« Propos sur la causalité psychique » fut prononcé aux Journées Psychiatriques à Bonneval le 28 septembre 1946 et paru dans l’évolution psychiatrique, 1947, fascicule I, pp 123-165 (sans l’allocution de clôture). Cette première version est ici proposée.

 

(123)première partie

 

CRITIQUE D’UNE THÉORIE ORGANICISTE

DE LA FOLIE, L’ORGANO-DYNAMISME D’HENRI EY

 

Invité par notre hôte[1] il y a déjà trois ans à m’expliquer devant vous sur la causalité psychique, je suis mis dans une position double. Je suis appelé à formuler une position radicale du problème : celle qu’on suppose être la mienne et qui l’est en effet. Et je dois le faire dans un débat parvenu à un degré d’élaboration où je n’ai point concouru. Je pense répondre à votre attente en visant sur ces deux faces à être direct, sans que personne puisse exiger que je sois complet.

Je me suis éloigné pendant plusieurs années de tout propos de m’exprimer. L’humiliation de notre temps, sous les ennemis de l’être humain, m’en détournait, et je me suis abandonné après Fontenelle à ce fantasme d’avoir la main pleine de vérités pour mieux (124)la refermer sur elles. J’en confesse le ridicule, parce qu’il marque les limites d’un être au moment où il va porter témoignage. Faut-il dénoncer là quelque défaillance à ce qu’exige de nous le mouvement du monde, si de nouveau me fut proposée la parole, au moment même où s’avéra pour les moins clairvoyants qu’une fois encore l’infatuation de la puissance n’avait fait que servir la ruse de la Raison ? Je vous laisse de juger ce qu’en peut pâtir ma recherche.

Du moins ne pensé-je point manquer aux exigences de la vérité, en me réjouissant qu’ici elle puisse être défendue dans les formes courtoises d’un tournoi de la parole.

C’est pourquoi je m’inclinerai d’abord devant un effort de pensée et d’enseignement qui est l’honneur d’une vie et le fondement d’une œuvre, et si je rappelle à notre ami Henri Ey que par nos soutenances théoriques premières, nous sommes entrés ensemble du même côté de la lice, ce n’est pas seulement pour m’étonner de nous retrouver si opposés aujourd’hui.

À vrai dire, dès la publication, dans l’Encéphale de 1936, de son beau travail en collaboration avec notre cher julien Rouart, l’Essai d’application des principes de Jackson à une conception dynamique de la neuro-psychiatrie, je constatais – mon exemplaire en porte la trace d’un crayon multicolore dont le hasard m’a privé depuis – tout ce qui le rapprochait et devait la rendre toujours plus proche d’une doctrine du trouble mental que je crois incomplète et fausse et qui se désigne elle-même en psychiatrie sous le nom d’organicisme.

En toute rigueur l’organo-dynamisme de Henri Ey s’inclut valablement dans cette doctrine par le seul fait qu’il ne peut rapporter la genèse du trouble mental en tant que tel, qu’il soit fonctionnel ou lésionnel dans sa nature, global ou partiel dans sa manifestation, et aussi dynamique qu’on le suppose dans son ressort, à rien d’autre qu’au jeu des appareils constitués dans l’étendue intérieure au tégument du corps. Le point crucial, à mon point de vue, est que ce jeu, aussi énergétique et intégrant qu’on le conçoive, repose toujours en dernière analyse sur une interaction moléculaire dans le mode de l’étendue « partes extra partes » où se construit la physique classique, je veux dire dans ce mode, qui permet d’exprimer cette interaction sous la forme d’un rapport de fonction à variable, lequel constitue son déterminisme.

(125)L’organicisme va s’enrichissant des conceptions mécanistes aux dynamistes et même aux gestaltistes, et la conception empruntée par Henri Ey à Jackson prête, certes à cet enrichissement, à quoi sa discussion même a contribué : il ne sort pas des limites que je viens de définir ; et c’est ce qui, de mon point de vue, rend sa différence négligeable avec la position de mon maître Clérambault ou de Mr. Guiraud, – étant précisé que la position de ces deux auteurs a révélé une valeur psychiatrique qui me paraît la moins négligeable, on verra en quel sens.

De toute façon, Henri Ey ne peut répudier ce cadre où je l’enferme. Fondé sur une référence cartésienne qu’il a certainement reconnue et dont je le prie de bien ressaisir le sens, ce cadre ne désigne rien d’autre que ce recours à l’évidence de la réalité physique, qui vaut pour lui comme pour nous tous depuis que Descartes l’a fondée sur la notion de l’étendue. Les « fonctions énergétiques », aux termes de Henri Ey, n’y rentrent pas moins que « les fonctions instrumentales[2] », puisqu’il écrit « qu’il y a non seulement possibilité mais nécessité de rechercher les conditions chimiques anatomiques, etc., du processus « cérébral générateur, spécifique de la maladie » mentale, ou encore « les lésions qui affaiblissent les processus énergétiques nécessaires au déploiement des fonctions psychiques ».

Ceci va de soi au reste, et je ne fais ici que poser en manière liminaire la frontière que j’entends mettre entre nous.

Ceci posé, je m’attacherai d’abord à une critique de l’organo-dynamisme de Henri Ey, non pour dire que sa conception ne puisse se soutenir, comme notre présence à tous ici le prouve suffisamment, mais pour démontrer dans l’explicitation authentique qu’elle doit tant à la rigueur intellectuelle de son auteur qu’à la qualité dialectique de vos débats, qu’elle n’a pas les caractères de l’idée vraie.

On s’étonnera peut-être que je passe outre à ce tabou philosophique qui frappe la notion du vrai dans l’épistémologie scientifique, (126)depuis que s’y sont diffusées les thèses spéculatives dites pragmatistes. C’est que vous verrez que la question de la vérité conditionne dans son essence le phénomène de la folie, et qu’à vouloir l’éviter, on châtre ce phénomène de la signification par où je pense vous montrer qu’il tient à l’être même de l’homme.

Pour l’usage critique que j’en ferai à l’instant je resterai près de Descartes en posant la notion du vrai sous la forme célèbre que lui a donnée Spinoza : Idea vera debet cum suo ideato convenire. Une idée vraie doit (l’accent est sur ce mot qui a le sens de : c’est sa nécessité propre), doit être en accord avec ce qui est idée par elle.

La doctrine de Henri Ey fait la preuve du contraire, en ceci qu’à mesure de son développement elle présente une contradiction croissante avec son problème originel et permanent.

Ce problème dont c’est le mérite éclatant d’Henri Ey que d’en avoir senti et assumé la portée, c’est celui qui s’inscrit encore aux titres que portent ses productions les plus récentes : le problème des limites de la neurologie et de la psychiatrie, – qui certes n’aurait pas plus d’importance que concernant toute autre spécialité médicale, s’il n’engageait l’originalité propre à l’objet de notre expérience. J’ai nommé la folie : comme je loue Ey d’en maintenir obstinément le terme, avec tout ce qu’il peut présenter de suspect par son antique relent de sacré à ceux qui voudraient le réduire de quelque façon à l’omnitudo realitatis.

Pour parler en termes concrets, y a-t-il rien qui distingue l’aliéné des autres malades, si ce n’est qu’on l’enferme dans un asile, alors qu’on les hospitalise ? Ou encore l’originalité de notre objet est-elle de pratique – sociale – ou de raison – scientifique ?

Il était clair qu’Henri Ey ne pourrait que s’éloigner d’une telle raison, dès lors qu’il l’allait chercher dans les conceptions de Jackson. Car celles-ci, si remarquables qu’elles soient pour leur temps par leurs exigences totalitaires quant aux fonctions de relation de l’organisme, ont pour principe et pour fin de ramener à une échelle commune de dissolutions, troubles neurologiques et troubles psychiatriques. C’est ce qui s’est passé en effet, et quelque subtile orthopédie qu’ait apportée Ey à cette conception, ses élèves Hécaen, Follin et Bonnafé lui démontrent aisément qu’elle ne permet pas de distinguer essentiellement l’aphasie de la démence, l’algie fonctionnelle (127)de l’hypochondrie, l’hallucinose des hallucinations, ni même certaine agnosie de tel délire.

Et je lui pose moi-même la question à propos, par exemple, du malade célèbre de Gelb et Goldstein, dont l’étude a été reprise séparément sous d’autres angles par Bénary et par Hochheimer : ce malade atteint d’une lésion occipitale détruisant les deux calcarines, présentait autour d’une cécité psychique, des troubles électifs de tout le symbolisme catégorial, tels qu’une abolition du comportement du montrer en contraste avec la conservation du saisir, – des troubles agnosiques très élevés qu’on doit concevoir comme une asymbolie de tout le champ perceptif, – un déficit de l’appréhension significative en tant que telle, manifesté par l’impossibilité de comprendre l’analogie dans un mouvement direct de l’intelligence, alors qu’il peut la retrouver dans une symétrie verbale, par une singulière « cécité à l’intuition du nombre » (selon le terme d’Hochheimer), qui ne l’empêche pas pour autant d’opérer mécaniquement sur eux, par une absorption dans l’actuel, qui le rend incapable de toute assomption du fictif, donc de tout raisonnement abstrait, à plus forte raison lui barre tout accès au spéculatif.

Dissolution vraiment uniforme, et du niveau le plus élevé, qui, notons-le incidemment, retentit jusque dans son fond sur le comportement sexuel, où l’immédiateté du projet se reflète dans la brièveté de l’acte, voire dans sa possibilité d’interruption indifférente.

Ne trouvons-nous pas là le trouble négatif de dissolution globale et apicale à la fois, cependant que l’écart organo-clinique me paraît suffisamment représenté par le contraste entre la lésion localisée à la zone de projection visuelle et l’extension du symptôme à toute la sphère du symbolisme.

Me dira-t-il que le défaut de réaction de la personnalité restante au trouble négatif, est ce qui distingue d’une psychose ce malade évidemment neurologique ? Je lui répondrai qu’il n’en est rien. Car ce malade, au-delà de l’activité professionnelle routinière qu’il a conservée, exprime, par exemple, sa nostalgie des spéculations religieuses et politiques qui lui sont interdites. Dans les épreuves médicales, il arrive à atteindre par la bande certains des objectifs qu’il ne comprend plus, en les mettant « en prise » en quelque sorte mécaniquement, quoique délibérément, sur les comportements demeurés possibles : et plus frappante que la manière dont il parvient (128)à fixer sa somatognosie, pour retrouver certains actes du montrer, est la façon dont il s’y prend par tâtonnements avec le stock du langage pour surmonter certains de ses déficits agnosiques. Plus pathétique encore, sa collaboration avec le médecin à l’analyse de ses troubles, quand il fait certaines trouvailles de mots (Anhalts-punkte, prises, par exemple) pour nommer certains de ses artifices.

Je le demande donc à Henri Ey : en quoi distingue-t-il ce malade d’un fou ? À charge pour moi, s’il ne m’en donne pas la raison dans son système, que je puisse la lui donner dans le mien.

Que s’il me répond par les troubles noétiques des dissolutions fonctionnelles, je lui demanderai en quoi ceux-ci sont différents de ce qu’il appelle dissolutions globales.

En fait, c’est bien la réaction de la personnalité qui dans la théorie d’Henry Ey apparaît comme spécifique de la psychose, quoiqu’il en ait. Et c’est ici que cette théorie montre sa contradiction et en même temps sa faiblesse, car à mesure qu’il méconnaît plus systématiquement toute idée de psychogenèse, au point qu’il avoue quelque part ne même plus pouvoir comprendre ce que cette idée signifie[3], on le voit alourdir ses exposés d’une description « structurale » toujours plus surchargée de l’activité psychique, où reparaît plus paralysante encore la même interne discordance. Comme je vais le montrer en le citant.

Pour critiquer la psychogenèse, nous le voyons la réduire à ces formes d’une idée qu’on réfute d’autant plus facilement qu’on va les chercher chez ses adversaires. J’énumère avec lui : le choc émotionnel – conçu par ses effets physiologiques ; les facteurs réactionnels, – vus dans la perspective constitutionnaliste ; les effets traumatiques inconscients, – en tant qu’ils sont abandonnés selon lui par leurs tenants mêmes ; la suggestion pathogène enfin, en tant (je cite) « que les plus farouches organicistes et neurologues – passons les noms – se réservent cette soupape et admettent à titre d’exceptionnelle évidence une psychogenèse qu’ils expulsent intégralement de tout le reste de la pathologie ».

Je n’ai omis qu’un terme dans la série, la théorie de la régression dans l’inconscient, retenue parmi les plus sérieuses, sans doute parce qu’elle prête au moins apparemment à se réduire, je cite encore, (129)« à cette atteinte du moi qui se confond encore en dernière analyse avec la notion de dissolution fonctionnelle ». Je retiens cette phrase, répétée sous cent formes dans l’œuvre d’Henri Ey, parce que j’y montrerai la défaillance radicale de sa conception de la psychopathologie.

Ce que je viens d’énumérer résume, nous dit-il, les « faits invoqués » (termes textuels) pour démontrer la psychogenèse. Il est aussi facile pour Ey de remarquer qu’ils sont « plutôt démonstratifs de tout autre chose » qu’à nous de constater qu’une position si aisée ne lui donnera pas d’embarras.

Pourquoi faut-il qu’aussitôt, s’enquérant des tendances doctrinales auxquelles à défaut des faits il faudrait rapporter « une psychogenèse – je le cite – si peu compatible avec les faits psychopathologiques », il croie devoir les faire procéder de Descartes en attribuant à celui-ci un dualisme absolu introduit entre l’organique et le psychique. Pour moi j’ai toujours cru, et Ey dans nos entretiens de jeunesse semblait le savoir aussi, qu’il s’agissait plutôt du dualisme de l’étendue et de la pensée. On s’étonne au contraire qu’Henri Ey ne cherche point appui dans un auteur pour qui la pensée ne saurait errer que pour autant qu’y sont admises les idées confuses que déterminent les passions du corps.

Peut-être en effet vaut-il mieux qu’Henri Ey ne fonde rien sur un tel allié, à qui j’ai l’air d’assez bien me fier. Mais de grâce, qu’après nous avoir produit des psychogénistes cartésiens de la qualité de MM. Babinski, André-Thomas et Lhermitte, il n’identifie pas « l’intuition cartésienne fondamentale » à un parallélisme psycho-physiologique plus digne de Monsieur Taine que de Spinoza. Un tel éloignement des sources nous donnerait à croire l’influence de Jackson encore plus pernicieuse qu’il n’y paraît d’abord.

Le dualisme imputé à Descartes étant honni, nous entrons de plain-pied, avec une « théorie de la vie psychique incompatible avec l’idée d’une psychogenèse des troubles mentaux », dans le dualisme d’Henri Ey qui s’exprime tout dans cette phrase terminale, dont l’accent rend un son si singulièrement passionnel : « les maladies mentales sont des insultes et des entraves à la liberté, elles ne sont pas causées par l’activité libre, c’est-à-dire purement psycho-génétiques ».

Ce dualisme d’Henri Ey me paraît bien plus grave en ce qu’il (130)suppose une équivoque insoutenable dans sa pensée. Je me demande en effet si toute son analyse de l’activité psychique ne repose pas sur un jeu de mots entre son libre jeu et sa liberté. Ajoutons-y la clé du mot : déploiement.

Il pose avec Goldstein que « l’intégration, c’est l’être ». Dès lors dans cette intégration il lui faut comprendre non seulement le psychique, mais tout le mouvement de l’esprit et, de synthèses en structures, et de formes en phénomènes, il y implique en effet jusqu’aux problèmes existentiels. J’ai même cru, Dieu me pardonne, relever sous sa plume le terme de « hiérarchisme dialectique », dont l’accouplement conceptuel eut, je crois, laissé rêveur le regretté Pichon lui-même, dont ce n’est pas faire tort à sa mémoire que de dire que l’alphabet même de Hegel lui était resté lettre morte.

Le mouvement d’Henry Ey est entraînant certes, mais on ne le peut suivre longtemps pour la raison qu’on s’aperçoit que la réalité de la vie psychique s’y écrase dans ce nœud, toujours semblable et effectivement toujours le même, qui se resserre toujours plus sûrement autour de la pensée de notre ami, à mesure même de son effort pour s’en délivrer, lui dérobant ensemble par une nécessité révélatrice la vérité du psychisme avec celle de la folie.

Quand Henri Ey commence en effet à définir cette tant merveilleuse activité psychique comme « notre adaptation personnelle à la réalité », je me sens sur le monde des vues si sûres que toutes mes démarches s’y manifestent comme celles d’un prince clairvoyant. Vraiment de quoi ne suis-je capable à ces hauteurs où je règne ? Rien n’est impossible à l’homme, dit le paysan vaudois avec son accent inimitable, ce qu’il ne peut pas faire, il le laisse. Qu’Henri Ey m’emporte par son art de « trajectoire psychique » en « champ psychique » et m’invite à m’arrêter un instant avec lui pour considérer « la trajectoire dans le champ », je persiste dans mon bonheur, pour la satisfaction d’y reconnaître des formules patentes de celle qui furent les miennes, quand en exorde à ma thèse sur les psychoses paranoïaques, je tentais de définir le phénomène de la personnalité – sans plus m’apercevoir que nous ne tirons pas aux mêmes fins.

Certes, je « tique » un peu à lire que « pour le dualisme » (toujours cartésien je suppose) « l’esprit est un esprit sans existence », me souvenant que le premier jugement de certitude que Descartes fonde sur la conscience qu’a d’elle-même la pensée, est un pur jugement (131)d’existence : cogito ergo sum, – et je m’émeus à cette autre assertion que « pour le matérialisme l’esprit est un épiphénomène », me reportant à cette forme du matérialisme pour laquelle l’esprit immanent à la matière se réalise par son mouvement.

Mais quand, passant à la conférence d’Henry Ey sur la notion de troubles nerveux[4] [5] j’arrive à « ce niveau que caractérise la création d’une causalité proprement psychique », et que j’apprends que « s’y concentre la réalité du Moi » et que par là « est consommée la dualité structurale de la vie psychique, vie de relation entre le Monde et le Moi, qu’anime tout le mouvement dialectique de l’esprit toujours s’évertuant dans l’ordre de l’action comme dans l’ordre théorique à réduire sans jamais y parvenir cette antinomie, ou tout au moins à tenter de concilier et d’accorder les exigences des objets, d’Autrui, du corps, de l’Inconscient et du Sujet conscient », – alors je me réveille et je proteste : le libre jeu de mon activité psychique ne comporte aucunement que je m’évertue si péniblement. Car il n’y a aucune antinomie entre les objets que je perçois et mon corps, dont la perception est justement constituée par un accord avec eux des plus naturels. Mon inconscient me mène le plus tranquillement du monde à des désagréments que je ne songe à aucun degré à lui attribuer, du moins jusqu’à ce que je m’occupe de lui par les moyens raffinés de la psychanalyse. Et tout ceci ne m’empêche pas de me conduire envers autrui avec un égoïsme irréductible, toujours dans la plus sublime inconscience de mon Sujet conscient. Car si je ne tente pas d’atteindre à la sphère enivrante de l’oblativité, chère aux psychanalystes français, ma naïve expérience ne me donnera rien à retordre de ce fil qui, sous le nom d’amour-propre, fut par le génie pervers de La Rochefoucauld détecté dans la trame de tous les sentiments humains, fût-ce dans celui de l’amour.

Vraiment toute cette « activité psychique » m’apparaît alors comme un rêve, et ce peut-il être le rêve d’un médecin qui mille et dix mille fois a pu entendre se dérouler à son oreille cette chaîne bâtarde de destin et d’inertie, de coups de dés et de stupeur, de faux succès et de rencontres méconnues, qui fait le texte courant d’une vie humaine ?

Non, c’est plutôt le rêve du fabricant d’automates, dont Ey (132)savait si bien se gausser avec moi autrefois, me disant joliment que dans toute conception organiciste du psychisme, on retrouve toujours dissimulé « le petit homme qui est dans l’homme », et vigilant à faire répondre la machine.

Ces chutes du niveau de la conscience, ces états hyponoïdes, ces dissolutions physiologiques, qu’est-ce donc d’autre, cher Ey, sinon que le petit homme qui est dans l’homme a mal à la tête, c’est-à-dire mal à l’autre petit homme, sans doute, qu’il a lui-même dans sa tête, et ainsi à l’infini. Car l’antique argument de Polyxène garde sa valeur sous quelque mode qu’on tienne pour donné l’être de l’homme, soit dans son essence comme Idée, soit dans son existence comme organisme.

Ainsi je ne rêve plus, et quand je lis maintenant que « projeté dans une réalité plus spirituelle encore, se constitue le monde des valeurs idéales non plus intégrées, mais infiniment intégrantes : les croyances, l’idéal, le programme vital, les valeurs du jugement logique et de la conscience morale », – je vois fort bien qu’il y a en effet des croyances et un idéal qui s’articulent dans le même psychisme avec un programme vital tout aussi répugnant au regard du jugement logique que de la conscience morale, pour produire un fasciste, voire plus simplement un imbécile ou un filou. Et je conclus que la forme intégrée de ces idéaux n’implique pour eux nulle culmination psychique et que leur action intégrante est sans nul rapport avec leur valeur, – donc que là encore il doit y avoir erreur.

Certes il n’est pas, Mrs, dans mon propos de rabaisser la portée de vos débats, non plus que les résultats auxquels vous êtes parvenus. Pour la difficulté en cause, j’aurais bientôt à rougir de la sous-estimer. En mobilisant Gestaltisme, behaviourisme, termes de structure et phénoménologie pour mettre à l’épreuve l’organo-dynamisme, vous avez montré des ressources de science que je parais négliger pour un recours à des principes, peut-être un peu trop sûrs, et à une ironie, sans doute un peu risquée. C’est qu’il m’a semblé qu’à alléger les termes en balance, je vous aiderais mieux à desserrer le nœud que je dénonçais tout à l’heure. Mais pour y réussir pleinement dans les esprits qu’il étreint, ne faudrait-il pas que ce fût Socrate lui-même qui vînt ici prendre la parole, ou bien plutôt que je vous écoute en silence.

(133)Car l’authentique dialectique où vous engagez vos termes et qui donne son style à votre jeune Académie, suffit à garantir la rigueur de votre progrès. J’y prends appui moi-même et m’y sens combien plus à l’aise que dans cette révérence idolâtrique des mots qu’on voit régner ailleurs, et spécialement dans le sérail psychanalytique. Prenez garde pourtant à l’écho que les vôtres peuvent évoquer hors de l’enceinte où votre intention les anima.

L’usage de la parole requiert bien plus de vigilance dans la science de l’homme que partout ailleurs, car il engage là l’être même de son objet.

Toute attitude incertaine à l’endroit de la vérité saura toujours détourner nos termes de leur sens et ces sortes d’abus ne sont jamais innocents.

Vous publiez, – je m’excuse d’évoquer une expérience personnelle –, un article sur l’« Au-delà du principe de réalité[6] », où vous ne vous attaquez à rien de moins qu’au statut de l’objet psychologique, en vous essayant d’abord à poser une phénoménologie de la relation psychanalytique telle qu’elle est vécue entre médecin et malade. Et de l’horizon de votre cercle vous reviennent des considérations sur la « relativité de la réalité », qui vous font prendre en aversion votre propre rubrique.

C’est dans un tel sentiment, je le sais, que le grand esprit de Politzer renonça à l’expression théorique où il aura laissé sa marque ineffaçable, pour se vouer à une action qui devait nous le ravir irréparablement. Car ne perdons pas de vue, en exigeant après lui qu’une psychologie concrète se constitue en science, que nous n’en sommes encore là qu’aux postulations formelles. Je veux dire que nous n’avons encore pu poser la moindre loi où se règle notre efficience.

C’est au point qu’à entrevoir le sens opératoire des traces qu’a laissées aux parois de ses cavernes l’homme de la préhistoire, il peut nous venir à l’esprit que nous en savons réellement moins que lui sur ce que j’appellerai très intentionnellement la matière psychique. Faute donc de pouvoir comme Deucalion avec des pierres faire des hommes, gardons-nous avec soin de transformer les mots en pierres.

Il serait déjà beau que par une pure menée de l’esprit nous puissions voir se dessiner le concept de l’objet où se fonderait une (134)psychologie scientifique. C’est la définition d’un tel concept que j’ai toujours déclarée nécessaire, que j’ai annoncée comme prochaine, et qu’à la faveur du problème que vous me proposez, je vais tenter de poursuivre aujourd’hui en m’exposant à mon tour à vos critiques.


 

deuxième partie

 

LA CAUSALITÉ ESSENTIELLE DE LA FOLIE

 

Quoi de plus indiqué à cette fin que de partir de la situation où nous voilà : réunis pour argumenter de la causalité de la folie ? Pourquoi ce privilège ? Y aurait-il dans un fou un intérêt plus grand que dans le cas de Gelb et Goldstein que j’évoquais tout à l’heure à grands traits et qui révèle non seulement pour le neurologiste mais pour le philosophe, et sans doute au philosophe plus qu’au neurologiste, une structure constitutive de la connaissance humaine, à savoir ce support que le symbolisme de la pensée trouve dans la perception visuelle, et que j’appellerai avec Husserl un rapport de Fundierung, de fondation.

Quelle autre valeur humaine, gît-elle dans la folie ?

Quand je passais ma thèse sur « la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité », un de mes maîtres me pria de formuler ce qu’en somme je m’y étais proposé : « En somme, Monsieur, commençai-je, nous ne pouvons oublier que la folie soit un phénomène de la pensée… ». Je ne dis pas que j’eusse ainsi suffisamment indiqué mon propos : le geste qui m’interrompit avait la fermeté d’un rappel à la pudeur : « Ouais ! et après ? signifiait-il. Passons aux choses sérieuses. Allez-vous donc nous faire des pieds-de-nez ? Ne déshonorons pas cette heure solennelle. Num dignus eris intrare in nostro docto corpore cum isto voce : pensare ! ». Je fus nonobstant reçu docteur avec les encouragements qu’il convient d’accorder aux esprits primesautiers.

Je reprends donc mon explication à votre usage après quatorze ans, et vous voyez qu’à ce train-là, – si vous ne me prenez pas le flambeau des mains, mais prenez-le donc ! – la définition de l’objet de la psychologie n’ira pas loin, d’ici que je fausse compagnie aux lumières qui éclairent ce monde. Du moins espérè-je qu’à ce moment le mouvement du monde leur en aura assez fait voir, à ces lumières (135)elles-mêmes, pour que nulle parmi elles ne puisse plus trouver dans l’œuvre de Bergson la dilatante synthèse qui a satisfait aux « besoins spirituels » d’une génération, ni rien d’autre qu’un assez curieux recueil d’exercices de ventriloquie métaphysique.

Avant de faire parler les faits, il convient en effet de reconnaître les conditions de sens qui nous les donnent pour tels. C’est pourquoi je pense que le mot d’ordre d’un retour à Descartes ne serait pas superflu.

Pour le phénomène de la folie, s’il ne l’a pas approfondi dans ses Méditations, du moins nous tenons pour révélateur le fait qu’il le rencontre, dès les premiers pas de son départ, d’une inoubliable allégresse, à la conquête de la vérité.

« Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps soient à moi, si ce n’est peut-être que je me compare à certains insensés de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois lorsqu’ils sont très pauvres ; qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre lorsqu’ils sont tout nus ou qui s’imaginent être des cruches, ou avoir un corps de verre ? Mais, quoi ! ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant si je me réglais sur leurs exemples ».

Et il passe, alors que nous verrons qu’il aurait pu, non sans fruit pour sa recherche, s’arrêter sur ce phénomène de la folie.

Reconsidérons-le donc ensemble selon sa méthode. Et non pas à la façon du maître vénéré qui ne coupait pas seulement les effusions explicatives de ses élèves, – lui pour qui celles des hallucinés étaient un tel scandale qu’il les interrompait ainsi : « Qu’est-ce que vous me racontez-là, mon ami : ça n’est pas vrai, tout ça. Voyons, hein ? ». On peut tirer de cette sorte d’intervention une étincelle de sens : le vrai est « dans le coup », mais en quel point ? – Assurément pour l’usage du mot, on ne peut ici se fier plus à l’esprit du médecin qu’à celui du malade.

Suivons plutôt Henri Ey qui, dans ses premiers travaux comme Descartes dans sa simple phrase, et non pas sans doute à cette époque par une rencontre de hasard, met en valeur le ressort essentiel de la croyance.

Ce phénomène avec son ambiguïté dans l’être humain, avec son trop et son trop peu pour la connaissance, – puisque c’est moins que savoir, mais c’est peut-être plus : affirmer, c’est s’engager, mais (136)ce n’est pas être sûr –, Ey a admirablement vu qu’il ne pouvait être éliminé du phénomène de l’hallucination et du délire.

Mais l’analyse phénoménologique requiert qu’on ne saute aucun temps et toute précipitation y est fatale. Je dirai que la figure n’y apparaît qu’à une juste accommodation de la pensée. Ici Ey, pour ne pas tomber dans la faute, qu’il reproche aux mécanistes, de délirer avec le malade, va commettre la faute contraire d’inclure trop vite dans le phénomène ce jugement de valeur dont l’exemple comique qui précède, et qu’il goûtait à son prix, eut dû l’avertir que c’était en exclure du même coup toute compréhension. Par une sorte de vertige mental, il résout la notion de croyance qu’il tenait sous son regard dans celle de l’erreur qui va l’absorber comme la goutte d’eau une autre goutte qu’on fait la toucher. Dès lors toute l’opération est manquée. Figé, le phénomène devient objet de jugement, et bientôt objet tout court.

« Où serait l’erreur, s’écrie-t-il, page 170 de son livre Hallucinations et Délire[7] où serait l’erreur, et le délire d’ailleurs, si les malades ne se trompaient pas ! Alors que tout dans leurs assertions, dans leur jugement, nous révèle chez eux l’erreur (interprétations, illusions, etc.) ». Et encore page 176, posant les deux « attitudes possibles » à l’endroit de l’hallucination, il définit ainsi la sienne : « on la considère comme une erreur qu’il faut admettre et expliquer comme telle sans se laisser entraîner par son mirage. Or son mirage entraîne nécessairement si on n’y prend garde, à la fonder sur des phénomènes effectifs et par là à construire des hypothèses neurologiques tout au moins inutiles, car elles n’atteignent pas ce qui fonde le symptôme lui-même : l’erreur et le délire ».

Comment dès lors ne pas s’étonner que, si bien prévenu contre l’entraînement de fonder sur une hypothèse neurologique le « mirage de l’hallucination conçue comme une sensation anormale, » il s’empresse de fonder sur une hypothèse semblable ce qu’il appelle « l’erreur fondamentale » du délire, et que répugnant à juste titre page 168 à faire de l’hallucination comme sensation anormale « un objet placé dans les plis du cerveau », il n’hésite pas à y placer lui-même le phénomène de la croyance délirante, considéré comme phénomène de déficit.

(137)Si haute ainsi que soit la tradition où il se retrouve, c’est là pourtant qu’il a pris la fausse route. Il y eut échappé en s’arrêtant avant ce saut que commande en lui la notion même de la vérité. Or s’il n’y a pas de progrès possible dans la connaissance si cette notion ne le meut, il est dans notre condition, nous le verrons, de risquer toujours de nous perdre par notre mouvement le meilleur.

On peut dire que l’erreur est un déficit au sens qu’a ce mot dans un bilan, mais non pas la croyance elle-même, même si elle nous trompe. Car la croyance peut se fourvoyer au plus haut d’une pensée sans déchéance, comme Ey lui-même en donne à ce moment la preuve.

Quel est donc le phénomène de la croyance délirante ? – Il est, disons-nous, méconnaissance, avec ce que ce terme contient d’antinomie essentielle. Car méconnaître suppose une reconnaissance, comme le manifeste la méconnaissance systématique, où il faut bien admettre que ce qui est nié soit en quelque façon reconnu.

Pour l’appartenance du phénomène au sujet, Ey y insiste, et on ne saurait trop insister sur ce qui va de soi, l’hallucination est une erreur – « pétrie de la pâte de la personnalité du sujet et faite de sa propre activité ». À part les réserves que m’inspirent l’usage des mots pâte et activité, il me paraît clair en effet que dans les sentiments d’influence et d’automatisme, le sujet ne reconnaît pas ses propres productions comme étant siennes. C’est en quoi nous sommes tous d’accord qu’un fou est un fou. Mais le remarquable n’est-il pas plutôt qu’il ait à en connaître ? et la question, de savoir ce qu’il connaît là de lui sans s’y reconnaître ?

Car un caractère beaucoup plus décisif pour la réalité que le sujet confère à ces phénomènes, que la sensorialité qu’il y éprouve ou la croyance qu’il y attache, c’est que tous, quels qu’ils soient, hallucinations, interprétations, intuitions, et avec quelque extranéïté et étrangeté qu’ils soient par lui vécus, ces phénomènes le visent personnellement : ils le dédoublent, lui répondent, lui font écho, lisent en lui, comme il les identifie, les interroge, les provoque et les déchiffre. Et quand tout moyen de les exprimer vient à lui manquer, sa perplexité nous manifeste encore en lui une béance interrogative : c’est-à-dire que la folie est vécue toute dans le registre du sens.

L’intérêt pathétique qu’ainsi elle comporte, donne une première (138)réponse à la question par nous proposée de la valeur humaine de son phénomène. Et sa portée métaphysique se révèle en ceci que le phénomène de la folie n’est pas séparable du problème de la signification pour l’être en général, c’est-à-dire du langage pour l’homme.

Aucun linguiste ni aucun philosophe ne saurait plus soutenir en effet une théorie du langage comme d’un système de signes qui doublerait celui des réalités, définies par le commun accord des esprits sains dans des corps sains ; je ne vois guère que Mr. Blondel pour sembler de le croire dans cet ouvrage sur la Conscience morbide qui est bien l’élucubration la plus bornée qu’on ait produite tant sur la folie que sur le langage, – et pour buter sur le problème de l’ineffable, comme si le langage ne le posait pas sans la folie.

Le langage de l’homme, cet instrument de son mensonge, est traversé de part en part par le problème de sa vérité :

– soit qu’il la trahisse en tant qu’il est expression – de son hérédité organique dans la phonologie du flatus vocis, – des « passions du corps » au sens cartésien, c’est-à-dire de son âme, dans la modulation passionnelle, – de la culture et de l’histoire qui font son humanité, dans le système sémantique qui l’a formé enfant,

– soit qu’il manifeste cette vérité comme intention, en l’ouvrant éternellement sur la question de savoir comment ce qui exprime le mensonge de sa particularité peut arriver à formuler l’universel de sa vérité.

Question où s’inscrit toute l’histoire de la philosophie, des apories platoniciennes de l’essence aux abîmes pascaliens de l’existence –, jusqu’à l’ambiguïté radicale qu’y indique Heidegger pour autant que vérité signifie révélation.

Le mot n’est pas signe, mais nœud de signification. Et que je dise le mot « rideau » par exemple, ce n’est pas seulement par convention désigner l’usage d’un objet que peuvent diversifier de mille manières les intentions sous lesquelles il est perçu par l’ouvrier, par le marchand, par le peintre ou par le psychologue gestaltiste, comme travail, valeur d’échange, physionomie colorée ou structure spatiale. C’est par métaphore un rideau d’arbres ; par calembour les rides et les ris de l’eau, et mon ami Leiris dominant mieux que moi ces jeux glossolaliques. C’est par décret la limite de mon domaine ou par occasion l’écran de ma méditation dans la chambre que je partage. C’est par miracle l’espace ouvert sur l’infini, l’inconnu sur le seuil, (139)ou le départ dans le matin du solitaire. C’est par hantise le mouvement où se trahit la présence d’Agrippine au Conseil de l’Empire ou le regard de Madame de Chasteller sur le passage de Lucien Leuwen. C’est par méprise Polonius que je frappe : « Un rat ! un rat ! un gros rat ! ». C’est par interjection, à l’entr’acte du drame, le cri de mon impatience ou le mot de ma lassitude. Rideau ! C’est une image enfin du sens en tant que sens, qui pour se découvrir doit être dévoilé.

Ainsi dans le langage se justifient et se dénoncent les attitudes de l’être, parmi lesquels le « bon sens » manifeste bien « la chose du monde la plus répandue », mais non pas au point de se reconnaître chez ceux pour qui là-dessus Descartes est trop facile.

C’est pourquoi dans une anthropologie, où le registre du culturel dans l’homme inclut, comme il se doit, celui du naturel, on pourrait définir concrètement la psychologie comme le domaine de l’insensé, autrement dit, de tout ce qui fait nœud dans le discours, – comme l’indiquent assez les « mots » de la passion.

Engageons-nous dans cette voie pour étudier les significations de la folie, comme nous y invitent assez les modes originaux qu’y montre le langage : ces allusions verbales, ces relations kabbalistiques, ces jeux d’homonymie, ces calembours, qui ont captivé l’examen d’un Guiraud[8] – et je dirai : cet accent de singularité dont il nous faut savoir entendre la résonance dans un mot pour détecter le délire, cette transfiguration du terme dans l’intention ineffable, ce figement de l’idée dans le sémantème (qui précisément ici tend à se dégrader en signe), ces hybrides du vocabulaire, ce cancer verbal du néologisme, cet engluement de la syntaxe, cette duplicité de l’énonciation, mais aussi cette cohérence qui équivaut à une logique, cette caractéristique qui, de l’unité d’un style aux stéréotypies, marque chaque forme de délire, c’est tout cela par quoi l’aliéné, par la parole ou par la plume, se communique à nous.

C’est là où doivent se révéler à nous ces structures de sa connaissance, dont il est singulier, mais non pas sans doute de pur accident, que ce soit justement des mécanistes, un Clérambault, un Guiraud, qui les aient le mieux dessinées. Toute fausse que soit la théorie où ils les ont comprises, elle s’est trouvée accorder remarquablement (140)leur esprit à un phénomène essentiel de ces structures : c’est la sorte d’« anatomie » qui s’y manifeste. La référence même constante de l’analyse d’un Clérambault à ce qu’il appelle, d’un terme quelque peu diafoiresque, « l’idéogénique », n’est pas autre chose que cette recherche des limites de la signification. Ainsi paradoxalement vient-il à déployer sous un mode dont la portée unique est de compréhension, ce magnifique éventail de structures qui va des dits « postulats » des délires passionnels aux phénomènes dits basaux de l’automatisme mental.

C’est pourquoi je crois qu’il a fait plus que quiconque pour la thèse psychogénétique, vous verrez en tout cas comment je l’entends.

De Clérambault fut mon seul maître dans l’observation des malades, après le très subtil et délicieux Trénel que j’eus le tort d’abandonner trop tôt, pour postuler dans les sphères consacrées de l’ignorance enseignante.

Je prétends avoir suivi sa méthode dans l’analyse du cas de psychose paranoïaque qui fait l’objet de ma thèse, cas dont j’ai démontré la structure psychogénétique et désigné l’entité clinique, sous le terme plus ou moins valable de paranoïa d’auto-punition.

Cette malade m’avait retenu par la signification brûlante de ses productions écrites, dont la valeur littéraire a frappé beaucoup d’écrivains, de Fargue et du cher Crevel qui les ont lues avant tous, à Joë Bousquet[9] qui les a aussitôt et admirablement commentées, à Eluard[10] qui en a recueilli plus récemment la « poésie involontaire ».

On sait que le nom d’Aimée dont j’ai masqué sa personne est celui de la figure centrale de sa création romanesque.

Si je rassemble les résultats de l’analyse que j’en ai faite, je crois qu’il en ressort déjà une phénoménologie de la folie, complète en ses termes.

Les points de structure qui s’y révèlent comme essentiels[11], se formulent en effet comme suit :

a) La lignée des persécutrices qui se succèdent dans son histoire (141)répète presque sans variation la personnification d’un idéal de malfaisance, contre lequel son besoin d’agression va croissant.

Or non seulement elle a recherché constamment la faveur, et du même coup les sévices, de personnes incarnant ce type, parmi celles qui lui étaient accessibles dans la réalité, – mais elle tend dans sa conduite à réaliser, sans le reconnaître, le mal même qu’elle y dénonce : vanité, froideur et abandon de ses devoirs naturels.

b) Sa représentation d’elle-même par contre s’exprime en un idéal tout opposé de pureté et de dévouement, qui l’expose en victime aux entreprises de l’être détesté.

c) On remarque en outre une neutralisation de la catégorie sexuelle où elle s’identifie. Cette neutralisation, avouée jusqu’à l’ambiguïté en ses écrits, et peut-être poussée jusqu’à l’inversion imaginative, est cohérente avec le platonisme de l’érotomanie classique qu’elle développe à l’endroit de plusieurs personnifications masculines, et avec la prévalence de ses amitiés féminines dans son histoire réelle.

d) Cette histoire est constituée par une lutte indécise pour réaliser une existence commune, tout en n’abandonnant pas des idéaux que nous qualifierons de bovaryques, sans mettre dans ce terme la moindre dépréciation.

Puis une intervention progressive de sa sœur aînée dans sa vie, l’énuclée peu à peu complètement de sa place d’épouse et de mère.

e) Cette intervention l’a déchargée de fait de ses devoirs familiaux.

Mais à mesure qu’elle la « libérait », se déclenchaient et se constituaient les phénomènes de son délire, qui ont atteint leur apogée au moment où, leur incidence même y concourant, elle s’est trouvée tout à fait indépendante.

f) Ces phénomènes sont apparus en une série de poussées que nous avons désignées du terme, que certains ont bien voulu retenir, de moments féconds du délire.

Certaines résistances que nous avons pu rencontrer à comprendre dans une thèse psychogénétique leur présentation « élémentaire » nous paraissent se résoudre actuellement dans l’approfondissement que cette thèse a pris chez nous ultérieurement. Comme nous le montrerons tout à l’heure dans la mesure où nous le permettra l’équilibre de cet exposé.

(142)g) Il est à noter que bien que la malade paraisse souffrir de ce que son enfant lui soit soustrait par cette sœur, dont la seule entrevue même pour nous dégageait le mauvais augure, elle se refuse à la considérer comme à elle-même hostile ou seulement néfaste, ni sous ce chef, ni sous aucun autre.

Par contre elle va frapper dans une intention meurtrière la dernière en date des personnes en qui elle a identifié ses persécutrices, et cet acte, après le délai nécessaire à la prise de conscience du dur prix qu’elle le paie dans l’abjection de la prison, a pour effet la chute en elle des croyances et des fantasmes de son délire.

Nous avons cherché ainsi à cerner la psychose dans ses rapports avec la totalité des antécédents biographiques, des intentions avouées ou non de la malade, des motifs enfin, perçus ou non, qui se dégagent de la situation contemporaine de son délire, – soit, comme l’indique le titre de notre thèse, dans ses rapports avec la personnalité.

Il nous semble en ressortir dès l’abord la structure générale de la méconnaissance. Encore faut-il bien l’entendre.

Assurément on peut dire que le fou se croit autre qu’il n’est, comme le retient la phrase sur « ceux qui se croient vêtus d’or et de pourpre » où Descartes se conforme aux plus anecdotiques des histoires de fous, et comme s’en contente l’auteur plein d’autorité à qui le bovarysme, accommodé à la mesure de sa sympathie pour les malades, donnait la clé de la paranoïa.

Mais outre que la théorie de Mr. Jules de Gaultier concerne un rapport des plus normaux de la personnalité humaine : ses idéaux, il convient de remarquer que si un homme qui se croit un roi est fou, un roi qui se croit un roi ne l’est pas moins.

Comme le prouvent l’exemple de Louis II de Bavière et de quelques autres personnes royales, et le « bon sens » de tout un chacun, au nom de quoi l’on exige à bon droit des personnes placées dans cette situation « qu’elles jouent bien leur rôle », mais l’on ressent avec gêne l’idée qu’elles « y croient » tout de bon, fût-ce à travers une considération supérieure de leur devoir d’incarner une fonction dans l’ordre du monde, par quoi elles prennent assez bien figure de victimes élues.

Le moment de virage est ici donné par la médiation où l’immédiateté (143)de l’identification, et pour dire le mot, par l’infatuation du sujet.

Pour me faire entendre, j’évoquerai la sympathique figure du godelureau, né dans l’aisance, qui, comme on dit, « ne se doute de rien », et spécialement pas de ce qu’il doit à cette heureuse fortune. Le bon sens a la coutume de le qualifier selon le cas de « bienheureux innocent » ou de « petit c…tin ». Il « se croit » comme on dit en français : en quoi le génie de la langue met l’accent où il le faut, c’est-à-dire non pas sur l’inadéquation d’un attribut, mais sur un mode du verbe, car le sujet se croit en somme ce qu’il est : un heureux coquin, mais le bon sens lui souhaite in petto l’anicroche qui lui révélera qu’il ne l’est pas tant qu’il le croit. Qu’on n’aille pas me dire que je fais de l’esprit, et de la qualité qui se montre dans ce mot que Napoléon était un type qui se croyait Napoléon. Car Napoléon ne se croyait pas du tout Napoléon, pour fort bien savoir par quels moyens Bonaparte avait produit Napoléon, et comment Napoléon, comme le Dieu de Malebranche, en soutenait à chaque instant l’existence. S’il se crut Napoléon, ce fut au moment ou Jupiter eut décidé de le perdre, et sa chute accomplie, il occupa ses loisirs à mentir à Las Cases à pages que veux-tu, pour que la postérité crut qu’il s’était cru Napoléon, condition requise pour la convaincre elle-même qu’il avait été vraiment Napoléon.

Ne croyez pas que je m’égare, dans un propos qui ne doit nous porter à rien de moins qu’au cœur de la dialectique de l’être, – car c’est bien en un tel point que se situe la méconnaissance essentielle de la folie, que notre malade manifeste parfaitement.

Cette méconnaissance se révèle dans la révolte, par où le fou veut imposer la loi de son cœur à ce qui lui apparaît comme le désordre du monde, entreprise « insensée », – mais non pas en ce qu’elle est un défaut d’adaptation à la vie, formule qu’on entend couramment dans nos milieux, encore que la moindre réflexion sur notre expérience doive nous en démontrer la déshonorante inanité, – entreprise insensée, dis-je donc, en ceci plutôt que le sujet ne reconnaît pas dans ce désordre du monde la manifestation même de son être actuel, et que ce qu’il ressent comme loi de son cœur, n’est que l’image inversée, autant que virtuelle, de ce même être. Il le méconnaît donc doublement, et précisément pour en dédoubler l’actualité (144)et la virtualité. Or il ne peut échapper à cette actualité que par cette virtualité. Son être est donc enfermé dans un cercle, sauf à ce qu’il le rompe par quelque violence où, portant son coup contre ce qui lui apparaît comme le désordre, il se frappe lui-même par voie de contre-coup social.

Telle est la formule générale de la folie qu’on trouve dans Hegel[12], car ne croyez pas que j’innove, encore que j’ai cru devoir prendre soin de vous la présenter sous une forme illustrée. Je dis : formule générale de la folie, en ce sens qu’on peut la voir s’appliquer particulièrement à une quelconque de ces phases, par quoi s’accomplit plus ou moins dans chaque destinée le développement dialectique de l’être humain, et qu’elle s’y réalise toujours comme une stase de l’être dans une identification idéale qui caractérise ce point d’une destinée particulière.

Or, cette identification dont j’ai voulu bien faire sentir tout à l’heure le caractère sans médiation et « infatué », voici qu’elle se démontre comme le rapport de l’être à ce qu’il a de meilleur, puisque cet idéal représente en lui sa liberté.

Pour dire ces choses-là en termes plus galants, je pourrais vous les démontrer par l’exemple auquel Hegel lui-même se reportait en esprit, quand il développait cette analyse dans la Phénoménologie[13] c’est-à-dire, si mon souvenir est bon, en 1806, tout en attendant (ceci soit noté au passage pour être versé à un dossier que je viens d’ouvrir), tout en attendant, dis-je, l’approche de la Weltseele, l’âme du monde, qu’il reconnaissait en Napoléon, aux fins précises de révéler à celui-ci ce qu’il avait l’honneur d’incarner ainsi, bien qu’il parût l’ignorer profondément. L’exemple dont je parle est le personnage de Karl Moor, le héros des Brigands de Schiller, familier à la mémoire de tout Allemand.

Plus accessible à la nôtre et, aussi bien, plus plaisant à mon goût, j’évoquerai l’Alceste de Molière. Non sans faire d’abord la remarque que le fait qu’il n’ait cessé d’être un problème pour nos (145)beaux esprits nourris d’« humanités » depuis son apparition démontre assez ce que ces choses-là que j’agite ici, ne sont point aussi vaines que les dits beaux-esprits voudraient le faire accroire, quand ils les qualifient de pédantesques, moins sans doute pour s’épargner l’effort de les comprendre que les douloureuses conséquences qu’il leur faudrait en tirer pour eux-mêmes de leur société, après qu’ils les auraient comprises.

Tout part de ceci que la « belle âme » d’Alceste exerce sur le bel esprit une fascination à laquelle il ne saurait résister en tant que « nourri d’humanités ». Molière donne-t-il donc raison à la complaisance mondaine de Philinte ? Est-ce là Dieu possible ! s’écrient les uns, tandis que les autres doivent reconnaître, avec les accents désabusés de la sagesse, qu’il faut bien qu’il en soit ainsi au train d’où va le monde.

Je crois que la question n’est pas de la sagesse de Philinte, et la solution peut-être choquerait ces messieurs : c’est qu’Alceste est fou et que Molière le montre comme tel, – très justement en ceci que dans sa belle âme il ne reconnaît pas qu’il concourt lui-même au désordre contre lequel il s’insurge.

Je précise qu’il est fou, non pas pour aimer une femme qui soit coquette ou le trahisse, ce que nos doctes de tout à l’heure rapporteraient sans doute à son inadaptation vitale, – mais pour être pris, sous le pavillon de l’Amour, par le sentiment même qui mène le bal de cet art des mirages où triomphe la belle Célimène : à savoir ce narcissisme des oisifs qui donne la structure psychologique du « monde » à toutes les époques, doublé ici de cet autre narcissisme, qui se manifeste plus spécialement dans certaines par l’idéalisation collective du sentiment amoureux.

Célimène au foyer du miroir et ses adorateurs en un rayonnant pourtour se complaisent au jeu de ces feux. Mais Alceste non moins que tous, car s’il n’en tolère pas les mensonges, c’est seulement que son narcissisme est plus exigeant. Certes il se l’exprime à lui-même sous la forme de la loi du cœur :

Je veux qu’on soit sincère et qu’en homme d’honneur

On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.

– Oui, mais quand son cœur parle, il a d’étranges cris. Ainsi quand Philinte l’interroge :

(146)Vous croyez donc être aimé d’elle ?

– Oui parbleu ! répond-il.

Je ne l’aimerais pas, si je ne croyais l’être.

Réplique dont je me demande si de Clérambault ne l’aurait pas reconnue comme tenant plus du délire passionnel que de l’amour.

Et quelque répandu que soit, dit-on, dans la passion le fantasme de l’épreuve d’une déchéance de l’objet aimé, je lui trouve chez Alceste un accent singulier :

Ah ! rien n’est comparable à mon amour extrême,

Et, dans l’ardeur qu’il a de se montrer à tous,

Il va jusqu’à former des souhaits contre vous.

Oui, je voudrais qu’aucun ne vous trouvât aimable,

Que vous fussiez réduite en un sort misérable,

Que le ciel, en naissant, ne vous eût donné rien…

Avec ce beau vœu et le goût qu’il a pour la chanson : « J’aime mieux ma mie », que ne courtise-t-il la bouquetière ? Mais il ne pourrait pas « montrer à tous », son amour pour la bouquetière, et ceci donne la clef véritable du sentiment qui s’exprime ici : c’est cette passion de démontrer à tous son unicité, fût-ce dans l’isolement de la victime où il trouve au dernier acte sa satisfaction amèrement jubilatoire.

Quant au ressort de la péripétie, il est donné par le mécanisme que, bien plutôt qu’à l’auto-punition, je rapporterais à l’agression suicidaire du narcissisme.

Car ce qui met Alceste hors de lui à l’audition du sonnet d’Oronte, c’est qu’il y reconnaît sa situation, qui n’y est dépeinte que trop exactement pour son ridicule, et, cet imbécile qu’est son rival, lui apparaît comme sa propre image en miroir ; les propos de furieux qu’il tient alors trahissent manifestement qu’il cherche à se frapper lui-même. Aussi bien chaque fois qu’un de leurs contrecoups lui montrera qu’il y est parvenu, il en subira l’effet avec délices.

C’est ici que je relève comme un défaut singulier de la conception d’Henry Ey qu’elle l’éloigne de la signification de l’acte délirant, qu’elle le réduit à tenir pour l’effet contingent d’un manque de contrôle, alors que le problème de la signification de cet acte nous est rappelé sans cesse par les exigences médico-légales qui sont essentielles à la phénoménologie de notre expérience.

(147)Combien là encore va plus loin un Guiraud, mécaniste, quand, dans son article sur les Meurtres immotivés[14], il s’attache à reconnaître que ce n’est rien d’autre que le kakon de son propre être, que l’aliéné cherche à atteindre dans l’objet qu’il frappe.

Quittons d’un dernier regard Alceste qui n’a pas fait d’autre victime que lui-même et souhaitons-lui de trouver ce qu’il cherche, à savoir :

sur la terre, un endroit écarté,

Où d’être homme d’honneur, on ait la liberté,

pour retenir ce dernier mot. Car ce n’est pas seulement par dérision que l’impeccable rigueur de la comédie classique le fait surgir ici.

La portée du drame qu’elle exprime en effet, ne se mesure pas à l’étroitesse de l’action où elle se noue, et tout comme l’altière démarche de Descartes dans la Note secrète où il s’annonce sur le point de monter sur la scène du monde, elle « s’avance masquée ».

J’eusse pu, au lieu d’Alceste, rechercher le jeu de la loi du cœur dans le destin qui conduit le vieux révolutionnaire de 1917 au banc des accusés des procès de Moscou. Mais ce qui se démontre dans l’espace imaginaire du poète, vaut métaphysiquement ce qui se passe de plus sanglant dans le monde, car c’est cela qui dans le monde fait couler le sang.

Ce n’est donc pas que je me détourne du drame social qui domine notre temps. C’est que le jeu de ma marionnette manifestera mieux à chacun le risque qui le tente, chaque fois qu’il s’agit de la liberté.

Car le risque de la folie se mesure à l’attrait même des identifications, où l’homme engage à la fois sa vérité et son être.

Loin donc que la folie soit le fait contingent des fragilités de son organisme, elle est la virtualité permanente d’une faille ouverte dans son essence.

Loin qu’elle soit pour la liberté « une insulte[15] », elle est sa plus fidèle compagne, elle suit son mouvement comme une ombre.

Et l’être de l’homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la folie comme la limite de sa liberté.

(148)Et pour rompre ce propos sévère par l’humour de notre jeunesse, il est bien vrai que, comme nous l’avions écrit en une formule lapidaire au mur de notre salle de garde : « Ne devient pas fou qui veut ».

Mais c’est aussi que n’atteint pas qui veut, les risques qui enveloppent la folie.

Un organisme débile, une imagination déréglée, des conflits dépassant les forces n’y suffisent pas. Il se peut qu’un corps de fer, des identifications puissantes, les complaisances du destin, inscrites dans les astres, mènent plus sûrement à cette séduction de l’être.

Au moins cette conception a-t-elle immédiatement le bénéfice de faire évanouir l’accent problématique que le XIXe siècle a mis sur la folie des individualités supérieures – et de tarir l’arsenal de coups bas qu’échangent Homais et Bournisien sur la folie des saints ou des héros de la liberté.

Car si l’œuvre de Pinel nous a, Dieu merci ! rendus plus humains avec les fous du commun, il faut reconnaître qu’elle n’a pas accru notre respect pour la folie des risques suprêmes.

Au reste Homais et Bournisien représentent une même manifestation de l’être. Mais n’êtes-vous pas frappé qu’on ne rie jamais que du premier ? Je vous défie d’en rendre compte autrement que par la distinction significative que j’ai exprimée plus haut. Car Homais « y croit », tandis que Bournisien, aussi bête mais pas fou, défend sa croyance, et, d’être appuyé sur sa hiérarchie, maintient entre lui et sa vérité cette distance, où il passera accord avec Homais, si celui-ci « devient raisonnable » en reconnaissant la réalité des « besoins spirituels ».

L’ayant donc désarmé en même temps que son adversaire par notre compréhension de la folie, nous recouvrons le droit d’évoquer les voix hallucinatoires de Jeanne d’Arc ou ce qui s’est passé au chemin de Damas, sans qu’on nous mette en demeure de changer pour autant le ton de notre voix réelle, ni de passer nous-mêmes à un état second dans l’exercice de notre jugement.

Parvenu à ce point de mon discours sur la causalité de la folie, ne me faut-il pas prendre souci que le ciel me garde de m’égarer, et m’apercevoir qu’après avoir posé qu’Henry Ey méconnaît la causalité de la folie, et qu’il n’est pas Napoléon, je choie dans ce travers (149)d’en avancer pour preuve dernière que cette causalité, c’est moi qui la connais, autrement dit que c’est moi qui suis Napoléon.

Je ne crois pas pourtant que tel soit mon propos, car il me semble qu’à veiller à maintenir justes les distances humaines qui constituent notre expérience de la folie, je me suis conformé à la loi qui, à la lettre, en fait exister les apparentes données : faute de quoi le médecin, tel celui qui oppose au fou que ce qu’il ne dit n’est pas vrai, ne divague pas moins que le fou lui-même.

Relisant d’autre part à cette occasion l’observation sur laquelle je me suis appuyé, il me semble pouvoir me rendre ce témoignage que, de quelque façon qu’on en puisse juger les fruits, j’ai conservé pour mon objet le respect qu’il méritait comme personne humaine, comme malade et comme cas.

Enfin je crois qu’à rejeter la causalité de la folie dans cette insondable décision de l’être où il comprend ou méconnaît sa libération, en ce piège du destin qui le trompe sur une liberté qu’il n’a point conquise, je ne formule rien d’autre que la loi de notre devenir, telle que l’exprime la formule antique : Genoi oios esti.

Et pour y définir la causalité psychique, je tenterai maintenant d’appréhender le mode de forme et d’action, qui fixe les déterminations de ce drame, autant qu’il me paraît identifiable scientifiquement au concept de l’imago.

 

troisième partie

 

LES EFFETS PSYCHIQUES DU MODE IMAGINAIRE

 

L’histoire du sujet se développe en une série plus ou moins typique d’identifications idéales qui représentent les plus purs des phénomènes psychiques en ceci qu’ils révèlent essentiellement la fonction de l’imago. Et nous ne concevons pas le Moi autrement que comme un système central de ces formations, système qu’il faut comprendre comme elles dans sa structure imaginaire et dans sa valeur libidinale.

Sans donc nous attarder à ceux qui, même dans la science, confondent tranquillement le Moi avec l’être du sujet, on peut voir où nous nous séparons de la conception la plus commune, qui identifie le Moi à la synthèse des fonctions de relation de l’organisme, (150)conception qu’il faut bien dire bâtarde en ceci qu’une synthèse subjective s’y définit en termes objectifs.

On y reconnaît la position d’Henry Ey telle qu’elle s’exprime dans le passage que nous avons relevé plus haut, par cette formule que « l’atteinte du Moi se confond en dernière analyse avec la notion de dissolution fonctionnelle ».

Peut-on la lui reprocher quand le préjugé paralléliste est si fort que Freud lui-même, à l’encontre de tout le mouvement de sa recherche, en est resté le prisonnier et qu’au reste y attenter à son époque eut peut-être équivalu à s’exclure de la communicabilité scientifique.

On sait en effet que Freud identifie le Moi, au « système perception-conscience », que constitue la somme des appareils par quoi l’organisme est adapté au « principe de réalité[16] ».

Si l’on réfléchit au rôle que joue la notion de l’erreur dans la conception de Ey, on voit le lien qui unit l’illusion organiciste à une métapsychologie réaliste. Ce qui ne nous rapproche pas pour autant d’une psychologie concrète.

Aussi bien, encore que les meilleurs esprits dans la psychanalyse requièrent avidement, si nous les en croyons, une théorie du Moi, il y a peu de chance que la place s’en remarque par autre chose que par un trou béant, tant qu’ils ne se résoudront pas à considérer comme caduc ce qui l’est en effet dans l’œuvre d’un maître sans égal.

L’œuvre de M. Merleau-Ponty[17] démontre pourtant de façon décisive que toute saine phénoménologie, de la perception par exemple, commande qu’on considère l’expérience vécue avant toute objectivation et même avant toute analyse réflexive qui entremêle l’objectivation à l’expérience. Je m’explique : la moindre illusion visuelle manifeste qu’elle s’impose à l’expérience avant que l’observation de la figure partie par partie la corrige ; ce par quoi l’on objective la forme dite réelle. Quand la réflexion nous aura fait reconnaître dans cette forme la catégorie a priori de l’étendue dont la propriété justement est de se présenter « partes extra partes », (151)il n’en restera pas moins que c’est l’illusion en elle-même qui nous donne l’action de Gestalt qui, ici, est l’objet propre de la psychologie.

C’est pourquoi toutes les considérations sur la synthèse du Moi ne nous dispenseront pas de considérer son phénomène dans le sujet : à savoir tout ce que le sujet comprend sous ce terme et qui n’est pas précisément synthétique, ni seulement exempt de contradiction, comme on le sait depuis Montaigne, mais bien plus encore, depuis que l’expérience freudienne y désigne le lieu même de la Verneinung c’est-à-dire du phénomène par quoi le sujet révèle un de ses mouvements par la dénégation même qu’il en apporte et au moment même où il l’apporte. Je souligne qu’il ne s’agit pas d’un désaveu d’appartenance, mais d’une négation formelle : autrement dit d’un phénomène typique de méconnaissance et sous la forme inversée sur laquelle nous avons insisté : forme dont son expression la plus habituelle : – N’allez pas croire que… –, nous livre déjà ce rapport profond avec l’autre en tant que tel, que nous allons mettre en valeur dans le Moi.

Aussi bien l’expérience ne nous démontre-t-elle pas au plus simple regard que rien ne sépare le Moi de ses formes idéales (Ich Ideal, où Freud retrouve ses droits) et que tout le limite du côté de l’être qu’il représente, puisque lui échappe presque toute la vie de l’organisme, non seulement pour autant qu’elle en est méconnue le plus normalement, mais qu’il n’a pas à en connaître pour la plus grande part.

Pour la psychologie génétique du Moi, les résultats qu’elle a obtenus nous paraissent d’autant plus valables qu’on les dépouille de tout postulat d’intégration fonctionnelle.

J’en ai moi-même donné la preuve par mon étude des phénomènes caractéristiques de ce que j’ai appelé les moments féconds du délire. Poursuivie selon la méthode phénoménologique que je prône ici, cette étude m’a mené à des analyses d’où s’est dégagée ma conception du Moi en un progrès qu’ont pu suivre les auditeurs des conférences et leçons que j’ai faites au cours des années tant à l’Évolution psychiatrique qu’à la Clinique de la Faculté et à l’Institut de psychanalyse, et qui, pour être restées de mon fait inédites, n’en ont pas moins promu le terme, destiné à frapper, de connaissance paranoïaque.

En comprenant sous ce terme une structure fondamentale de (152)ces phénomènes, j’ai voulu désigner, sinon son équivalence, du moins sa parenté avec une forme de relation au monde d’une portée toute particulière. Il s’agit de la réaction qui, reconnue par les psychiatres, a été généralisée à la psychologie sous le nom de transitivisme. Cette réaction, en effet, pour ne s’éliminer jamais complètement du monde de l’homme, dans ses formes les plus idéalisées (dans les relations de rivalité par exemple), se manifeste d’abord comme la matrice et l’Urbild du Moi.

On la constate en effet comme dominant de façon significative la phase primordiale où l’enfant prend cette conscience de son individu, que son langage traduit, vous le savez, en troisième personne avant de le faire en première. Charlotte Bühler[18], en effet, pour ne citer qu’elle, observant le comportement de l’enfant avec son compagnon de jeu, a reconnu ce transitivisme sous la forme saisissante d’une véritable captation par l’image de l’autre.

Ainsi il peut participer dans une entière transe à la chute de son compagnon ou lui imputer aussi bien, sans qu’il s’agisse de mensonge, d’en recevoir le coup qu’il lui porte. Je passe sur la série de ces phénomènes qui vont de l’identification spectaculaire à la suggestion mimétique et à la séduction de prestance. Tous sont compris par cet auteur dans la dialectique qui va de la jalousie (cette jalousie dont saint Augustin entrevoyait déjà de façon fulgurante la valeur initiatrice) aux premières formes de la sympathie. Ils s’inscrivent dans une ambivalence primordiale qui nous apparaît, je l’indique déjà, en miroir, en ce sens que le sujet s’identifie dans son sentiment de Soi à l’image de l’autre et que l’image de l’autre vient à captiver en lui ce sentiment.

Or, cette réaction ne se produit que sous une condition, c’est que la différence d’âge entre les partenaires reste au-dessous d’une certaine limite qui, au début de la phase étudiée, ne saurait dépasser un an d’écart.

Là se manifeste déjà un trait essentiel de l’imago : les effets observables d’une forme au sens le plus large qui ne peut être définie qu’en termes de ressemblance générique, donc qui implique comme primitive une certaine reconnaissance.

(153)On sait que ses effets se manifestent à l’égard du visage humain dès le dixième jour après la naissance, c’est-à-dire à peine apparues les premières réactions visuelles et préalablement à toute autre expérience que celle d’une aveugle succion.

Ainsi, point essentiel, le premier effet qui apparaisse de l’imago chez l’être humain est un effet d’aliénation du sujet. C’est dans l’autre que le sujet s’identifie et même s’éprouve tout d’abord. Phénomène qui paraîtra moins surprenant à se souvenir des conditions fondamentalement sociales de l’Umwelt humain, – et si l’on évoque l’intuition qui domine toute la spéculation de Hegel.

Le désir même de l’homme se constitue, nous dit-il, sous le signe de la médiation, il est désir de faire reconnaître son désir. Il a pour objet un désir, celui d’autrui, en ce sens que l’homme n’a pas d’objet qui se constitue pour son désir sans quelque médiation, ce qui apparaît dans ses besoins les plus primitifs, en ceci par exemple, que sa nourriture même doit être préparée, – et ce qu’on retrouve dans tout le développement de sa satisfaction à partir du conflit du maître et de l’esclave par toute la dialectique du travail.

Cette dialectique qui est celle de l’être même de l’homme doit réaliser dans une série de crises la synthèse de sa particularité et de son universalité, allant à universaliser cette particularité même.

Ce qui veut dire que dans ce mouvement qui mène l’homme à une conscience de plus en plus adéquate de lui-même, sa liberté se confond avec le développement de sa servitude.

L’imago a-t-elle donc cette fonction d’instaurer dans l’être un rapport fondamental de sa réalité à son organisme ? La vie psychique de l’homme nous montre-t-elle sous d’autres formes un semblable phénomène ?

Nulle expérience plus que la psychanalyse n’aura contribué à le manifester et cette nécessité de répétition qu’elle montre comme l’effet du complexe, – bien que la doctrine l’exprime dans la notion, inerte et impensable de l’inconscient –, parle assez clairement.

L’habitude et l’oubli sont les signes de l’intégration dans l’organisme d’une relation psychique : toute une situation, pour être devenue au sujet à la fois aussi inconnue et aussi essentielle que son corps, se manifeste normalement en effets homogènes au sentiment qu’il a de son corps.

Le complexe d’Œdipe s’avère dans l’expérience non seulement (154)capable de provoquer par ses incidences atypiques tous les effets somatiques de l’hystérie, – mais de constituer normalement le sentiment de la réalité.

Une fonction de puissance et de tempérament à la fois – un impératif non plus aveugle, mais « catégorique », – une personne qui domine et arbitre le déchirement avide et l’ambivalence jalouse qui fondaient les relations premières de l’enfant avec sa mère et avec le rival fraternel, voici ce que le père représente et semble-t-il d’autant plus qu’il est plus « en retrait » des premières appréhensions affectives. Les effets de cette apparition sont exprimés diversement par la doctrine, mais très évidemment ils y apparaissent gauchis par les incidences traumatisantes où l’expérience thérapeutique les a faits d’abord apercevoir. Ils me paraissent pouvoir s’exprimer sous leur forme la plus générale ainsi : la nouvelle image fait « floculer » dans le sujet un monde de personnes qui, en tant qu’elles représentent des noyaux d’autonomie, changent complètement pour lui la structure de la réalité.

Je n’hésite pas à dire qu’on pourra démontrer que cette crise a des résonances physiologiques, – et que, toute purement psychologique qu’elle soit dans son ressort, une certaine « dose d’Œdipe » peut être considérée comme ayant l’efficacité humorale de l’absorption d’un médicament désensibilisateur.

Au reste le rôle décisif d’une expérience affective de ce registre pour la constitution du monde de la réalité dans les catégories du temps et de l’espace, est si évident qu’un Bertrand Russell dans son Essai d’inspiration radicalement mécaniste, d’« Analyse de l’Esprit[19] » ne peut éviter d’admettre dans sa théorie génétique de la perception la fonction de « sentiments de distance », qu’avec le sens du concret propre aux Anglo-Saxons il réfère au « sentiment du respect ».

J’avais relevé ce trait significatif dans ma thèse, quand je m’efforçais de rendre compte de la structure des « phénomènes élémentaires » de la psychose paranoïaque.

Qu’il me suffise de dire que la considération de ceux-ci m’amenait à compléter le catalogue des structures : symbolisme, condensation, et autres que Freud a explicités comme celles, dirai-je, (155)du monde imaginaire ; car j’espère qu’on renoncera bientôt à user du mot inconscient pour désigner ce qui se manifeste dans la conscience.

Je m’apercevais (et pourquoi ne vous demanderais-je pas de vous reporter à mon chapitre[20] : dans le tâtonnement authentique de sa recherche il a une valeur de témoignage, je m’apercevais, dis-je, dans l’observation même de ma malade qu’il est impossible de situer exactement par l’anamnèse la date et le lieu géographique de certaines intuitions, d’illusions de la mémoire, de ressentiments convictionnels, d’objectivations imaginaires qui ne pouvaient être rapportées qu’au moment fécond du délire pris dans son ensemble. J’évoquerai pour me faire comprendre cette chronique et cette photo dont la malade s’était souvenue durant une de ces périodes comme l’ayant frappée quelques mois auparavant dans tel journal et que toute la collection du journal collationnée pendant des mois ne lui avait pas permis de retrouver. Et j’admettais que ces phénomènes sont donnés primitivement comme réminiscences, itérations, séries, jeux de miroir, sans que leur donnée même puisse être située pour le sujet dans l’espace et le temps objectifs d’aucune façon plus précise qu’il n’y peut situer ses rêves.

Ainsi approchons-nous d’une analyse structurale d’un espace et d’un temps imaginaires et de leurs connexions.

Et revenant à ma connaissance paranoïaque, j’essayais de concevoir la structure en réseau, les relations de participation, les perspectives en enfilade, le palais des mirages, qui règnent dans les limbes de ce monde que l’Œdipe fait sombrer dans l’oubli.

J’ai souvent pris position contre la façon hasardeuse dont Freud interprétait sociologiquement la découverte capitale pour l’esprit humain que nous lui devons là. Je pense que le complexe d’Œdipe n’est pas apparu avec l’origine de l’homme (si tant est qu’il ne soit pas insensé d’essayer d’en écrire l’histoire), mais à l’orée de l’histoire, de l’histoire « historique », à la limite des cultures « ethnographiques ». Il ne peut évidemment apparaître que dans la forme patriarcale de l’institution familiale, – mais il n’en a pas moins une valeur liminaire incontestable ; je suis convaincu que dans les cultures qui l’excluaient, la fonction devait en être remplie par des (156)expériences initiatiques, comme d’ailleurs l’ethnologie nous le laisse encore aujourd’hui voir, et sa valeur de clôture d’un cycle psychique tient à ce qu’il représente la situation familiale, en tant que par son institution celle-ci marque dans le culturel le recoupement du biologique et du social.

Pourtant la structure propre au monde humain, en tant que comportant l’existence d’objets indépendants du champ actuel des tendances, avec la double possibilité d’usage symbolique et d’usage instrumental, apparaît chez l’homme dès les premières phases du développement. Comment en concevoir la genèse psychologique ?

C’est à la position d’un tel problème que répond ma construction dite « du stade du miroir » – ou comme il vaudrait mieux dire de la phase du miroir.

J’en ai fait une communication en forme au congrès de Marienbad en 1936, du moins jusqu’en ce point coïncidant exactement au quatrième top de la dixième minute, où m’interrompit Jones qui présidait le congrès en tant que président de la Société Psychanalytique de Londres, position pour laquelle le qualifiait sans doute le fait que je n’ai jamais pu rencontrer un de ses collègues anglais qu’il n’ait eu à me faire part de quelque trait désagréable de son caractère. Néanmoins les membres du groupe viennois réunis là comme des oiseaux avant la migration imminente, firent à mon exposé un assez chaleureux accueil. Je ne donnai pas mon papier au compte rendu du congrès et vous pourrez en trouver l’essentiel en quelques lignes dans mon article sur la famille paru en 1938 dans l’Encyclopédie Française, – tome de la vie mentale[21].

Mon but est d’y manifester la connexion d’un certain nombre de relations imaginaires fondamentales dans un comportement exemplaire d’une certaine phase du développement.

Ce comportement n’est autre que celui qu’a l’enfant devant son image au miroir dès l’âge de six mois, – si éclatant par sa différence d’avec celui du chimpanzé dont il est loin d’avoir atteint le développement dans l’application instrumentale de l’intelligence.

Ce que j’ai appelé l’assomption triomphante de l’image avec la mimique jubilatoire qui l’accompagne, la complaisance ludique dans le contrôle de l’identification spéculaire, après le repérage (157)expérimental le plus bref de l’inexistence de l’image derrière le miroir, – contrastant avec les phénomènes opposés chez le singe, m’ont paru manifester un de ces faits de captation identificatrice par l’imago que je cherchais à isoler.

Il se rapportait de la façon la plus directe à cette image de l’être humain que j’avais déjà rencontrée dans l’organisation la plus archaïque de la connaissance humaine.

L’idée a fait son chemin. Elle a rencontré celle d’autres chercheurs, parmi lesquels je citerai Lhermitte dont le livre paru en 1939 rassemblait les trouvailles d’une attention dès longtemps retenue par la singularité et l’autonomie de l’image du corps propre dans le psychisme.

Il y a en effet autour de cette image une immense série de phénomènes subjectifs depuis l’illusion des amputés en passant par les hallucinations du double, son apparition onirique et les objectivations délirantes qui s’y rattachent. Mais, le plus important est encore son autonomie comme lieu imaginaire de référence des sensations proprioceptives, qu’on peut manifester dans toutes sortes de phénomènes, dont l’illusion d’Aristote n’est qu’un échantillon.

La Gestaltteorie et la phénoménologie ont aussi leur part au dossier de cette image. Et toutes sortes de mirages imaginaires de la psychologie concrète, familiers aux psychanalystes et qui vont des jeux sexuels aux ambiguïtés morales, font qu’on se souvient de mon stade du miroir par la vertu de l’image et l’opération du saint esprit du langage « Tiens, se dit-on, cela fait penser à cette fameuse histoire de Lacan, le stade du miroir. Qu’est-ce qu’il disait donc exactement ? »

À la vérité j’ai poussé un peu plus loin ma conception du sens existentiel du phénomène, en le comprenant dans son rapport avec ce que j’ai appelé la prématuration de la naissance chez l’homme, autrement dit l’incomplétude et le « retard » du développement du névraxe pendant les six premiers mois. Phénomènes bien connus des anatomistes et d’ailleurs manifestes, depuis que l’homme existe, dans l’incoordination motrice et équilibratoire du nourrisson, et qui n’est probablement pas sans rapport avec le processus de fœtalisation où Bolk voit le ressort du développement supérieur des vésicules encéphaliques chez l’homme.

C’est en fonction de ce retard de développement que la maturation (158)précoce de la perception visuelle prend sa valeur d’anticipation fonctionnelle. Il en résulte, d’une part, la prévalence marquée de la structure visuelle dans la reconnaissance, si précoce, nous l’avons vu, de la forme humaine. D’autre part, les chances d’identification à cette forme, si je puis dire, en reçoivent un appoint décisif qui va constituer dans l’homme ce nœud imaginaire absolument essentiel, qu’obscurément et à travers des contradictions doctrinales inextricables la psychanalyse a pourtant admirablement désigné sous le nom de narcissisme.

C’est dans ce nœud que gît en effet le rapport de l’image à la tendance suicide que le mythe de Narcisse exprime essentiellement. Cette tendance suicide qui représente à notre avis ce que Freud a cherché à situer dans sa métapsychologie sous le nom d’instinct de mort ou encore de masochisme primordial, dépend pour nous du fait que la mort de l’homme, bien avant qu’elle se reflète, de façon d’ailleurs toujours si ambiguë, dans sa pensée, et par lui éprouvée dans la phase de misère originelle qu’il vit, du traumatisme de la naissance jusqu’à la fin des six premiers mois de prématuration physiologique, et qui va retentir ensuite dans le traumatisme du sevrage.

C’est un des traits les plus fulgurants de l’intuition de Freud dans l’ordre du monde psychique qu’il ait saisi la valeur révélatoire de ces jeux d’occultation qui sont les premiers jeux de l’enfant[22]. Tout le monde peut les voir et personne n’avait compris avant lui dans leur caractère itératif la répétition libératoire qu’y assume l’enfant de toute séparation ou sevrage en tant que tels.

Grâce à lui nous pouvons les concevoir comme exprimant la première vibration de cette onde stationnaire de renoncements qui va scander l’histoire du développement psychique.

Au départ de ce développement, voici donc liés le Moi primordial comme essentiellement aliéné et le sacrifice primitif comme essentiellement suicidaire :

C’est-à-dire la structure fondamentale de la folie.

Ainsi cette discordance primordiale entre le Moi et l’être serait la note fondamentale qui irait retentir en toute une gamme harmonique (159)à travers les phases de l’histoire psychique dont la fonction serait de la résoudre en la développant.

Toute résolution de cette discordance par une coïncidence illusoire de la réalité avec l’idéal résonnerait jusqu’aux profondeurs du nœud imaginaire de l’agression suicidaire narcissique.

Encore ce mirage des apparences où les conditions organiques de l’intoxication, par exemple, peuvent jouer leur rôle, exige-t-il l’insaisissable consentement de la liberté, comme il apparaît en ceci que la folie ne se manifeste que chez l’homme et après « l’âge de raison » et que se vérifie ici l’intuition pascalienne qu’« un enfant n’est pas un homme ».

Les premiers choix identificatoires de l’enfant, choix « innocents », ne déterminent rien d’autre, en effet, à part les pathétiques « fixations » de la névrose, que cette folie par quoi l’homme se croit un homme.

Formule paradoxale qui prend pourtant sa valeur à considérer que l’homme est bien plus que son corps, tout en ne pouvant rien savoir de plus de son être.

Il y apparaît cette illusion fondamentale dont l’homme est serf, bien plus que de toutes les « passions du corps » au sens cartésien, cette passion d’être un homme, dirai-je, qui est la passion de l’âme par excellence, le narcissisme, lequel impose sa structure à tous ses désirs fût-ce aux plus élevés.

À la rencontre du corps et de l’esprit, l’âme apparaît ce qu’elle est pour la tradition, c’est-à-dire comme la limite de la monade.

Quand l’homme cherchant le vide de la pensée s’avance dans la lueur sans ombre de l’espace imaginaire en s’abstenant même d’attendre ce qui va en surgir, un miroir sans éclat lui montre une surface où ne se reflète rien.

 

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* *

 

Nous croyons donc pouvoir désigner dans l’imago l’objet propre de la psychologie, exactement dans la même mesure où la notion galiléenne du point matériel inerte a fondé la physique.

Nous ne pouvons encore pourtant en pleinement saisir la notion et tout cet exposé n’a pas eu d’autre but que de vous guider vers son évidence obscure.

Elle me paraît corrélative d’un espace inétendu, c’est-à-dire indivisible, (160)dont le progrès de la notion de Gestalt doit éclairer l’intuition, – d’un temps fermé entre l’attente et la détente, d’un temps de phase et d’éternel retour.

Une forme de causalité la fonde qui est la causalité psychique même : l’identification, laquelle est un phénomène irréductible, et l’imago est cette forme définissable dans le complexe spatio-temporel imaginaire qui a pour fonction de réaliser l’identification résolutive d’une phase psychique, autrement dit une métamorphose des relations de l’individu à son semblable.

Ceux qui ne veulent point m’entendre pourraient m’opposer qu’il y a là une pétition de principe et que je pose gratuitement l’irréductibilité du phénomène au seul service d’une conception de l’homme qui serait toute métaphysique.

je vais donc parler aux sourds en leur apportant des faits qui, je le pense, intéresseront leur sens du visible, sans qu’à leurs yeux du moins ils n’apparaissent contaminés par l’esprit, ni par l’être : je veux dire que j’irai les chercher dans le monde animal.

Il est clair que les phénomènes psychiques doivent s’y manifester s’ils ont une existence indépendante et que notre imago doit s’y rencontrer au moins chez les animaux dont l’Umwelt comporte sinon la société, au moins l’agrégation de leurs semblables, qui présentent dans leurs caractères spécifiques ce trait qu’on désigne sous le nom de grégarisme. Au reste, il y a dix ans, quand j’ai désigné l’imago comme l’« objet psychique » et formulé que l’apparition du complexe freudien marquait une date dans l’esprit humain, en tant qu’elle contenait la promesse d’une psychologie véritable, – j’ai écrit en même temps, à plusieurs reprises, que la psychologie apportait là un concept capable de montrer en biologie une fécondité au moins égale à celle de beaucoup d’autres qui, pour y être en usage, sont sensiblement plus incertains.

Cette indication s’est trouvée réalisée depuis 1939 et je n’en veux donner pour preuve que deux « faits » parmi d’autres qui se sont révélés dès maintenant nombreux.

Premièrement, 1939, travail de Harrisson, publié dans les Proceedings of the Royal Society[23].

(161)On sait depuis longtemps que la femelle du pigeon, isolée de ses congénères, n’ovule pas.

Les expériences de Harrisson démontrent que l’ovulation est déterminée par la vue de la forme spécifique du congénère, à l’exclusion de toute autre forme sensorielle de la perception, et sans qu’il soit nécessaire qu’il s’agisse de la vue d’un mâle.

Placées dans la même pièce que des individus des deux sexes, mais dans des cages fabriquées de telle façon que les sujets ne puissent se voir tout en percevant sans obstacle leurs cris et leur odeur, les femelles n’ovulent pas. Inversement, il suffit que deux sujets puissent se contempler, fût-ce à travers une plaque de verre qui suffit à empêcher tout déclenchement du jeu de la pariade, et le couple ainsi séparé étant tout aussi bien composé de deux femelles, pour que le phénomène d’ovulation se déclenche dans des délais qui varient : de douze jours pour le mâle et la femelle avec le verre interposé, à deux mois pour deux femelles.

Mais point plus remarquable encore : la seule vue par l’animal de son image propre dans le miroir suffit à déclencher l’ovulation en deux mois et demi.

Un autre chercheur a noté que la sécrétion du lait dans les jabots du mâle qui se produit normalement lors de l’éclosion des œufs, ne se produit pas, s’il ne peut voir la femelle en train de les couver.

Second groupe de faits, in travail de Chauvin, 1941, dans les annales de la Société Entomologique de France[24].

II s’agit cette fois d’une de ces espèces d’insectes dont les individus présentent deux variétés très différentes selon qu’ils appartiennent à un type dit solitaire ou à un type dit grégaire. Très exactement, il s’agit du Criquet Pèlerin, c’est-à-dire d’une des espèces appelées vulgairement sauterelle et où le phénomène de la nuée est lié à l’apparition du type grégaire. Chauvin a étudié ces deux variétés chez ce criquet, autrement dit Schistocerca, ou comme d’ailleurs chez Locusta et autres espèces voisines, leurs types présentent de profondes différences tant quant aux instincts : cycle sexuel, voracité, agitation motrice – que dans leur morphologie : comme il apparaît dans les indices biométriques, et la pigmentation qui forme la parure caractéristique des deux variétés.

(162)Pour ne nous arrêter qu’à ce dernier caractère, j’indiquerai que chez Schistocerca le type solitaire est vert uniforme dans tout son développement qui comporte 5 stades larvaires, mais que le type grégaire passe par toute sorte de couleurs selon ces stades, avec certaines striations noires sur différentes parties de son corps, telle une des plus constantes sur le fémur postérieur. Mais je n’exagère pas en disant qu’indépendamment de ces caractéristiques très voyantes, les insectes différent biologiquement du tout au tout.

On constate chez cet insecte que l’apparition du type grégaire est déterminé par la perception durant les premières périodes larvaires de la forme caractéristique de l’espèce. Donc deux individus solitaires mis en compagnie évolueront vers le type grégaire. Par une série d’expérience : élevage dans l’obscurité, sections isolées des palpes, des antennes, etc., on a pu très précisément localiser cette perception à la vue et au toucher à l’exclusion de l’odorat, de l’ouïe et de la participation agitatoire. Il n’est pas forcé que les individus mis en présence soient du même stade larvaire et ils réagissent de la même façon à la présence d’un adulte. La présence d’un adulte d’une espèce voisine, comme Locusta détermine de même le grégarisme – mais non pas celle d’un Gryllus, d’une espèce plus éloignée.

M. Chauvin, après une discussion approfondie, est amené à faire intervenir la notion d’une forme et d’un mouvement spécifiques, caractérisés par un certain « style », formule d’autant moins suspecte chez lui qu’il ne paraît pas songer à la rattacher aux notions de la Gestalt. Je le laisse conclure en termes qui montreront son peu de propension métaphysique : « Il faut bien, dit-il, qu’il y ait là une sorte de reconnaissance, si rudimentaire qu’on la suppose. Or comment parler de reconnaissance, ajoute-t-il, sans sous-entendre un mécanisme psycho-physiologique[25] » ? Telles sont les pudeurs du physiologiste.

Mais ce n’est pas tout : des grégaires naissent de l’accouplement de deux solitaires dans une proportion qui dépend du temps pendant lequel on laisse frayer ceux-ci. Bien plus encore ces excitations s’additionnent de telle sorte qu’à mesure de la répétition des (163)accouplements après des temps d’intervalle, la proportion des grégaires qui naissent augmente.

Inversement la suppression de l’action morphogène de l’image entraîne la réduction progressive du nombre des grégaires dans la lignée.

Quoique les caractéristiques sexuelles de l’adulte grégaire tombent sous les conditions qui manifestent encore mieux l’originalité du rôle de l’imago spécifique dans le phénomène que nous venons de décrire, je m’en voudrais de poursuivre plus longtemps sur ce terrain dans un rapport qui a pour objet la causalité psychique dans les folies.

Je veux seulement souligner à cette occasion ce fait non moins significatif que, contrairement à ce qu’Henry Ey se laisse entraîner à avancer quelque part, il n’y a aucun parallélisme entre la différenciation anatomique du système nerveux et la richesse des manifestations psychiques, fussent-elles d’intelligence, comme le démontre un nombre immense de faits du comportement chez les animaux inférieurs. Tel par exemple, le crabe dont je me suis plu à plusieurs reprises dans mes conférences, à vanter l’habileté à user des incidences mécaniques, quand il a à s’en servir à l’endroit d’une moule.

 

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* *

 

Au moment de terminer, j’aimerais que ce petit discours sur l’imago vous parût non point ironique gageure, mais bien ce qu’il exprime, une menace pour l’homme. Car si d’avoir reconnu cette distance inquantifiable de l’imago et ce tranchant infime de la liberté comme décisifs de la folie, ne suffit pas encore à nous permettre de la guérir, le temps n’est peut-être pas loin où ce nous permettra de la provoquer. Car si rien ne peut nous garantir de ne pas nous perdre dans un mouvement libre vers le vrai, il suffit d’un coup de pouce pour nous assurer de changer le vrai en folie. Alors nous serons passés du domaine de la causalité métaphysique dont on peut se moquer à celui de la technique scientifique qui ne prête pas à rire.

De semblables entreprises, ont paru déjà par ci par là quelques balbutiements. L’art de l’image bientôt saura jouer sur les valeurs de l’imago et l’on connaîtra un jour des commandes en série (164)d’« idéaux » à l’épreuve de la critique : c’est bien là que prendra tout son sens l’étiquette : « garanti véritable ».

L’intention ni l’entreprise ne seront nouvelles, mais nouvelle leur forme systématique.

En attendant, je vous propose la mise en équations des structures délirantes et des méthodes thérapeutiques appliquées aux psychoses, en fonction des principes ici développés,

– à partir de l’attachement ridicule à l’objet de revendication, en passant par la tension cruelle de la fixation hypocondriaque, jusqu’au fonds suicidaire du délire des négations,

– à partir de la valeur sédative de l’explication médicale, en passant par l’action de rupture de l’épilepsie provoquée, jusqu’à la catharsis narcissique de l’analyse.

Il a suffi de considérer avec réflexion quelques « illusions optiques » pour fonder une théorie de la Gestalt qui donne des résultats qui peuvent passer pour de petites merveilles. Par exemple de prévoir le phénomène suivant : sur un dispositif composé de secteurs colorés en bleu, tournant devant un écran mi partie noir et jaune, selon que vous voyez ou non le dispositif, donc par la seule vertu d’une accommodation de la pensée, les couleurs restent isolées ou se mêlent et vous voyez les deux couleurs de l’écran à travers un tournoiement bleu, ou bien se composer un bleu-noir et un gris.

Jugez donc de ce que pourrait offrir aux facultés combinatoires une théorie qui se réfère au rapport même de l’être au monde, si elle prenait quelque exactitude. Dites-vous bien qu’il est certain que la perception visuelle d’un homme formé dans un complexe culturel tout à fait différent du nôtre, est une perception tout à fait différente de la nôtre.

Plus inaccessible à nos yeux faits pour les signes du changeur que ce dont le chasseur du désert sait voir la trace imperceptible : le pas de la gazelle sur le rocher, un jour se révéleront les aspects de l’imago.

Vous m’avez entendu, pour en situer la place dans la recherche, me référer avec dilection à Descartes et à Hegel. Il est assez à la mode de nos jours de « dépasser » les philosophes classiques. J’aurais aussi bien pu partir de l’admirable dialogue avec Parménide. Car ni Socrate, ni Descartes, ni Marx, ni Freud, ne peuvent être (165)« dépassés » en tant qu’ils ont mené leur recherche avec cette passion de dévoiler qui a un objet : la vérité.

Comme l’a écrit un de ceux-là, princes du verbe, et sous les doigts de qui semblent glisser d’eux-mêmes les fils du masque de l’Ego, j’ai nommé Max Jacob, poète, saint et romancier, oui, comme il l’a écrit dans son Cornet à dés, si je ne m’abuse : le vrai est toujours neuf.

 

 



[1] Cette conférence a été prononcée le 28 septembre 1946 aux Journées Psychiatriques à Bonneval. J’avais mis à l’ordre du jour de ces « Journées » le thème de « la Psychogenèse ». Les rapports de J. Lacan, J. Rouart, L. Bonnafé et S. Follin ainsi que mon exposé et la discussion qui les ont suivis paraîtront en 1947 sous le titre : « La Psychogenèse et troubles psychiques ». Le rapport que nous publions ici, a ouvert notre réunion. (Henri Ey).

[2]. On peut lire le dernier exposé actuellement paru des points de vue d’Henri Ey dans la brochure qui donne le rapport présenté par J. de Ajuriaguerra et H. Hécaen aux Journées de Bonneval de 1943 (soit de la session immédiatement antécédente). À ce rapport qui est une critique de sa doctrine, H. Ey, apporte en effet une introduction et une longue réponse. Certaines des citations qui suivront leur sont empruntées. (Rapports de la Neurologie et de la Psychiatrie. H. Ey, J. de Ajuriaguerra et H. Hécaen. Hermann édit. 1947. N° 1018 de la collection bien connue. Actualités scientifiques et industrielles). D’autres citations ne se trouvent pourtant que dans des textes dactylographiés où s’est poursuivie une très féconde discussion qui a préparé les Journées de 1945.

[3] Cf. loc. cit. p. 14.

[4] Loc. cit. page 122.

[5] Cf. le texte publié dans le présent numéro de cette Revue, voir page 71.

[6]. In Évolution psychiatrique – 1936. fasc. III.

[7]. Chez Alcan., 1934 dans la petite collection verte.

[8]. Les formes verbales de l’interprétation délirante. Ann. médico-psychol. 1921. 1er semestre. pp. 395-412.

[9]. Dans le numéro 1 de la Revue : 14, rue du Dragon (Éditions Cahiers d’Art).

[10]. Paul Eluard. Poésie involontaire et poésie intentionnelle, plaquette éditée par Seghers (Poésie 42).

[11]. Cf. De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité,,1932, chez Le François.

[12]. Cf. La Philosophie de l’esprit. Trad. Véra, parue chez Germer Baillière en 1867 – et la Phénoménologie de l’esprit, ouvrage sur lequel nous revenons plus loin, dont Jean Hyppolite a donné en 1939 une excellente traduction en 2 volumes chez Aubier.

[13]. Les lecteurs français ne pourront plus ignorer cette œuvre après que Jean Hyppolite l’ait mise à leur portée, et de façon à satisfaire les plus difficiles, dans sa thèse qui vient de paraître chez Aubier, et quand auront paru à la N. R. F, les notes au cours que M. Alexandre Kojève lui a consacré pendant cinq ans aux Hautes Études.

[14]. In Évolution psychiatrique. Mars 1931. Cf. également Guiraud et Cailleux. Le meurtre immotivé réaction libératrice de la maladie. Ann. Médico-psych. nov. 1928.

[15]. Vide supra, p. 129.

[16]. Cf. Freud – Das Ich und das Es – traduit par Jankélévitch sous le titre : Le Moi et le soi, in Essais de psychanalyse, paru chez Payot en 1927.

[17]. Phénoménologie de la perception. Gallimard 1915.

[18]. Charlotte Bühler. Soziologische n. psychologiste Studien über das erste Lebensjahr, Iena Fischer 1927.

Voir aussi Elsa Kohler. Die Personlichkeit des dreijahrigen Kindes. Leipzig 1926.

[19]. Traduit par M. Lefebvre, chez Payot. 1926.

[20]. Ouvr. cité. 2° partie. chap. II, pp. 202-215 et aussi in chap. IV, § HI. b. pp. 300-306.

[21]. Encyclopédie française, fondée par A. de Monzie, tome VIII, dirigé par Henri Wallon. Deuxième partie, Section A. La famille, spécialement les pages 8’40-6 à 8’40-11.

[22]. Dans l’article Jenseits des Lustprinzips. in Essais de psychanalyse, traduction déjà citée, pp. 18-23.

[23]. Proc. Roy. Soc. Series B (Biological Sciences) n 845 – 3 Feb. 1939. Vol. 126 London.

[24]. 1941. 3° trimestre, pp. 133, 272.

[25]. Loc. cit. page 251. – Les italiques sont de nous.