Intervention sur l’exposé de J. Dreyfus-Moreau : « Étude structurale de deux cas de névrose concentrationnaire » Paru dans l’évolution psychiatrique, 1952, fascicule II, p. 217, 218.

(217)M. Lacan. – Il me parait désirable que pour l’étude des individus vivant une vie concentrationnaire, une terminologie psychanalytique soit employée. Je n’ai pas, en écoutant l’intéressante conférence de Mme Dreyfus-Moreau, pleinement souscrit à son assimilation totale des réactions de son deuxième malade à l’égard de ses geôliers à des phénomènes de transfert paternel. Je tiens pour très probable que ces deux malades étaient des névrosés et dans ces cas de névrose je ne puis que souligner l’inefficacité de la narcose pour toute reconstitution structurale. L’échec de ces procédés thérapeutiques me parait aussi évident dans les névroses dites « traumatiques » que dans les autres. Je sais bien qu’on se targue, en recourant à leur emploi, d’éviter au patient l’angoisse, mais l’angoisse est le prix dont se paie nécessairement toute réidentification en tant qu’elle est une condition inéluctable de toute modification du « Moi ».

 

M. Lebovici. – Je m’accorde avec M. Lacan pour demander si vraiment l’étiquette de « Névrose traumatique » doit être appliquée au « concentrationnaire » et pour discuter les limites de la valeur du langage psychanalytique à propos de l’envisagement psychologique des situations aux actions humaines en général. Dans le cas particulier des malades de Mme Dreyfus-Moreau, il me semble que nous pouvons à leur sujet comprendre la nécessité d’étudier les structures « préparantes ». C’est dans cette perspective que l’abréaction émotionnelle de la cure, narco-psychothérapique peut être éventuellement utilisée comme facteur d’amélioration durable. On ne saurait oublier (et spécialement à l’occasion de la malade qui a fui son traitement) la notion des bénéfices secondaires de la névrose. On ne saurait non plus négliger les aléas déterminés par la technique qui consiste à analyser un seul complexe, technique partielle impliquée souvent, dans les techniques des psychothérapies brèves.

 

M. Marty. – je voudrais demander à Mme Dreyfus-Moreau quelle est la qualité spéciale de l’événement qui l’a fait qualifier de « traumatique ».

 

Mme Dreyfus-Moreau. – Ici, l’événement concentrationnaire.

 

M. Lacan. – J’insiste sur l’intérêt soulevé par la question de M. Marty.

 

Mme Dreyfus moreau. – Peut-être faut-il souligner l’intensité de l’agression.

 

M. Lacan. – Peut-on considérer que c’est l’extériorisation de l’agresseur qui joue ici le rôle important ?

 

(218)Mlle Boutonier. – Il faut distinguer le trauma qui provoque un brusque changement actuel et le trauma qui provoque un passage dans un monde éthique différent et où le sujet ayant vécu avec des monstres devient un monstre. Ainsi la première malade, émue au souvenir de ses camarades décimées indiquait implicitement qu’en se « débrouillant » elle envoyait les autres mourir à sa place.

 

M. Lacan. – Telle était la loi de cette jungle.

 

Mlle Boutonier. – Ceux qui sont névrosés « sympathisent », au sens étymologique de « résonance douloureuse », avec cette loi. M. Lacan a nié l’assimilation d’une image paternelle au personnage du camp de concentration. Niera-t-il également celle d’une image maternelle ? Et je me rappelle à ce sujet que M. Lacan a attiré l’attention ailleurs, sur les fantasmes sado-masochistes du tout jeune enfant.

 

M. Lacan. – Oui, peut-être l’image maternelle joue-t-elle un rôle. Cependant ne restons pas cantonnés à propos de ces cas dans une méthode de psychologie strictement individuelle.