Intervention sur le rapport de R. Loewenstein « L’origine du Masochisme et la théorie des pulsions », 10ème conférence des psychanalystes de langue française, parue dans Revue Française de Psychanalyse, 1938, tome X, n° 4, pages 750 à 752.

 

Rapport de R. Loewenstein […]

 

Discusssion :

[…]

(750)M. Lacan – Je remercie d’abord Loewenstein pour son rapport, qui a le mérite de poser clairement les problèmes et tout spécialement le problème de la théorie des pulsions de mort, qu’il résout à sa façon, mais qu’il résout.

La complication extrême de cette discussion sur le masochisme vient d’une sorte de diplopie qui nous saisit tous chaque fois qu’intervient cet arrière-fond de l’instinct de mort. Je crois qu’il est difficile d’éliminer de la doctrine analytique l’intuition freudienne de l’instinct de mort. Intuition, parce que, pour la mise au point doctrinal, il y a fort à faire, notre discussion le prouve ; mais assurément il me paraît extraordinaire, de la part de certains, de dire que, sur le sujet des instincts de mort, Freud a fait une construction spéculative et a été loin des faits. Il est plus spéculatif de vouloir que tout ce que nous trouvons dans notre domaine ait un sens biologique, que, en suivant cette expérience concrète de l’homme – et nul autre plus que Freud ne l’a eue en son siècle – de faire sortir une notion bâtarde, stupéfiante. Peu m’importe que ceci constitue une énigme biologique ; il est certain que dans le domaine biologique l’homme se distingue, en ce qu’il est un être qui se suicide, qui a un surmoi. On en voit l’ébauche dans le règne animal et bien entendu il n’est pas question de séparer l’homme de l’échelle animale ; mais tout de même on peut remarquer que ce (751)qui ressemble le plus à un surmoi humain n’apparaît, chez les animaux que dans le voisinage de l’homme, quand ils sont domestiqués. Pour les autres sociétés animales, depuis un certain temps est apparue une critique mettant en doute les ressemblances, un peu projetées, qu’on avait établies, entre la soi-disant analogie des sociétés de fourmis et des sociétés humaines ; de sorte que, sur leur surmoi, nous ne pouvons dire grand-chose. L’homme est aussi un animal qui se sacrifie et il nous est impossible à nous, analystes, de le méconnaître, surtout que sur ce dernier point des équivoques sont apparues. Cette sorte de convergence que nous avons soulignée, entre l’achèvement du principe de réalité, d’objectalité et le sacrifice, c’est quelque chose qui n’est peut-être pas si simple que la théorie semble l’indiquer. Ce n’est pas une maturation de l’être, c’est beaucoup plus mystérieux. Il y a une convergence entre deux choses tout à fait distinctes : entre l’achèvement de la réalité et quelque chose qui paraît être l’extrême pointe de ce rapport entre l’homme et la mort, qui d’ailleurs peut être précisé phénoménologiquement parlant. Le sens de la vie de l’homme étant, dans son vécu, intriqué avec le sens de la mort, ce qui spécifie l’homme par rapport à l’instinct de mort c’est que l’homme est l’animal qui sait qu’il mourra, qu’il est un animal mortel.

Freud précisément, qui partait d’une formation, d’un esprit de biologiste et au contact même de l’expérience des malades, prononçait ces mots qui devaient lui retourner la plume : « l’instinct de mort est une chose dont nous devons tenir compte, qui me paraît faire une espèce d’irruption heureuse dans ce biologisme qui encombre trop ».

Nous touchons à tout instant à une sorte de distinction entre les ordres et les domaines, à ces structures qui sont essentielles. Je n’ai pas saisi, tout à l’heure, ce que voulait dire Loewenstein en terminant son rapport, lorsqu’il insistait pour que fussent distingués les mécanismes et les tendances. S’il voulait parler de la tendance que nous aurions à faire que tous les mécanismes ne soient que des tendances, pourquoi plutôt donner tout aux tendances ou tout aux mécanismes ? Si c’est simplement à cela qu’il a voulu se limiter, c’est tout à fait d’accord ; chacun sait combien, dans la doctrine analytique, les tendances ont toujours été une notion qui a prévalu sur les mécanismes, et dans beaucoup de cas il nous en reste de l’embarras. Mais s’il s’agit, phénoménologiquement, de faire le lien chronologique entre les mécanismes et les tendances, là je ne le suis plus. Mécanisme est un mot qui me semble laisser un doute, puisque, sous ce terme, il semblait citer d’autres choses que des mécanismes, des principes, et j’ai beaucoup goûté l’ironie de sa démonstration, suivant laquelle ces principes s’emboîtent et se déboîtent avec la plus grande facilité.

Donc, s’il s’agit d’apporter un peu de clarté dans cette discussion, je crois qu’elle peut être dans ce sens : investigation (752)psychogénétique, par conséquent évolutive et historique des structures et des formes, dans leurs rapports avec les tendances.

 

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