« Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée » paru en 1945 dans les Cahiers d’art, 1940-1944 pp 32-42. Cette première version a été partiellement modifiée lors de sa seconde publication en 1966 dans les Écrits.

 

 

LE TEMPS LOGIQUE

ET L’ASSERTION

DE CERTITUDE ANTICIPÉE

Un nouveau sophisme

 

(32)UN PROBLÈME DE LOGIQUE

Le directeur de la prison fait comparaître trois détenus de choix et leur communique l’avis suivant :

« Pour des raisons que je n’ai pas à vous rapporter maintenant, messieurs, je dois libérer un d’entre vous. Pour décider lequel, j’en remets le sort à une épreuve que vous allez courir, s’il vous agrée. »

« Vous êtes trois ici présents. Voici cinq disques qui ne diffèrent que par leur couleur : trois sont blancs, et deux noirs. Sans lui faire connaître duquel j’aurai fait choix, je vais fixer à chacun de vous un de ces disques entre les deux épaules, c’est-à-dire hors de la portée directe de son regard, toute possibilité indirecte d’y atteindre par la vue étant également exclue par l’absence ici aucun moyen de se mirer. »

« Dès lors, tout loisir vous sera laissé de considérer vos compagnons et les disques dont chacun d’eux se montrera porteur, sans qu’il vous soit permis, bien entendu, de vous communiquer l’un à l’autre le résultat de votre inspection. Ce qu’au reste votre intérêt seul vous interdirait. Car c’est le premier à pouvoir en conclure sa propre couleur qui doit bénéficier de la mesure libératoire dont nous disposons. »

« Encore faudra-t-il que sa conclusion soit fondée sur des motifs de logique, et non seulement de probabilité. À cet effet, il est convenu que, dès que l’un d’entre vous sera prêt à en formuler une telle, il franchira cette porte afin que, pris à part, il soit jugé sur sa réponse. »

Ce propos accepté, on pare nos trois sujets chacun d’un disque blanc, sans utiliser les noirs, dont on ne disposait, rappelons-le, qu’au nombre de deux.

Comment les sujets peuvent-ils résoudre le problème ?

 

LA SOLUTION PARFAITE

Après s’être considérés entre eux un certain temps, les trois sujets font ensemble quelques pas qui les mènent de front à franchir la porte. Séparément, chacun fournit alors une réponse semblable qui s’exprime ainsi :

« Je suis un blanc, et voici comment je le sais. Étant donné que mes compagnons étaient des blancs, j’ai pensé que, si j’étais un noir, chacun d’eux eût pu en inférer ceci : « Si j’étais un noir moi aussi, l’autre, y devant reconnaître immédiatement qu’il est un blanc, serait sorti tout aussitôt, donc je ne suis pas un noir. ». Et tous deux seraient sortis ensemble, convaincus d’être des blancs. S’ils n’en faisaient rien, c’est que j’étais un blanc comme eux. Sur quoi, j’ai pris la porte, pour faire connaître ma conclusion. »

C’est ainsi que tous trois sont sortis simultanément, forts des mêmes raisons de conclure.

 

VALEUR SOPHISTIQUE

DE CETTE SOLUTION

Cette solution, qui se présente comme la plus parfaite que puisse comporter le problème, peut-elle être, atteinte à l’expérience ? Nous laissons à l’initiative de chacun le soin d’en décider.

Non certes que nous allions à conseiller d’en faire l’épreuve au naturel, encore que le progrès antinomique de notre époque semble depuis quelque temps en mettre les conditions à la portée d’un toujours plus grand nombre : nous craignons, en effet, bien qu’il ne soit ici prévu que des gagnants, que le fait ne s’écarte trop de la théorie, et par ailleurs nous ne sommes pas de ces récents philosophes pour qui la contrainte de quatre murs n’est qu’une faveur de plus pour le fin du fin de la liberté humaine.

Mais, pratiquée dans les conditions innocentes de la fiction, l’expérience ne décevra pas, nous nous en portons garant, ceux qui gardent quelque goût de s’étonner. Peut-être s’avérera-t-elle pour le psychologue de quelque valeur scientifique, du moins si nous faisons foi à ce qui nous a paru s’en dégager, pour l’avoir essayée sur divers groupes convenablement choisis d intellectuels qualifiés, d’une toute (34)[iconographie] (35)spéciale méconnaissance, chez ces sujets, de la réalité d’autrui.

Pour nous, nous ne voulons nous attacher ici qu’à la valeur logique de la solution présentée. Elle nous apparaît en effet comme un remarquable sophisme, au sens classique du mot, c’est-à-dire comme un exemple significatif pour résoudre les formes d’une fonction logique au moment historique où leur problème se présente à l’examen d’une tradition philosophique. Les images sinistres du récit s’y montreront certes toutes contingentes. Mais, pour peu que notre sophisme n’apparaisse pas dans notre temps sans répondre à quelque actualité profonde, ce n’est pas hasard, pensons-nous, qu’il en porte le signe en telles images, et c’est pourquoi nous lui en conservons le support, tel que l’hôte ingénieux d’un soir l’apporta à notre réflexion.

Nous appelons maintenant à notre aide l’attention de celui qui parfois se montre à tous sous l’habit du philosophe, qu’il faut plus souvent chercher ambigu dans les propos de l’humoriste, mais qu’on trouve toujours présent au plus secret de l’action du vrai politique : le bon logicien odieux au monde.

 

DISCUSSION DU SOPHISME

 

Tout sophisme se présente d’abord comme une erreur logique, et l’objection à celui-ci trouve facilement son premier argument. On appelle A le personnage qui vient conclure pour lui-même, B et C ceux sur la conduite desquels il établit sa déduction. Si la conviction de B, nous dira-t-on, se fonde sur l’expectative de C, l’assurance de celle-là doit logiquement se dissiper avec la levée de celle-ci ; réciproquement pour C par rapport à B ; et tous deux de rester dans l’indécision. Rien ne nécessite donc leur départ dans le cas où A serait un noir. D’où il résulte que A ne peut en déduire qu’il soit un blanc.

À quoi il faut répliquer d’abord que toute cette cogitation de B et de C leur est imputée à faux, puisque la situation qui seule pourrait la motiver chez eux de voir un noir n’est pas la vraie, et qu’il s’agit de savoir si cette situation étant supposée, son développement logique leur est imputé à tort. Or il n’en est rien. Car, dans cette hypothèse, c’est le fait qu’aucun des deux n’est parti le premier qui donne à chacun à se penser comme blanc, et il est clair qu’il suffirait qu’ils hésitassent un instant pour que chacun d’eux soit rassuré, sans doute possible, dans sa conviction d’être un blanc. Car l’hésitation est exclue logiquement pour quiconque verrait deux noirs. Mais elle aussi exclue en fait, dans cette première étape de la déduction, car, personne ne se trouvant réellement voir le couple d’un noir et d’un blanc, il n’est question que personne sorte en fait pour cette raison.

Mais l’objection se représente plus forte à la seconde étape de la déduction de A. Car, si c’est à bon droit qu’il est venu à sa conclusion qu’il est un blanc, en posant que, s’il était noir, les autres ne tarderaient pas à se savoir blancs et devraient sortir, voici qu’il lui faut en revenir, aussitôt l’a-t-il formée, puisqu’au moment d’être mû par elle, il voit les autres s’ébranler avec lui.

Avant d’y répondre, reposons bien les termes logiques du problème. A désigne chacun des sujets en tant qu’il est lui-même sur la sellette et se décide ou non à sur soi conclure. B et C ce sont les deux autres en tant qu’objets du raisonnement de A. Mais, si celui-ci peut leur imputer correctement, nous venons de le montrer, une cogitation en fait fausse, il ne saurait tenir compte que de leur comportement réel.

Si A, de voir B et C s’ébranler avec lui, revient à douter d’être par eux vu noir, il suffit qu’il repose la question, en s’arrêtant, pour la résoudre. Il les voit en effet s’arrêter aussi : car chacun étant réellement dans la même situation que lui, ou, pour mieux dire, chacun des sujets étant A en terme logique, en tant qu’il se décide ou non à sur soi conclure, rencontre le même doute au même moment que lui. Mais alors, quelque pensée que A impute à B et à C, c’est à bon droit qu’ il conclura à nouveau d’être soi-même un blanc. Car il pose derechef – que, s’il était un noir, B et C eussent dû poursuivre, – ou bien, s’il admet qu’ils hésitent, selon l’argument précédent qui trouve ici l’appui du fait et les ferait douter s’ils ne sont pas eux-mêmes des noirs, qu’à tout le moins devraient-ils repartir avant lui (puisqu’en étant noir il donne à leur hésitation même sa portée certaine pour qu’ils concluent d’être des blancs). Et c’est parce que, de le voir en fait blanc, ils n’en font rien, qu’il prend lui-même l’initiative de le faire, c’est-à-dire qu’ils repartent tous ensemble, pour déclarer qu’ils sont des blancs.

Mais l’on peut nous opposer encore qu’à lever ainsi l’obstacle nous n’avons pas pour autant réfuté l’objection logique, et qu’elle va se représenter la même avec la réitération du mouvement et reproduire chez chacun des sujets le même doute et le même arrêt.

Assurément, mais il faut bien qu’il y ait eu un progrès logique d’accompli. Pour la raison que cette fois A ne peut tirer de arrêt commun qu’une conclusion sans équivoque. C’est que, s’il était un noir, B et C n’eussent pas dû s’arrêter, absolument. Car au point présent il est exclu qu’ils puissent hésiter une seconde fois à conclure qu’ils sont des blancs : une seule hésitation, en effet, est suffisante à ce que l’un à l’autre ils se démontrent que certainement ni l’un ni l’autre ne sont des noirs. Si donc B et C se sont arrêtés, A ne peut être qu’un blanc. C’est-à-dire que les trois sujets sont cette fois confirmés dans une certitude, qui ne permet ni à l’objection ni au doute de renaître.

Le sophisme garde donc, à l’épreuve de la discussion, toute la rigueur contraignante d’un progrès logique, à la condition qu’on lui intègre la valeur des deux scansions suspensives, que cette épreuve montre le vérifier dans l’acte même où chacun des sujets manifeste qu’il l’a mené à sa conclusion.

 

(36)VALEUR DES SCANSIONS SUSPENSIVES MANIFESTEES,

Est-il justifié d’intégrer à la valeur du sophisme les deux scansions suspensives ainsi apparues ? Pour en décider, il faut examiner quelle est leur fonction, par rapport au progrès logique, dans la solution du problème.

Elles ne jouent leur rôle, en effet, qu’après la conclusion du progrès logique, puisque l’acte qu’elles suspendent manifeste cette conclusion même. Peut-on donc objecter de là qu’elles apportent dans la solution un élément externe au progrès logique lui-même ?

Il est patent que ce rôle est celui d’une vérification cruciale dans la conclusion de ce progrès. Est-ce à dire qu’il est tel que celui d’une donnée d’expérience contrôlant une hypothèse scientifique, ou bien d’un fait tranchant une ambiguïté logique irréductible, et qu’en dernière analyse les données du problème se décomposeraient ainsi :

1° trois combinaisons sont logiquement possibles des attributs caractéristiques des sujets : deux noirs, un blanc, – un noir, deux blancs, – trois blancs. La première étant exclue par l’observation de tous, une inconnue reste ouverte entre les deux autre, que vient résoudre :

2° la donnée de fait ou d’expérience des scansions suspensives, qui équivaudrait à un signal par où les sujets se communiqueraient l’un à l’autre, sous une forme déterminée par les conditions de l’épreuve, ce qu’il leur interdit d’échanger sous une forme intentionnelle : à savoir ce qu’ils voient l’un de l’attribut de l’autre ?

Non, car ce serait là donner du progrès logique en question une conception spatialisée, celle-là même qui transparaît chaque fois qu il prend l’aspect de l’erreur logique et qui ne rend compte en aucun cas de la solubilité du problème.

C’est justement parce que notre sophisme ne la tolère pas, qu’il se présente comme une aporie pour les formes de la logique classique, dont le prestige « éternel » reflète cette infirmité non moins reconnue pour être la leur[1] : à savoir qu’elles n’apportent jamais rien qui ne puisse déjà être vu d’un seul coup.

Tout au contraire, la fonction des phénomènes ici en litige ne peut être reconnue que dans une intuition temporelle, et non spatiale du progrès logique que les scansions suspensives dénoncent, ce n’est pas ce que les sujets voient, c’est ce qu’ils ont trouvé qu’ils cherchent et, en dernier ressort, positivement ce qu’ils ne voient pas : à savoir l’aspect des disques noirs. Ce par quoi elles signifient, ce n’est pas par leur mouvement, mais par leur temps d’arrêt. Leur valeur cruciale n’est pas celle d’une discrimination contradictoire entre deux combinaisons juxtaposées comme des objets inertes[2], et dépareillées par l’exclusion visuelle de la troisième, – mais de la vérification historiquement déterminée d’un mouvement logique dans lequel le sujet a organisé les trois combinaisons possibles en trois temps de possibilité.

C’est pourquoi aussi, tandis qu’un seul signal devrait suffire pour la seule discrimination ; qu’impose la première interprétation erronée, deux scansions sont nécessaires pour la vérification des deux laps qu’implique la seconde et seule valable.

Loin, en effet, d’apporter une donnée d’expérience externe au progrès logique, les scansions suspensives ne représentent rien que les instances du temps intégrées dans le progrès logique, enregistrées dans la conclusion et qui se déroulent en une véritable expérience logique pour le vérifier. Comme on le voit dans leur détermination logique qui, objection du logicien ou doute du sujet, se révèle à chaque fois comme dérobement mental d’une instance du temps, ou pour mieux dire, comme sa désintégration logique d’un progrès qui se dégrade à chaque fois en exigences formelles. Comme on le voit encore à ceci que les scansions, pour jouer leur rôle de vérifications, doivent êtes synchrones entre les trois sujets, et ceci dès le départ, c’est-à-dire exprimer la réciprocité logique des sujets.

Ces instances du temps intégrées au progrès logique du sophisme permettent de reconnaître en celui-ci un véritable mouvement logique ; elles y montre en effet des fonctions proprement logiques qui font son originalité et que nous allons maintenant examiner dans ce mouvement même qu’elles constituent.

 

LA MODULATION DU TEMPS DANS LE MOUVEMENT LOGIQUE : L’INSTANT DU REGARD, LE TEMPS POUR COMPRENDRE ET LE MOMENT DE CONCLURE.

Il s’isole dans le sophisme trois moments de l’évidence, dont les valeurs logiques se révéleront différentes et d’ordre croissant. En exposer la succession (37)chronologique, c’est encore les spatialiser selon un formalisme qui tend à réduire le discours à un alignement de signes. Montrer que l’instance du temps se présente sous un mode différent en chacun de ces moments, c’est préserver leur hiérarchie en y révélant un. discontinuité tonale, essentielle à leur valeur. Mais saisir dans la modulation du temps la fonction même par où chacun de ces moments, dans le passage au suivant, s’y résorbe, seul subsistant le dernier qui les absorbe ; c’est restituer leur succession réelle et comprendre vraiment leur genèse dans le mouvement logique C’est ce que nous allons tenter à partir d’une formulation, aussi rigoureuse que possible, de ces moments de l’évidence.

 

1°. À être en face de deux noirs, on sait qu’on est un blanc.

C’est là une exclusion logique qui donne sa base au mouvement. Qu’elle lui soit antérieure, qu’on la puisse tenir pour acquise par les sujets avec les données du problème, lesquelles interdisent la combinaison de trois noirs, est indépendant de la contingence dramatique qui isole leur énoncé en prologue. À l’exprimer sous la forme deux noirs : un blanc, on voit la valeur instantanée de son évidence, et son temps de fulguration, si l’on peut dire, serait égal à zéro.

Mais sa formulation au départ déjà se module :

– par la subjectivation qui s’y dessine, encore qu’impersonnelle sous la forme de l’ « on sait que… », – et par la conjonction des propositions qui, plutôt qu’elle n’est une hypothèse formelle, en représente une matrice encore indéterminée, disons cette forme de conséquence que les linguistes désignent sous les terme ; de la prothase et de l’apodose : « À être…, alors seulement on sait qu’on est… »

Une instance du temps creuse l’intervalle pour qui le donné de la prothase, « en face de deux noirs », se mue en la donnée de l’apodose, « on est un blanc » il y faut l’instant du regard. Dans l’équivalence logique des deux termes : « Deux noirs : un blanc », cette modulation du temps introduit la forme qui, dans le second moment, se cristallise en hypothèse authentique, car elle va viser la réelle inconnue du problème, à savoir l’attribut ignoré du sujet lui-même. Dans ce passage, le sujet rencontre la suivante combinaison logique, et, seul à pouvoir y assumer l’attribut du noir, vient, dans la première phase du mouvement logique, à formuler ainsi l’évidence suivante :

 

Si j’étais un noir, les deux blancs que je vois ne tarderaient pas à se reconnaître pour être des blancs.

C’est là une intuition par où le sujet objective quelque chose de plus que les données de fait dont l’aspect lui est offert dans les deux blancs ; c’est un certain temps qui se définit (aux deux sens de prendre son sens et de trouver sa limite) par sa fin, à la fois but et terme, à savoir pour chacun des deux blancs le temps pour comprendre, dans la situation de voir un blanc et un noir, qu’il tient dans l’inertie de son semblable la clef de son propre problème. L’évidence de ce moment suppose la durée d’un temps de méditation que chacun des deux blancs doit constater chez l’autre et que le sujet manifeste dans les termes qu’il attache aux lèvres de l’un et de l’autre, comme s’ils étaient inscrits sur une banderole : « Si j’étais un noir, il serait sorti sans attendre un instant. S’il reste à méditer, c’est que je suis un blanc. »

Mais, ce temps ainsi objectivé dans son sens, comment mesurer sa limite ? Le temps pour comprendre peut se réduire à l’instant du regard, mais ce regard dans son instant peut inclure tout le temps qu’il faut pour comprendre. Ainsi, l’objectivité de ce temps vacille avec sa limite. Seul subsiste son sens avec la forme qu’il engendre de sujets indéfinis sauf par leur réciprocité, et dont l’action est suspendue par une causalité mutuelle à un temps qui se dérobe sous le retour même de l’intuition qu’il a objectivée. C’est par cette modulation du temps que s’ouvre, avec la seconde phase du mouvement logique, la. Voie qui mène à l’évidence suivante :

Je me hâte de m’affirmer pour être un blanc, pour que ces blancs, par moi ainsi considérés, ne me devancent pas à se reconnaître pour ce qu’ils sont.

C’est là l’assertion sur soi, par où le sujet conclut le mouvement logique dans la décision d’un jugement. Le retour même du mouvement de comprendre, sous lequel a vacillé l’instance du temps qui le soutient objectivement, se poursuit chez le sujet en une réflexion, où cette instance ressurgit pour lui sous le mode subjectif d’un temps de retard sur les autres dans ce mouvement même, et se présente logiquement comme l’urgence du moment de conclure. Plus exactement, son évidence se révèle dans la pénombre subjective, comme l’illumination croissante d’une frange à la limite de l’éclipse que subit sous la réflexion l’objectivité du temps pour comprendre.

Ce temps, en effet, pour que les deux blancs comprennent la situation qui les met en présence d’un blanc et d’un noir, il apparaît au sujet qu’il ne diffère pas logiquement du temps qu’il lui a fallu pour la comprendre lui-même, puisque cette situation n’est autre que sa propre hypothèse. Mais, si cette hypothèse est vraie, les deux blancs voient réellement un noir, ils n’ont donc pas eu à en supposer la donnée. Il en résulte donc que, si le cas est tel, les deux blancs le devancent du temps de battement qu’implique à son détriment d’avoir eu à former cette hypothèse même. C’est donc le moment de conclure qu’il est blanc ; s’il se laisse en effet devancer dans cette conclusion par ses semblables, il ne pourra plus reconnaître s’il n’est pas un noir. Passé le temps pour comprendre le moment de conclure, c’est le moment de conclure le temps pour comprendre. Car autrement ce temps perdrait son sens. Ce n’est donc pas en raison de quelque contingence dramatique, gravité de, l’enjeu, ou émulation du jeu, que le temps presse ; c’est sous l’urgence du mouvement logique que le sujet précipite à la fois son jugement et son départ, le sens étymologique du verbe, la tête en avant, donnant la modulation où la tension du temps se renverse en la tendance à l’acte qui manifeste aux autres que le sujet a conclu. Mais arrêtons-nous en ce point où le sujet dans son assertion atteint une vérité qui va être soumise à (38)l’épreuve du doute, mais qu’il ne saurait vérifier s’il ne l’atteignait pas d’abord dans la certitude. La tension temporelle y culmine, puisque, nous le savons déjà, c’est le déroulement de sa détente qui va scander l’épreuve de sa nécessité logique. Quelle est la valeur logique de cette assertion conclusive ? C’est ce que nous allons tenter maintenant de mettre en valeur dans l’expérience logique où elle se vérifie.

 

LA TENSION DU TEMPS DANS L’ASSERTION

SUBJECTIVE ET SA VALEUR MANIFESTÉE

DANS L’EXPÉRIENCE LOGIQUE

 

La valeur logique du troisième moment de l’évidence, qui se formule dans l’assertion par où le sujet conclut son mouvement logique, nous paraît digne d’être approfondie. Elle révèle en effet une forme propre à une logique assertive, dont il faut démontrer à quelles relations originales elle s’applique.

Progressant sur les relations propositionnelles des deux premiers moments, apodose et hypothèse, la conjonction ici manifestée se noue en une motivation de la conclusion, « pour qu’il n’y ait pas » de retard qui engendre l’erreur), où semble affleurer la-forme ontologique de l’angoisse, curieusement reflétée dans l’expression grammaticale équivalente, « de peur que » (le retard n’engendre l’erreur)…

Sans doute cette forme est-elle en relation avec l’originalité logique du sujet de l’assertion : en raison de quoi nous la caractérisons comme assertion subjective, à savoir que le sujet logique n’y est autre que la forme personnelle du sujet de la connaissance, celui qui ne peut être exprimé que par « je ». Autrement dit, le jugement qui conclut le sophisme ne peut être porté que par le sujet qui en a formé l’assertion sur soi, et ne peut sans réserve lui être imputé par quelque autre, – au contraire des relations du sujet impersonnel et du sujet indéfini réciproque des deux premiers moments qui sont essentiellement transitives, puisque le sujet personnel du mouvement logique les assume à chacun de ces moments.

La référence à ces deux sujets manifeste bien la valeur logique du sujet de l’assertion. Le premier, qui s’exprime dans l’ « on » de l’ « on sait que… », ne donne que la forme générale du sujet noétique : il peut être aussi bien dieu, table ou cuvette. Le second, qui s’exprime dans « les deux blancs » qui doivent « l’un l’autre se » reconnaître, introduit la forme de l’autre en tant que tel, c’est-à-dire comme pure réciprocité, puisque l’un ne se reconnaît que dans l’autre et ne découvre l’attribut qui est le sien que dans l’aliénation de son temps propre. Le « je », sujet de l’assertion conclusive, se définit par un battement de temps logique d’avec l’autre, c’est-à-dire d’avec la relation de réciprocité. Ce mouvement de genèse logique du « je » par une désaliénation de son temps logique propre est singulièrement calqué sur sa naissance psychologique. De même que, pour le rappeler en effet, le « je psychologique » se dégage d’un transitivisme spectaculaire indéterminé par le sentiment primordial d’une tendance propre comme jalousie, le « je » dont il s’agit ici se définit par la subjectivation d’une concurrence avec l’autre dans la fonction du temps logique. Il nous paraît comme tel donner la forme logique essentielle (bien plutôt que la forme dite existentielle) du « je » psychologique[3].

 

Ce qui manifeste bien la valeur essentiellement subjective (« assertive » dans notre terminologie) de la conclusion du sophisme c’est l’indétermination où sera tenu un observateur (le directeur de la prison qui surveille le jeu, par exemple), devant le départ des trois sujets, pour affirmer d’aucun s’il a conclu juste quant à l’attribut dont il est porteur. Le sujet, en effet, a saisi le moment de conclure qu’il est un blanc sous l’évidence subjective d’un temps de retard qui précipite l’acte de son départ : mais, s’il n’a pas saisi ce moment, il n’en précipite moins cet acte sous l’évidence objective du départ des autres, et du même pas qu’eux sort-il, seulement assuré d’être un noir. Tout ce que l’observateur peut prévoir, c’est que, s’il y a un sujet qui doit déclarer à l’enquête être un noir pour s’être hâté à la suite des deux autres, il sera le seul à se déclarer tel pour ce motif.

 

Enfin, le jugement assertif se manifeste ici par un acte. La pensée moderne a montré que tout jugement est essentiellement un acte, et les contingences dramatiques ne font ici qu’isoler cet acte dans le geste du départ des sujets. On pourrait imaginer d’autres modes d’expression à l’acte de conclure. Ce qui fait la singularité de l’acte de conclure dans l’assertion subjective démontrée par le sophisme, c’est qu’il anticipe sur sa certitude, en raison de la tension temporelle dont il est chargé subjectivement, et qu’à condition de cette anticipation même, sa certitude se vérifie dans une expérience logique que détermine la décharge de cette tension, pour qu’enfin la conclusion ne se fonde plus que sur des instances temporelle toutes objectivées, et que l’assertion se désubjective au plus bas degré. Comme le démontre ce qui suit.

 

D’abord reparaît le temps objectif de l’intuition initiale du mouvement qui, comme aspiré entre l’instant de son début et la précipitation de sa fin avait paru éclater comme une bulle. Sous le coup du doute qui exfolie la certitude subjective du moment de conclure, voici qu’il se condense comme un noyau dans l’intervalle de la première scansion suspensive et qu’il manifeste au sujet sa limite dans le temps pour comprendre qu’est passé pour les deux autres l’instant du regard et qu’est revenu le moment de conclure.

Assurément, si le doute, depuis Descartes, est intégré à (39)[iconographie] (40)[iconographie] (41)la valeur du jugement, il faut remarquer que, pour forme d’assertion ici étudiée avec l’expérience qu’elle engendre, cette valeur tient moins au doute provisoire qui la suspend qu’à la certitude anticipée qui la soutient.

Mais, pour comprendre la fonction de cette première détente temporelle quant à la certitude subjective de l’assertion, voyons ce que vaut objectivement cette première scansion pour l’observateur que nous avons déjà mis en jeu, à propos de l’un quelconque des sujets. Rien de plus que ceci : c’est que ce sujet, s’il était impossible jusque-là de juger dans quel sens il avait conclu, manifeste une incertitude de sa conclusion, mais qu’il l’aura certainement confortée si elle était correcte peut-être rectifiée si elle était erronée.

Si, en effet, subjectivement, il a su prendre les devants et s’il s’arrête, c’est qu’il s’est pris à douter s’il a bien saisi le moment de conclure qu’il était un blanc, mais il va le ressaisir aussitôt, puisque déjà il en a fait l’expérience subjective. Si, au contraire, il a laissé les autres le devancer et ainsi fonder en lui la conclusion qu’il est un noir, il ne peut douter d’avoir bien saisi le moment de conclure, précisément parce qu’il ne l’a pas saisi subjectivement (et en effet il pourrait même trouver dans la nouvelle initiative des autres la confirmation logique de ce qu’il se croit d’eux dissemblable). Mais, s’il s’arrête, c’est qu’il subordonne sa propre conclusion si étroitement à ce qui manifeste la conclusion des autres, qu’il la suspend aussitôt quand ils paraissent suspendre la leur, donc qu’il met en doute qu’il soit un noir, jusqu’à ce qu’ils lui montrent à nouveau la voie ou que lui-même la découvre, selon quoi il conclura cette fois soit d’être un noir, soit d’être un blanc : peut-être faux, peut-être juste, point qui reste impénétrable à tout autre qu’à lui-même.

 

Mais l’expérience logique se poursuit vers la seconde scansion suspensive. Chacun des sujets, s’il a ressaisi le certitude subjective du moment de conclure, peut à nouveau la mettre en doute. Mais elle est maintenant soutenue par l’objectivation une fois faite du temps pour comprendre, et sa mise en doute ne durera que l’instant du regard, car le seul fait que l’hésitation apparue chez les autres soit la seconde, suffit à lever la sienne, aussitôt qu’aperçue, puisqu’elle lui indique immédiatement qu’il n’est certainement pas un noir.

Ici, le temps subjectif du moment de conclure s’objective enfin. Comme le prouve ceci que, même si l’un quelconque des sujets ne l’avait pas saisi encore, il s’impose à lui pourtant maintenant ; le sujet, en effet, qui aurait conclu la première scansion en prenant la suite des deux autres, convaincu par là d’être un noir, serait en effet, de par la présente et seconde scansion, contraint de renverser son jugement.

Ainsi l’assertion qui conclut le sophisme vient, dirons-nous, à la fin de l’expérience logique des deux scansions dans l’acte de sortir, à se désubjectiver au plus bas. Comme le manifeste ceci que notre observateur, s’il les a constatées synchrones chez les trois sujets, ne peut douter d’aucun d’entre eux qu’il ne doive à l’enquête se déclarer pour être un blanc.

Enfin, l’on peut remarquer qu’à ce même moment, si tout sujet peut, à l’enquête, exprimer la certitude qu’il a enfin vérifiée, par l’assertion subjective qui la lui a donnée en conclusion du sophisme, à savoir en ces termes : « Je me suis hâté de conclure que j’étais un blanc, parce qu’autrement ils devaient me devancer à se reconnaître réciproquement pour des blancs (et que, si je leur en avais laissé le temps, ils m’auraient, par cela même qui eût été mon fait, plongé dans l’erreur) », ce même sujet peut aussi exprimer cette même certitude par sa vérification désubjectivée au plus bas par l’expérience logique, à savoir en ces termes : « On doit savoir qu’on est un blanc, quand les autres ont hésité deux fois à sortir ». Conclusion qui, sous sa première forme, peut être avancée comme véritable par le sujet, dès qu’il a achevé le mouvement logique du sophisme, mais ne peut comme telle être assumée que par ce sujet personnellement, – mais qui, sous sa seconde forme, exige que tous les sujets aient consommé l’expérience logique qui vérifie le sophisme, mais est applicable par quiconque à chacun d’entre eux. N’étant pas même exclu que l’un des sujets, mais un seul, y parvienne, sans avoir achevé le mouvement logique du sophisme et pour avoir seulement suivi sa vérification manifestée chez les deux autres sujets.

 

LA VÉRITÉ DU SOPHISME COMME RÉFÉRENCE

TEMPORALISÉE DE SOI À L’AUTRE

L’ASSERTION SUBJECTIVE ANTICIPANTE

COMME FORME FONDAMENTALE D’UNE

LOGIQUE COLLECTIVE.

 

Ainsi, la vérité du sophisme ne vient à être vérifiée que parce qu’elle est d’abord, si l’on peut dire, présumée par anticipation dans l’assertion qui le conclut. Elle se révèle ainsi dépendre d’une tendance qui la vise, notion qui serait un paradoxe logique, si elle ne se réduisait à la tension temporelle qui détermine le moment de conclure.

Ainsi, la vérité se manifeste dans cette forme comme devançant l’erreur et s’avançant seule dans l’acte qui engendre sa certitude ; inversement, l’erreur comme se confirmant de son inertie, et se redressant mal à suivre l’initiative conquérante de la vérité.

Mais à quelle sorte de relation répond une telle forme logique ? À une forme d’objectivation qu’elle engendre dans son mouvement, c’est à savoir à la référence d’un « je » à la commune mesure du sujet réciproque, ou encore : des autres en tant que tel, soit : en tant qu’ils sont autres les uns pour les autres. Cette commune mesure est donnée par un certain temps pour comprendre, qui se révèle comme une fonction essentielle de la relation logique de réciprocité. Cette référence du « je » aux autres en tant que tels doit, dans chaque moment critique, être temporalité, pour dialectiquement réduire le moment de conclure (42)le temps pour comprendre à durer aussi peu que l’instant du regard.

Il n’est que de donner au terme logique des autres la moindre relativité hétérogène, pour que cette forme manifeste combien la vérité pour tous dépend de la rigueur de chacun, et même que la vérité, à être atteinte seulement par les uns, peut engendrer, sinon confirmer, l’erreur chez les autres. Et encore ceci que, si dans cette course à la vérité, on n’est que seul, si, l’on n’est tous, à toucher au vrai, aucun n’y touche pourtant sinon par les autres.

Assurément, ces formes trouvent facilement leur application dans la pratique à une table de bridge ou à une conférence diplomatique, voire dans la manœuvre du « complexe » en pratique psychanalytique.

Mais nous voudrions indiquer leur apport à la notion logique de collectivité.

Tres faciunt collegium, dit l’adage, et la collectivité est déjà intégralement représentée dans la forme du sophisme, puisqu’elle se définit comme un groupe formé par les relations réciproques d’un nombre défini d’individus, au contraire de la généralité, qui se définit comme une classe comprenant abstraitement un nombre indéfini d’individus.

Mais il suffit de développer par récurrence la démonstration du sophisme pour voir qu’il peut s’appliquer logiquement à un nombre illimité de sujets, étant posé que l’attribut « négatif » ne peut intervenir qu’en un nombre égal au nombre des sujets moins un[4]. Mais l’objectivation temporelle est plus difficile à concevoir à mesure que la collectivité s’accroît, semblant faire obstacle à une logique collective. dont on puisse compléter la logique classique.

Nous montrerons pourtant quelle réponse une telle logique devrait apporter à l’inadéquation qu’on ressent d’une affirmation telle que « Je suis un homme », à quelque forme que ce soit de la logique classique, qu’on la porte en conclusion de telles prémisses que l’on voudra. (« L’homme est un animal raisonnable »… etc.)

Assurément plus près de sa valeur logique apparaîtrait-elle présentée en conclusion de la forme ici démontrée de l’assertion subjective anticipante, à savoir comme suit :

1 ° Un homme sait ce qui n’est pas un homme ;

2° Les hommes se reconnaissent entre eux pour être des hommes ;

3° Je m’affirme être un homme, de peur d’être convaincu par les hommes de n’être pas un homme.

Mouvement qui donne la forme logique de toute assimilation « humaine », en tant précisément qu’elle se pose comme assimilatrice d’une barbarie, et qui pourtant réserve l’indétermination existentielle du « je »…[5]

 

Dr. J Jacques LACAN.

 



[1] Et non moins celle des esprits forma par cette tradition, comme en témoigne le billet suivant que nous reçûmes d’un esprit pourtant aventureux en d’autres domaines, après une soirée où la discussion de notre fécond sophisme avait provoqué dans les esprits choisis d’un collège intime une véritable panique confusionnelle. Encore, malgré ses premiers mots, ce billet porte-t-il les traces d’une laborieuse mise au point. « Mon cher L…, ce mot en hâte pour diriger votre réflexion sur une nouvelle difficulté : à vrai dire, le raisonnement admis hier n’est pas concluant, car aucun des trois états possibles : ooo – oo· –o·· n’est réductible à l’autre (malgré les apparences) : il n’y a que le dernier qui soit décisif. Conséquence : quand A se suppose noir, ni B ni C ne peuvent sortir, cils ne peuvent déduire de leur comportement s’ils sont noirs ou blancs : car, si l’un est noir, l’autre sort, et, s’il est blanc, l’autre sort aussi, puisque le premier ne sort pas (et réciproquement). Si A se suppose blanc, ils ne peuvent non plus sortir. De sorte que, là encore, A ne peut déduire du comportement des autres la couleur de son disque ». Ainsi, notre contradicteur, pour trop bien voir le cas, restait-il aveugle à ceci que ce n’est pas le départ des autres, mais leur attente, qui détermine le jugement du sujet. Et pour nous réfuter en effet avec quelque hâte, laissait-il lui échapper ce que nous tentons de démontrer ici la fonction de la hâte en logique.

[2] « irréductibles », comme s’exprime le contradicteur cité dans note ci-dessus.

[3] Ainsi !e « je », tierce forme du sujet de la connaissance dans la logique, y est encore la « première personne », mais aussi la seule et la dernière. Car la deuxième personne grammaticale ne nous paraît pouvoir être vidée de toute relativité psychologique. Pour la troisième et prétendue personne grammaticale, c’est un démonstratif, également applicable aux personnes et aux objets pour les particulariser dans une situation.

[4] En voici l’exemple pour quatre sujets, quatre disques blancs, trois disques noirs. A pense que, s’il était un noir, l’un quelconque de B, C, D pourrait penser des deux autres que, si lui-mène était noir, ceux-ci ne tarderaient pas à savoir qu’ils sont des blancs. L’un quelconque de B, C, D devrait donc en conclure rapidement qu’il est lui-même blanc, ce qui n’apparaît pas. Lors A se rendant compte que, s’ils le voient lui noir, B, C, D ont sur lui l’avantage de n’avoir pas à en faire la supposition, se hâte de conclure qu’il est un blanc.

Mais sortent-ils pas tous en même temps que lui ? A dans le doute, s’arrête, et tous aussi. Mais, si tous aussi s’arrêtent, qu’est-ce à dire ? Ou bien c’est qu’ils s’arrêtent en proie au même doute que A, et A peut-être reprendre sa course sans souci. Ou bien c’est que A est noir, et que l’un quelconque de B, C, D est venu à douter si le départ des deux autres ne signifierait pas qu’il est un noir, aussi bien à penser que, s’ils s’arrêtent, ce n’est pas pour autant qu’il soit lui-même blanc, puisque l’un ou l’autre peut encore douter un instant s’il n’est pas un noir ; encore peut-il poser qu’ils devraient tous les deux repartir avant lui s’il est lui-même un noir, et repartir lui-même de cette attente vaine, assuré d’être ce qu’il est, c’est-à-dire blanc. Que B, C, D donc ne le font-ils ? Car alors je le fais, dit A. Tous repartent alors.

Second arrêt. En admettant que je sois noir, se dit A, l’un quelconque de B, C, D doit maintenant être fixé sur ceci qu’il ne saurait imputer aux deux autres une nouvelle hésitation, s’il était noir ; qu’il est donc blanc.

B,C, D doivent donc repartir avant lui. Faute de quoi A repart, et tous avec lui.

Troisième arrêt. Mais tous doivent savoir désormais dès lors qu’ils sont des blancs si j’étais vraiment noir, se dit A. Si donc, ils s’arrêtent…

Et la certitude est vérifiée en trois scansions suspensives.

[5] Fragment d’un Essai d’une logique collective.