Intervention sur l’exposé de J. Rouart « Du rôle de l’onirisme dans les psychoses de type paranoïaque et maniaque-dépressif » publié dans l’Évolution Psychiatrique, 1936, fascicule n° 4, pages 87-89.

 

 

Exposé de J. Rouart […]

 

 

(85)Discussion :

 

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(87)M. Lacan – Il ne serait pas exact de dire que M. Rouart nous a présenté le problème sous l’aspect d’une dilution générale des psychoses dans l’onirisme. Il y a dans ce qui nous a été exposé quelque chose qu’il faut préciser. Quand il nous a été parlé de dissolutions d’intensité croissante, il me venait à l’esprit que de tels états pouvaient s’appeler des états seconds. Le fait rapporté par Borel m’a confirmé dans cette impression. II semble que certains états psychiques se passent à la limite du moi et que, peut-être par les relations en profondeur qu’ils ne cessent de soutenir avec lui, ils laissent cependant des traces profondes. C’est cela qui situe exactement le problème. À ce point de vue la fuite des idées, si bien étudiée au point de vue phénoménologique par Binswanger, se situerait tout naturellement dans cette série des dégradations de l’activité psychique. Mais il est bien certain qu’entre toute la gamme de ces états seconds il y a des différences de structure. Où est alors là place de l’onirisme ? (88)Pour revenir à ce que disait M. Picard tout à l’heure, j’ai cru que cet onirisme était un état d’élaboration synthétique active du moi analogue au délire. Je me demande cependant s’il n’y a pas de grandes différences. La réalité pulsionnelle est méconnue dans le rêve et elle est reconnue dans le délire où précisément elle se présente sous la forme caractéristique de la pensée délirante : persécution, action extérieure, etc. Je crois que l’onirisme est une expérience beaucoup plus subie qu’agie. J’emploie ce mot d’expérience qui paraît, semble-il, désagréable à M. Pichon, dans le sens d’expérience vécue.

 

M. Pichon – Si vous désirez que je dise mon opinion, je dois déclarer en effet que le terme d’expérience me paraît incorrect car il doit être réservé au sens que l’usage a consacré et qui me paraît impliquer une observation active, objective.

 

M. Lacan – C’est, je le répète, dans le sens d’expérience vécue, terme qui correspond au mot « Erlebnis » que je l’emploie comme les autres d’ailleurs, faute de mieux, faute d’équivalent exact dans le vocabulaire français.

 

M. Pichon – Il vaut mieux créer alors un mot nouveau.

 

M. Henri Ey – On nous reproche assez les néologismes. « Erlebnis » a été traduit par « expérience vécue » par les premiers traducteurs de Jaspers. Sans me paraître excellent, il me paraît bien indiquer le caractère de données immédiates et concrètes de la conscience qu’« Erlebnis » signifie en allemand.

 

M. Lagache – Pour ma part je le trouve juste, car le sens du mot expérience selon l’usage même et l’étymologie ne peut être restreint dans le sens indiqué par M. Pichon. Le terme « d’expérience vécue » correspond bien à ce qu’il veut dire : les contenus de conscience que le sujet éprouve et vit.

 

M. Lacan – Quoiqu’il en soit si l’onirisme est une expérience vécue plus passive que le rêve, dans l’un et l’autre cas il s’agit de vécu pur. À ce titre, le récit du rêve fait après coup me paraît être un petit délire bien systématisé qui s’éloigne peut-être autant du rêve lui-même que le (89)délire de l’onirisme. Il s’agit dans les deux cas de deux « registres » différents, celui du pur vécu et celui du jeu. Le moi « joue » dans le délire et le récit du rêve ce qu’il a purement vécu dans le rêve sous une forme très active et dans l’onirisme sous une forme plus « agie ». Voilà comment peut-être il faut considérer les rapports du délire avec le rêve, le récit du rêve et l’onirisme, toutes « expériences » et « jeux » qui sont très importants dans la structure des psychoses.

 

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