Intervention sur l’exposé de J. Fretet (en collaboration avec R. Lyet) : « La relation hallucinatoire ». Paru dans l’Évolution psychiatrique, 1949, fascicule II, pp. 151-152.

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Mr Lacan – Je félicite M. Fretet de la forme et du contenu de sa conférence. Je partirai de la remarque faite par M. Ey en reconnaissant dans M. Fretet un élève de Clérambault. Il me semble que M. Ey a méconnu que tout en rendant hommage à l’analyse phénoménologique, M. Fretet tendait à en renverser le sens au moins en insistant sur le caractère de neutralité.

Je remarque également que M. Ey s’est laissé aller à un glissement un peu dangereux en passant de la notion de bienveillance et d’euphorie à celle de l’humour, chose qui me paraît totalement exclue du délire. L’humour est justement la dimension dans laquelle le sujet n’adhère pas à une croyance. Par l’humour l’homme est capable de s’élever au dessus de sa condition.

Nous ne faisons peut-être que redécouvrir certaines grandes thèses ou vérités fondamentales que M. Fretet pourra trouver dans la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, qui fait de la folie une des phases de l’évolution de l’Esprit. Le rêve est pour lui un premier état, la folie un deuxième état où sujet et objet s’opposent l’un à l’autre et où le sujet ne reconnaît pas dans l’ordre le désordre qui existe en lui-même.

La conférence de M. Fretet apporte des détails très fouillés concernant les délires et qui sont souvent méconnus et absents des études pourtant si remarquables de Janet. Il est étonnant que son étude des sentiments de persécution et des délires à partir des conduites sociales n’aient pas conduits Janet à les remarquer. Il y a là des choses qui vont dans le sens de mes travaux sur « la connaissance paranoïaque ». Il s’agit d’une étude de la structure de la connaissance humaine en tant que Sociale, l’objet ne se constituant que dans une relation interpsychologique. Toute la psychologie de la perception ne peut être envisagée que dans une dialectique sociale.

Je regrette que M. Fretet réduise la position psychanalytique à la conception qu’il appelle « conception rêveuse ». Psychanalyste moi-même j’ai pu faire rentrer – et tous au sein de la Société de Psychanalyse ont fait rentrer – dans la doctrine psychanalytique tout ce que j’ai compris dans la notion de stade du miroir.

Pour conclure je mettrais l’accent sur la distinction, que M. Fretet veut maintenir, du vécu et de l’expression. Je crois qu’il a raison de le faire, mais, de même qu’il n’y a pas de sensation pure, nous ne pouvons pas isoler le vécu pur. Il n’y a pas de vécu qui ne soit pénétré de sens. M. Ey nous propose une conception évolutive à un fléchissement de la conscience et des phénomènes élémentaires. Moi-même j’ai fait allusion à ceux-ci. Si on les considère comme du « vécu pur », ils sont inconsistants et insaisissables. À de nombreux signes on voit qu’ils sont déjà pénétrés de ce qui fera plus tard la structure de l’ensemble. À une certaine époque j’ai noté qu’ils reproduisaient cette structure répétitive en « galerie des glaces » en « palais des mirages » et qu’ils n’étaient absolument pas localisables dans le temps. La malade que j’avais observée disait se souvenir très bien de ce premier phénomène qui se serait produit lors de la lecture d’un journal. Elle s’était livrée à une recherche assidue et avait compulsé toute la collection du journal en question sans arriver à rien retrouver de correspondant à l’entrefilet dont elle évoquait la lecture. Dans beaucoup de ces délires il y a une projection rétrospective sur certains moments que j’ai appelé moments féconds, mais qui sont insaisissables. Le pur vécu serait à rapprocher de l’ancienne conception de l’ineffable proposée par Blondel, mais en fait ces phénomènes se déploient en langage et sont d’ordre social.

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