Intervention sur l’exposé de H. Baruk, « Des facteurs moraux en Psychiatrie. La personnalité morale chez les aliénés » parue dans lévolution Psychiatrique, 1939, fascicule II, pp. 32-33.

 

Exposé de H. Baruk […]

 

Discussion :

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(32)M. Lacan – Il me semble que M. Baruk ait été frappé d’une sorte de révélation par la découverte d’une dimension nouvelle, celle du psychisme, reconnue par lui dans les faits psychiatriques. Il a souligné l’importance du sentiment moral et de la dignité de la personne de l’Aliéné. Certes le contact moral a la plus décisive importance dans la compréhension du psychopathe. Mais pour nous donner des exemples des sentiments moraux, il est allé chercher des exemples de valeurs psychiques sous-jacents ou paradoxalement exprimés. Il a ainsi commis une confusion dont toute la portée vient de sa propre conception. Pour lui, en effet, qui oppose l’automatisme inférieur à la valeur morale supérieure, il ne peut que s’émerveiller de la présence d’éléments moraux dans les degrés les plus bas de l’automatisme. Par là est rendue cependant plus sensible sa confusion entre moral et psychique. Pour nous, résolument psychogénétistes, il est vrai que la structure morale est coextensive de toute activité psychique. Loin d’être une sorte de couronnement qui se placerait au sommet d’une hiérarchie architectonique des actions humaines, la moralité est à la source même de la vie instinctive, située très loin de la « raison pratique ». Mais (33)à cet égard M. Baruk a commis une confusion, je le répète, entre « valeurs de compréhension » et « valeur morale ». Ce qu’il nous a montré c’est, dans les formes dégradées de l’aliénation, des relations psychiques compréhensibles, pénétrables, échangeables entre le malade et autrui. Une pareille confusion se retrouve dans les vieilles conceptions d’Heinroth qui faisait dériver le trouble du péché. De l’échec d’une telle doctrine est née une erreur inverse, celle qui a consisté à nier toute valeur humaine à la folie. Les tendances nouvelles de la psychiatrie ont renouvelé avec Jaspers ce problème, en montrant qu’il existait dans l’esprit des Aliénés des « relations de compréhension psychiques », celles-là même qui ont paru admirables à M. Baruk. Lorsqu’il a essayé d’illustrer, par des exemples, ces relations, le conférencier s’est montré mal à l’aise quant à l’application du principe même de toute psychiatrie analytique, à savoir la différence qui sépare les contenus manifestes, des contenus latents. Un délire n’est pas interprétable par son contenu manifeste et l’analyse de son contenu latent exige que soit retrouvée la véritable dimension en profondeur de la réalité dont seule l’expression en surface est « donnée ». À ce sujet, entraîné peut-être par la faveur nouvelle dont de telles interprétations jouissent dans son esprit, M. Baruk nous a proposé, notamment à propos de « baudruche », une interprétation probablement trop sommaire. – Enfin, pour ce qui est de la conduite psychothérapique préconisée par le conférencier, psychothérapie à base de « philanthropie » et de « moyens moraux », il me permettra de lui dire qu’elle procède davantage de la bonne volonté que d’une véritable connaissance des ressorts de la vie affective. Pour jouer avec efficacité de ces mécanismes, c’est constamment au principe et à l’attitude d’autorité qu’il faut recourir, attitude à laquelle le Psychiatre ne peut renoncer sans cesser d’être un technicien.

 

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