Habitudes de boisson.

« Signé : Dr Simon »

 

Le sujet est maintenu à Vaucluse pour son état de dépression, avec idées de persécution, réticences, etc.

 

Observation VII. – T. Antoinette, femme R., 37 ans, internée le 20 mars 1931 avec le certificat suivant :

Automatisme mental à début récent et brusque. Hallucinations auditives. Tous les objets parlent autour d’elle : les pendules, le poêle, un moteur, l’eau même. Injures des gens « à leur croisée ». Écho de la pensée. Tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle fait, elle l’entend « de partout ». On parle surtout de son passé un peu chargé. A été en carte. A fait de la prostitution. On lui dit : « Tu retourneras chez le bougnat », où elle était « employée ». Un peu de confusion. Désorientation. Réactions dépressives et anxieuses. Est allée spontanément se plaindre au commissariat de police. Tentatives de suicide à l’Infirmerie. Ton plaintif. Aucune systématisation. Fond de débilité mentale. Obésité. Aspect dysendocrinien. Alcoolisme chronique. Vin et surtout alcool de menthe. Tremblement digital et lingual. Pouls : 72. Début des troubles psychiques il y a 4 jours.

« Signé : Dr Heuyer ».

 

(539)La malade est allée se plaindre spontanément au commissariat de police où elle a déclaré que « la maison était hantée » et qu’elle même était « aimantée », que « l’eau de sa lessive était électrisée », que « des mots s’inscrivaient sur sa planche à laver ». « Tout le monde dans la rue dit qu’elle fait le trottoir ». « Dans la maison, personne ne lui dit rien, mais lorsqu’elle est seule, elle entend bien les gens qui chuchotent. » Elle annonce alors sa tentative de suicide.

À l’entrée à Sainte-Anne, « on note un état mélancolique avec hallucinations pénibles et terreurs, réveil en sursaut et en sueur. Tentative récente de suicide : aurait avalé des épingles à cheveux et de nourrice. Léger tremblement des mains. Alcoolisme probable. Fièvre à 38° ».

Elle est revue par l’un de nous.

On note son obésité, son aspect empâté, dysendocrinien. Se dit bien réglée : a toujours été une grosse fille, dit-elle, depuis son enfance.

« Toute ma lessive me disait : tu retourneras chez le bougnat (bis) ; ils t’attendent, les poulets. »

Les pendules disaient : « Tu retourneras rue Boulay, tu y retourneras rue Gessen ». Il s’agit là d’un « bastringue » où elle a « travaillé » avant son mariage et où elle a eu des difficultés avec la patronne. « On lui en voulait parce qu’elle n’allait pas avec les clients qui ne lui plaisaient pas. »

« Tout cela, Monsieur, a commencé tout d’un coup, un matin que je faisais mon ménage, par une machine, une espèce de moteur qui était en dessous ou à côté, un moteur qui parlait, qui disait : tu es une putain, tu retourneras te saouler la gueule. »

« Tout le monde l’a dit, demandez à tout le monde, tout le monde dit que j’étais une putain, que je faisais le trottoir. »

Toutes ces déclarations sont entrecoupées de diversions, de plaintes, dont il est difficile de rompre la chaîne pour lui faire répondre à des questions précises sur les phénomènes ressentis.

Les hallucinations verbales paraissent être éprouvées le plus souvent sur la base d’un bruit rythmique d’origine extérieure et réelle. « Le poêle aussi parle ». « Elle n’a jamais réussi à arrêter son réveil sur le fait ». « L’eau parle aussi ; le dernier jour, les chaises, tout ce que je remuais, parlait. Tout le monde dehors répétait : « C’est elle, c’est elle ». « Les gens à leur croisée disaient : Elle se fait enc…, je vous le prouverai. »

II y avait peu de phénomènes subtils, peu d’action sur la pensée, pas non plus de mauvaises odeurs, de mauvais goût, ni de gaz. Elle n’est pas violée, mais elle ressent des « secousses électriques, la nuit, dans le lit, et aussi le jour ».

Trois jours après, elle renouvelle ses déclarations. Quelques interprétations s’y ajoutent : « Tout mon passé est éclaboussé, partout ; dans tout Paris, tout le monde me regarde et en parle. »

À cette date, on fixe beaucoup plus son attention sur des questions précises, même dans la recherche des tests mentaux que nous pratiquons. (540)Elle répond bien aux tests de jugement élémentaire, est un peu moins brillante dans les épreuves d’abstraction ; elle n’a d’ailleurs reçu qu’une instruction des plus rudimentaires. Elle reconnaît les questions absurdes, elle répète correctement cinq chiffres à rebours. Elle est pourtant légèrement désorientée dans le temps. Son pouls est à 72. Elle a un tremblement léger des doigts, de la moiteur. Les réflexes tendineux sont normaux. Les pupilles légèrement inégales réagissent.

L’alcoolisme ancien, qui date du temps où elle était « chez le bougnat » avant son mariage, est avoué.

L’alcoolisme actuel sous sa forme si particulière (menthisme) est reconnu même par le mari qui veut la reprendre. Le début très brusque des troubles est confirmé par l’entourage.

Un an après, la malade, internée à la Maison-Blanche, est certifiée « être atteinte de débilité mentale. Syndrome hallucinatoire sans système délirant. Sédation. Calme habituel. Inertie et baisse affective. Sous la condition d’une surveillance constante, la sortie peut être tentée ».

On insiste sur l’affaiblissement affectif et la persistance du délire.

 

Une autre série de faits extrêmement intéressante nous semble constituée par les cas où, après un ou plusieurs accès de délire subaigu alcoolique auxquels la prédominance des hallucinations verbales et le pouls normal ou ralenti ont donné leur caractère constant, on voit se fixer un délire à base d’automatisme mental. Nous croyons voir dans cette corrélation clinique un élément pronostic important et apporter une précision dans la pathogénie controversée de ce que Rogues de Fursac a isolé sous le nom de « délire systématisé alcoolique ». En voici un très bel exemple :

 

Observation VIII : – L. Louis, peintre, 50 ans.

Est interné une première fois en décembre 1930 après avoir présenté, dans un hôpital parisien, des troubles caractérisés par « des hallucinations visuelles (zoopsies) et auditives, une amnésie considérable, avec fabulation discrète et des troubles de la reconnaissance ». (Certificat du Dr Trocmé).

Les certificats immédiats et de quinzaine des psychiatres qui l’ont vu alors insistent sur des scènes oniriques variées avec « zoopsie ; hallucinations lilliputiennes. Meurtre de sa famille », sur les signes manifestes d’imprégnation alcoolique et surtout sur l’élément auditif des hallucinations.

Le malade sort guéri de l’asile de Villejuif le 20 février de l’année suivante.

En juin 1931, soit un an et demi après son internement, il se présente lui-même au commissariat, disant qu’on n’a pas cessé de lui faire de l’électricité depuis son premier séjour à l’hôpital. Cette (541)démarche a été précédée d’une lettre au médecin-chef de l’hôpital où il se plaint de souffrir depuis son premier séjour d’un « tourniquet dans la tête, de l’électricité qu’on lui envoie dans les côtes, on lui fait du tremblement dans les mains ». Il écrit : « Lésé moi donc, vous allez me faire perdre mon travaille ; ausitôt se mête à rire et recomance ; j’ai pris des témoins ; ses Citroën dont je suis partie rapport à l’électricité qu’il me faisait sur les bras. »

Le tremblement est en pleine évidence dans l’écriture. L’un de nous examine le sujet à l’Infirmerie et reconnaît sous l’alcoolisme chronique, un :

Automatisme mental et idées délirantes de persécution. Hallucinations auditives. Injures et menaces. « Il faut le rendre fou ». Hallucinations olfactives (odeurs fécales). Prise et écho de la pensée. Énoncé des actes et répétition des paroles. Troubles cénesthésiques. Électricité sur le corps, picotements et brûlures. Quelques éléments visuels. Pauvreté des interprétations. Trois hommes, peut-être infirmiers à l’hôpital Bichat, veulent se venger de lui. On veut rendre aussi sa femme folle.

Alcoolisme avéré et avoué. Tremblement digital et lingual. Hyperalgésie musculaire. Pouls : 80.

Un internement antérieur. Persistance, après la sortie, des éléments hallucinatoires auditifs et des troubles cénesthésiques après disparition de la confusion et de l’état onirique.

« Signé : Dr Heuyer. »

Le dernier certificat de situation relate depuis un an la persistance de la « psychose hallucinatoire développée sur un fond d’alcoolisme chronique »

 

Observation IX. – B. Antoine, 63 ans.

Observé il y a 8 ans à l’hôpital Henri-Rousselle, présente alors un alcoolisme chronique invétéré depuis 20 ans, avec des idées de persécution qui sont notées comme assez particulières. II se déclare « suivi par son beau-frère depuis Lyon d’où il serait revenu à Paris à pied ». « C’est, dit-il, pour une question d’héritage…, on est derrière moi tout le temps…, il me fait des reproches… Je sens son ombre derrière moi…. J’ai voulu le frapper et je l’ai menacé. »

L’attitude est inquiète et méfiante. Obnubilation intellectuelle. Agitation violente et dangereuse. Cris. Gesticulation apeurée, etc.

Tremblement. Langue saburrale, B.-W. + dans le sang.

On l’interne (c’est déjà son deuxième internement). Puis il est libéré et, 6 ans après, en 1931, l’un de nous le voit à l’Infirmerie spéciale et l’interne avec le certificat suivant :

 

« Alcoolisme chronique à la limite de l’état subaigu. Assez bonne orientation. Peu de confusion. Onirisme. Zoopsie. Vision de précipices. (542)Hallucinations auditives. Entend sa famille qui lui fait des reproches, etc. Pouls : 76. »

L’automatisme mental et le sentiment de présence donne une note particulière au tableau Tendance à la chronicité.

 

Rapportons enfin :

 

Observation X. – V. Maximin, âgé de 35 ans.

Interné le 6 avril 1931 avec le certificat suivant :

 

Alcoolisme chronique. Accidents subaigus. État confusionnel. Dysmnésie. Désorientation. Obtusion. Automatisme mental. Hallucinations auditives très actives. Menaces de mort. Hallucinations psychiques : voix dans son cœur qui sert d’intermédiaire pour les ordres qu’il reçoit et les menaces qu’on lui fait. Prise et écho de la pensée. Commentaire des actes. Envoi de gaz. Quelques interprétations pauvres. Idées d’empoisonnement. Jalousie des voisins qui veulent lui faire quitter le logement. Pas d’hallucinations visuelles. Les ennemis voient tout ce qu’il voit lui-même. Troubles cénesthésiques. Électricité. Début récent des troubles psychiques, brusquement, il y a 8 jours.

A demandé spontanément protection au commissariat de police. Pas d’anxiété, mais refus d’aliments. Insomnie. Visage vultueux. Tremblement menu, digital et lingual. Pouls : 64. Antécédents de déséquilibre et de délinquance.

« Dr G. Heuyer. »

 

Certificat immédiat :

Délire de persécution avec hallucinations et troubles de la sensibilité générale. « On veut sa mort, son cœur cause et l’on sait ce qu’il pense et fait… » Plainte au commissariat. D’après les déclarations du malade, le début de ses troubles ne remonterait qu’à une quinzaine de jours.

Signé : Dr Simon.

 

Transféré avec le diagnostic de « délire de persécution avec troubles psychosensoriels multiples. Début récent. Appoint éthylique »

 

 

III

 

Nous voulons indiquer maintenant une catégorie de faits où le terrain psychopathique est caractérisé antérieurement à l’abcès subaigu éthylique, qui n’est qu’un épisode. Là encore, la forme auditive verbale de l’hallucination semble liée à l’existence d’un pouls ralenti.

 

Observation XI. – L. Georges, ajusteur, avait 21 ans en 1919 où il est interné sur certificat du Dr Delmas pour « idées délirantes et (543)refus d’aliments ». Notre confrère signale que le malade, vers l’âge de 10 ans, avait eu des crises d’épilepsie.

Il est examiné à l’admission par le Dr Briand, dont voici le certificat et l’observation :

Immédiat du Dr Briand : « Délire mélancolique, avec idées de persécution et de culpabilité. Agitation anxieuse. Négativisme. Épilepsie ancienne ( ?).

Le malade paraît inquiet et angoissé. Il ne tient pas en place (refus de s’asseoir). Crispations nerveuses de la face. Gestes désespérés. Ne répond que par monosyllabes, ou dit : « C’est malheureux (bis). » « Vous voulez avoir mes réponses pour avoir le contraire… J’ai fait pleurer ma mère. » Mucitation.

Renseignements de la mère : père mort d’abcès au poumon, alcoolique, pas d’épilepsie (se grisait souvent).

Mère bien portante, quatre enfants, deux vivants.

Très nerveuse durant sa grossesse. Couche normale. Enfant normal, pas de convulsions. Vers 4 ou 6 ans se plaignait de maux de tête. En classe, vers 4 ans et demi, caractère difficile. Apprenait bien. À dix ans, six semaines après une chute dans un escalier, la nuit, crise d’épilepsie affirmée à la Salpétrière. Durant 15 mois, une crise tous les deux mois : « Maman, ça va me prendre. » Crise typique avec urination. Plus rien depuis l’âge de 11 ans et demi.

Caractère violent, depuis toujours. Depuis un mois n’était jamais à la conversation. Anxiété nocturne : (à sa mère) : « Sois sans crainte, je ne te veux pas de mal. » Puis, mutisme. Pleurs. Fuit devant un médium appelé par la mère. Manifeste des idées d’indignité. Dromomanie sous la pluie. Refus d’aliments. Surmenage depuis quelques mois.

Ne boit pas. »

Transféré à Vaucluse, il y est considéré comme un délire mélancolique avec « idées de persécution et de culpabilité. Hallucinations de l’ouie. Agitation anxieuse. Négativisme. Épilepsie ancienne ? ». Puis, dans la même année, parait s’avérer comme une « démence précoce avec manifestations paranoïdes et catatoniques, écholalie, incontinence nocturne d’urine ; dans les antécédents, crises comitiales ». (Dr Roubinovitch).

Il sort néanmoins l’année suivante, considéré par le Dr Vurpas comme suffisamment amélioré. Il vit en liberté durant 20 ans, peu stable dans son travail, mais gagnant sa vie, comme semblent en témoigner les nombreux certificats de travail trouvés sur lui lors de sa dernière arrestation. Employé en dernier lieu au centre d’aviation de Nanterre. Licencié pour indiscipline, il écrit au Colonel-Commandant de ce centre de nombreuses lettres de menace à caractère nettement délirant, dans lesquelles il se plaint particulièrement des « séquestreurs, tortureurs ». Convoqué au commissariat, dit : « Je (544)proteste contre les rayons que l’on m’envoie, pourquoi voulez-vous empêcher mon ventre de pousser ? »

Examiné par l’un de nous 20 ans après son premier internement, il se présente comme suit :

« Alcoolisme chronique. État confusionnel. Obtusion. Désorientation. Idées de persécution. Depuis 3 ans, on ne veut pas le laisser travailler à Paris. Hallucinations auditives. On le menace de mort. On veut le faire passer par un tube. On lui envoie des rayons. Anxiété, est condamné à mort. Supplications. Demande qu’on en finisse tout de suite. Bris de carreaux à son logement. Menace contre sa tante avec laquelle il vit. Tremblement digital et lingual. Hyperalgésie musculaire. Pouls ralenti : 60. Syphilis il y a 20 ans sans signe neurologique actuel. Aurait déjà été interné. Permis de conduire à supprimer au moins temporairement.

« Signé : Dr Heuyer. »

 

Observation XII. – M. Marius, 40 ans. Interné le 23 mars 1929 avec le certificat suivant :

Débilité mentale. Idées délirantes de grandeur et de persécution. Il est inspecteur de l’église parce qu’il a reçu une cravate blanche de son oncle, curé à Turin. Il a la mission de « nettoyer le personnel de l’église ». À la suite de ses plaintes, il a fait déplacer un vicaire. Interprétations multiples. Il est victime de la jalousie de ses voisins. Élément imaginatif mégalomaniaque un peu niais. Hallucinations auditives épisodiques. Injures et menaces. Désordre des actes. Trouble les offices par ses excentricités. Cris. GesticuIation. Habitudes ecclésiastiques anciennes. Onction. Signes d’alcoolisme chronique. Tremblement digital et lingual. Pouls : 72.

Signé : Dr Heuyer ».

 

Immédiat du Dr Marie : Signale la « débilité mentale, scandale à l’église pour protester contre l’absence du secours du vicaire vis-à-vis de ses enfants (6 enfants), l’exagération du moi ».

Le certificat de sortie du 21 avril 1929 déclare qu’il ne délire plus et que sa famille le réclame.

Revient devant l’un de nous le 13 avril 1931.

Alcoolisme et débilité mentale. Excitation psychique. Loquacité incoercible. Gesticulation. Thème de persécution mal systématisé. Complot contre sa « paternité ». Depuis qu’il a placé ses enfants à l’Assistance publique, on l’empêche de trouver du travail. Récriminations, grandiloquence, désordre des actes. Scandale à l’Ambassade d’Italie où il est allé réclamer ses enfants. Tremblement digital et lingual. Pouls : 84.

« Signé : Dr Heuyer ».

 

(545)Immédiat du Dr Simon signale : « Hallucinations et idées de persécution et de grandeur ; son cas est mondial, un complot pour l’éliminer de son droit paternel ; style à part chez les ébénistes : 6 cannelures pour rappeler ses 6 enfants, etc. »

L’un de nous l’examine à Villejuif et retrouve le grand délirant imaginatif, mégalomane, sur fond de débilité mentale qu’indiquent les certificats. On relève quelques-unes des interprétations morbides les plus saillantes, signalées dans les certificats antérieurs, et des hallucinations auditives verbales. Il a entendu des voix, spécialement à l’église où elles lui disaient : « Maquereau ! feignant ! sale Italien ! » C’était la voix d’une dame, qui « essayait ainsi de diminuer la valeur de son prestige pour suffoquer l’amitié et la sympathie qui, dans cette église même, existaient à mon égard ». Vive émotion à l’évocation de ce « style maudit qui envahit le faubourg St-Antoine, et où l’on fait 6 cannelures pour évoquer ses 6 enfants ». Il les a placés à l’Assistance publique, mais ne veut pas néanmoins qu’on attente à ses droits de paternité. Développe des idées d’empoisonnement. Garde une attitude mixte de hauteur abrupte et d’onction ecclésiastique. Loquacité prétentieuse. A fait du scandale à Lourdes, des démarches obstinées pour reconquérir ses enfants. Autoritarisme familial. Lettres impératives et peu cohérentes à sa femme et à ses enfants, remplies de conseils puérils prétendant régler leur conduite dans tous ses détails.

Maintenu jusqu’à présent à l’asile.

 

Observation XIII. – Voici un jeune pervers, dipsomane, qui se livre à l’intoxication dès sa sortie de la colonie pénitentiaire où on l’a placé pour de nombreux vols.

L. D.– Germain, 21 ans, interné le 1er mars 1931 :

Alcoolisme chronique. Accidents subaigus. Légère confusion. Orientation imparfaite. Obtusion. Aboutissement. Onirisme. On le suit pour l’empoisonner. Voit l’image de sa mère collée contre son pantalon et ne peut pas l’enlever. Hallucinations auditives. Menaces. Accusation d’avoir violé sa mère. Troubles cénesthésiques. Électricité. On lui tape sur l’épaule pendant la nuit. Visage vultueux. Tremblement digital et lingual. Pouls : 64. Fonds de débilité mentale et de perversions. Resté 4 ans à la colonie pénitentiaire pour vols (à Belle-Isle). Sorti le 13 février. Ivresses successives depuis la sortie.

« Signé : Dr Heuyer ».

 

Immédiat : « Est atteint d’alcoolisme avec hallucinations pénibles et idées de persécution : excitation passagère, léger tremblement des mains. Contusion à l’œil gauche. Sortie récente d’une colonie pénitentiaire.

« Signé : Dr Simon »

 

(546)Transféré à Évreux, a réduit, un an après, ses phénomènes délirants. Pouls resté à 60. Fin tremblement. S’évade au bout d’un an encore.

 

 

Tels sont les divers groupes d’observations que nous désirons rapporter.

Pour nous résumer, nous croyons pouvoir fixer les points suivants :

1.      Il existe des cas de délire alcoolique subaigu où le pouls est normal ou ralenti. Ils se présentent sous une forme clinique que caractérisent la prédominance des hallucinations auditives verbales, une conviction délirante qui se rapproche de celle des délires chroniques, une plus grande fixité des thèmes, une moindre anxiété pantophobique, une réduction relative des phénomènes visuels et moteurs.

2.      Cette forme est fréquemment marquée d’une forte note mélancolique avec idées d’auto-accusation et tendances au suicide.

3.      Elle peut, guérir complètement. Elle peut récidiver sous la même forme. Elle peut avoir une tendance à la chronicité et mérite d’être recherchée à l’origine de tous les cas dits de délire chronique d’origine alcoolique. Inversement, la corrélation d’un pouls ralenti ne prend pas une moindre valeur que l’intoxication alcoolique dans le déterminisme de certaines psychoses hallucinatoires chroniques.

4.      Dans certains états psychopathiques évolutifs (démence précoce, délire polymorphe), des bouffées délirantes à prédominance d’hallucinations auditives verbales qui paraissent conditionnées par une intoxication éthylique, épisodique ou récidivante, présentent une remarquable corrélation avec un pouls normal ou ralenti, et trouvent probablement, dans ce phénomène, une autre de leurs conditions déterminantes.

Nous nous abstenons actuellement de toute considération ou hypothèse pathogénique. L’un de nous se réserve de commenter ultérieurement ces faits et d’autres analogues qui feront l’objet de présentations. Nous pouvons dire seulement que cette production d’hallucinations auditives et du syndrome d’automatisme mental plus ou moins au complet, en corrélation avec un pouls normal ou ralenti, dans l’alcoolisme subaigu, ne permet guère une explication idéogénique.

 



[1] In Études médicales p. 171, obs. 25, 26, 27. – De l’alcoolisme subaigu, Arch. gén. de Méd 1868-69.