Intervention sur l’exposé de Mme Aubry « Ambivalence et mécanismes autopunitifs chez une enfant séparée », à la Séance de la Société française de psychanalyse du 22 mars 1955.

 

M. Lacan – Mes devoirs vont être plus simples à accomplir qu’ils ne l’étaient depuis quelque temps, puisque aujourd’hui c’est une séance scientifique de la Société de psychanalyse que j’ouvre, et de toute façon je n’ai pas besoin naturellement de vous présenter Madame Aubry, qui va aujourd’hui vous communiquer un cas, auquel elle a donné pour titre, au moins provisoire : « Ambivalence et mécanismes autopunitifs chez une enfant séparée ».

 

Intervention de Mme Aubry et projection d’un film avec son commentaire […]

 

Discussion :

 

M. Lacan – Tu peux ajouter quelques mots.

 

Mme Aubry – Non, je n’ai vraiment plus grand-chose à dire.

 

Mme Françoise Dolto – Comment émet-elle les sons ? Est-ce que c’est situé dans le masque ? ou dans la gorge ?

 

M. Lacan – On va sérier les questions, si tu veux. On pourrait d’abord remercier Mme Aubry d’avoir montré un pareil film. C’est quand même un très bon instrument de travail, la caméra, et spécialement pour – il faut bien le dire – ces bornes encore, c’est le moins qu’on puisse dire, à demi explorées du comportement. C’est extrêmement saisissant de voir une chose comme celle-là tout au long des mois. Je pense que les vérités premières méritent toujours d’être rappelées, et on voit là à quel point c’est primitif ou régressif, comme vous voudrez que ce soit, un comportement humain, à quel point il diffère d’un comportement animal. C’est quelque chose d’extraordinairement structuré et tout à fait spécialement par cette mystérieuse agressivité que nous voyons ponctuer toute l’analyse du comportement. Mais certainement, encore que ce soit toujours avec un emploi adéquat, pour l’usage que tu as fait du terme agressivité, il n’en reste pas moins que nous avons l’impression que cela désigne des choses à des niveaux différents au départ ; dans le début, il s’agit vraiment de quelque chose de fondamental qui se rapporte à toute la structuration de l’objet pour un petit humain même très perturbé comme celui-ci, et qu’ensuite cela concerne des éléments que j’aimerais mieux appeler agression, voire, dans certains cas, décharge motrice, et qui ont une valeur alors beaucoup plus symptomatique à proprement parler. La preuve, c’est qu’on peut les (44)interpréter et que, sans même que nous soyons entrés dans le détail de la technique psychothérapique qui a été employée, c’est le plan de l’interprétation sur lequel ça fusait tout de suite tout autour. Françoise disait : comportement homosexuel typique… peu importe qu’on ait tort ou raison… mais il s’agissait d’interpréter alors là les manifestations agressives comme symptômes, ce qui est évidemment autre chose que ce rapport fondamental que nous appelons aussi facteur d’agressivité. En fait, ce que nous essayons toujours de poursuivre à partir de ce que perd d’une façon tout à fait définie l’adulte est encore plus utile quand il s’agit de l’enfant. Pour ne pas rester dans le vague, là comme toujours, nous voyons que la psychanalyse d’enfant, c’est ce qu’il y a de plus difficile et, tout à fait parallèlement, l’observation et l’interprétation d’un comportement d’enfant, c’est encore plus difficile qu’un comportement d’adulte.

Je crois que sur ces remarques tout à fait générales qui, évidemment, ne pourraient servir que d’introduction à une étude tout à fait serrée et systématique des différents secteurs et segments d’un film comme celui-ci qui, je pense, n’est que l’un d’entre tous les documents que vous accumulez dans les services, et je crois que c’est uniquement sur la base de documents comme ceux-là qu’on peut faire une étude sérieuse à laquelle puissent participer même ceux-là qui ne participent pas à la vie de tous les jours d’un service comme celui de Mme Aubry, il reste que tout naturellement la première question qui vient à l’esprit, c’est celle sur laquelle je disais que tu nous laisses sur notre faim, c’est tout de suite celle qui était engagée par Françoise : commencer en somme à interroger Mme Ortigues, si j’ai bien compris, c’est-à-dire à lui demander qu’est-ce qu’elle a fait pour tout cela ? Quel était son rôle dans cette affaire ? Nous ne pouvons pas, en tant qu’analystes, à l’occasion ne pas nous intéresser à différentes étapes de ce traitement et à la façon dont Mme Ortigues a abordé le sujet.

 

Mme Aubry – Je ne suis pas tout à fait d’accord, parce que Mme Ortigues va faire un travail très détaillé sur le traitement de cette enfant, qui est quelque chose à part, qui méritera une séance à elle toute seule certainement, et sur l’évolution et la technique et ce qui s’est passé. Dans mon esprit, je pensais que ce soir nous pouvions peut-être justement discuter plus précisément les symptômes cliniques tels qu’ils apparaissent en dehors de la thérapie.

 

M. Lacan – Nous allons voir à l’épreuve si c’est en effet possible de limiter ainsi le sujet.

 

Mme Aubry – Je crois que si on pouvait limiter ce serait mieux, parce que si nous voulons étudier le cas en détail, il me semble que cela va nous entraîner un petit peu loin. Il me semble que ce qui pourrait servir de base à la discussion. Ambivalence et mécanismes autopunitifs chez une enfant séparée (45) c’est le fait que dans ce comportement régressif du début, ce n’est peut-être pas complètement apparent dans le film, mais c’est en tout cas apparent chez d’autres enfants – il y a une absence de relation complète. Et alors là on est toujours gêné avec le terme relation d’objet, parce que ces enfants ne se relatent qu’à des choses, et « relation d’objet », dans le langage analytique, a une tout autre signification.

 

M. Lacan – Qui n’exclut pas la relation aux choses.

 

Mme Aubry – Mais enfin, pendant longtemps cette enfant est totalement et entièrement ambivalente envers tout, aussi bien envers les personnes qu’envers les choses, qu’envers la nourriture, qu’envers n’importe quelle activité, c’est-à-dire qu’il faut redéfinir ou repréciser la signification du terme, c’est-à-dire qu’il y a un conflit entre le désir qu’elle a d’avoir, de faire, de toucher, d’entrer en relation, et la peur qu’elle en a et l’impossibilité qu’elle en a ; et avec comme conséquence, chaque fois qu’elle a une satisfaction quelconque, la nécessité de retourner quelque chose sur elle-même ; on saisit là tout de même un mécanisme qui est très particulier, puisque c’est à partir du moment où elle est arrivée à extérioriser cette agression ou cette prise de contact qu’elle n’a plus eu besoin de se battre et de s’arracher les cheveux. Cela me paraît le point crucial.

 

M. Lacan – Il y a beaucoup plus d’éléments en présence que cela. Au départ, par exemple, la façon dont elle est par rapport à la nourriture, c’est-à-dire à la fois très fixée, très centrée sur cet objet, et en même temps se tenant dans une position où elle se détourne de l’objet ; elle est fixée dans une position détournée. L’objet est parfaitement existant, et nous appellerons cela ambivalence si nous n’avons pas de meilleur mot ; à la vérité, l’usage est peut-être un peu trop extensif pour ce terme ; c’est beaucoup plus tard, dans son évolution vers l’amélioration, son évolution proprement psychothérapique, c’est en ce sens qu’il est tout à fait difficile de la négliger, qu’il apparaît des rapports réciproques à proprement parler avec l’autre, qui apparaît beaucoup plus tardivement. Je crois qu’il ne serait tout de même pas dépourvu d’intérêt de savoir, au milieu de tout cela, à quel moment pouvait se situer une certaine communication parlée, par exemple, car dès le début tu as dit : « Mme Ortigues est là en train de lui interpréter son balancement ou son refus de nourriture » ; « interpréter », dans quel sens faut-il l’entendre ? Est-ce que Mme Ortigues lui parle et comment… ?

 

M. Berge – Je me demande si, à la lumière de ces considérations, il est tout à fait possible de parler d’autopunition, surtout au début. Il y a un tel degré d’autisme, il n’y a pas besoin de parler d’autopunition pour la voir tourner son agressivité contre elle-même, c’est comme de l’auto-érotisme, je ne vois pas(46)comment et pourquoi on peut faire introduire une idée qui suppose la culpabilité et toutes sortes de choses qui ne m’apparaissent pas d’une façon très claire. Même plus loin, je ne suis pas absolument sûr, quand elle se tape elle-même pour avoir reçu un coup, et si au fond on ne peut pas imaginer…

 

M. Lacan – Au premier aspect, c’est vraiment l’automatisme de répétition à l’état pur tel que nous le montre Freud. Quand Freud nous parle d’automatisme de répétition, ça doit être élémentairement quelque chose comme ça.

 

M. Berge – J’ai compris cela comme ça : automatisme de répétition.

 

M. Lacan – À quel point c’est structurant déjà dès le départ…

 

Mme F. Dolto – On a parlé d’automatisme de répétition quand elle a reçu un coup, mais au début je ne crois pas qu’on puisse parler de cela, quand elle se tape sur la tête au moment où elle a une idée, il me semble que ce soit précisément par la sensation d’une tension dans sa tête : elle sent qu’elle a une tension dans sa tête et elle appuie dessus. Un bébé, quand il a quelque chose qui l’intéresse, tape dessus ; or, elle tape sur ce qui l’intéresse ; c’est une expression d’adulte de dire cela.

 

Mme Aubry – Autodestruction… parce que quand elle s’arrache les cheveux…

 

Mme F. Dolto : Auto-intérêt d’un type extrêmement régressif. Je crois que c’est d’autant plus curieux que quand elle a renversé le biberon elle revient vers l’adulte, avec une expression… si vous avez remarqué… dans laquelle la tête rentre dans le corps. Je ne sais pas si vous avez remarqué, les yeux qui se lèvent vers elle dans une expression extraordinairement humaine de soumission… c’est toi la tête, et moi je suis le reste… elle rentre sa propre tête… c’est pour cela que je crois, quand elle tape sur sa tête au départ, c’est qu’elle n’est qu’un, elle n’a pas de relation autre, elle se rend compte qu’il y a une tension dans cette partie de son corps et après, la tension se trouve être dans l’autre dont elle attend une référence à elle-même. J’ai retenu cette scène dans laquelle elle revient avec des yeux extraordinairement humains… On dirait qu’elle dit : « Pourquoi ? – Grâce à toi je peux prendre contact… jusque-là j’ignorais que tu étais extérieure à moi, à partir de maintenant j’attends de toi la présence !… »

 

M. Berge – Il semble plutôt que ce soit une possibilité de prendre contact progressivement avec l’extérieur.

 

Mme F. Dolto – Finalement on a tendance à projeter du coupable parce que cela ressemble à des réactions de culpabilité.

 

Mme Aubry – Disons « destruction », elle se détruit.

 

Mme F. Dolto – Mais quand un enfant un peu plus grand s’intéresse à un papier qu’il détruit, ce n’est pas pour le détruire puisque c’est jubilatoire ; nous disons, nous, que cela détruit parce que cela morcelle, mais ce morcellement (47)est une acceptation ; elle accepte sa tête comme elle accepte un papier qu’on déchire.

 

Mme Aubry – Oui, mais elle titube après avoir pris sa nourriture.

 

Mme Marcus-Blajan – Pour la dernière question, j’ai vu certains nourrissons qui, quand ils avaient pris leurs repas, faisaient absolument comme des êtres ivres ; ils ont une façon de ballotter leur tête, même quand ils la tiennent droite, qui m’a frappée. Je ne sais pas si cela a rapport avec ça.

Ce que je voulais dire, c’est à propos des enfants qui s’arrachent les cheveux et d’autres qui se tapent la tête. J’en ai vu un certain nombre, et je pense que je ne suis pas la seule, des enfants qui n’ont pas du tout été traumatisés de cette façon qui ont toujours vécu dans leur famille, bien sûr avec un élément névrotique. Si je les ai vus, ce n’était pas seulement pour ça, c’est parce que la mère était anxieuse. Je pense donc que ce mécanisme-là se voit en dehors des graves traumatismes et je dois dire que je n’ai pas très très bien compris. J’ai vu que c’était en rapport avec l’auto-érotisme, il n’y a aucun doute, ce sont des enfants qui font ça quand ils sont seuls, l’arrachement des cheveux, le suçage du pouce, et les coups rythmiques sur la tête. J’ai même des voisins qui ont porté plainte parce que l’enfant du dessus se balançait tous les soirs en tapant rythmiquement sa tête ; il se tapait violemment la tête, mais je n’ai pas pu savoir s’il avait mal à la tête ; dans certains cas, Mme Dolto dit que ce sont des enfants qui ont mal à la tête. Dans un autre cas, les enfants étaient heureuses, deux petites filles qui n’avaient jamais été séparées de leur famille, qui s’arrachaient les cheveux avec un air féroce, et qui pourtant ne semblaient pas se détester, réellement.

Quant à l’histoire de l’intention, évidemment, à cet âge-là, je crois qu’il est vraiment difficile de présumer des intentions ; je pense toujours à une histoire d’une mère qui n’a pas pu donner du lait à son enfant parce qu’elle avait un abcès au sein, et le bébé, quand elle se baissait sur lui, devant une table où elle le langeait, lui donnait des coups de pied ; à un moment donné, il a donné un coup de pied dans le sein, évidemment c’est à part, et pourtant elle a dit : « Oui, il est vraiment très méchant, il me tape sur le sein avec ses pieds. » Il est évident que ces coups de pied ne sont pas du tout agressifs.

 

M. Lacan – Le sens de la question, si j’ai bien compris, est celui de l’indication de gravité à tel ou tel de ces symptômes, et d’après Mme Marcus-Blajan d’une extension beaucoup plus grande, qu’il faudrait donner à certains, au moins, de ces symptômes.

 

Mme Aubry – Je vais répondre tout de suite que quand il y a un balancement et arrachage de cheveux, cela n’est pas obligatoirement une carence de soins maternels, mais c’est sûrement quelque chose d’assez sérieux.

 

(48)Mme F. Dolto – Pour moi, c’est l’opinion d’une tension, ils ne trouvent pas d’exutoire. Et comme la mère, dans ses rapports avec l’enfant, est l’exutoire, le mode d’accomplissement tout trouvé des exutoires de l’enfant, là, les relations de mère à enfant étant perturbées !…

 

M. Lacan – Là, si je ne me trompe, Mme Aubry a parlé de signes de gravité.

 

Mme Aubry – À propos des cheveux arrachés et des coups sur la tête, pas à propos des balancements, puisqu’on les voit au quatrième jour de la séparation.

 

M. Lacan : Et même des balancements qui se prolongent bien au-delà, chez des enfants qui ne sont pas des psychotiques, quand ce balancement se poursuit d’une façon rythmique au-delà de deux à trois ans.

 

M. Pidoux – À propos des démarches de tout à l’heure et des balancements, je voudrais poser une question. Est-ce qu’on a fait un examen neurologique de l’enfant ?

 

Mme Aubry – Oui, il y a eu un examen neurologique.

 

M. Pidoux – Et un examen électro-encéphalographique ?

 

Mme Aubry – Je n’ai eu qu’un dossier médical réduit et je n’ai pas pu avoir tous les documents. J’ai la liste des poids, mais je n’ai pas vu signaler d’électro-encéphalogramme ; maintenant, je peux vous répondre par expérience que chez ces enfants-là il y a en effet de petites modifications de l’électro-encéphalogramme qui sont simplement des modifications indiquant un électro d’enfant plus jeune, c’est-à-dire que le rythme de base est un petit peu plus long ; cette enfant a cinq ans, mais il ne faut pas oublier qu’à son entrée elle avait le poids et la taille de trois ans, et habituellement l’électro est également immature chez les enfants qui ont subi des carences. Je ne multiplie pas ces examens parce que cela fait extrêmement peur aux enfants ; j’en ai fait un certain nombre parce que je voulais tout de même avoir des renseignements mais je dois dire que finalement, maintenant je ne les fais plus beaucoup.

 

M. Pidoux – Pour la démarche, j’ai eu l’impression, jusqu’à un certain stade du film, qu’elle marchait en suivant vraiment certaines situations.

 

Mme Aubry – Oui, oui… cette démarche est apparue à une certaine date, elle a duré un mois ou six semaines, avec des circonstances bien précises.

 

Mme Ortigues – Elle a commencé exactement la première fois après avoir absorbé de la nourriture ; aussitôt qu’elle eut avalé la première bouchée, elle s’est mise à tituber. Sa marche n’est pas tout à fait normale pour une enfant de son âge, mais aussitôt qu’elle mangeait et buvait elle se mettait à être désarticulée complètement.

 

Mme Aubry – C’était par courtes périodes et dans certaines circonstances.

 

M. Pidoux – Autre question : est-ce que vous avez constaté des différences quelconques entre les balancements, latéraux ou postérieurs ?

 

(49)Mme Aubry – Pas spécialement. Il semble que le balancement, par exemple, à quatre pattes, donne plus l’impression de donner une satisfaction érotique à l’enfant que le balancement latéral. C’est tout ce que l’on peut dire d’après les images que j’ai, puisqu’il y a beaucoup de balancements qui sont filmés. Ce sont les mouvements de bouche et les mimiques qui accompagnent le balancement qui indiquent l’intensité, le degré d’autisme, mais pas le caractère du balancement.

 

M. Berge – Quand on voit le balancement latéro-postérieur, sur le film on a une impression beaucoup plus normale que le balancement latéral du début. Cela paraît beaucoup plus compréhensible, plus près de nous.

 

M. Pidoux – À propos des deux stades, dont le balancement et les coups, on sent d’après ce que disait Françoise Dolto que c’est contemporain, les coups étant plus régressifs que le balancement. Chez mes possédés africains, le balancement se trouve systématiquement dans une catégorie de possédés qui sont ceux que je rencontre dans les brutes traditionnelles du lieu, tandis que chez les possédés qui ont recours aux crises de possession assez artificiellement produites parce que justement cela leur arrive quand ils sont isolés à des milliers de kilomètres de chez eux, la crise de possession commence par des coups qu’ils se donnent sur la figure ou bien par des chutes répétées sur la tête. On ne rencontre jamais le balancement chez les autres.

 

Mme Aubry – Je suis en train d’essayer de me remémorer des balancements et je crois que Berge a raison ; la plupart de ces balancements graves étaient des balancements latéraux. Il y en avait tout de même quelques-uns qui étaient d’avant en arrière, mais la plupart étaient latéraux, et, en tous les cas, ceux auxquels je pense, les plus graves, étaient latéraux. N’est-ce pas, Rosine Lefort, vous avez aussi cette impression ?

 

Mme Rosine Lefort – Les balancements latéraux sont plus rares.

 

M. Berge – Là surtout, on a l’impression d’une évolution. On a l’impression qu’elle est amenée à un balancement latéro-supérieur…

 

Mme Rosine Lefort – Dans le film, quand elle se balance d’avant en arrière, c’est qu’elle essaie de s’empêcher de se masturber.

 

Mme Aubry – C’est un stade plus avancé. Monique, dans l’autre film – forme également très grave –, se balançait d’avant en arrière avec un papier sous le menton. Mais je crois que la différence est dans l’expression de la figure qui l’accompagne.

 

Mme F. Dolto – Pour revenir à la démarche titubante, je pensais que cela pouvait être provoqué par la sensation dans l’estomac. J’ai eu l’observation d’un adulte, séparé de sa mère quand il avait trois ans, et qui, quand il est arrivé à la campagne, a passé plusieurs années à ne pas pouvoir marcher après qu’il (50)avait mangé ; il ne buvait pas de vin et il était pourtant obligé de s’étendre sur un banc, ; si on le mettait debout, il avait les jambes en coton. Il s’en souvenait très bien parce qu’il avait été beaucoup grondé pour cela. Quelquefois il lui arrivait, pour ne pas être grondé, d’aller s’affaler le ventre en l’air pour attendre un petit peu avant de partir à l’école ; il était comme saoul.

Et puis, j’ai une observation curieuse d’une personne que je connais, adulte, qui ne peut pas supporter dans l’estomac la sensation de l’eau Perrier sans être beaucoup plus saoule qu’avec du vin. C’est curieux ; ce sont tout de même des sensations stomacales qui peuvent provoquer un malaise de perte d’équilibre.

Je vous donne ces deux observations : rapports de certaines sensations d’estomac, qui, chez le premier, s’accompagnent de sensations différentes de la statique des jambes.

 

Mme Aubry – Pour la parole, Mme Ortigues, est-ce que vous pouvez dire ce qu’elle disait au début comme phonèmes : Ma…ma.

 

Mme Ortigues – Elle chantonne très souvent Ma…ma sur des airs comme Frère Jacques, tout ce que la jardinière chante. Elle connaît quantité de chansons, et alors au milieu des « Ma…ma » de temps en temps se glisse « pa…pa » tout à fait isolé.

 

Mme Aubry – Guttural, ou nasal ?

 

Mme Ortigues – Il y a de tout. Parfois, dans les moments de grande anxiété, on a l’impression que son rire, aussi bien que sa parole, viennent de l’estomac, pas du tout de la gorge ; c’est une espèce de rire, de parole vomissement, on a l’impression qu’elle va vraiment cracher ses entrailles ; cela fait penser à des rugissements. J’ai essayé de l’imiter, mais j’en suis tout à fait incapable. Plus elle est contente et détendue, plus le timbre de la voix remonte ; quand elle est souriante et dans un moment détendu, c’est une voix très, très haut placée et très légère. Cela se promène tout le temps partout.

 

M. Lacan – Qu’est-ce qu’elle comprend de vos interventions parlées ?

 

Mme Ortigues : Elle comprend tout, ou presque tout.

 

M. Lacan – C’est votre opinion.

 

M. Berge – Dès le début ?

 

Mme Ortigues – Au début, j’ai très peu parlé ; à peu près pas pendant deux à trois mois ; et quand j’ai parlé, j’ai eu l’impression qu’elle comprenait tout de suite. D’ailleurs dans la vie courante, elle comprend très bien ce qu’on lui dit.

 

Mme Aubry – Il y a toujours un problème chez ces enfants excessivement autistes, on peut se demander ce qui se passe quand on interprète. Est-ce que c’est parce qu’on parle tout haut et que soi-même en parlant on réalise, on fait quelque chose qui donne une intonation de voix que les enfants comprennent, (51)ou une mimique, que le fait de parler nous aide à transmettre à l’enfant quelque chose ? Ou bien est-ce qu’ils comprennent vraiment le sens des paroles ? Il y a certainement des moments où on se dit qu’ils ne peuvent pas comprendre les paroles compliquées qu’on leur dit, et cependant ils ont l’air de comprendre puisque telle ou telle activité étant interprétée se modifie aussitôt selon l’interprétation. Donc, il y a quelque chose qui se passe.

 

M. Berge – C’est tout le problème général de l’apprentissage de la parole.

 

Mme Aubry – Mais quand nous ne le savons pas…

 

M. Lagache – Je voulais faire remarquer qu’il est bien difficile, en effet, d’interpréter le sens de tous ces comportements et que tout dépend un peu des préférences qu’on a pour tel ou tel système d’interprétation. Mme Aubry a parlé en quelques mots de ce qui implique un certain dédoublement de la personnalité de l’enfant ; Mme Dolto, elle, a parlé en termes temporels, mais nous savons qu’elle aime beaucoup la notion du […]. Comment s’en tirer ? Probablement est-il très difficile d’interpréter un comportement isolément ; il faudrait étudier de nombreux comportements chez un enfant, chez plusieurs enfants. Je ne sais pas… vous connaissez sans doute les travaux anciens de Wallon sur l’enfant turbulent. Il y a un système d’interprétation qui est bien différent puisqu’il est essentiellement neurologique et génétique. Par exemple, le comportement de l’enfant qui se donne des coups à lui-même, qu’il décrit chez les enfants présentés comme idiots, mais dans un certain contexte social, notamment, comme manifestation d’intolérance à la présence d’autrui. Qu’est-ce que cela veut dire exactement ? Il est probable que nous avons encore beaucoup à travailler pour parvenir à une solution.

Vous avez aussi parlé d’autopunition. Mais est-ce que c’est descriptif ou interprétatif ?

 

Mme Aubry – Descriptif. J’ai dit : « autodestruction ». C’est descriptif.

 

M. Lacan – Moi, ce qui m’a frappé, c’est qu’elle n’est pas si destructrice que cela ; elle n’a pas démoli grand-chose ; on peut voir pire chez des sujets tout à fait normaux. Alors, je crois que là aussi il faut réserver son jugement.

 

Mme Aubry – Je ne peux apporter aucune preuve de cette interprétation.

Mme Favez-Boutonier :… d’auto-agression…

 

M. Lacan – C’est toute la question.

 

Mme Aubry – Je ne peux apporter aucune preuve, mais j’ai tout de même vu et revu ces enfants, et j’ai une espèce d’impression d’ensemble. Je ne peux pas m’empêcher tout de même d’être frappée par plusieurs choses. D’abord, il y en a qui perdent le goût de vivre ; c’est le maximum, si vous voulez, de la destruction. Nous en avons vu souvent qui vraiment donnent l’impression de ne pas avoir envie de vivre ; ils ont cessé de lutter ; à ce moment-là, ce sont des (52)enfants qui s’affalent complètement dans leur lit et qui se laissent mourir, de faim, de tout.

 

M. Lacan – Le cas de Spitz…

 

Mme Aubry – Mais en moins spectaculaire. Dans ce qu’a montré Spitz, on voit tout de même un enfant activement prostré, tandis que je pense au petit Ronsard, c’était un enfant qui, lorsqu’on l’asseyait dans le lit, était écroulé au fond du lit trente secondes après ; c’était un enfant qui se laissait mourir. Évidemment, on leur fait de la cortisone, on est arrivé, par des moyens médicaux, à les remonter tout de même, mais il y a là le triomphe de l’instinct de mort sur l’instinct de vie qui est tout de même quelque chose de très destructif. C’est l’impression que cela donne. Je ne peux pas vous dire autrement.

 

M. Berge – C’est beaucoup plus autodestructif…

 

Mme Aubry – C’est le maximum, mais nous avons tous les intermédiaires. Tous les enfants qui, à chaque traumatisme, réagissent sur le plan somatique. L’enfant qui, chaque fois que la thérapeute s’absente, fait une otite et cela, six fois de suite. Ce n’est tout de même pas par hasard. Et puis, il y a les enfants qui se font du mal, qui tombent, qui se cassent.

 

M. Berge – L’accidentisme de Spitz.

 

Mme Aubry – Il y en a très peu qui se cassent ; ils réagissent ou sur le plan somatique ou dans cette espèce de laisser-aller morne où ils s’enfoncent.

 

M. Lacan – Cela ne me semble pas facile de se casser.

 

Mme Aubry – J’avais défendu qu’on les attache, mais ils tombent tout le temps du lit. Je suis étonnée qu’ils ne se fassent pas plus de fractures. Ils réagissent sur le plan somatique, et avec un automatisme de répétition, là aussi, ce qui est tout de même très curieux, parce que c’est sur l’otite que ça revient, ou sur l’intestin, selon l’enfant, ou sur la bronchite. Tout cela donne une impression d’autodestruction plus que d’autofrustration. C’est pour cela que ce terme m’est venu à l’esprit, comme je vous l’ai dit à titre très provisoire, mais il ne me satisfait pas.

 

M. Lagache – On peut au moins essayer de poser le problème, parce que tout de même si on adopte le système d’interprétation comme celui de Mme Dolto qui dit : cela semble une tension au niveau de la tête et il se frappe à l’endroit où il sent une tension, on a tout de même des références, au moins de biologie générale, pour interpréter cela. Je pense pour le moment au réflexe d’autonomie qui correspond bien à une description de ce genre. Si vous prenez un lézard par la queue ou si vous cassez le segment distal de la patte d’un crabe, vous voyez tomber le segment proximal. C’est de cela qu’il s’agit, et c’est extrêmement important au point de vue biologique, puisque toutes les histoires de démangeaison, de chatouillements, peut-être même d’excitation et de satisfactions sexuelles ont été rattachées à ces réactions.

(53)Ou bien alors, si vous parlez d’autopunition, il faut admettre un univers et que l’univers de cet enfant est un univers à lui. Cela n’est pas exclu ; je ne suis pas du tout rebelle à admettre la précocité du monde de l’enfant et d’un certain manichéisme précoce.

 

Mme Aubry – Ce serait plutôt sous la forme d’automatisme de répétition ; il a un traumatisme en étant séparé de sa mère et il ne peut plus que retrouver des sensations pénibles.

 

Mme Marcus-Blajan – C’est qu’il aurait été battu s’il se bat lui-même.

 

Mme F. Dolto : Il ne peut pas être battu que sur la tête.

 

M. Lagache – Je crois que c’est trop simple ou pas assez.

 

M. Lacan – Je crois que des notions aussi massives que celle de régression sont toujours dangereuses à admettre comme fournissant en quelque sorte la règle pour apprécier un niveau, parce que même s’il y a régression, ces régressions peuvent être discordantes, et là ce qui paraît frappant chez cette jeune enfant, c’est qu’il semble, par exemple, d’après ce que disait tout à l’heure Mme Ortigues, qu’elle était capable d’entendre quelque chose, de comprendre quelque chose, de comprendre une phrase articulée bien avant que nous ayons enfin la preuve qu’elle réalisait l’autre être comme son semblable ; c’est tardivement que nous voyons apparaître ces jeux de rétorsion où à la fois elle boit, elle fait boire, elle revient à elle. Pour employer un langage qui est celui d’un certain nom que tu emploies, il semble que, sur le plan imaginaire, elle n’ait fait sa conquête que beaucoup plus tardivement que sur le plan d’une certaine appréhension symbolique, partielle peut-être, mais sûrement possible, parce que très tôt Mme Ortigues a pu lui communiquer des choses, alors qu’il n’est pas sûr qu’à ce moment-là il n’y ait rien en elle qui ait correspondu à ce jeu qui apparaît tardivement dans la thérapeutique. Voilà, par exemple, un élément qui est tout à fait frappant, et il semble là qu’on puisse moins parler de régression que de discordance dans l’établissement des fonctions ; une fonction déjà établie précocement et en quelque sorte boiteuse parce que non soutenue par le rapport imaginaire à l’autre ; l’autre est constitué en quelque sorte plus tardivement que le rapport lui-même parlé, par exemple. C’est une simple question que je pose, mais qui me paraît suggérée par ce que nous avons vu.

 

M. Lagache – Simple question, d’autant plus qu’au point de vue génétique la date de l’établissement du langage est beaucoup plus variable que celle de la stabilisation de l’ego.

 

M. Lacan – Ce qui, évidemment, permet de concevoir ces discordances. C’est un type qu’il faut rapprocher des autres…

 

M. Lagache – Une première chose qui m’a frappé, c’est que dans une discussion comme celle-ci, on devrait être obligé de faire la distinction entre tout d’abord (54)l’expression de quelque chose, que l’on appelle cela conflit ou tension, ou rapport à une situation vécue, etc., et, d’autre part, les modes et les moyens de tension eux-mêmes.

M. Lacan tout à l’heure en a parlé. Je crois que c’est très important, en effet, il n’y a qu’à relire Bourneville pour retrouver toutes ces descriptions-là. Il n’y a qu’à se souvenir des stéréotypies de jeu de […] qui sont tellement proches de ceux de certains schizophrènes pour voir qu’il y a déjà un mode d’exprimer quelque chose qui peut appartenir à des niveaux différents et qui s’exprime de la même façon, d’autre part il y aurait une distinction à faire, par exemple, entre un idiot dont on ne peut pas dire qu’il régresse quand il se donne des coups – un enfant normal ne se donne pas de coups –, et, d’autre part, un enfant comme celui-ci qui n’est pas un idiot, qui se donne aussi des coups. Alors, comment peut-on appréhender au fond les différences structurales qu’il peut y avoir dans ces trois cas, par exemple ?

 

Mme Aubry – Vous parlez des idiots d’asile. Ils sont en carence également.

 

M. Lang – Je peux vous citer un cas que j’ai vu il n’y a pas très longtemps hospitalisé dans mon service et qui se présentait exactement comme cette petite fille, qui avait une grosse atrophie corticale, avec des anomalies encéphalographiques très importantes et qui présentait, je dois dire, cette même expression, et c’est à cela que je voulais en venir en second lieu, à cette même expression que l’on voit au début du film, qui ne me semble pas être l’anxiété ; c’est la question que je voulais poser dans la deuxième partie du film, à peu près vers le deuxième mois cette petite fille me paraît avoir une expression que l’on peut qualifier d’anxieuse, alors qu’il m’a semblé qu’il ne s’agissait pas d’anxiété au début du film, je me trompe peut-être, d’une expression un peu de celle de la bête aux abois. Je voudrais savoir si effectivement il ne s’est pas passé quelque chose là qui pourrait justement correspondre à ce champ d’investigation qui peut vous être imparti pour distinguer ces états prépsychotiques des états de déficience intellectuelle ou d’autres états encore.

La troisième remarque que je voulais faire concerne la structuration temporo-spatiale. On a parlé tout à l’heure de cette titubation, on a demandé si cette enfant avait marché toujours comme cela, etc. Est-ce que c’est une enfant qui sur le plan du corps est structurée normalement ou est-ce qu’il n’existe pas chez elle des déficiences, des troubles de structuration temporo-spatiale, comme sembleraient l’indiquer certaines des vues que nous avons observées tout à l’heure, et en particulier quelque chose qui est très fréquent chez des enfants, il me semble, du moins chez des enfants de ce genre-là, qui est le regard horizontal quand elle se couche, le regard par en dessous, tout ce qui a (55)été décrit par plusieurs auteurs, en ce qui concerne encore une fois les déficiences intellectuelles qu’ont ces enfants autistiques ou schizoïdes…, etc.

 

Mme Aubry – Vous soulevez là le problème journalier du diagnostic entre l’idiotie et l’arriération psychogène. Bien sûr, ce sont des cas où ce n’est pas facile, c’est même pour cela que je fais des films pour que l’on puisse voir comment sont les vrais idiots et comment sont les faux idiots. Le prochain film que nous préparons sera pour cela, c’est-à-dire que je vous montrerai des organiques et des psychogènes et vous verrez que ce n’est pas tout à fait pareil, mais c’est très difficile et on se trompe facilement, tous tant que nous sommes, bien sûr… Seulement, aucun des arguments que vous m’avez donnés n’est absolument valable, parce qu’on a l’habitude de faire le diagnostic d’idiotie chez les idiots d’asile, alors les idiots d’asile ce sont les idiots dont les familles ont été dégoûtées, après tout c’est légitime, et qui n’ont pas eu de liens libidinaux satisfaisants, qui ont toujours été en état de carence. Le problème qui se pose pour nous n’est pas tellement : ces enfants-là sont-ils carencés, que peut-on faire ? C’est : cet enfant-là a une carence maternelle et un certain nombre de signes qui sont psychogènes, mais quel était son état initial et quel était son niveau initial ? Alors ça, c’est difficile. Maintenant, ce que je peux vous dire, c’est que dans le niveau d’arriération, il est très exceptionnel que l’électro-encéphalogramme ou l’examen neurologique, ou les antécédents ne nous donnent pas quelque chose au point de vue d’un diagnostic organique. Nous avons beaucoup travaillé la question avec Barieux, et il est certain que même des atrophies corticales localisées peuvent parfaitement donner purement un déficit moteur et ne donner aucun déficit intellectuel, cela existe parfaitement, ou un déficit intellectuel minime. Alors, je ne peux vous administrer la preuve du diagnostic qu’en vous amenant l’enfant guéri et normal, mais cela ne sera pas pour tout de suite, parce que c’est long. C’est la seule preuve que nous ayons, nous, et c’est la seule qui me satisfasse entièrement, quand l’enfant est devenu normal je suis sûre qu’il n’y avait rien d’organique, mais ce n’est qu’à ce moment-là que j’en suis sûre.

 

M. Lang – Je ne posais pas la question du diagnostic différentiel en lui-même, ce que je voulais faire remarquer c’est que c’était dans les éléments de ce diagnostic différentiel que l’on pouvait trouver une…

 

Mme… – Je vous garantis que cet enfant n’a pas de syndromes cérébelleux, même quand elle titube. Je vois beaucoup de clients d’asile, et cela je ne le vois pas, ce n’est pas vrai, ou rarement, ou quand les enfants sont plus ou moins abandonnés.

 

M. Lagache – Les enfants de votre clientèle… parce qu’après tout les différenciations que l’on fait maintenant, on les fait depuis combien de temps ? dix (56)ans, quinze ans, vingt ans… il y a vingt ans dans les ouvrages, même d’excellents ouvrages, est-ce que tel enfant présentant un syndrome d’arriération était différencié des idiots ? Alors dans les descriptions de Bourneville…

 

Mme Marcus-Blajan – Une chose pour laquelle j’aimerais avoir l’avis de Mme Aubry et de Mme Dolto, c’est le fait que cette enfant a besoin que la thérapeute lui mette les mains sur le ventre. Je pense que c’est intéressant, parce que cela montre tout un pôle où elle a besoin en quelque sorte d’être soutenue.

 

M. Lagache – Elle a besoin qu’on ne les mette pas ailleurs. Il y a quelque chose qui est frappant aussi dans les mouvements de balancement qui s’accompagnent de mimique, mais cette mimique est extrêmement modulée, il y a toutes les variations de la mimique depuis la droite jusqu’à la gauche.

 

M. Berge – Surtout quand apparaît la nourriture.

 

M. Lagache – Et l’on voit combien il est difficile de qualifier une telle mimique et de l’interpréter.

 

Mme Aubry – Je dois dire que cette enfant n’est pas comme les autres. C’est exceptionnel que des enfants qui se balancent à ce point-là aient une mimique aussi expressive. C’est rare.

 

Mme Favez-Boutonnier – Le titre de l’exposé était : « Ambivalence et mécanismes autopunitifs chez un enfant séparé », et je vois que presque tout le monde a été attiré par le terme « mécanisme autopunitif ».

 

M. Lacan – Parce qu’on a horreur du terme « ambivalence » et qu’on ne sait pas comment l’employer.

 

Mme Favez-Boutonier – Je crois que ce n’est pas une raison, parce qu’on en a horreur, pour nier l’existence de certaines choses qui sont difficiles à expliquer, et le film m’a paru particulièrement intéressant justement sur ce point par ce qu’il apporte. Je crois que si l’on veut appeler cela autrement, ce sont des comportements qui ne sont pas structurés. Même l’agressivité, il y a quelque chose qui est avant une certaine structuration, qui nous permet de donner des noms, et là il y a un comportement dont la structuration peut justifier, je crois, le terme d’ambivalence dans la mesure où ce terme a tout de même un usage et un sens ; que ce soit quelque chose à approfondir, à étudier, c’est certain, mais entre tous les aspects, l’aspect comportement ambivalent me paraît très remarquable. Au début, ces mouvements de tête d’un côté puis de l’autre, avec finalement une polarisation qui se dessine peu à peu. Je crois que sous ce rapport-là le film est très intéressant.

Le tort que nous avons peut-être, c’est de vouloir absolument trouver une signification d’emblée, par des structurations qui sont beaucoup plus tardives, alors que là il y a quelque chose qui est encore très informe et après tout je crois qu’il faut l’accepter.

 

(57)M. Lacan – Je ne rejette pas le terme ambivalence, à condition qu’on choisisse un des sens. Appelons ambivalent ce comportement qui consiste à repérer la nourriture tout en ayant la tête tournée ailleurs ; c’est extrêmement structuré. Il en résulte quelque chose qui arrive presque à bloquer le sujet et à le bloquer en fonction de ce pôle.

 

Mme Favez-Boutonnier – Tu dis maintenant que c’est structuré, mais tu disais tout à l’heure que ça ne l’était pas.

 

M. Lacan – Pas structuré, c’est l’usage que nous en faisons…

 

Mme Favez-Boutonier – Peut-être. Mais il faut quand même dire quelque chose, alors je crois qu’étant donné que ces termes ont un sens, les employer pour illustrer ces faits, je ne sais pas…

 

M. Berge – Il y a des fois où l’on peut parler d’ambivalence et d’autres fois où l’on peut parler d’indifférenciation pour certaines choses. Au fond, je me rattache à l’explication de Françoise. Même le geste agressif était dans un sens un geste de recherche de plaisir. Il me semble qu’il y a là une indication qui subsiste.

 

Mme F. Dolto – Il y a quelque chose qui m’a frappée quand elle versait le biberon dans le récipient et qu’elle allait le tendre, elle ne regardait pas ce qu’elle faisait, et ceci m’a beaucoup frappée, parce que c’est comme si elle accomplissait un acte qui est défendu, de donner à la personne ; elle tente de s’identifier avec la chose. Cette enfant qui n’a personne à qui s’identifier a pris un certain air, elle se renversait, et le jour où elle regardait bien la chaise il me semble me souvenir que c’est le jour où elle a eu une sécurité suffisante pour se pelotonner sur les genoux de Mme Ortigues.

 

Mme Aubry – Elle ne titubait plus à ce moment-là.

 

Mme F. Dolto – Il semble qu’elle ait eu besoin de revivre avec une grande marge assez sécurisante pour pouvoir se repelotonner et alors elle peut de nouveau s’identifier à tout. Elle regarde la chose, mais la personne hérite de sa tête.

 

M. Lacan – Nous remercions une fois de plus Mme Aubry de ce qu’elle nous a apporté ce soir et de ce qu’elle a bien voulu nous préciser dans la discussion. Nous souhaitons qu’elle nous en apporte d’autres avec ce caractère clinique et différenciatif de diagnostic. Tout à l’heure, elle nous faisait quelque promesse et je retiens la proposition en somme que vous avez faite, de la technique même de cette psychothérapie, à savoir que le travail de Mme Ortigues nous soit apporté dans un second temps.

 

(La séance est levée à 23 heures 45.)