Intervention sur l’exposé de J. R. Cuel : « Place nosographique de certaines démences préséniles (types Pick et Alzheimer) ». Groupe de l’Évolution psychiatrique paru dans l’évolution psychiatrique, 1948, fascicule II, p. 72.

Exposé de J. R. Cuel […]

 

Discussion :

[…] (72)[…]

 

M. LACAN – Je m’associe aux compliments faits à Cuel. Je ne lui ferai qu’un reproche qui n’en est pas vraiment un à propos de la phrase de Morel qu’il a citée. En effet après nous avoir brillamment démontré que l’ensemble du groupe des démences séniles n’était pas tellement bien dégagé, il en est revenu par fidélité au terme de sénile à faire le pont entre la sénescence et la notion de démence sénile.

Par tout ce qui se rapporte à la psychologie de la sénilité, on s’aperçoit une fois de plus qu’on a recours, faute de concepts valables en psychologie, à des notions sommaires et désuètes. La notion de déficience intellectuelle fait partie de ces notions sommaires. L’intérêt de l’intervention de Mr Minkowski réside dans ce qu’il a dit sur l’existence d’éléments positifs dans le vieillissement. Mais il n’y a pas à envisager de dévalorisation ou de valorisation de la vieillesse. Elle est ce qu’elle est. D’ailleurs je ne crois pas exacte la description de la vieillesse comme le fait de parvenir à un âge auquel on soit en dehors des passions de l’amour, etc. Ce fait ne paraît pas excessivement sûr. Ceux qui vivent avec des vieillards s’aperçoivent que les drames sentimentaux sont nombreux et fréquents parmi eux.

Un autre point soulevé par Ajuriaguerra tout à l’heure me parait important, c’est le fait que le vieillard a sa vie derrière lui. Il vieillit avec une évolution psychique qui à été réalisée mais poussée plus ou moins loin. Le degré de réalisation qui a été acquis pèse certainement sur sa vieillesse.

Enfin je ferai allusion au livre d’Oswald, intitulé Les Grands Hommes c’est un livre très fécond et très riche. L’auteur est un chimiste allemand devenu penseur à la fin de sa vie et qui fit des recherches de grande ampleur sur l’Homme, ce qui montre que la spécialisation n’est pas un obstacle à des vues très larges. Il se place à un curieux point de vue énergétiste, qu’il applique à la carrière des créateurs. Il insiste sur la notion de rendement créateur dans l’ordre intellectuel, sur la valeur propre de celui qui apporte quelque chose de nouveau et sur son « poids » sur le plan de je ne sais quelle énergie, de telle sorte qu’il y aurait après sa production considérée comme une « ponte » un appauvrissement. Une de ses thèses est qu’au delà de trente à trente cinq ans un individu n’a plus d’idées neuves et fécondes. Ceux qui plus tard exposent des idées nouvelles ne font qu’exploiter celles qu’ils avaient eues auparavant. Il en résulte qu’il faudrait un rajeunissement des cadres universitaires surtout en ce qui concerne la recherche. La notion un peu confuse de fatigue à laquelle cet auteur a recours ne peut être prise en considération sur le plan de la neurologie mais reste valable sur le plan de la production.

Un autre point a été envisagé ce soir, celui de la représentativité du vieillard et de sa fonction dans un groupe social, ce qui ne nécessite nullement que, même lorsqu’on fait une idole, il ait conservé son intégrité intellectuelle.

 

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