Intervention sur l’exposé de P. Fouquet « Réflexions cliniques et thérapeutiques sur l’alcoolisme » paru dans l’évolution psychiatrique, 1951 fascicule II, pages 260-261

M. Cenac. – Les médecins de l’Infirmerie Spéciale ont une attitude particulière à l’égard des alcooliques dont la mauvaise foi est bien connue. Ces malades ont en effet une attitude de reniement que l’on retrouve également chez les sujets amenés pour attentat à la pudeur. Il serait intéressant d’étudier ce problème même en dehors de toute sanction (dans les Services Ouverts par exemple).

 

M. Henri Ey. – Les analyses de M. Fouquet ont été conduites avec beaucoup de brio et il a adressé un schéma intéressant de la structure complexuelle du buveur rivé à son « biberon ». Ce qu’il a paru moins bien expliquer, comme le soulignait M. Bonnafé, c’est le fait que les femmes « boivent » moins car si la frustration orale joue un rôle déterminant on se demande pourquoi les femmes ne réagissent pas comme les hommes. Ce serait alors qu’il faudrait faire intervenir des « facteurs de milieu ». Et M. Bonnafé a précisément reproché au conférencier d’avoir scotomisé ceux-ci aux dépens d’une sorte de mythe, celui de la névrose, de la régression névrotique. Nous considérons que la névrose – et celle de la disposition, de l’appétence toxicophilique en est une – n’est ni réductible au jeu de pulsions et de frustrations, ni aux difficultés de milieu. Ce n’est pas sans malice que j’assiste à ces conflits d’opinions également fausses dans la mesure même où pour expliquer l’arriération affective ou la fixation d’habitudes qui représentent comme on l’a dit un « suicide différé » on n’a pas recours à la notion d’une certaine condition organique de cet état névrotique. Condition organique qui s’impose nécessairement et que l’on appelle selon les époques et les écoles : dégénérescence, déséquilibre, constitution névropathique, prédisposition, immaturité, ou « arriération » affective.

 

M. Lacan – Je trouve que les divers orateurs sont bien injustes avec Fouquet, en l’accusant de ne pas avoir traité des problèmes qui étaient hors de son propos. C’est quand M. Fouquet aborde les problèmes psychopathologiques que l’on doit faire quelques réserves sur les termes de dépendance et de frustration qu’il emploie. Ces termes sont ambigus parce qu’ils ont un sens précis dans l’expérience analytique et un sens très vague dans le langage courant. Il est difficile d’approfondir cette question sans faire une étude phénoménologique de l’ivresse, dont le stade et les aspects peuvent avoir des significations différentes, certainement distinctes des effets de la nutrition lactée. Il est vrai que l’alcool n’est pas seulement un toxique mais aussi un aliment. Il en résulte que le cadre de l’alcoolisme, par la diversité des significations qu’il comporte, pose des problèmes très embarrassants. Il faut également envisager l’alcoolisme dans les différentes ères* culturelles. Le vin et l’alcool ont par exemple joué un rôle considérable dans la civilisation chinoise. Les orgies ont pu être un élément significatif du style d’une civilisation. Le rôle du milieu est indéniable et on peut soutenir que l’alcool est une dimension sociologique essentielle. Mettre un individu devant l’alcool a été parfois un facteur de sélection sociale. Il est donc difficile d’enlever à l’alcool son rôle dans les échanges sociaux.

 

Mr Fouquet – Je tenterai de répondre à mes interlocuteurs […]

 

 



* Il faut lire « aire » sans doute !