Intervention sur l’exposé de G. Amado « Éthique et psychologie d’adolescents inadaptés » paru dans l’évolution psychiatrique,1951, fascicule 1, pages 28-29.

Monsieur Lacan. – Je m’associe à tous ceux qui sont intervenus pour vous féliciter. Une chose me paraît ressortir particulièrement de votre conférence et présenter un intérêt particulier : c’est ce que vous avez exposé sous le nom « d’état d’asthénie », la passivité homosexuelle y joignant une note qui mériterait d’être étudiée de plus près et approfondie. Il y a là non seulement refus, mais passivité consciente et appliquée s’étendant à toute l’attitude à l’endroit de l’existence et comportant dans les pratiques homosexuelles non une attirance particulière mais ce qui répond le mieux à une passivité profonde et systématique.

Je m’associe à la remarque de Lebovici, sur ce que le groupe paraît être décrit comme plus inconsistant qu’il ne l’est. La structure en est difficile à saisir parce qu’il y a des éléments secrets. Lebovici a parlé de rites. Du moment qu’il y a des rites, on ne peut pas dire que le groupe soit inconsistant.

Je ne crois pas qu’il soit correct d’envisager l’adhésion de nouveaux éléments sous l’angle des prédispositions individuelles. Cependant, à un autre point de vue, il n’y a pas seulement l’état de crise de la société, auquel il a été fait allusion. Il y a longtemps que la société est en crise et on peut envisager le Snobisme comme une crise perpétuelle ; l’Europe est en crise perpétuelle. Ce phénomène répond à des composantes très définies du moment. Il faudrait sans doute faire intervenir des éléments du symbolisme social. Ce n’est pas seulement par besoin d’étiquette que ces jeunes gens se réclament de l’existentialisme. Ils peuvent n’avoir rien lu de Sartre ou d’un autre. Cependant je ne crois pas qu’il soit illégitime qu’il s’en réclament. Si l’existentialisme a eu un succès tout à fait surprenant, c’est qu’il correspond à l’actualité de problèmes sociaux, moraux, voire même spirituels. Les éléments de ce groupe sont recrutés dans une certaine classe bourgeoise qui est le support de ces phénomènes de crise. C’est un fait local qui a lieu en un point délimité de la grande ville. On ne peut pas séparer ce groupe d’un (29)certain nombre de significations. Nous sommes trop près pour pouvoir bien en juger. On fait plus facilement une étude de la culture de populations lointaines, comme celle des îles Fidji, par exemple. Peut-on en définir les arêtes originales ? Des études de ce point de vue auraient le plus grand intérêt. Je pense qu’une part importante de manifestations reconnues comme maladies mentales, comme délires, ne sont pas justiciable d’une simple notion d’éléments morbides en relations avec des actions individuelles. Je crois que ce qu’on entend comme maladie mentale (où la notion de maladie évoque un biologisme qui fait illusion) rentre dans le symbolisme général d’une société, dans le discours constitutif d’une société. Même dans les sociétés les mieux portantes, très civilisées, il y a plusieurs systèmes de symbolismes qui interfèrent, rivalisent et sont inconciliables. On pourrait peut-être un jour étudier la « maladie mentale » en l’envisageant moins comme phénomène individuel que comme une déchirure entre ces divers symbolismes, en particulier lorsque nous parlons de délinquance ou d’individus « à la limite de la maladie mentale ».