Intervention au colloque international de Royaumont (10-13 Juillet 1958) et retravaillée à Pâques 1960 pour la publication dans La psychanalyse, 1961, n° 6, « Perspectives structurales », pp. 149-206.

 

(149)I.– Qui analyse aujourd’hui ?

 

1. Qu’une analyse porte les traits de la personne de l’analysé, on en parle comme de ce qui va de soi. Mais on croit faire preuve d’audace à s’intéresser aux effets qu’y aurait la personne de l’analyste. C’est du moins ce qui justifie le frémissement qui nous parcourt aux propos à la mode sur le contre-transfert, contribuant sans doute à en masquer l’impropriété conceptuelle : pensez de quelle hauteur d’âme nous témoignons à nous montrer dans notre argile être faits de la même que ceux que nous pétrissons.

J’ai écrit là un vilain mot. Il est léger pour ceux qu’il vise, quand on ne met même plus de forme aujourd’hui à avouer que sous le nom de psychanalyse on s’emploie à une « rééducation émotionnelle du patient » [22][1].

Situer à ce niveau l’action de l’analyste emporte une position de principe, au regard de quoi tout ce qui peut se dire du contre-transfert, même à n’être pas vain, fera office de diversion. Car c’est au delà que gît dès lors l’imposture que nous voulons ici déloger[2].

Nous ne dénonçons pas pour autant ce que la psychanalyse d’aujourd’hui a d’antifreudien. Car en cela Il faut lui savoir gré (150)d’avoir mis bas le masque, puisqu’elle se targue de dépasser ce que d’ailleurs elle ignore, n’ayant retenu de la doctrine de Freud que juste assez pour sentir combien ce qu’elle vient à énoncer de son expérience, y est dissonant.

Nous entendons montrer en quoi l’impuissance à soutenir authentiquement une praxis, se rabat, comme il est en l’histoire des hommes commun, sur l’exercice d’un pouvoir.

2. Le psychanalyste assurément dirige la cure. Le premier principe, de cette cure, celui qu’on lui épelle d’abord, qu’il retrouve partout dans sa formation au point qu’il s’en imprègne, c’est qu’il ne doit point diriger le patient. La direction de conscience, au sens du guide moral qu’un fidèle du catholicisme peut y trouver, est ici exclue radicalement. Si la psychanalyse pose des problèmes à la théologie morale, ce ne sont pas ceux de la direction de conscience, en quoi nous rappelons que la direction de conscience en pose aussi.

La direction de la cure est autre chose. Elle consiste d’abord à faire appliquer par le sujet la règle analytique, soit les directives dont on ne saurait méconnaître la présence au principe de ce qu’on appelle « la situation analytique », sous le prétexte que le sujet les appliquerait au mieux sans y penser.

Ces directives sont dans une communication initiale posées sous forme de consignes dont, si peu que les commente l’analyste, on peut tenir que jusque dans les inflexions de leur énoncé, ces consignes véhiculeront la doctrine que s’en fait l’analyste au point de conséquence où elle est venue pour lui. Ce qui ne le rend pas moins solidaire de l’énormité des préjugés qui chez le patient attendent à cette même place : selon l’idée que la diffusion culturelle lui a permis de se former du procédé et de la fin de l’entreprise.

Ceci déjà suffit à nous montrer que le problème de la direction s’avère, dès les directives du départ, ne pouvoir se formuler sur une ligne de communication univoque, ce qui nous oblige à en rester là de ce temps pour l’éclairer de sa suite.

Posons seulement qu’à le réduire à sa vérité, ce temps consiste à faire oublier au patient qu’il s’agit seulement de paroles, mais que cela n’excuse pas l’analyste de l’oublier lui-même [16].

3. Au reste avons-nous annoncé que c’est par le côté de l’analyste que nous entendions engager notre sujet.

(151)Disons que dans la mise de fonds de l’entreprise commune, le patient n’est pas seul avec ses difficultés à en faire l’écot. L’analyste aussi doit payer :

        payer de mots sans doute, si la transmutation qu’ils subissent de l’opération analytique, les élève à leur effet d’interprétation ;

        mais aussi payer de sa personne, en tant que, quoi qu’il en ait, il la prête comme support aux phénomènes singuliers que l’analyse a découvert dans le transfert ;

        oubliera-t-on qu’il doit payer de ce qu’il y a d’essentiel dans son jugement le plus intime, pour se mêler d’une action qui va au cœur de l’être (Kern unseres Wesens, écrit Freud [6]) : y resterait-il seul hors de jeu ?

 

Que ceux dont les vœux vont à nos armes, ne s’inquiètent pas pour, moi, à la pensée que je m’offre ici encore à des adversaires toujours heureux de me renvoyer à ma métaphysique.

Car c’est au sein de leur prétention à se suffire de l’efficacité, que s’élève un propos comme celui-ci : que l’analyste guérit moins par ce qu’il dit et fait que par ce qu’il est [22]. Personne apparemment n’y demandant raison d’un tel propos à son auteur, non plus qu’on ne le rappelle à la pudeur, quand, avec un sourire lassé à l’adresse de la dérision qu’il encourt, c’est à la bonté, à la sienne (il faut être bon, nulle transcendance dans le contexte), qu’il s’en remet pour mettre un terme à un débat sans issue sur la névrose du transfert[3]. Mais qui aurait la cruauté d’interroger celui qui ploie sous le faix de la valise, quand son port clairement donne à penser qu’elle est pleine de briques ?

Pourtant l’être est l’être, qui que ce soit qui l’invoque, et nous avons le droit de demander ce qu’il vient faire ici.

4. Je remettrai donc l’analyste sur la sellette, en tant que je le suis moi-même, pour remarquer qu’il est d’autant moins sûr de son action qu’il y est plus intéressé dans son être.

Interprète de ce qui m’est présenté en propos ou en actes, je décide de mon oracle et l’articule à mon gré, seul maître à mon (152)bord après Dieu, et bien entendu loin de pouvoir mesurer tout l’effet de mes paroles, mais en cela justement averti et tâchant à y parer, autrement libre toujours du moment et du nombre, autant que du choix de mes interventions, au point qu’il semble que la règle ait été ordonnée tout entière à ne gêner en rien mon faire d’exécutant, ce à quoi est corrélatif l’aspect de « matériel », sous lequel mon action ici prend ce qu’elle a produit.

5. Quand au maniement du transfert, ma liberté s’y trouve par contre aliénée du dédoublement. qu’y subit ma personne, et nul n’ignore que ce soit là qu’il faIlle chercher le secret de l’analyse. Ceci n’empêche pas qu’on se croie en progrès à ce docte propos : que la psychanalyse doive être étudiée comme une situation à deux. Sans doute y met-on des conditions qui en restreignent les mouvements, mais il reste que la situation ainsi conçue sert à articuler (et sans plus d’artifice que la rééducation émotionnelle plus haut citée) les principes d’un dressage du Moi dit faible, et par un Moi qu’on aime à croire de force à remplir ce projet, car il est fort. Qu’on ne l’émette pas sans gêne, c’est ce dont témoignent des repentirs dont la gaucherie frappe, comme celui qui précise ne pas céder sur l’exigence d’une « guérison par le dedans » [22][4]. Mais il n’en est que plus significatif de constater que l’assentiment du sujet, par son rappel en ce passage, ne vient qu’au second temps d’un effet d’abord imposé.

Ce n’est pas pour notre plaisir que nous étalons ces déviations, mais plutôt pour de leurs écueils faire balises à notre route.

En fait tout analyste (fût-il de ceux qui s’égarent ainsi) ressent toujours le transfert dans l’émerveillement de l’effet le moins attendu d’une relation à deux qui serait comme les autres. Il se dit qu’il a là à composer avec un phénomène dont il n’est pas responsable, et l’on sait l’insistance que Freud a mise à souligner sa spontanéité chez le patient.

Depuis quelque temps, les analystes dans les révisions déchirantes dont ils nous régalent, insinueraient volontiers (153)que cette insistance dont ils se firent longtemps rempart, traduirait chez Freud quelque fuite devant l’engagement que suppose la notion de situation. On est, voyez-vous, à la page.

Mais c’est plutôt l’exaltation facile de leur geste à jeter les sentiments, mis au titre de leur contre-transfert, dans le plateau d’une balance où la situation s’équilibrerait de leur pesée, qui pour nous témoigne d’un malheur de la conscience corrélatif d’une démission à concevoir la vraie nature du transfert.

On ne saurait raisonner de ce que l’analysé fait supporter de ses fantasmes à la personne de l’analyste, comme de ce qu’un joueur idéal suppute des intentions de son adversaire. Sans doute y a-t-il là aussi stratégie, mais qu’on ne se trompe pas à la métaphore du miroir pour autant qu’elle convienne à la surface unie que présente au patient l’analyste. Visage clos et bouche cousue n’ont point ici le même but qu’au bridge. Plutôt par là l’analyste s’adjoint-il l’aide de ce qu’on appelle à ce jeu le mort, mais c’est pour faire surgir le quatrième qui de l’analysé va être ici le partenaire, et dont l’analyste va par ses coups s’efforcer de lui faire deviner la main : tel est le lien, disons d’abnégation, qu’impose à l’analyste l’enjeu de la partie dans l’analyse.

On pourrait poursuivre la métaphore en déduisant de là son jeu selon qu’il se place « à droite » ou « à gauche » du patient, c’est-à-dire en posture de jouer après ou avant la quatrième, c’est-à-dire de jouer avant ou après celui-ci avec le mort.

Mais ce qu’il y a de certain, c’est que les sentiments de l’analyste n’ont qu’une place possible dans ce jeu, celle du mort ; et qu’à le ranimer, le jeu se poursuit sans qu’on sache qui le conduit.

Voilà pourquoi l’analyste est moins libre en sa stratégie qu’en sa tactique.

6. Allons plus loin. L’analyste est moins libre encore en ce qui domine stratégie et tactique : à savoir sa politique, où il ferait mieux de se repérer sur son manque à être que sur son être.

Pour dire les choses autrement : son action sur le patient lui échappe avec l’idée qu’il s’en fait, s’il n’en reprend pas le départ dans ce par quoi elle est possible, s’il ne retient pas le paradoxe de ce qu’elle a d’écartelé, pour réviser au principe la structure par où toute action intervient dans la réalité.

(154)Pour les psychanalystes d’aujourd’hui, ce rapport à la réalité va de soi. Ils en mesurent les défections chez le patient sur le principe autoritaire des éducateurs de toujours. Seulement ils s’en remettent à l’analyse didactique de garantir son maintien à un taux suffisant chez les analystes, dont on ne laisse pas de sentir que, pour faire face aux problèmes de l’humanité qui s’adresse à eux, leurs vues seront parfois un peu locales. Ce n’est que reculer le problème d’un échelon individuel.

Et l’on n’est guère rassuré, quand ils tracent le procédé de l’analyse dans la réduction chez le sujet des écarts, imputés à son transfert et à ses résistances, mais repérés par rapport à la réalité, à les entendre se récrier sur la « situation toute simple » qu’offrirait l’analyse pour en prendre la mesure. Allons ! l’éducateur n’est pas près d’être éduqué, s’il peut juger aussi légèrement d’une expérience qu’il a dû pourtant lui-même traverser.

On présume à une telle appréciation que ces analystes eussent donné à cette expérience d’autres biais, s’ils avaient dû se fier à leur sens de la réalité pour l’inventer eux-mêmes : priorité scabreuse à imaginer. Ils s’en doutent un peu, et c’est pourquoi ils sont si pointIlleux à en préserver les formes.

On conçoit que pour étayer une conception si évidemment précaire, certains outre-océan aient éprouvé le besoin d’y introduire une valeur stable, un étalon de la mesure du réel : c’est l’ego autonome. C’est l’ensemble supposé organisé des fonctions les plus disparates à prêter leur support au sentiment d’innéité du sujet. On le tient pour autonome, de ce qu’il serait à l’abri des conflits de la personne (non-conflictual sphere) [14].

On reconnaît là un mirage éculé que la psychologie d’introspection la plus académique avait déjà rejeté comme intenable. Cette régression est pourtant célébrée comme un retour au bercail de la « psychologie générale ».

Quoi qu’il en soit, elle résout la question de l’être de l’analyste[5]. Une équipe d’egos moins égaux sans doute qu’autonomes (mais à quelle estampille d’origine se reconnaissaient-ils dans la suffisance de leur autonomie ?), s’offre aux Américains (155)pour les guider vers la happiness sans déranger les autonomies, égoïstes ou non, qui pavent de leurs sphères sans conflit l’American way d’y parvenir.

7. Résumons-nous. Si l’analyste n’avait affaire qu’à des résistances, il y regarderait à deux fois avant de faire une interprétation, comme c’est bien son cas en effet, mais il en serait quitte avec cette prudence.

Seulement cette interprétation, s’il la donne, va être reçue comme venant de la personne que le transfert lui impute d’être. Acceptera-t-il de bénéficier de cette erreur sur la personne ? La morale de l’analyse n’y contredit pas, à condition qu’il interprète cet effet, faute de quoi l’analyse en resterait à une suggestion grossière.

Position incontestable, sauf que c’est comme venant de l’Autre du transfert que la parole de l’analyste sera encore entendue et que la sortie du sujet hors du transfert est ainsi reculée ad infinitum.

C’est donc pour ce que le sujet, à l’analyste, impute d’être (d’être qui soit ailleurs), qu’il est possible qu’une interprétation revienne à la place, d’où elle peut porter sur la répartition des réponses.

Mais là qui dira ce qu’il est, l’analyste, et ce qu’il en reste au pied du mur de la tâche d’interpréter ? Qu’il ose le dire lui-même, si, qu’il soit un homme, c’est tout ce qu’il a à nous répondre. Qu’il en ait ou pas, serait donc toute l’affaire : c’est pourtant là qu’il tourne bride, non seulement pour l’impudence du mystère, mais parce qu’en cet avoir, c’est de l’être qu’il s’agit, et comment. Nous verrons plus loin que ce comment n’est pas commode.

Aussi préfère-t-il se rabattre sur son Moi, et sur la réalité dont il connaît un bout. Mais alors le voilà à je et à moi avec son patient. Comment faire, s’ils sont à couteaux tirés ? C’est ici qu’astucieusement on compte sur les intelligences qu’on doit avoir dans la place, dénommée en l’occasion la partie saine du moi, celle qui pense comme nous.

C.Q.N.R.P.D., peut-on conclure, ce qui nous ramène au problème du départ, soit à réinventer l’analyse.

Ou à la refaire : en traitant le transfert comme une forme particulière de la résistance.

Beaucoup le professent. C’est à eux que nous posons la (156)question qui intitule ce chapitre : Qui est l’analyste ? Celui qui interprète en profitant du transfert ? Celui qui l’analyse comme résistance ? Ou celui qui impose son idée de la réalité ?

Question qui peut pincer de plus près ceux à qui elle s’adresse, et être moins facile à esquiver que la question : qui parle ? dont tel de mes élèves leur cornait les oreilles sur le compte du patient. Car leur réponse d’impatients ; un animal de notre espèce, à la question changée serait plus fâcheusement tautologique, de devoir dire : moi.

Tout cru.

 

II. – Quelle est la place de l’interprétation ?

 

1. Ce qui précède ne donne pas réponse à tout ce qui s’y promeut de questions pour un novice. Mais à rassembler les problèmes actuellement agités autour de la direction de l’analyse en tant que cette actualité reflète son usage présent, nous croyons y avoir respecté les proportions.

C’est dire la moindre place que tient l’interprétation dans l’actualité psychanalytique, – non qu’on en ait perdu le sens, mais que l’abord de ce sens témoigne toujours d’un embarras. Il n’est pas d’auteur qui s’y affronte sans procéder par détachement de tous les modes d’interventions verbales, qui ne sont pas l’interprétation : explications, gratifications, réponses à la demande…, etc. Le procédé devient révélateur quand il se rapproche du foyer de l’intérêt. Il impose que même un propos articulé pour amener le sujet à prendre vue (insight) sur une de ses conduites, et spécialement dans sa signification de résistance, peut recevoir tout autre nom, confrontation par exemple, fût-elle du sujet à son propre dire, sans mériter celui d’interprétation, seulement d’être un dire éclairant.

Les efforts d’un auteur sont touchants à tenter de forcer la théorie de la forme pour y trouver la métaphore qui lui permette d’exprimer ce que l’interprétation apporte de résolution dans une ambiguïté intentionnelle, de fermeture à une incomplétude qui n’est pourtant réalisée qu’après coup [2].

2. On sent que c’est la nature d’une transmutation dans le sujet, qui ici se dérobe, et d’autant plus douloureusement pour la pensée qu’elle lui échappe du moment même qu’elle passe au fait. Nul index ne suffit en effet à montrer où agit l’interprétation, (157)si l’on n’admet radicalement un concept de la fonction du signifiant, qui saisisse où le sujet s’y subordonne au point d’en être suborné.

L’interprétation, pour déchiffrer la diachronie des répétitions inconscientes doit introduire dans la synchronie des signifiants qui s’y composent, quelque chose qui soudain rende la traduction possible, – précisément ce que permet la fonction de l’Autre dans le recel du code, c’étant à propos de lui qu’en apparaît l’élément manquant.

Cette importance du signifiant dans la localisation de la vérité analytique, apparaît en filigrane, dès qu’un auteur se tient ferme aux connexions de l’expérience dans la définition des apories. Qu’on lise Edward Glover pour mesurer le prix qu’il paye du défaut de ce terme : quand à articuler les vues les plus pertinentes, il trouve l’interprétation partout, faute de pouvoir l’arrêter nulle part, et jusque dans la banalité de l’ordonnance médicale, et qu’il en vient à dire tout uniment, sans qu’on sache s’il s’entend, que la formation du symptôme est une interprétation inexacte du sujet [13].

L’interprétation ainsi conçue devient une sorte de phlogistique : manifeste en tout ce qui se comprend à tort ou à raison, pour peu qu’il nourrisse la flamme de l’imaginaire, de cette pure parade qui, sous le nom d’agressivité, fait les choux gras de la technique de ce temps-là (1931 –, c’est bien assez neuf pour être encore d’aujourd’hui. Cf. [13]).

C’est seulement à ce que l’interprétation vienne culminer dans l’hic et nunc de ce jeu, qu’elle se distinguera de la lecture de la signatura rerum où Jung rivalise avec Boehme. L’y suivre irait fort peu à l’être de nos analystes.

Mais être à l’heure de Freud est bien d’une autre tablature, pour quoi il n’est pas superflu d’en savoir démonter l’horloge.

3. Notre doctrine du signifiant est d’abord discipline, où se rompent ceux que nous formons, aux modes d’effet du signifiant dans l’avènement du signifié, seule voie à concevoir qu’à s’y inscrire l’interprétation puisse produire du nouveau.

Car elle ne se fonde dans aucune assomption des archétypes divins, mais dans le fait que l’inconscient ait la structure radicale du langage, qu’un matériel y joue selon des lois, qui sont celles que découvre l’étude des langues positives, des langues qui sont ou furent effectivement parlées.

(158)La métaphore du phlogistique que nous inspirait Glover à l’instant, prend son appropriation de l’erreur qu’elle évoque : la signification n’émane pas plus de la vie que le phlogistique dans la combustion ne s’échappe des corps. Bien plutôt faudrait-il en parler comme de la combinaison de la vie avec l’atome 0 du signe[6], du signe, en tant d’abord qu’il connote la présence ou l’absence, en apportant essentiellement l’et qui les lie, puisqu’à connoter la présence ou l’absence, il institue la présence sur fonds d’absence, comme il constitue l’absence dans la présence.

On se souviendra qu’avec la sûreté de sa démarche dans son champ, Freud cherchant le modèle de l’automatisme de répétition, s’arrête au carrefour d’un jeu d’occultation et d’une scansion alternative de deux phonèmes, dont la conjugaison chez un enfant le frappe.

C’est aussi bien qu’y apparaît du même coup la valeur de l’objet en tant qu’insignifiant (ce que l’enfant fait apparaître et disparaître), et le caractère accessoire de la perfection phonétique auprès de la distinction phonématique, dont personne ne contesterait à Freud qu’il soit en droit de la traduire immédiatement par les Fort ! Da ! de l’allemand parlé par lui adulte [9].

Point d’insémination d’un ordre symbolique qui préexiste au sujet infantile et selon lequel il va lui falloir se structurer.

4. Nous nous épargnerons de donner les règles de l’interprétation. Ce n’est pas qu’elles ne puissent être formulées, mais leurs formules supposent des développements que nous ne pouvons tenir pour connus, faute de pouvoir les condenser ici.

Tenons-nous en à remarquer qu’à lire les commentaires classiques sur l’interprétation, on regrette toujours de voir combien peu de parti l’on sait tirer des données même qu’on avance.

Pour en donner un exemple, chacun témoigne à sa façon que pour confirmer le bien-fondé d’une interprétation, ce n’est pas la conviction qu’elle entraîne qui compte, puisque l’on en reconnaîtra bien plutôt le critère dans le matériel qui viendra à surgir à sa suite.

159)Mais la superstition psychologisante est tellement puissante dans les esprits qu’on sollicitera toujours le phénomène dans le sens d’un assentiment du sujet, omettant tout à fait ce qui résulte des propos de Freud sur la Verneinung comme forme d’aveu, dont le moins qu’on puisse dire est qu’on ne saurait la faire équivaloir à un chou blanc.

C’est ainsi que la théorie traduit comment la résistance est engendrée dans la pratique. C’est aussi ce que nous voulons faire entendre, quand nous disons qu’il n’y a pas d’autre résistance à l’analyse que celle de l’analyste lui-même.

5. Le grave est qu’avec les auteurs d’aujourd’hui, la séquence des effets analytiques semble prise à l’envers. L’interprétation ne serait, à suivre leurs propos qu’un ânonnement par rapport à l’ouverture d’une relation plus large où enfin l’on se comprend (« par le dedans » sans doute).

L’interprétation devient ici une exigence de la faiblesse à laquelle il nous faut venir en aide. C’est aussi quelque chose de bien difficile à lui faire avaler sans qu’elle le rejette. C’est les deux à la fois, c’est-à-dire un moyen bien incommode.

Mais c’est là seulement l’effet des passions de l’analyste : sa crainte qui n’est pas de l’erreur, mais de l’ignorance, son goût qui n’est pas de satisfaire, mais de ne pas décevoir, son besoin qui n’est pas de gouverner, mais de garder le dessus. Il ne s’agit nullement du contre-transfert chez tel ou tel ; il s’agit des conséquences de la relation duelle, si le thérapeute ne la surmonte pas, et comment la surmonterait-il s’il en fait l’idéal de son action ?

Primum vivere sans doute : il faut éviter la rupture. Que l’on classe sous le nom de technique la civilité puérile et honnête à enseigner à cette fin, passe encore. Mais que l’on confonde cette nécessité physique, de la présence du patient au rendez-vous, avec la relation analytique, on se trompe et on fourvoie le novice pour longtemps.

6. Le transfert dans cette perspective devient la sécurité de l’analyste, et la relation au réel, le terrain où se décide le combat. L’interprétation qui a été ajournée jusqu’à la consolidation du transfert, devient dès lors subordonnée à la réduction de celui-ci.

Il en résulte qu’elle se résorbe dans un working through, qu’on peut fort bien traduire simplement par travail du transfert, qui sert d’alibi à une sorte de revanche prise de la timidité (160)initiale, c’est-à-dire à une insistance qui ouvre la porte à tous les forçages, mis sous le pavillon du renforcement du Moi [21-22].

7. Mais a-t-on observé, à critiquer la démarche de Freud, telle qu’elle se présente par exemple dans l’homme aux rats, que ce qui nous étonne comme une endoctrination préalable tient simplement à ce qu’il procède exactement dans l’ordre inverse ? À savoir qu’il commence par introduire le patient à un premier repérage de sa position dans le réel, dût celui-ci entraîner une précipitation, ne reculons pas à dire une systématisation, des symptômes [8].

Autre exemple notoire : quand il réduit Dora à constater que ce grand désordre du monde de son père, dont le dommage fait l’objet de sa réclamation, elle a fait plus que d’y participer, qu’elle s’en était faite la cheville et qu’il n’eût pu se poursuivre sans sa complaisance [7].

J’ai dès longtemps souligné le procédé hégélien de ce renversement des positions de la belle âme quant à la réalité qu’elle accuse. Il ne s’agit guère de l’y adapter, mais de lui montrer qu’elle n’y est que trop bien adaptée, puisqu’elle concourt à sa fabrication.

Mais ici s’arrête le chemin à parcourir avec l’autre. Car déjà le transfert a fait son œuvre, montrant qu’il s’agit de bien autre chose que des rapports du Moi au monde.

Freud ne semble pas toujours très bien s’y retrouver, dans les cas dont il nous a fait part. Et c’est pour cela qu’ils sont si précieux.

Car il a tout de suite reconnu que c’était là le principe de son pouvoir, en quoi il ne se distinguait pas de la suggestion, mais aussi que ce pouvoir ne lui donnait la sortie du problème qu’à la condition de ne pas en user, car c’est alors qu’il prenait tout son développement de transfert.

À partir de ce moment ce n’est plus à celui qu’il tient en sa proximité qu’il s’adresse, et c’est la raison pourquoi il lui refuse le face à face.

L’interprétation chez Freud est si hardie qu’à l’avoir vulgarisée, nous ne reconnaissons plus sa portée de mantique. Quand il dénonce une tendance, ce qu’il appelle Trieb, tout autre chose qu’un instinct, la fraîcheur de la découverte nous masque ce que le Trieb implique en soi d’un avènement de signifiant. Mais (161)quand Freud amène au jour ce qu’on ne peut appeler que les lignes de destinée du sujet, c’est la figure de Tirésias dont nous nous interrogeons devant l’ambiguïté où opère son verdict.

Car ces lignes devinées concernent si peu le Moi du sujet, ni tout ce qu’il peut présentifier hic et nunc dans la relation duelle, que c’est à tomber pile, dans le cas de l’homme aux rats, sur le pacte qui a présidé au mariage de ses parents, sur ce qui s’est passé donc bien avant sa naissance –, que Freud y retrouve ces conditions mêlées : d’honneur sauvé de justesse, de trahison sentimentale, de compromis social et de dette prescrite, dont le grand scénario compulsionnel qui lui a amené le patient semble être le décalque cryptographique, – et vient à y motiver enfin les impasses où se fourvoient sa vie morale et son désir.

Mais le plus fort est que l’accès à ce matériel n’a été ouvert que par une interprétation où Freud a présumé d’une interdiction que le père de l’homme aux rats aurait porté sur la légitimation de l’amour sublime à quoi il se voue, pour expliquer la marque d’impossible dont, sous tous ses modes, ce lien paraît pour lui frappé. Interprétation dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est inexacte, puisqu’elle est démentie par la réalité qu’elle présume, mais qui pourtant est vraie en ce que Freud y fait preuve d’une intuition où il devance ce que nous avons apporté sur la fonction de l’Autre dans la névrose obsessionnelle, en démontrant que cette fonction dans la névrose obsessionnelle s’accommode d’être tenue par un mort, et qu’en ce cas elle ne saurait mieux l’être que par le père, pour autant que, mort en effet, il a rejoint la position que Freud a reconnue pour être celle du Père absolu.

8. Que ceux qui nous lisent et ceux qui suivent notre enseignement, nous pardonnent s’ils retrouvent ici des exemples un peu rebattus par moi à leurs oreilles.

Ce n’est pas seulement parce que je ne puis faire état de mes propres analyses pour démontrer le plan où porte l’interprétation, quand l’interprétation s’avérant coextensive à l’histoire, ne peut être communiquée dans le mIlieu communicant où se passent beaucoup de nos analyses, sans risque de découvrir l’anonymat du cas. Car j’ai réussi en telle occasion à en dire assez sans en dire trop, c’est à dire à faire entendre mon exemple, sans que personne, hors de l’intéressé, l’y reconnaisse.

(162)Ce n’est pas non plus que je tienne l’homme aux rats pour un cas que Freud ait guéri, car si j’ajoutais que je ne crois pas que l’analyse soit pour rien dans la conclusion tragique de son histoire par sa mort sur le champ de bataIlle, que n’offrirais-je à honnir à ceux qui mal y pensent ?

Je dis que c’est dans une direction de la cure qui s’ordonne, comme je viens de le démontrer, selon un procès qui va de la rectification des rapports du sujet avec le réel, au développement du transfert, puis à l’interprétation, que se situe l’horizon où à Freud se sont livrées les découvertes fondamentales, sur lesquelles nous vivons encore concernant la dynamique et la structure de la névrose obsessionnelle. Rien de plus, mais aussi rien de moins.

La question est maintenant posée de savoir si ce n’est pas à renverser cet ordre que nous avons perdu cet horizon.

9. Ce qu’on peut dire, c’est que les voies nouvelles où l’on a prétendu légaliser la marche ouverte par le découvreur, font la preuve d’une confusion dans les termes qu’il faut la singularité pour révéler. Nous reprendrons donc un exemple qui a déjà contribué à notre enseignement ; bien entendu, il est choisi d’un auteur de qualité et spécialement sensible, de par sa souche, à la dimension de l’interprétation. Il s’agit d’Ernst Kris et d’un cas qu’il ne nous dissimule pas avoir repris de Melitta Schmideberg [15].

Il s’agit d’un sujet inhibé dans sa vie intellectuelle et spécialement inapte à aboutir à quelque publication de ses recherches, – ceci en raison d’une impulsion à plagier dont il ne semble pas pouvoir se rendre maître. Tel est le drame subjectif.

Melitta Schmideberg l’avait compris comme la récurrence d’une délinquance infantile ; le sujet volait friandises et bouquins, et c’est par ce biais qu’elle a entrepris l’analyse du conflit inconscient.

Ernst Kris se donne les gants de reprendre le cas selon une interprétation plus méthodique, celle qui procède de la surface à la profondeur, qu’il dit. Qu’il la mette sous le patronage de la psychologie de l’ego selon Hartmann, dont il a cru devoir se faire le supporter, est accessoire pour apprécier ce qui va se passer. Ernst Kris change la perspective du cas et prétend donner au sujet l’insight d’un nouveau départ à partir d’un fait qui n’est qu’une répétition de sa compulsion, mais où Kris (163)très louablement ne se contente pas des dires du patient ; et quand celui-ci prétend avoir pris malgré lui les idées d’un travail qu’il vient d’achever dans un ouvrage qui, revenu à sa mémoire, lui a permis de le contrôler après coup, il va aux pièces et découvre que rien apparemment n’y dépasse ce que comporte la communauté du champ de recherches. Bref, s’étant assuré que son patient n’est pas plagiaire quand il croit l’être, il entend lui démontrer qu’il veut l’être pour s’empêcher de l’être vraiment, – ce qu’on appelle analyser la défense avant la pulsion, qui ici se manifeste dans l’attrait pour les idées des autres.

Cette intervention peut être présumée erronée, par le seul fait qu’elle suppose que défense et pulsion sont concentriques et, pour ainsi dire, l’une sur l’autre moulées.

Ce qui prouve qu’elle l’est en effet, c’est ce en quoi Kris la trouve confirmée, à savoir qu’au moment où il croit pouvoir demander au malade ce qu’il pense de la veste ainsi retournée, celui-ci rêvant un instant lui rétorque que depuis quelque temps, au sortir de la séance, il rôde dans une rue qui cumule les petits restaurants attrayants, pour y lorgner sur les menus l’annonce de son plat favori : des cervelles fraîches.

Aveu qui, plutôt que d’être à considérer comme sanctionnant le bonheur de l’intervention par le matériel qu’il apporte, nous paraît plutôt avoir la valeur corrective de l’acting out, dans le rapport même qu’il en fait.

Cette moutarde après dîner que le patient respire, me semble plutôt dire à l’amphitryon qu’elle a fait défaut au service. Si compulsif qu’il soit à la humer, elle est un hint ; symptôme transitoire sans doute, elle avertit l’analyste : vous êtes à côté.

Vous êtes à côté en effet, reprendrai-je, m’adressant à la mémoire d’Ernst Kris telle qu’elle me revient du Congrès de Marienbad, où au lendemain de ma communication sur le stade du miroir, je pris congé, soucieux que j’étais d’aller prendre l’air du temps, d’un temps lourd de promesses, à l’Olympiade de Berlin. Il m’objecta gentiment : « Ça ne se fait pas ! » (cette locution en français), déjà gagné à ce penchant au respectable qui peut-être ici infléchit sa démarche.

Est-ce là ce qui vous égare, Ernst Kris, ou seulement que droites soient vos intentions, car votre jugement l’est aussi à n’en pas douter, mais les choses, elles, sont en chicane.

(164)Ce n’est pas que votre patient ne vole pas, qui ici importe. C’est qu’il ne… Pas de ne : c’est qu’il vole rien. Et c’est cela qu’il eût fallu lui faire entendre.

Tout à l’inverse de ce que vous croyez, ce n’est pas sa défense contre l’idée de voler qui lui fait croire qu’il vole. C’est qu’il puisse avoir une idée à lui, qui ne lui vient pas à l’idée, ou ne le visite qu’à peine.

Inutile donc de l’engager dans ce procès de faire la part, où Dieu lui-même ne saurait se reconnaître, de ce que son copain lui barbote de plus ou moins original quand il discute avec lui le bout de gras.

Cette envie de cervelle fraîche ne peut-elle vous rafraîchir vos propres concepts, et vous faire souvenir dans les propos de Roman Jakobson de la fonction de la métonymie, nous y reviendrons tout à l’heure.

Vous parlez de Melitta Schmideberg comme si elle avait confondu la délinquance avec le Ça. Je n’en suis pas si sûr et, à me référer à l’article où elle cite ce cas, le libellé de son titre me suggère une métaphore.

Vous traitez le patient comme un obsédé, mais il vous tend la perche avec son fantasme de comestible : pour vous donner l’occasion d’avoir un quart d’heure d’avance sur la nosologie de votre époque en diagnostiquant : anorexie mentale. Vous rafraîchirez du même coup en le rendant à son sens propre ce couple de termes que son emploi commun a réduit au douteux aloi d’une indication étiologique.

Anorexie, dans ce cas, quant au mental, quant au désir dont vit l’idée, et ceci nous mène au scorbut qui règne sur le radeau où je l’embarque avec les vierges maigres.

Leur refus symboliquement motivé me paraît avoir beaucoup de rapport avec l’aversion du patient pour ce qu’il cogite. D’avoir des idées, son papa déjà, vous nous le dites, n’avait pas la ressource. Est-ce pas que le grand-père qui s’y était illustré, l’en aurait dégoûté ? Comment le savoir ? Sûrement vous avez raison en faisant du signifiant : grand, inclus au terme de parenté, l’origine, sans plus, de la rivalité jouée avec le père pour le plus grand poisson pris à la pêche. Mais ce challenge de pure forme m’inspire plutôt qu’il veuille dire : rien à frire.

Rien de commun donc entre votre procession, dite à partir de la surface, et la rectification subjective, mise en vedette (165)plus haut dans la méthode de Freud où aussi bien elle ne se motive d’aucune priorité topique.

C’est qu’aussi cette rectification chez Freud est dialectique, et part des dires du sujet, pour y revenir, ce qui veut dire qu’une interprétation ne saurait être exacte qu’à être… une interprétation.

Prendre parti ici sur l’objectif, est un abus, ne serait-ce que pour ce que le plagiarisme est relatif aux mœurs en usage[7].

Mais l’idée que la surface est le niveau du superficiel est elle-même dangereuse.

Une autre topologie est nécessaire pour ne pas se tromper quant à la place du désir.

Effacer le désir de la carte quand déjà il est recouvert dans le paysage du patient, n’est pas la meilleure suite à donner à la leçon de Freud.

Ni le moyen d’en finir avec la profondeur, car c’est à la surface qu’elle se voit comme dartre aux jours de fête fleurissant le visage.

 

III. – Où en est-on avec le transfert ?

 

1. C’est au travail de notre collègue Daniel Lagache qu’il faut recourir pour se faire une histoire exacte des travaux qui, autour de Freud poursuivant son œuvre et depuis qu’il nous l’a léguée, ont été consacrés au transfert, par lui découvert. L’objet de ce travail va bien au delà, en apportant dans la fonction du phénomène des distinctions de structure, essentielles pour sa critique. Qu’il suffise de rappeler la si pertinente alternative qu’il pose, quant à sa nature dernière, entre besoin de répétition et répétition du besoin.

Un tel travail, si nous croyons dans notre enseignement en avoir su tirer les conséquences qu’il emporte, met bien en évidence par l’ordonnance qu’il introduit, à quel point sont souvent partiels les aspects où se concentrent les débats, et notamment combien l’emploi ordinaire du terme, dans l’analyse (166)même, reste adhérent à son abord le plus discutable s’il est le plus vulgaire : d’en faire la succession ou la somme des sentiments positifs ou négatifs que le patient porte à son analyste.

Pour mesurer où nous en sommes dans notre communauté scientifique, peut-on dire que l’accord ni la lumière aient été faits sur les points suivants où ils sembleraient pourtant exigibles : est-ce le même effet de la relation à l’analyste, qui se manifeste dans l’énamoration primaire observée au début du traitement et dans la trame de satisfactions qui rend cette relation si difficile à rompre, quand la névrose de transfert semble dépasser les moyens proprement analytiques ? Est-ce bien encore la relation à l’analyste et sa frustration fondamentale qui, dans la période seconde de l’analyse, soutient la scansion : frustration, agression, régression, où s’inscriraient les effets les plus féconds de l’analyse ? Comment faut-il concevoir la subordination des phénomènes, quand leur mouvance est traversée par les fantasmes qui impliquent ouvertement la figure de l’analyste ?

De ces obscurités persistantes, la raison à été formulée en une étude exceptionnelle par sa perspicacité : à chacune des étapes où l’on a tenté de réviser les problèmes du transfert, les divergences techniques qui en motivaient l’urgence, n’ont pas laissé place à une critique véritable de sa notion [20].

2. C’est une notion si centrale pour l’action analytique que nous voulons ici rejoindre, qu’elle peut servir de mesure pour la partialité des théories où l’on s’attarde à la penser. C’est dire qu’on ne se trompera pas à en juger d’après le maniement du transfert qu’elles emportent. Ce pragmatisme est justifié. Car ce maniement du transfert ne fait qu’un avec sa notion, et si peu élaborée que soit celle-ci dans la pratique, elle ne peut faire que se ranger aux partialités de la théorie.

D’autre part l’existence simultanée de ces partialités ne les fait pas se compléter pour autant. En quoi se confirme qu’elles souffrent d’un défaut central.

Pour y ramener déjà un peu d’ordre, nous réduirons à trois ces partialités de la théorie, dussions-nous par là sacrifier nous même à quelque parti-pris, moins grave pour être seulement d’exposé.

3. Nous lierons le génétisme, en ce qu’il tend à fonder les phénomènes analytiques dans les moments du développement (167)qui y sont intéressés et à se nourrir de l’observation dite directe de l’enfant, à une technique particulière : celle qui fait porter l’essentiel de son procédé sur l’analyse des défenses.

Ce lien est historiquement manifeste. On peut même dire qu’il n’est pas fondé autrement, puisque ce lien n’est constitué que par l’échec de la solidarité qu’il suppose.

On peut en montrer le départ dans la créance légitime, faite à la notion d’un Moi inconscient où Freud a réorienté sa doctrine. Passer de là à l’hypothèse que les mécanismes de défense qui se groupaient sous sa fonction, devaient eux-mêmes pouvoir trahir une loi d’apparition comparable, voire correspondante à la succession des phases par où Freud avait essayé de rejoindre l’émergence pulsionnelle à la physiologie, – c’est le pas qu’Anna Freud, dans son livre sur Les mécanismes de défense, propose de franchir pour le mettre à l’épreuve de l’expérience.

C’eût pu être l’occasion d’une critique féconde des rapports du développement avec les structures, manifestement plus complexes, que Freud introduit dans la psychologie. Mais l’opération glissa plus bas, tant plus tentant était d’essayer d’insérer dans les étapes observables du développement sensori-moteur et des capacités progressives d’un comportement intelligent, ces mécanismes, supposés se détacher de leur progrès.

On peut dire que les espoirs qu’Anna Freud plaçait dans une telle exploration, ont été déçus : rien ne s’est révélé dans cette voie d’éclairant pour la technique, si les détails qu’une observation de l’enfant éclairée par l’analyse, a permis d’apercevoir, sont parfois très suggestifs.

La notion de pattern, qui vient ici fonctionner comme alibi de la typologie mise en échec, patronne une technique qui, à poursuivre la détection d’un pattern inactuel, penche volontiers à en juger sur son écart d’un pattern qui trouve dans son conformisme les garanties de sa conformité. On n’évoquera pas sans vergogne les critères de réussite où aboutit ce travaIl postiche : le passage à l’échelon supérieur du revenu, la sortie de secours de la liaison avec la secrétaire, réglant l’échappement de forces strictement asservies dans le conjungo, la profession et la communauté politique, ne nous paraissent pas d’une dignité à requérir l’appel, articulé dans le planning de l’analyste, voire dans son interprétation, à la Discorde des instincts de vie et de mort, – fût-ce à décorer son propos du qualificatif prétentieux (168)d’« économique », pour le poursuivre, à contresens complet de la pensée de Freud, comme le jeu d’un couple de forces homologues en leur opposition.

4. Moins dégradée dans son relief analytique, nous paraît la deuxième face, où apparaît ce qui se dérobe du transfert : à savoir l’axe pris de la relation d’objet.

Cette théorie, à quelque point de ravalement qu’elle soit venue ces derniers temps en France, a comme le génétisme son origine noble. C’est Abraham, qui en a ouvert le registre, et la notion d’objet partiel est sa contribution originale. Ce n’est pas ici le lieu d’en démontrer la valeur. Nous sommes plus intéressés à en indiquer la liaison à la partialité de l’aspect qu’Abraham détache du transfert, pour le promouvoir dans son opacité comme la capacité d’aimer : soit comme si c’était là une donnée constitutionnelle chez le malade où puisse se lire le degré de sa curabilité, et notamment le seul où échouerait le traitement de la psychose.

Nous avons ici en effet deux équations. Le transfert qualifié de sexuel (Sexualübertragung) est au principe de l’amour qu’on a appelé depuis objectal en français (en allemand : Objektliebe). La capacité de transfert mesure l’accès au réel. On ne saurait trop souligner ce qu’il y a ici de pétition de principe.

À l’envers des présupposés du génétisme qui entend se fonder sur un ordre des émergences formelles dans le sujet, la perspective abrahamienne s’explique en une finalité, qui s’autorise d’être instinctuelle, en ce qu’elle s’image de la maturation d’un objet ineffable, l’Objet avec un grand O qui commande la phase de l’objectalité, (significativement distinguée de l’objectivité par sa substance d’affect).

Cette conception ectoplasmique de l’objet a vite montré ses dangers en se dégradant dans la dichotomie grossière qui se formule en opposant le caractère prégénital au caractère génital.

Cette thématique primaire se développe sommairement en attribuant au caractère prégénital les traits accumulés de l’irréalisme projectif, de l’autisme plus ou moins dosé, de la restriction des satisfactions par la défense, du conditionnement de l’objet par une isolation doublement protectrice quant aux effets de destruction qui le connotent, soit un amalgame de tous les défauts de la relation d’objet pour montrer les motifs de la dépendance extrême qui en résulte pour le sujet. Tableau (169)qui serait utile malgré son parti pris de confusion, s’il ne semblait fait pour servir de négatif à la berquinade du « passage de la forme prégénitale à la forme génitale », où les pulsions « ne prennent plus ce caractère de besoin de possession incoercible, illimité, inconditionnel, comportant un aspect destructif. Elles sont véritablement tendres, aimantes, et si le sujet ne s’y montre pas pour autant oblatif, c’est-à-dire désintéressé, et si ces objets » (ici l’auteur se souvient de mes remarques) « sont aussi foncièrement des objets narcissiques que dans le cas précédent, il est ici capable de compréhension, d’adaptation à l’autre. D’ailleurs, la structure intime de ces relations objectales montre que la participation de l’objet à son propre plaisir à lui, est indispensable au bonheur du sujet. Les convenances, les désirs, les besoins de l’objet (quelle salade !)[8] sont pris en considération au plus haut point ».

Ceci n’empêche pas pourtant que « le Moi a ici une stabilité qui ne risque pas d’être compromise par la perte d’un Objet significatif. Il reste indépendant de ses objets ».

« Son organisation est telle que le mode de pensée qu’il utilise est essentiellement logique. Il ne présente pas spontanément de régression à un mode d’appréhension de la réalité qui soit archaïque, la pensée affective, la croyance magique n’y jouant qu’un rôle absolument secondaire, la symbolisation ne va pas en étendue et en importance au delà de ce qu’elle est dans la vie habituelle (!!)[9]. Le style des relations entre le sujet et l’objet est des plus évolués (sic)[10] ».

Voilà ce qui est promis à ceux qui « à la fin d’une analyse réussie… s’aperçoivent de l’énorme différence de ce qu’ils croyaient autrefois être la joie sexuelle, et de ce qu’ils éprouvent maintenant ».

On comprend que pour ceux qui ont d’emblée cette joie, « la relation génitale soit, pour tout dire, sans histoire » [21].

Sans autre histoire que de se conjuguer irrésistiblement dans le verbe : se taper le derrière au lustre, dont la place nous paraît ici marquée pour le scoliaste futur d’y rencontrer son occasion éternelle.

5. S’il faut en effet suivre Abraham quand il nous présente la relation d’objet comme typiquement démontrée dans l’activité (170)du collectionneur, peut-être la règle n’en est-elle pas donnée dans cette antinomie édifiante, mais plutôt à chercher dans quelque impasse constitutive du désir comme tel.

Ce qui fait que l’objet se présente comme brisé et décomposé, est peut-être autre chose qu’un facteur pathologique. Et qu’a à faire avec le réel cet hymne absurde à l’harmonie du génital ?

Faut-il rayer de notre expérience le drame de l’œdipisme, quand il a dû par Freud être forgé justement pour expliquer les barrières et les ravalements (Erniedrigungen), qui sont les plus banaux dans la vie amoureuse, fût-elle la plus accomplie ?

Est-ce à nous de camoufler en mouton frisé du Bon Pasteur, Eros, le Dieu noir ?

La sublimation sans doute est à l’œuvre dans cette oblation qui rayonne de l’amour, mais qu’on s’attache à aller un peu plus loin dans la structure du sublime, et qu’on ne le confonde pas, ce contre quoi Freud en tout cas s’inscrit en faux, avec l’orgasme parfait.

Le pire est que les âmes qui s’épanchent dans la tendresse la plus naturelle en viennent à se demander si elles satisfont au moralisme délirant de la relation génitale, – fardeau inédit qu’à l’instar de ceux que maudit l’Évangéliste, nous avons lié pour les épaules des innocents.

Cependant qu’à nous lire, si quelque chose en parvient à des temps où l’on ne saura plus à quoi répondaient en pratique ces effervescents propos, on pourra s’imaginer que notre art s’employait à ranimer la faim sexuelle chez des retardés de la glande, – à la physiologie de laquelle nous n’avons pourtant en rien contribué, et pour avoir en fait fort peu à en connaître.

7. Il faut au moins trois faces à une pyramide, fût-elle d’hérésie. Celle qui ferme le dièdre ici décrit dans la béance de la conception du transfert, s’efforce, si l’on peut dire, d’en rejoindre les bords.

Si le transfert prend sa vertu d’être ramené à la réalité dont l’analyste est le représentant, et s’il s’agit de faire mûrir l’Objet dans la serre chaude d’une situation confinée, il ne reste plus à l’analysé qu’un objet, si l’on nous permet l’expression, à se mettre sous la dent, et c’est l’analyste.

D’où la notion d’introjection intersubjective qui est notre troisième erreur, de s’installer malheureusement dans une relation duelle.

(171)Car il s’agit bien d’une voie unitive dont les sauces théoriques diverses qui l’accommodent selon la topique à laquelle on se réfère, ne peuvent que conserver la métaphore, en la variant selon le niveau de l’opération considéré comme sérieux : introjection chez Ferenczi, identification au Surmoi de l’analyste chez Strachey, transe narcissique terminale chez Balint.

Nous entendons attirer l’attention sur la substance de cette consommation mystique, et si une fois de plus nous devons prendre à partie ce qui se passe à notre porte, c’est parce qu’on sait que l’expérience analytique prend sa force du particulier.

C’est ainsi que l’importance donnée dans la cure au fantasme de la dévoration phallique dont l’image de l’analyste fait les frais, nous paraît digne d’être relevée, dans sa cohérence avec une direction de la cure qui la fait tenir tout entière dans l’aménagement de la distance entre le patient et l’analyste comme objet de la relation duelle.

Car malgré la débilité de la théorie dont un auteur systématise sa technique, il n’en reste pas moins qu’il analyse vraiment, et que la cohérence révélée dans l’erreur est ici le garant de la fausse route effectivement pratiquée.

C’est la fonction privilégiée du signifiant phallus dans le mode de présence du sujet au désir qui ici est illustrée, mais dans une expérience qu’on peut dire aveugle : ceci faute de toute orientation sur les rapports véritables de la situation analytique, laquelle, comme aussi bien que toute autre situation où l’on parle, ne peut, à vouloir l’inscrire dans une relation duelle, qu’être écrasée.

La nature de l’incorporation symbolique étant méconnue, et pour cause, et étant exclu qu’il se consomme quoi que ce soit de réel dans l’analyse, il apparaîtra, aux repères élémentaires de mon enseignement, que rien ne saurait plus être reconnu que d’imaginaire dans ce qui se produit. Car il n’est pas nécessaire de connaître le plan d’une maison pour se cogner la tête contre ses murs : pour ce faire, on s’en passe même assez bien.

Nous avons nous-même indiqué à cet auteur, en un temps où nous débattions entre nous, qu’à se tenir à un rapport imaginaire entre les objets, il ne restait que la dimension de la distance à pouvoir l’ordonner. Ce n’était pas dans la visée qu’il y abonde.

Faire de la distance la dimension unique où se jouent les (172)relations du névrosé à l’objet, engendre des contradictions insurmontables, qui se lisent assez, autant à l’intérieur du système que dans la direction opposée que des auteurs différents tireront de la même métaphore pour organiser leurs impressions. Trop ou trop peu de distance à l’objet, paraîtront quelquefois se confondre au point de s’embrouiller. Et ce n’est pas la distance de l’objet, mais bien plutôt sa trop grande intimité au sujet qui paraissait à Ferenczi caractériser le névrosé.

Ce qui décide de ce que chacun veut dire, c’est son usage technique, et la technique du rapprocher, quelque impayable que soit l’effet du terme non traduit dans un exposé en anglais, révèle dans la pratique une tendance qui confine à l’obsession.

On a peine à croire que l’idéal prescrit dans la réduction de cette distance à zéro (nil en anglais), ne laisse pas voir à son auteur que s’y concentre son paradoxe théorique.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas douteux que cette distance est prise pour paramètre universel, réglant les variations de la technique (quelque chinois qu’apparaisse le débat sur leur ampleur) pour le démantèlement de la névrose.

Ce que doit une telle conception aux conditions spéciales de la névrose obsessionnelle, n’est pas à mettre tout entier du côté de l’objet.

Il ne semble même pas à son actif qu’il y ait un privilège à relever des résultats qu’elle obtiendrait dans la névrose obsessionnelle. Car s’il nous est permis comme à Kris de faire état d’une analyse, reprise en second, nous pouvons témoigner qu’une telle technique où le talent n’est pas à contester, a abouti à provoquer dans un cas clinique de pure obsession chez un homme, l’irruption d’une énamoration qui n’était pas moins effrénée pour être platonique, et qui ne s’avéra pas moins irréductible pour s’être faite sur le premier à portée des objets du même sexe dans l’entourage.

Parler de perversion transitoire peut ici satisfaire un optimiste actif, mais au prix de reconnaître, dans cette restauration atypique du tiers de la relation par trop négligé, qu’il ne convient pas de tirer trop fort sur le ressort de la proximité dans la relation à l’objet.

8. Il n’y a pas de limite aux abrasements de la technique par sa déconceptualisation.

Nous avons déjà fait référence aux trouvailles de telle analyse sauvage dont ce fut notre étonnement (173)douloureux qu’aucun contrôle ne se fût alarmé. Pouvoir sentir son analyste, apparut dans un travail une réalisation à prendre à la lettre, pour y marquer l’heureuse issue du transfert.

On peut apercevoir ici une sorte d’humour involontaire qui est ce qui fait le prix de cet exemple. Il eût comblé Jarry. Ce n’est en somme que la suite à quoi l’on peut s’attendre de prendre au réel le développement de la situation analytique : et il est vrai qu’à part la gustation, l’olfactif est la seule dimension qui permette de réduire à zéro (nil) la distance, cette fois dans le réel. L’indice à y trouver pour la direction de la cure et les principes de son pouvoir est plus douteux.

Mais qu’une odeur de cage erre dans une technique qui se conduit au piffomètre, comme on dit, n’est pas un trait seulement de ridicule. Les élèves de mon séminaire se souviennent de l’odeur d’urine qui fait le tournant d’un cas de perversion transitoire, auquel nous nous sommes arrêtés pour la critique de cette technique. On ne peut dire qu’il fut sans lien avec l’accident qui motive l’observation, puisque c’est à épier une pisseuse à travers la fissure d’une cloison de water que le patient, transposa soudain sa libido, sans que rien, semblait-il, l’y prédestinât : les émotions infantiles liées au fantasme de la mère phallique ayant jusque-là pris le tour de la phobie [23].

Ce n’est pas un lien direct pourtant, pas plus qu’il ne serait correct de voir dans ce voyeurisme une inversion de l’exhibition impliquée dans l’atypie de la phobie au diagnostic fort justement posé : sous l’angoisse pour le patient d’être raillé pour sa trop grande taille.

Nous l’avons dit, l’analyste à qui nous devons cette remarquable publication, y fait preuve d’une rare perspicacité en revenant, jusqu’au tourment, à l’interprétation qu’elle à donnée d’une certaine armure apparue dans un rêve, en position de poursuivant et de surcroît armée d’un injecteur à fly-tox, comme d’un symbole de la mère phallique.

N’eussé-je pas dû plutôt parler du père, s’interroge-t-elle ? Et de justifier qu’elle s’en soit détournée par la carence du père réel dans l’histoire du patient.

Mes élèves sauront ici déplorer que l’enseignement de mon séminaire n’ait pu alors l’aider, puisqu’ils savent sur quels principes je leur ai appris à distinguer l’objet phobique en tant (174)que signifiant à tout faire pour suppléer au manque de l’Autre, et le fétiche fondamental de toute perversion en tant qu’objet aperçu dans la coupure du signifiant.

À son défaut, que cette novice douée ne s’est-elle souvenue du dialogue des armures dans le Discours sur le peu de réalité, d’André Breton ? Cela l’eût mise sur la voie.

Mais comment l’espérer quand cette analyse recevait en contrôle une direction qui l’inclinait à un harcèlement constant pour ramener le patient à la situation réelle ? Comment s’étonner qu’au contraire de la reine d’Espagne, l’analyste ait des jambes, quand elle-même le souligne dans la rudesse de ses rappels à l’ordre du présent ?

Bien sûr ce procédé n’est-il pas pour rien dans l’issue bénigne de l’acting out ici en examen : puisque aussi bien l’analyste qui en est d’ailleurs consciente, s’est trouvée en permanence d’intervention castratrice.

Mais pourquoi alors attribuer ce rôle à la mère, dont tout indique dans l’anamnèse de cette observation, qu’elle a toujours opéré plutôt comme entremetteuse ?

L’Œdipe défaillant a été compensé, mais toujours sous la forme, désarmante ici de naïveté, d’une invocation tout à fait forcée sinon arbitraire de la personne du mari de l’analyste, ici favorisée par le fait que, psychiatre lui-même, c’est lui qui s’est trouvé la pourvoir de ce patient.

Ce n’est pas là circonstance commune. Elle est en tout cas à récuser comme extérieure à la situation analytique.

Les détours sans grâce de la cure ne sont pas en eux-mêmes ce qui laisse réservé sur son issue, et l’humour, probablement non sans malice, des honoraires de la dernière séance détournés comme prix du stupre, ne fait pas mal augurer de l’avenir.

La question qu’on peut soulever est celle de la limite entre l’analyse et la rééducation, quand son procès même se guide sur une sollicitation prévalente de ses incidences réelles. Ce qu’on voit à comparer dans cette observation les données de la biographie aux formations transférentielles : l’apport du déchiffrement de l’inconscient est vraiment minimum. Au point qu’on se demande si la plus grande part n’en reste pas intacte dans l’enkystement de l’énigme qui, sous l’étiquette de perversion transitoire, fait l’objet de cette instructive communication.

9. Que le lecteur non analyste ne s’y trompe pas : rien n’est (175)ici pour déprécier un travail que l’épithète virgilienne d’improbus qualifie justement.

Nous n’avons d’autre dessein que d’avertir les analystes du glissement que subit leur technique, à méconnaître la vraie place où se produisent ses effets.

Infatigables à tenter de la définir, on ne peut dire qu’à se replier sur des positions de modestie, voire à se guider sur des fictions, l’expérience qu’ils développent, soit toujours inféconde.

Les recherches génétiques et l’observation directe sont loin de s’être coupées d’une animation proprement analytique. Et pour avoir repris nous-mêmes dans une année de notre séminaire les thèmes de la relation d’objet, nous avons montré le prix d’une conception où l’observation de l’enfant se nourrit de la plus juste remise au point de la fonction du maternage dans la genèse de l’objet : nous voulons dire la notion de l’objet transitionnel, introduite par D. W. Winnicott, point-clef pour l’explication de la genèse du fétichisme [27].

Il reste que les incertitudes flagrantes de la lecture des grands concepts freudiens, sont corrélatives des faiblesses qui grèvent le labeur pratique.

Nous voulons faire entendre que c’est à la mesure des impasses éprouvées à saisir leur action dans son authenticité que les chercheurs comme les groupes, viennent à la forcer dans le sens de l’exercice d’un pouvoir.

Ce pouvoir, ils le substituent à la relation à l’être où cette action prend place, faisant déchoir ses moyens, nommément ceux de la parole, de leur éminence véridique. C’est pourquoi c’est bien une sorte de retour du refoulé, si étrange soit-elle, qui, des prétentions les moins disposées à s’embarrasser de la dignité de ces moyens, fait s’élever ce pataquès d’un recours à l’être comme à une donnée du réel, quand le discours qui y règne, rejette toute interrogation qu’une platitude superbe n’aurait pas déjà reconnue.

 

IV.– Comment agir avec son être ?

 

1. C’est très tôt dans l’histoire de l’analyse que la question de l’être de l’analyste apparaît. Que ce soit par celui qui ait été le plus tourmenté par le problème de l’action analytique, n’est pas pour nous surprendre. On peut dire en effet que (176)l’article de Ferenczi, Introjection et transfert, datant de 1909 [3], est ici inaugural et qu’il anticipe de loin sur tous les thèmes ultérieurement développés de la topique.

Si Ferenczi conçoit le transfert comme l’introjection de la personne du médecin dans l’économie subjective, il ne s’agit plus ici de cette personne comme support d’une compulsion répétitive, d’une conduite inadaptée ou comme figure d’un fantasme. Il entend par là l’absorption dans l’économie du sujet de tout ce qu’il présentifie lui-même de problématique incarnée. Cet auteur n’en vient-il pas à l’extrême d’articuler que l’achèvement de la cure ne puisse être atteint que dans l’aveu fait par le médecin au malade du délaissement dont lui-même est en position de souffrir ?

2. Qu’est-ce à dire, sinon reconnaître le manque à être du sujet comme le cœur de l’expérience analytique, comme le champ même où se déploie la passion du névrosé ?

Hors ce foyer de l’école hongroise aux brandons maintenant dispersés et bientôt cendres, seuls les Anglais dans leur froide objectivité ont su articuler cette béance dont témoigne le névrosé à vouloir justifier son existence, et par là implicitement distinguer de la relation interhumaine, de sa chaleur et de ses leurres, cette relation à l’Autre où l’être trouve son statut.

Qu’il nous suffise de citer Ella Sharpe et ses remarques pertinentes à suivre les véritables soucis du névrosé [24]. Leur force est dans une sorte de naïveté que reflètent les brusqueries, célèbres à juste titre, de son style de thérapeute et d’écrivain. Ce n’est pas un trait ordinaire qu’elle aille jusqu’à la gloriole dans l’exigence qu’elle impose d’une omniscience à l’analyste, pour lire correctement les intentions des discours de l’analysé.

On doit lui savoir gré de mettre en première place dans les écoles du praticien une culture littéraire, même si elle ne paraît pas s’apercevoir que dans la liste des lectures minimales qu’elle leur propose, prédominent les œuvres d’imagination où le signifiant du phallus joue un rôle central sous un voile transparent. Ceci prouve simplement que le choix n’est pas moins guidé par l’expérience que n’est heureuse l’indication de principe.

3. Autochtones ou non, c’est encore par des Anglais que la fin de l’analyse a été le plus catégoriquement définie par l’identification du sujet à l’analyste. Assurément, l’opinion varie si (177)c’est de son Moi ou de son Surmoi qu’il s’agit. On ne maîtrise pas si aisément la structure que Freud a dégagée dans le sujet, faute d’y distinguer le symbolique, de l’imaginaire et du réel.

Disons seulement que des propos aussi faits pour heurter, ne sont pas forgés sans que rien n’en presse ceux qui les avancent. La dialectique des objets fantasmatiques promue dans la pratique par Melanie Klein, tend à se traduire dans la théorie en termes d’identification.

Car ces objets partiels ou non, mais assurément signifiants, le sein, l’excrément, le phallus, le sujet les gagne ou les perd sans doute, en est détruit ou les préserve, mais surtout il est ces objets, selon la place où ils fonctionnent dans son fantasme fondamental, et ce mode d’identification ne fait que montrer la pathologie de la pente où est poussé le sujet dans un monde où ses besoins sont réduits à des valeurs d’échange, cette pente elle-même ne trouvant sa possibilité radicale que de la mortification que le signifiant impose à sa vie en la numérotant.

4. Il semblerait que le psychanalyste, pour seulement aider le sujet, devrait être sauvé de cette pathologie, laquelle ne s’insère, on le voit, sur rien de moins que sur une loi de fer.

C’est bien pourquoi on imagine que le psychanalyste devrait être un homme heureux. N’est-ce pas au reste le bonheur qu’on vient lui demander, et comment pourrait-il le donner s’il ne l’avait un peu, dit le bon sens ?

Il est de fait que nous ne nous récusons pas à promettre le bonheur, en une époque où la question de sa mesure s’est compliquée : au premier chef en ceci que le bonheur, comme l’a dit Saint-Just, est devenu un facteur de la politique.

Soyons juste, le progrès humaniste d’Aristote à saint François (de Sales) n’avait pas comblé les apories du bonheur.

On perd son temps, on le sait, à rechercher la chemise d’un homme heureux, et ce qu’on appelle une ombre heureuse est à éviter pour les maux qu’elle propage.

C’est bien dans le rapport à l’être que l’analyste a à prendre son niveau opératoire, et les chances que lui offre à cette fin l’analyse didactique ne sont pas seulement à calculer en fonction du problème supposé déjà résolu pour l’analyste qui l’y guide.

Il est des malheurs de l’être que la prudence des collèges et cette fausse honte qui assure les dominations, n’osent pas retrancher de soi.

(178)Une éthique est à formuler qui intègre les conquêtes freudiennes sur le désir : pour mettre à sa pointe la question du désir de l’analyste.

5. La décadence qui marque la spéculation analytique spécialement dans cet ordre ne peut manquer de frapper, à seulement être sensible à la résonance des travaux anciens.

À force de comprendre des tas de choses, les analystes dans leur ensemble s’imaginent que comprendre porte sa fin en soi et que ce ne peut être qu’un happy end. L’exemple de la science physique peut pourtant leur montrer que les plus grandioses réussites n’impliquent pas que l’on sache où l’on va.

Il vaut souvent mieux de ne pas comprendre pour penser, et l’on peut galoper à comprendre sur des lieues sans que la moindre pensée en résulte.

Ce fut même le départ des behaviouristes : renoncer à comprendre. mais faute de tout autre pensée en une matière, la nôtre, qui est l’antiphysis, Ils ont pris le biais de se servir, sans le comprendre, de ce que nous comprenons : occasions pour nous d’un regain d’orgueil.

L’échantillon de ce que nous sommes capables de produire en fait de morale est donné par la notion d’oblativité. C’est un fantasme d’obsessionnel, de soi-même incompris : tout pour l’autre, mon semblable, y profère-t-on, sans y reconnaître l’angoisse que l’Autre (avec un grand A) inspire de n’être pas un semblable.

6. Nous ne prétendons pas apprendre aux psychanalystes ce que c’est que penser. Ils le savent. Mais ce n’est pas qu’ils l’aient compris d’eux-mêmes. Ils en ont pris la leçon chez les psychologues. La pensée est un essai de l’action, répètent-ils gentiment. (Freud lui-même donne dans ce godant, ce qui ne l’empêche pas d’être un rude penseur et dont l’action s’achève dans la pensée).

À vrai dire, la pensée des analystes est une action qui se défait. Cela laisse quelque espoir que, si on leur y fait penser, de la reprendre, ils en viennent à la repenser.

7. L’analyste est l’homme à qui l’on parle et à qui l’on parle librement. Il est là pour cela. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Tout ce qu’on peut dire sur l’association des idées n’est qu’habillage psychologiste. Les jeux de mot induits sont loin ; au reste, par leur protocole, rien n’est moins libre.

(179)Le sujet invité à parler dans l’analyse ne montre pas dans ce qu’il dit, à vrai dire, une liberté bien grande. Non pas qu’il soit enchaîné par la rigueur de ses associations : sans doute elles l’oppriment, mais c’est plutôt qu’elles débouchent sur une libre parole, sur une parole pleine qui lui serait pénible.

Rien de plus redoutable que de dire quelque chose qui pourrait être vrai. Car il le deviendrait tout à fait, s’il l’était, et Dieu sait ce qui arrive quand quelque chose, d’être vrai, ne peut plus rentrer dans le doute.

Est-ce là le procédé de l’analyse : un progrès de la vérité ? J’entends déjà les goujats murmurer de mes analyses intellectualistes : quand je suis en flèche, que je sache, à y préserver l’indicible.

Que ce soit au delà du discours que s’accommode notre écoute, je le sais mieux que quiconque, si seulement j’y prends le chemin d’entendre, et non pas d’ausculter. Oui certes, non pas d’ausculter la résistance, la tension, l’opisthotonos, la pâleur, la décharge adrénalinique (sic) où se reformerait un Moi plus fort (resic) : ce que j’écoute est d’entendement.

L’entendement ne me force pas à comprendre. Ce que j’entends n’en reste pas moins un discours, fût-il aussi peu discursif qu’une interjection. Car une interjection est de l’ordre du langage, et non du cri expressif. C’est une partie du discours qui ne le cède à aucune autre pour les effets de syntaxe dans telle langue déterminée.

À ce que j’entends sans doute, je n’ai rien à redire, si je n’en comprends rien, ou qu’à y comprendre quelque chose, je sois sûr de m’y tromper. Ceci ne m’empêcherait pas d’y répondre. C’est ce qui se fait hors l’analyse en pareil cas. Je me tais. Tout le monde est d’accord que je frustre le parleur, et lui tout le premier, moi aussi. Pourquoi ?

Si je le frustre, c’est qu’il me demande quelque chose. De lui répondre, justement. Mais il sait bien que ce ne serait que paroles. Comme il en a de qui il veut. Il n’est même pas sûr qu’il me saurait gré que ce soit de bonnes paroles, encore moins de mauvaises. Ces paroles, il ne me les demande pas. Il me demande…, du fait qu’il parle : sa demande est intransitive, elle n’emporte aucun objet.

Bien sûr sa demande se déploie sur le champ d’une demande implicite, celle pour laquelle il est là : de le guérir, de le révéler (180)à lui-même, de lui faire connaître la psychanalyse, de le faire qualifier comme analyste. Mais cette demande, il le sait, peut attendre. Sa demande présente n’a rien à faire avec cela, ce n’est même pas la sienne, car après tout, c’est moi qui lui ai offert de parler. (Le sujet seul est ici transitif.)

J’ai réussi en somme ce que dans le champ du commerce ordinaire, on voudrait pouvoir réaliser aussi aisément : avec de l’offre j’ai créé la demande.

8. Mais c’est une demande, si l’on petit dire, radicale.

Sans doute Mme Macalpine a raison de vouloir chercher dans la seule règle analytique le moteur du transfert. Encore s’égare-t-elle en désignant dans l’absence de tout objet, la porte ouverte sur la régression infantile [24]. Ce serait plutôt un obstacle, car chacun sait, et les psychanalystes d’enfant les premiers, qu’il faut pas mal de menus objets, pour entretenir une relation avec l’enfant.

Par l’intermédiaire de la demande, tout le passé s’entrouvre jusqu’au fin fonds de la première enfance. Demander, le sujet n’a jamais fait que ça, il n’a pu vivre que par ça, et nous prenons la suite.

C’est par cette voie que la régression analytique peut se faire et qu’elle se présente en effet. On en parle comme si le sujet se mettait à faire l’enfant. Sans doute cela arrive, et cette simagrée n’est pas du meilleur augure. Elle sort en tout cas de l’ordinairement observé dans ce qu’on tient pour régression. Car la régression ne montre rien d’autre que le retour au présent, de signifiants usités dans des demandes pour lesquelles il y a prescription.

9. Pour reprendre le départ, cette situation explique le transfert primaire, et l’amour où parfois il se déclare.

Car si l’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas, il est bien vrai que le sujet peut attendre qu’on le lui donne, puisque le psychanalyste n’a rien d’autre à lui donner. Mais même ce rien, il ne le lui donne pas, et cela vaut mieux : et c’est pourquoi ce rien, on le lui paie, et largement de préférence, pour bien montrer qu’autrement cela ne vaudrait pas cher.

Mais si le transfert primaire reste le plus souvent à l’état d’ombre, ce n’est pas cela qui empêchera cette ombre de rêver et de reproduire sa demande, quand il n’y a plus rien à demander. Cette demande d’être vide, n’en sera que plus pure.

(181)On remarquera que l’analyste donne pourtant sa présence, mais je crois qu’elle n’est d’abord que l’implication de son écoute, et que celle-ci n’est que la condition de la parole. Aussi bien pourquoi la technique exigerait-elle qu’il la fît si discrète s’il n’en était pas ainsi ? C’est plus tard que sa présence sera remarquée.

Au reste, le sentiment le plus aigu de sa présence est-il lié à un moment où le sujet ne peut que se taire, c’est-à-dire où il recule même devant l’ombre de la demande.

Ainsi l’analyste est-il celui qui supporte la demande, non comme on le dit pour frustrer le sujet, mais pour que reparaissent les signifiants où sa frustration est retenue.

10. Or il convient de rappeler que c’est dans la plus ancienne demande que se produit l’identification primaire, celle qui s’opère de la toute-puissance maternelle, à savoir celle qui non seulement suspend à l’appareil signifiant la satisfaction des besoins, mais qui les morcelle, les filtre, les modèle aux défilés de la structure du signifiant.

Les besoins se subordonnent aux mêmes conditions conventionnelles qui sont celles du signifiant en son double registre : synchronique d’opposition entre éléments irréductibles, diachronique de substitution et de combinaison, par quoi le langage, s’il ne remplit certes pas tout, structure tout de la relation inter-humaine.

D’où l’oscillation qu’on remarque dans les propos de Freud sur les rapports du Surmoi et de la réalité. Le Surmoi n’est pas bien entendu la source de la réalité, comme il le dit quelque part, mais il en trace les voies, avant de retrouver dans l’inconscient les premières marques idéales où les tendances se constituent comme refoulées dans la substitution du signifiant aux besoins.

11. Il n’est nul besoin dès lors de chercher plus loin le ressort de l’identification à l’analyste. Elle peut être très diverse, mais ce sera toujours une identification à des signifiants.

À mesure que se développe une analyse, l’analyste a affaire tour à tour à toutes les articulations de la demande du sujet. Encore doit-il, comme nous le dirons plus loin, n’y répondre que de la position du transfert.

Qui ne souligne au reste, l’importance de ce qu’on pourrait appeler l’hypothèse permissive de l’analyse ? Mais il n’est pas (182)besoin d’un régime politique particulier pour que ce qui n’est pas interdit devienne obligatoire.

Les analystes que nous pouvons dire fascinés par les séquelles de la frustration, ne tiennent qu’une position de suggestion qui réduit le sujet à repasser sa demande. Sans doute est-ce là ce qu’on entend par rééducation émotionnelle.

La bonté est sans doute là nécessaire plus qu’ailleurs, mais elle ne saurait guérir le mal qu’elle engendre. L’analyste qui veut le bien du sujet, répète ce à quoi il a été formé, et même à l’occasion tordu. Jamais la plus aberrante éducation n’a eu d’autre motif que le bien du sujet.

On conçoit une théorie de l’analyse qui, à l’encontre de l’articulation délicate de l’analyse de Freud, réduit à la peur le ressort des symptômes. Elle engendre une pratique où s’imprime ce que j’ai appelé ailleurs la figure obscène et féroce du Surmoi, où il n’y a pas d’autre issue, à la névrose de transfert que de faire asseoir le malade pour lui montrer par la fenêtre les aspects riants de la nature en lui disant : « Allez-y. Maintenant vous êtes un enfant sage » [22].

 

V.– Il faut prendre le désir à la lettre

 

1. Un rêve après tout, n’est qu’un rêve, entend-on dire aujourd’hui [22]. N’est-ce rien que Freud y ait reconnu le désir ?

Le désir, non pas les tendances. Car il faut lire la Traumdeutung pour savoir ce que veut dire ce que Freud y appelle désir.

Il faut s’arrêter à ces vocables de Wunsch, et de wish qui le rend en anglais, pour les distinguer du désir, quand ce bruit de pétard mouillé où ils fusent, n’évoque rien moins que la concupiscence. Ce sont des vœux.

Ces vœux peuvent être pieux, nostalgiques, contrariants, farceurs. Une dame peut faire un rêve, que n’anime d’autre désir que de fournir à Freud qui lui a exposé la théorie que le rêve est un désir, la preuve qu’il n’en est rien. Le point à retenir est que ce désir s’articule en un discours bien rusé. Mais il n’est pas moins important d’apercevoir les conséquences de ce que Freud se satisfasse d’y reconnaître le désir du rêve et la confirmation de sa loi, pour ce que veut dire le désir en sa pensée.

(183)Car il étend plus loin son excentricité, puisqu’un rêve de punition peut à son gré signifier le désir de ce que la punition réprime.

Ne nous arrêtons pas aux étiquettes des tiroirs, bien que beaucoup les confondent avec le fruit de la science. Lisons les textes ; suivons la pensée de Freud en ces détours qu’elle nous impose et dont n’oublions pas qu’en les déplorant lui-même au regard d’un idéal du discours scientifique, il affirme qu’il y fut forcé par son objet[11].

L’on voit alors que cet objet est identique à ces détours, puisqu’au premier tournant de son ouvrage, il débouche, touchant le rêve d’une hystérique, sur le fait que s’y satisfait par déplacement, précisément ici par allusion au désir d’une autre, un désir de la veille, lequel est soutenu dans sa position éminente par un désir qui est bien d’un autre ordre, puisque Freud l’ordonne comme le désir d’avoir un désir insatisfait [7][12].

Qu’on compte le nombre de renvois qui s’exercent ici pour porter le désir à une puissance géométriquement croissante. Un seul indice ne suffirait pas à en caractériser le degré. Car il faudrait distinguer deux dimensions à ces renvois : un désir de désir, autrement dit un désir signifié par un désir (le désir chez l’hystérique d’avoir un désir insatisfait, est signifié par son désir de caviar : le désir de caviar est son signifiant), s’inscrit dans le registre différent d’un désir substitué à un désir (dans le rêve, le désir de saumon fumé propre à l’amie est substitué au désir de caviar de la patiente, ce qui constitue la substitution d’un signifiant à un signifiant)[13].

2. Ce que nous trouvons ainsi n’a rien de microscopique, pas plus qu’il n’y a besoin d’instruments spéciaux pour reconnaître que la feuIlle a les traits de structure de la plante dont elle est détachée. Même à n’avoir jamais vu de plante (184)que dépouillée de feuille, on s’apercevrait tout de suite qu’une feuille est plus vraisemblablement une partie de la plante qu’un morceau de peau.

Le désir du rêve de l’hystérique, mais aussi bien n’importe quel bout de rien à sa place dans ce texte de Freud, résume ce que tout le livre explique des mécanismes dits inconscients, condensation, glissement, etc., en attestant leur structure commune : soit la relation du désir à cette marque du langage, qui spécifie l’inconscient freudien et décentre notre conception du sujet.

Je pense que mes élèves apprécieront l’accès que je donne ici à l’opposition fondamentale du signifiant au signifié, où je leur démontre que commencent les pouvoirs du langage, non sans qu’à en concevoir l’exercice, je ne leur laisse du fil à retordre.

Je rappelle l’automatisme des lois par où s’articulent dans la chaîne signifiante :

a) la substitution d’un terme à un autre pour produire l’effet de métaphore ;

b) la combinaison d’un terme à un autre pour produire l’effet de métonymie [17].

Appliquons-les ici, on voit apparaître qu’en tant que dans le rêve de notre patiente, le saumon fumé, objet du désir de son amie, est tout ce qu’elle a à offrir, Freud en posant que le saumon fumé est ici substitué au caviar qu’il tient d’ailleurs pour le signifiant du désir de la patiente, nous propose le rêve comme métaphore du désir.

Mais qu’est-ce que la métaphore sinon un effet de sens positif, c’est-à-dire un certain passage du sujet au sens du désir ?

Le désir du sujet étant ici présenté comme ce qu’implique son discours (conscient), à savoir comme préconscient, – ce qui est évident puisque son mari est prêt à satisfaire son désir, mais que la patiente qui l’a persuadé de l’existence de ce désir, tient à ce qu’il n’en fasse rien, mais ce qu’il faut encore être Freud pour articuler comme le désir d’avoir un désir insatisfait –, il reste qu’il faille aller plus avant pour savoir ce qu’un tel désir veut dire dans l’inconscient.

Or le rêve n’est pas l’inconscient, mais nous dit Freud, sa voie royale. Ce qui nous confirme que c’est par l’effet de la métaphore qu’il procède. C’est cet effet que le rêve découvre. Pour qui ? Nous y reviendrons tout à l’heure.

(185)Voyons pour l’instant que le désir, s’il est signifié comme insatisfait, l’est par le signifiant : caviar, en tant que le signifiant le symbolise comme inaccessible, mais que, dès lors qu’il se glisse comme désir dans le caviar, le désir du caviar est sa métonymie : rendue nécessaire par le manque à être où il se tient.

La métonymie est, comme je vous l’enseigne, cet effet rendu possible de ce qu’il n’est nulle signification qui ne renvoie à une autre signification, et où se produit leur plus commun dénominateur, à savoir le peu de sens (communément confondu avec l’insignifiant), le peu de sens, dis-je, qui s’avère au fondement du désir, et lui confère l’accent de perversion qu’il est tentant de dénoncer dans l’hystérie présente.

Le vrai de cette apparence est que le désir est la métonymie du manque à être.

3. Revenons maintenant au livre qu’on appelle : La science des rêves (Traumdeutung), mantique plutôt, on mieux signifiance.

Freud ne prétend pas du tout y épuiser du rêve les problèmes psychologiques. Qu’on le lise pour constater qu’à ces problèmes peu exploités (les recherches restent rares, sinon pauvres, sur l’espace et le temps dans le rêve, sur son étoffe sensorielle, rêve en couleur ou atonal, et l’odorant, le sapide et le grain tactile y viennent-ils, si le vertigineux, le turgide et le lourd y sont ?), Freud ne touche pas. Dire que la doctrine freudienne est une psychologie est une équivoque grossière.

Freud est loin d’entretenir cette équivoque. Il nous avertit au contraire que dans le rêve ne l’intéresse que son élaboration. Qu’est-ce à dire ? Exactement ce que nous traduisons par sa structure de langage. Comment Freud s’en serait-il avisé, puisque cette structure par Ferdinand de Saussure n’a été articulée que depuis ? Si elle recouvre ses propres termes, il n’en est que plus saisissant que Freud l’ait anticipée. Mais où l’a-t-il découverte ? Dans un flux signifiant dont le mystère consiste en ce que le sujet ne sait pas même où feindre d’en être l’organisateur.

Le faire s’y retrouver comme désirant, c’est à l’inverse de l’y faire se reconnaître comme sujet, car c’est comme en dérivation de la chaîne signifiante que court le ru du désir et le sujet doit profiter d’une voie de bretelle pour y attraper son propre feed-back.

(186)Le désir ne fait qu’assujettir ce que l’analyse subjective.

4. Et ceci nous ramène à la question laissée plus haut : à qui le rêve découvre-t-il son sens avant que vienne l’analyste ?

Ce sens préexiste à sa lecture comme à la science de son déchiffrement.

L’une et l’autre démontrent que le rêve est fait pour la reconnaissance…, mais notre voix fait long feu pour achever : du désir. Car le désir, si Freud dit vrai de l’inconscient et si l’analyse est nécessaire, ne se saisit que dans l’interprétation.

Mais reprenons ; l’élaboration du rêve est nourrie par le désir ; pourquoi notre voix défaille-t-elle à achever, de reconnaissance, comme si le second mot s’éteignait qui, tout à l’heure le premier, résorbait l’autre dans sa lumière. Car enfin ce n’est pas en dormant qu’on se fait reconnaître. Et le rêve, nous dit Freud, sans paraître y voir la moindre contradiction, sert avant tout le désir de dormir. Il est repli narcissique de la libido et désinvestissement de la réalité.

Au reste il est d’expérience que, si mon rêve vient à rejoindre ma demande (non la réalité, comme on dit improprement, qui peut préserver mon sommeil), ou ce qui se montre ici lui être équivalent, la demande de l’autre, je m’éveille.

5. Un rêve après tout n’est qu’un rêve. Ceux qui dédaignent maintenant son instrument pour l’analyse, ont trouvé, comme nous l’avons vu, des voies plus sûres et plus directes pour ramener le patient aux bons principes, et aux désirs normaux, ceux qui satisfont à de vrais besoins. Lesquels ? Mais les besoins de tout le monde, mon ami. Si c’est cela qui vous fait peur, fiez-vous en à votre psychanalyste, et montez à la tour Eiffel pour voir comme Paris est beau. Dommage qu’il y en ait qui enjambent la balustrade dès le premier étage, et justement de ceux dont tous les besoins ont été ramenés à leur juste mesure.

Réaction thérapeutique négative, dirons-nous.

Dieu merci ! Le refus ne va pas si loin chez tous. Simplement, le symptôme repousse comme herbe folle, compulsion de répétition.

Mais ce n’est là bien entendu qu’une maldonne : on ne guérit pas parce qu’on se remémore. On se remémore parce qu’on guérit. Depuis qu’on a trouvé cette formule, la reproduction des symptômes n’est plus une question, mais seulement la reproduction des analystes ; celle des patients est résolue.

(187)6. Un rêve donc n’est qu’un rêve. On peut même lire sous la plume d’un psychanalyste qui se mêle d’enseigner, que c’est une production du Moi. Ceci prouve qu’on ne court pas grand risque à vouloir éveiller les hommes du rêve : le voici qui se poursuit en pleine lumière, et chez ceux qui ne se complaisent guère à rêver.

Mais même pour ceux-ci, s’ils sont psychanalystes, Freud sur le rêve doit être lu, parce qu’il n’est pas possible autrement ni de comprendre ce qu’il entend par le désir du névrosé, par refoulé, par inconscient, par l’interprétation, par l’analyse elle-même, ni d’approcher quoi que ce soit de sa technique ou de sa doctrine. On va voir les ressources du petit rêve que nous avons piqué plus haut, pour notre propos.

Car ce désir de notre spirituelle hystérique (c’est Freud qui la qualifie ainsi), je parle de son désir éveillé, de son désir de caviar, c’est un désir de femme comblée et qui justement ne veut pas l’être. Car son boucher de mari s’y entend pour mettre à l’endroit des satisfactions dont chacun a besoin, les points sur les i, et il ne mâche pas ses mots à un peintre qui lui fait du plat, Dieu sait dans quel obscur dessein, sur sa bobine intéressante « Des clous ! une tranche du train de derrière d’une belle garce, voilà ce qu’il vous faut, et si c’est moi que vous attendez pour vous l’offrir, vous pouvez vous l’accrocher où je pense ».

Voilà un homme dont une femme ne doit pas avoir à se plaindre, un caractère génital, et donc qui doit veiller comme il faut, à ce que la sienne, quand il la baise, n’ait plus besoin après de se branler. Au reste, Freud ne nous dissimule pas qu’elle en est très éprise, et qu’elle l’agace sans cesse.

Mais voilà, elle ne veut pas être satisfaite sur ses seuls vrais besoins. Elle en veut d’autres gratuits, et pour être bien sûre qu’ils le sont, ne pas les satisfaire. C’est pourquoi à la question : qu’est-ce que la spirituelle bouchère désire ?, on peut répondre : du caviar. Mais cette réponse est sans espoir parce que du caviar, c’est elle aussi qui n’en veut pas.

7. Ce n’est pas là tout de son mystère. Loin que cette impasse l’enferme, elle y trouve la clef des champs, la clef du champ des désirs de toutes les spirituelles hystériques, bouchères ou pas, qu’il y a dans le monde.

C’est ce que Freud saisit dans une de ces vues de biais dont il surprend le vrai, fracassant au passage ces abstractions dont (188)les esprits positifs font volontiers l’explication de toutes choses : ici l’imitation chère à Tarde. Il faut faire jouer dans le particulier la cheville essentielle qu’il donne là de l’identification hystérique. Si notre patiente s’identifie à son amie, c’est de ce qu’elle est inimitable en ce désir insatisfait pour ce saumon, que Dieu damne ! si ce n’est Lui qui le fume.

Ainsi le rêve de la patiente répond à la demande de son amie qui est de venir dîner chez elle. Et l’on ne sait ce qui peut bien l’y pousser, hors qu’on y dîne bien, sinon le fait dont notre bouchère ne perd pas la corde : c’est que son mari en parle toujours avec avantage. Or maigre comme elle est, elle n’est guère faite pour lui plaire, lui qui n’aime que les rondeurs.

N’aurait-il pas lui aussi un désir qui lui reste en travers, quand tout en lui est satisfait ? C’est le même ressort qui, dans le rêve, va du désir de son amie faire l’échec de sa demande.

Car si précisément symbolisée que soit la demande par l’accessoire du téléphone nouveau-né, c’est pour rien. L’appel de la patiente n’aboutit pas ; il ferait beau voir que l’autre engraisse pour que son mari s’en régale.

Mais comment une autre peut-elle être aimée (n’est-ce pas assez, pour que la patiente y pense, que son mari la considère ?) par un homme qui ne saurait s’en satisfaire (lui, l’homme à la tranche de postérieur) ? Voilà la question mise au point, qui est très généralement celle de l’identification hystérique.

8. C’est cette question que devient le sujet lui-même. En quoi la femme s’identifie à l’homme, et la tranche de saumon fumé vient à la place du désir de l’Autre.

Ce désir ne suffisant à rien (comment avec cette seule tranche de saumon fumé recevoir tout ce monde ?), il me faut bien à la fin des fins (et du rêve) renoncer à mon désir de donner à dîner (soit à ma recherche du désir de l’Autre, qui est le secret du mien). Tout est raté, et vous dites que le rêve est la réalisation d’un désir. Comment arrangez-vous cela, professeur ?

Ainsi interpellés, il y a beau temps que les psychanalystes ne répondent plus, ayant renoncé eux-mêmes à s’interroger sur les désirs de leurs patients : ils les réduisent à leurs demandes, ce qui simplifie la tâche pour les convertir en les leurs propres. N’est-ce pas là la voie du raisonnable, et ils l’ont adoptée.

Mais il arrive que le désir ne s’escamote pas si facilement pour être trop visible, planté au beau mIlieu de la scène sur la (189)table des agapes comme ici, sous l’aspect d’un saumon, joli poisson par fortune, et qu’il suffit de présenter, comme il se fait au restaurant, sous une toile fine, pour que la levée de ce voile s’égale à celle à quoi l’on procédait au terme des antiques mystères.

Être le phallus, fût-il un phallus un peu maigre. Voilà-t-il pas l’identification dernière au signifiant du désir ?

Ça n’a pas l’air d’aller de soi pour une femme, et il en est parmi nous qui préfèrent ne plus avoir rien à faire avec ce logogriphe. Allons-nous avoir à épeler le rôle du signifiant pour nous retrouver sur les bras le complexe de castration, et cette envie de pénis dont puisse Dieu nous tenir quitte, quand Freud parvenu à cette croix ne savait plus où se tirer, n’apercevant au delà que le désert de l’analyse ?

Oui, mais il les menait jusque-là, et c’était un lieu moins infesté que la névrose de transfert, qui vous réduit à chasser le patient en le priant d’aller doucement pour emmener ses mouches.

9. Articulons pourtant ce qui structure le désir.

Le désir est ce qui se manifeste dans l’intervalle que creuse la demande en deçà d’elle-même, pour autant que le sujet en articulant la chaîne signifiante, amène au jour le manque à être avec l’appel d’en recevoir le complément de l’Autre, si l’Autre, lieu de la parole, est aussi le lieu de ce manque.

Ce qu’il est ainsi donné à l’Autre de combler et qui est proprement ce qu’il n’a pas, puisqu’à lui aussi l’être manque, est ce qui s’appelle l’amour, mais c’est aussi la haine et l’ignorance.

C’est aussi, passions de l’être, ce qu’évoque toute demande au delà du besoin qui s’y articule, et c’est bien ce dont le sujet reste d’autant plus proprement privé que le besoin articulé dans la demande est satisfait.

Bien plus, la satisfaction du besoin n’apparaît là que comme le leurre où la demande d’amour s’écrase, en renvoyant le sujet au sommeil où il hante les limbes de l’être, en le laissant en lui parler. Car l’être du langage est le non-être des objets, et que le désir ait été par Freud découvert à sa place dans le rêve, depuis toujours le scandale de tous les efforts de la pensée pour se situer dans la réalité, suffit à nous instruire.

Être ou ne pas être, dormir, rêver peut-être, les rêves soi-disant (190)les plus simples de l’enfant (« simple » comme la situation analytique sans doute), montrent simplement des objets miraculeux ou interdits.

10. Mais l’enfant ne s’endort pas toujours ainsi dans le sein de l’être, surtout si l’Autre qui a aussi bien ses idées sur ses besoins, s’en mêle, et à la place de ce qu’il n’a pas, le gave de la bouillie étouffante de ce qu’il a, c’est-à-dire confond ses soins avec le don de son amour.

C’est l’enfant que l’on nourrit avec le plus d’amour qui refuse la nourriture et joue de son refus comme d’un désir (anorexie mentale).

Confins où l’on saisit comme nulle part que la haine rend la monnaie de l’amour, mais où c’est l’ignorance qui n’est pas pardonnée.

En fin de compte, l’enfant en refusant de satisfaire à la demande de la mère, n’exige-t-il pas que la mère ait un désir en dehors de lui, parce que c’est là la voie qui lui manque vers le désir ?

11. Un des principes en effet qui découlent de ces prémisses, c’est que :

        si le désir est un effet dans le sujet de cette condition qui lui est imposée par l’existence du discours de faire passer son besoin par les défilés du signifiant ;

        si d’autre part, comme nous l’avons donné à entendre plus haut, en ouvrant la dialectique du transfert, il faut fonder la notion de l’Autre avec un grand A, comme étant le lieu de déploiement de la parole (l’autre scène, eine andere Schauplatz, dont parle Freud dans la Traumdeutung) ;

        Il faut poser que, fait d’un animal en proie au langage, le désir de l’homme est le désir de l’Autre.

Ceci vise une toute autre fonction que celle de l’identification primaire plus haut évoquée, car il ne s’agit pas de l’assomption par le sujet des insignes de l’autre, mais cette condition que le sujet a à trouver la structure constituante de son désir dans la même béance ouverte par l’effet des signifiants chez ceux qui viennent pour lui à représenter l’Autre, en tant que sa demande leur est assujettie.

Peut-être peut-on ici entrevoir au passage la raison de cet effet d’occultation qui nous a retenu dans la reconnaissance du (191)désir du rêve. Le désir du rêve n’est pas assumé par le sujet qui dit : « Je » dans sa parole. Articulé pourtant au lieu de l’Autre, il est discours, discours dont Freud a commencé d’énoncer comme telle la grammaire. C’est ainsi que les vœux qu’il constitue n’ont pas de flexion optative pour modifier l’indicatif de leur formule.

En quoi l’on verrait à une référence linguistique que ce qu’on appelle l’aspect du verbe est ici celui de l’accompli (vrai sens de la Wunscherfüllung).

C’est cette ex-sistence (Entstellung)[14] du désir dans le rêve qui explique que la signifiance du rêve y masque le désir, cependant que son mobile s’évanouit d’être seulement problématique.

12. Le désir se produit dans l’au-delà de la demande, de ce qu’en articulant la vie du sujet à ses conditions, elle y émonde le besoin, mais aussi il se creuse dans son en deçà, en ce que, demande inconditionnelle de la présence et de l’absence, elle évoque le manque à être sous les trois figures du rien qui fait le fonds de la demande d’amour, de la haine qui va à nier l’être de l’autre et de l’indicible de ce qui s’ignore dans sa requête. Dans cette aporie incarnée dont on peut dire en image qu’elle emprunte son âme lourde aux rejetons vivaces de la tendance blessée, et son corps subtil à la mort actualisée dans la séquence signifiante, le désir s’affirme comme condition absolue.

Moins encore que le rien qui passe dans la ronde des significations qui agitent les hommes, il est le sillage inscrit de la course, et comme la marque du fer du signifiant à l’épaule du sujet qui parle. Il est moins passion pure du signifié que pure action du signifiant, qui s’arrête, au moment où le vivant devenu signe, la rend insignifiante.

Ce moment de coupure est hanté par la forme d’un lambeau sanglant : la livre de chair que paie la vie pour en faire le signifiant des signifiants, comme telle impossible à restituer au corps imaginaire ; c’est le phallus perdu d’Osiris embaumé.

(192)13. La fonction de ce signifiant comme tel dans la quête du désir, est bien, comme Freud l’a repéré, la clef de ce qu’il faut savoir pour terminer ses analyses : et aucun artifice n’y suppléera pour obtenir cette fin.

Pour en donner une idée, nous décrirons un incident survenu à la fin de l’analyse d’un obsessionnel, soit après un long travail où l’on ne s’est pas contenté d’« analyser l’agressivité du sujet » (autrement dit : de jouer à colin-tampon avec ses agressions imaginaires), mais où on lui a fait reconnaître la place qu’il a prise dans le jeu de la destruction exercée par l’un de ses parents sur le désir de l’autre. Il devine l’impuissance où il est de désirer sans détruire l’Autre, et par là son désir lui-même en tant qu’il est désir de l’Autre.

Pour en arriver là, on lui a découvert sa manœuvre de tous les instants pour protéger l’Autre, en épuisant dans le travail de transfert (Durcharbeitung) tous les artifices d’une verbalisation qui distingue l’autre de l’Autre (petit a et grand A) et qui le fait de la loge réservée à l’ennui de l’Autre (grand A) arranger les jeux du cirque entre les deux autres (le petit a et le Moi, son ombre).

Assurément, il ne suffit pas de tourner en rond dans tel coin bien exploré de la névrose obsessionnelle pour l’amener en ce rond-point, ni de connaître celui-ci pour l’y conduire par un chemin qui ne sera jamais le plus direct. Il n’y faut pas seulement le plan d’un labyrinthe reconstruit, ni même un lot de plans déjà relevés. Il faut avant tout posséder la combinatoire générale qui préside à leur variété sans doute, mais qui, plus utilement encore, nous rend compte des trompe-l’œil, mieux des changements à vue du labyrinthe. Car les uns et les autres ne manquent pas dans cette névrose obsessionnelle, architecture de contrastes, pas encore assez remarqués, et qu’il ne suffit pas d’attribuer à des formes de façade. Au milieu de tant d’attitudes séductrices, insurgées, impassibles, il faut saisir les angoisses nouées aux performances, les rancunes qui n’empêchent pas les générosités (soutenir que les obsessionnels manquent d’oblativité !), les inconstances mentales qui soutiennent d’infrangibles fidélités. Tout cela bouge de façon solidaire dans une analyse, non sans flétrissements locaux ; le grand charroi reste pourtant.

Et voici donc notre sujet au bout de son rouleau, venu au (193)point de nous jouer un tour de bonneteau assez particulier ; pour ce qu’il révèle d’une structure du désir.

Disons que d’âge mûr, comme on dit comiquement, et d’esprit désabusé, il nous leurrerait volontiers d’une sienne ménopause pour s’excuser d’une impuissance survenue, et accuser la nôtre.

En fait les redistributions de la libido ne vont pas sans coûter à certains objets leur poste, même s’il est inamovible.

Bref, il est impuissant avec sa maîtresse, et s’avisant d’user de ses trouvailles sur la fonction du tiers en puissance dans le couple, il lui propose de coucher avec un autre homme, pour voir.

Or si elle reste à la place où l’a installée la névrose et si l’analyse l’y touche, c’est pour l’accord qu’elle a dès longtemps réalisé sans doute aux désirs du patient, mais plus encore aux postulats inconscients qu’ils maintiennent.

Aussi ne s’étonnera-t-on pas que sans désemparer, à savoir la nuit même, elle fait ce rêve, que frais émoulu elle rapporte à notre déconfit.

Elle a un phallus, elle en sent la forme sous son vêtement, ce qui ne l’empêche pas d’avoir aussi un vagin, ni surtout de désirer que ce phallus y vienne.

Notre patient à cette audition retrouve sur-le-champ ses moyens et le démontre brillamment à sa commère.

Quelle interprétation s’indique-t-elle ici ?

On a deviné à la demande que notre patient a faite à sa maîtresse qu’il nous sollicite depuis longtemps d’entériner son homosexualité refoulée.

Effet très vite prévu par Freud de sa découverte de l’inconscient : parmi les demandes régressives, une de fables s’abreuvera des vérités répandues par l’analyse. L’analyse retour d’Amérique a dépassé son attente.

Mais nous sommes restés, on le pense, plutôt revêche sur ce point.

Observons que la rêveuse n’y est pas plus complaisante, puisque son scénario écarte tout coadjuteur. Ce qui guiderait même un novice à seulement se fier au texte, s’il est formé à nos principes.

Nous n’analysons pas son rêve pourtant, mais son effet sur notre patient.

Nous changerions notre conduite à lui faire y lire cette vérité, (194)moins répandue d’être en l’histoire, de notre apport : que le refus de la castration, si quelque chose lui ressemble, est d’abord refus de la castration de l’Autre (de la mère premièrement).

Opinion vraie n’est pas science, et conscience sans science n’est que complicité d’ignorance. Notre science ne se transmet qu’à articuler dans l’occasion le particulier.

Ici l’occasion est unique à montrer la figure que nous énonçons en ces termes : que le désir inconscient est le désir de l’Autre – puisque le rêve est fait pour satisfaire au désir du patient au-delà de sa demande, comme le suggère qu’il y réussisse. De n’être pas un rêve du patient, il peut n’avoir pas moins de prix pour nous, si de ne pas s’adresser à nous comme il se fait de l’analysé, il s’adresse à lui aussi bien que puisse le faire l’analyste.

C’est l’occasion de faire saisir au patient la fonction de signifiant qu’a le phallus dans son désir. Car c’est comme tel qu’opère le phallus dans le rêve pour lui faire retrouver l’usage de l’organe qu’il représente, comme nous allons le démontrer par la place que vise le rêve dans la structure où son désir est pris.

Outre ce que la femme a rêvé, il y a qu’elle lui en parle. Si dans ce discours elle se présente comme ayant un phallus, est-ce là tout ce par quoi lui est rendue sa valeur érotique ? D’avoir un phallus en effet ne suffit pas à lui restituer une position d’objet qui l’approprie à un fantasme, d’où notre patient comme obsessionnel puisse maintenir son désir dans un impossible qui préserve ses conditions de métonymie. Celles-ci commandent en ses choix un jeu d’échappe que l’analyse a dérangé, mais que la femme ici restaure d’une ruse, dont la rudesse cache un raffinement bien fait pour illustrer la science incluse dans l’inconscient.

Car pour notre patient, ce phallus, rien ne sert de l’avoir, puisque son désir est de l’être. Et le désir de la femme ici le cède au sien, en lui montrant ce qu’elle n’a pas.

L’observation tout-venant fera toujours grand cas de l’annonce d’une mère castratrice, pour peu qu’y prête l’anamnèse. Elle s’étale ici comme de juste.

On croit dès lors avoir tout dit. Mais nous n’avons rien à en faire dans l’interprétation, où l’invoquer ne mènerait pas loin, sauf à remettre le patient au point même où il se faufIle entre un désir et son mépris : assurément le mépris de sa mère (195)acariâtre à décrier le désir trop ardent dont son père lui a légué l’image.

Mais ce serait moins lui en apprendre que ce que lui dit sa maîtresse : que dans son rêve ce phallus, de l’avoir ne l’en laissait pas moins le désirer. En quoi c’est son propre manque à être qui s’est trouvé touché.

Manque qui provient d’un exode : son être est toujours ailleurs. Il l’a « mis à gauche », peut-on dire. Le disons-nous pour motiver la difficulté du désir ? – Plutôt, que le désir soit de difficulté.

Ne nous laissons donc pas tromper à cette garantie que le sujet reçoit de ce que la rêveuse ait un phallus, qu’elle n’aura pas à le lui prendre, – fût-ce pour y pointer doctement que c’est là une garantie trop forte pour n’être pas fragile.

Car c’est justement méconnaître que cette garantie n’exigerait pas tant de poids, si elle ne devait s’imprimer dans un signe, et que c’est à montrer ce signe comme tel, de le faire apparaître là où il ne peut être, qu’elle prend son effet.

La condition du désir qui retient éminemment l’obsessionnel, c’est la marque même dont il le trouve gâté, de l’origine de son objet : la contrebande.

Mode de la grâce singulier de ne se figurer que du déni de la nature. Une faveur s’y cache qui chez notre sujet fait toujours antichambre. Et c’est à la congédier qu’il la laissera un jour entrer.

14. L’importance de préserver la place du désir dans la direction de la cure nécessite qu’on oriente cette place par rapport aux effets de la demande, seuls conçus actuellement au principe du pouvoir de la cure.

Que l’acte génital en effet ait à trouver sa place dans l’articulation inconsciente du désir, c’est là la découverte de l’analyse, et c’est précisément en quoi on n’a jamais songé à y céder à l’illusion du patient que facIliter sa demande pour la satisfaction du besoin, arrangerait en rien son affaire. (Encore moins de l’autoriser du classique : coïtus normalis dosim repetatur).

Pourquoi pense-t-on différemment à croire plus essentiel pour le progrès de la cure, d’opérer en quoi que ce soit sur d’autres demandes, sous le prétexte que celles-ci seraient régressives ?

Repartons une fois de plus de ceci que c’est d’abord pour le sujet que sa parole est un message, parce qu’elle se produit au lieu de l’Autre. Que de ce fait sa demande même en provienne (196)et soit libellée comme telle, ce n’est pas seulement qu’elle soit soumise au code de l’Autre. C’est que c’est de ce lieu de l’Autre (voire de son temps) qu’elle est datée.

Comme il se lit clairement dans la parole la plus librement donnée par le sujet. À sa femme ou à son maître, pour qu’ils reçoivent sa foi, c’est d’un tu es… (l’une ou bien l’autre) qu’il les invoque, sans déclarer ce qu’il est, lui, autrement qu’à murmurer contre lui-même un ordre de meurtre que l’équivoque du français porte à l’oreille.

Le désir, pour transparaître toujours comme on le voit ici dans la demande, n’en est pas moins au delà. Il est aussi en deçà d’une autre demande où le sujet, se répercutant au lieu de l’autre, effacerait moins sa dépendance par un accord de retour qu’il ne fixerait l’être même qu’il vient y proposer.

Ceci veut dire que c’est d’une parole qui lèverait la marque que le sujet reçoit de son propos, que seulement pourrait être reçue l’absolution qui le rendrait à son désir.

Mais le désir n’est rien d’autre que l’impossibilité de cette parole, qui de répondre à la première ne peut que redoubler sa marque en consommant cette refente (Spaltung) que le sujet subit de n’être sujet qu’en tant qu’il parle.

(Ce que symbolise la barre oblique de noble bâtardise dont nous affectons l’S du sujet pour le noter d’être ce sujet-là : S) [15]

La régression qu’on met au premier plan dans l’analyse (régression temporelle sans doute, mais à condition de préciser qu’il s’agit du temps de la remémoration), ne porte que sur les signifiants (oraux, anaux, etc.) de la demande et n’intéresse la pulsion correspondante qu’à travers eux.

Réduire cette demande à sa place, peut opérer sur le désir une apparence de réduction par l’allègement du besoin.

Mais ce n’est là plutôt qu’effet de la lourdeur de l’analyste. Car si les signifiants de la demande ont soutenu les frustrations où le désir s’est fixé (Fixierung de Freud), ce n’est qu’à leur place que le désir est assujettissant.

Qu’elle se veuille frustrante ou gratifiante, toute réponse à (197)la demande dans l’analyse, y ramène le transfert à la suggestion.

Il y a entre transfert et suggestion, c’est là la découverte de Freud, un rapport, c’est que le transfert est aussi une suggestion, mais une suggestion qui ne s’exerce qu’à partir de la demande d’amour, qui n’est demande d’aucun besoin. Que cette demande ne se constitue comme telle qu’en tant que le sujet est le sujet du signifiant, c’est là ce qui permet d’en mésuser en la ramenant aux besoins auxquels ces signifiants sont empruntés, ce à quoi les psychanalystes, nous le voyons, ne manquent pas.

Mais il ne faut pas confondre l’identification au signifiant tout-puissant de la demande, dont nous avons déjà parlé, et l’identification à l’objet de la demande d’amour. Celle-ci est bien aussi une régression, Freud y insiste, quand il en fait le deuxième mode d’identification, qu’il distingue dans sa deuxième topique en écrivant : Psychologie des masses et analyse du Moi. Mais c’est une autre régression.

Là est l’exit qui permet qu’on sorte de la suggestion. L’identification à l’objet comme régression, parce qu’elle part de la demande d’amour, ouvre la séquence du transfert (l’ouvre, et non pas la ferme), soit la voie où pourront être dénoncées les identifications qui en stoppant cette régression, la scandent.

Mais cette régression ne dépend pas plus du besoin dans la demande que le désir sadique n’est expliqué par la demande anale, car croire que le scybale est un objet nocif en lui-même, est seulement un leurre ordinaire de la compréhension. (J’entends ici compréhension au sens néfaste où il a pris sa cote de Jaspers. « Vous comprenez : – », exorde par où croit en imposer à qui ne comprend rien, celui qui n’a rien à lui donner à comprendre). Mais la demande d’être une merde, voilà qui rend préférable qu’on se mette un peu de biais, quand le sujet s’y découvre. Malheur de l’être, évoqué plus haut.

Qui ne sait pas pousser ses analyses didactiques jusqu’à ce virage où s’avère avec tremblement que toutes les demandes qui se sont articulées dans l’analyse, et plus que tout autre celle qui fut à son principe, de devenir analyste, et qui vient alors à échéance, n’étaient que transferts destinés à maintenir en place un désir instable ou douteux en sa problématique, – celui-là ne sait rien de ce qu’il faut obtenir du sujet pour qu’il puisse assurer la direction d’une analyse, ou seulement y faire une interprétation à bon escient.

(198)Ces considérations nous confirment qu’il est naturel d’analyser le transfert. Car le transfert en lui-même est déjà analyse de la suggestion, en tant qu’il place le sujet à l’endroit de sa demande dans une position qu’il ne tient que de son désir.

C’est seulement pour le maintien de ce cadre du transfert que la frustration doit prévaloir sur la gratification.

La résistance du sujet quand elle s’oppose à la suggestion, n’est que désir de maintenir son désir. Comme telle, il faudrait la mettre au rang du transfert positif, puisque c’est le désir qui maintient la direction de l’analyse, hors des effets de la demande.

Ces propositions, on le voit, changent quelque chose aux opinions reçues en la matière. Qu’elles donnent à penser qu’il n’y a maldonne quelque part, et nous aurons atteint notre but.

16. Ici se placent quelques remarques sur la formation des symptômes.

Freud, depuis son étude démonstrative des phénomènes subjectifs : rêves, lapsus et mots d’esprit, dont il nous a dit formellement qu’ils leur sont structuralement identiques (mais bien entendu tout cela est pour nos savants trop au-dessous de l’expérience qu’ils ont acquise – dans quelles voies ! – pour qu’ils songent même à y revenir) –, Freud donc l’a souligné cent fois : les symptômes sont surdéterminés. Pour le palotin, employé au quotidien battage qui nous promet pour demain la réduction de l’analyse à ses bases biologiques, ceci va tout seul ; c’est si commode à proférer. qu’il ne l’entend même pas. Mais encore ?

Laissons de côté mes remarques sur le fait que la surdétermination n’est strictement concevable que dans la structure du langage. Dans les symptômes névrotiques, qu’est-ce à dire ?

Cela veut dire qu’aux effets qui répondent chez un sujet à une demande déterminée, vont interférer ceux d’une position par rapport à l’autre (à l’autre, ici son semblable) qu’il soutient en tant que sujet.

« Qu’il soutient en tant que sujet », veut dire que le langage lui permet de se considérer comme le machiniste, voire le metteur en scène de toute la capture imaginaire dont il ne serait autrement que la marionnette vivante.

Le fantasme est l’illustration même de cette possibilité originale. C’est pourquoi toute tentation de le réduire à l’imagination (199)faute d’avouer son échec, est un contresens permanent, contresens dont l’école kleinienne qui a poussé ici fort loin les choses, ne sort pas, faute d’entrevoir même la catégorie du signifiant.

Cependant, une fois définie comme image mise en fonction dans la structure signifiante, la notion de fantasme inconscient ne fait plus de difficulté.

Disons que le fantasme, dans son usage fondamental, est ce par quoi le sujet se soutient au niveau de son désir évanouissant, évanouissant pour autant que la satisfaction même de la demande lui dérobe son objet.

Oh ! mais ces névrosés, quels délicats et comment faire ? Ils sont incompréhensibles, ces gens-là, parole de père de famille.

C’est justement ce qu’on a dit depuis longtemps, depuis toujours, et les analystes en sont encore là. Le benêt appelle cela l’irrationnel, ne s’étant même pas aperçu que la découverte de Freud s’homologue à tenir d’abord pour certain, ce qui jette bas d’emblée notre exégèse, que le réel est rationnel, et puis à constater que le rationnel est réel. Moyennant quoi il peut articuler que ce qui se présente de peu raisonnable dans le désir est un effet du passage du rationnel en tant que réel, c’est-à-dire du langage, dans le réel, en tant que le rationnel y a déjà tracé sa circonvallation.

Car le paradoxe du désir n’est pas le privilège du névrosé, mais c’est plutôt qu’il tienne compte de l’existence du paradoxe dans sa façon de l’affronter. Ceci ne le classe pas si mal dans l’ordre de la dignité humaine, et ne fait pas honneur aux analystes médiocres (ceci n’est pas une appréciation, mais un idéal formulé dans un vœu formel des intéressés), qui sur ce point n’atteignent pas à cette dignité : surprenante distance qu’ont toujours notée à mots couverts les analystes… autres, sans qu’on sache comment distinguer ceux-ci, puisqu’eux n’auraient jamais songé à le faire d’eux-mêmes, s’ils n’avaient eu d’abord à s’opposer au dévoiement des premiers.

17. C’est donc la position du névrosé à l’endroit du désir, disons pour abréger le fantasme, qui vient marquer de sa présence la réponse du sujet à la demande, autrement dit la signification de son besoin.

Mais ce fantasme n’a rien à faire avec la signification dans laquelle il interfère. Cette signification en effet provient de (200)l’Autre en tant que de lui dépend que la demande soit exaucée. Mais le fantasme n’arrive là que de se trouver sur la voie de retour d’un circuit plus large, celui qui portant la demande jusqu’aux limites de l’être, fait s’interroger le sujet sur le manque où il s’apparaît comme désir.

Il est incroyable que certains traits pourtant criants depuis toujours de l’action de l’homme comme telle, n’aient pas été ici mis en lumière par l’analyse. Nous voulons parler de ce par quoi cette action de l’homme est la geste qui prend appui sur sa chanson. Cette face d’exploit, de performance, d’issue étranglée par le symbole, ce qui la fait donc symbolique (mais non pas au sens aliénant que ce terme dénote vulgairement), ce pour quoi enfin l’on parle de passage à l’acte, ce Rubicon dont le désir propre est toujours camouflé dans l’histoire au bénéfice de son succès, tout cela auquel l’expérience de ce que l’analyste appelle l’acting out, lui donne un accès quasi expérimental, puisqu’il en tient tout l’artifice, l’analyste le rabaisse au mieux à une rechute du sujet, au pire à une faute du thérapeute.

On est stupéfait de cette fausse honte de l’analyste devant l’action, où se dissimule sans doute une vraie : celle qu’il a d’une action, la sienne, l’une parmi les plus hautes, quand elle descend à l’abjection.

Car enfin qu’est-ce d’autre, quand l’analyste s’interpose pour dégrader le message de transfert qu’il est là pour interpréter, en une fallacieuse signification du réel qui n’est que mystification.

Car le point où l’analyste d’aujourd’hui prétend saisir le transfert, est cet écart qu’il définit entre le fantasme et la réponse dite adaptée. Adaptée à quoi sinon à la demande de l’Autre, et en quoi cette demande aurait-elle plus ou moins de consistance que la réponse obtenue, s’il ne se croyait autorisé à dénier toute valeur au fantasme dans la mesure qu’il prend de sa propre réalité ?

Ici la voie même par où il procède, le trahit, quand il lui faut par cette voie s’introduire dans le fantasme et s’offrir en hostie imaginaire à des fictions où prolifère un désir abruti, Ulysse inattendu qui se donne en pâture pour que prospère la porcherie de Circé.

Et qu’on ne dise pas qu’ici je diffame quiconque, car c’est (201)le point précis où ceux qui ne peuvent autrement articuler leur pratique, s’inquiètent eux-mêmes et s’interrogent : les fantasmes, n’est-ce pas là où nous fournissons au sujet la gratification où s’enlise l’analyse ? Voilà la question qu’ils se répètent avec l’insistance sans issue d’un tourment de l’inconscient.

18. C’est ainsi qu’au mieux l’analyste d’aujourd’hui laisse son patient au point d’identification purement imaginaire dont l’hystérique reste captif, pour ce que son fantasme en implique l’engluement.

Soit ce point même dont Freud dans toute la première partie de sa carrière, voulait le tirer trop vite en forçant l’appel de l’amour sur l’objet de l’identification (pour Élisabeth von R…, son beau-frère [5] ; pour Dora, M. K… ; pour la jeune homosexuelle du cas d’homosexualité féminine, il voit mieux, mais achoppe à se tenir pour visé dans le réel par le transfert négatif).

Il faut le chapitre de Psychologie des masses et analyse du Moi sur « l’identification », pour que Freud distingue nettement ce troisième mode d’identification que conditionne sa fonction de soutien du désir et que spécifie donc l’indifférence de son objet.

Mais nos psychanalystes insistent : cet objet indifférent, c’est la substance de l’objet, mangez mon corps, buvez mon sang (l’évocation profanante est de leur plume). Le mystère de la rédemption de l’analysé, est dans cette effusion imaginaire, dont l’analyste est l’oblat.

Comment le Moi dont ils prétendent ici s’aider, ne tomberait-il pas en effet sous le coup de l’aliénation renforcée à laquelle ils induisent le sujet ? Les psychologues ont toujours su dès avant Freud, s’ils ne l’ont pas dit en ces termes, que si le désir est la métonymie du manque à être, le Moi est la métonymie du désir.

C’est ainsi que s’opère l’identification terminale dont les analystes se font gloire.

Si c’est du Moi ou du Surmoi de leur patient qu’il s’agit, ils hésitent ou bien plutôt, c’est le cas de le dire, ils n’en ont cure, mais ce à quoi le patient s’identifie, c’est leur Moi fort.

Freud a fort bien prévu ce résultat dans l’article à l’instant cité, en montrant le rôle d’idéal que peut prendre l’objet le plus insignifiant dans la genèse du meneur.

(202)Ce n’est pas en vain que la psychologie analytique s’oriente de plus en plus vers la psychologie du groupe, voire vers la psychothérapie du même nom.

Observons-en les effets dans le groupe analytique lui-même. Il n’est pas vrai que les analysés au titre didactique se conforment à l’image de leur analyste, à quelque niveau qu’on veuille la saisir. C’est bien plutôt entre eux que les analysés d’un même analyste sont liés par un trait qui peut être tout à fait secondaire dans l’économie de chacun, mais où se signe l’insuffisance de l’analyste au regard de son travail.

C’est ainsi que celui pour qui le problème du désir se réduit à la levée du voile de la peur, laisse enveloppés dans ce linceul, tous ceux qu’il a conduits.

19. Nous voici donc au principe malin de ce pouvoir toujours ouvert à une direction aveugle. C’est le pouvoir de faire le bien, aucun pouvoir n’a d’autre fin, et c’est pourquoi le pouvoir n’a pas de fin. Mais ici il s’agit d’autre chose, il s’agit de la vérité, de la seule, de la vérité sur les effets de la vérité. Dès qu’Œdipe s’est engagé dans cette voie, il a déjà renoncé au pouvoir.

Où va donc la direction de la cure ? Peut-être suffirait-il d’interroger ses moyens pour la définir dans sa rectitude.

Remarquons :

 

1) Que la parole y a tous les pouvoirs ; les pouvoirs spéciaux de la cure ;

2) Qu’on est bien loin par la règle de diriger le sujet vers la parole pleine, ni vers le discours cohérent, mais qu’on le laisse libre de s’y essayer ;

3) Que cette liberté est ce qu’il tolère le plus mal ;

4) Que la demande est proprement ce qui est mis entre parenthèses dans l’analyse, étant exclu que l’analyste en satisfasse aucune ;

5) Qu’aucun obstacle n’étant mis à l’aveu du désir, c’est vers là que le sujet est dirigé et même canalisé ;

6) Que la résistance à cet aveu, en dernière analyse, ne peut tenir ici à rien que l’incompatibilité du désir avec la parole.

 

Propositions dont il se trouvera peut-être encore certains, et même dans mon audience ordinaire, pour s’étonner de les trouver dans mon discours.

(203)On sent ici la tentation brûlante que doit être pour l’analyste de répondre si peu que ce soit à la demande.

Bien plus, comment empêcher le sujet de ne pas lui attribuer cette réponse, sous la forme de la demande de guérir, et conformément à l’horizon d’un discours qu’il lui impute avec d’autant plus de droit que notre autorité l’a assumé à tort et à travers.

Qui nous débarrassera désormais de cette tunique de Nessus que nous nous sommes à nous-mêmes tissée : l’analyse répond à tous les desiderata de la demande, et par des normes diffusées ? Qui balaiera cet énorme fumier des écuries d’Augias, la littérature analytique ?

À quel silence doit s’obliger maintenant l’analyste pour dégager au-dessus de ce marécage le doigt levé du Saint Jean de Léonard, pour que l’interprétation retrouve l’horizon déshabité de l’être où doit se déployer sa vertu allusive ?

20. Puisqu’il s’agit de prendre le désir, et qu’il ne peut se prendre qu’à la lettre, puisque ce sont les rets de la lettre qui déterminent, surdéterminent sa place d’oiseau céleste, comment ne pas exiger de l’oiseleur qu’il soit d’abord un lettré ?

La part « littéraire » dans l’œuvre de Freud, pour un professeur de littérature à Zurich qui a commencé de l’épeler, qui a parmi nous tenté d’en articuler l’importance ?

Ceci n’est qu’indication. Allons plus loin. Questionnons ce qu’il doit en être de l’analyste (de « l’être » de l’analyste), quant à son propre désir.

Qui aura la naïveté encore de s’en tenir, quant à Freud, à cette figure de bourgeois rangé de Vienne, qui stupéfia son visiteur André Breton de ne s’auréoler d’aucune hantise de Ménades ? Maintenant que nous n’en avons plus que l’œuvre, n’y reconnaîtrons-nous pas un fleuve de feu, qui ne doit rien à la rivière artificielle de François Mauriac ?

Qui mieux que lui avouant ses rêves, a su filer la corde où glisse l’anneau qui nous unit à l’être, et faire luire entre les mains fermées qui se le passent au jeu du furet de la passion humaine, son bref éclat ?

Qui a grondé comme cet homme de cabinet contre l’accaparement de la jouissance par ceux qui accumulent sur les épaules des autres les charges du besoin ?

Qui a interrogé aussi intrépidement que ce clinicien attaché au terre-à-terre de la souffrance, la vie sur son sens, et non pour (201)dire qu’elle n’en a pas, façon commode de s’en laver les mains, mais qu’elle n’en a qu’un, où le désir est porté par la mort ?

Homme de désir, d’un désir qu’il a suivi contre son gré dans les chemins où il se mire dans le sentir, le dominer et le savoir, mais dont il a su dévoiler, lui seul, comme un initié aux défunts mystères, le signifiant sans pair : ce phallus dont le recevoir et le donner sont pour le névrosé également impossibles, soit qu’il sache que l’Autre ne l’a pas, ou bien qu’il l’a, parce que dans les deux cas son désir est ailleurs : c’est de l’être, et qu’il faut que l’homme, mâle ou femelle, accepte de l’avoir et de ne pas l’avoir, à partir de la découverte qu’il ne l’est pas.

Ici s’inscrit cette Spaltung dernière par où le sujet s’articule au Logos, et sur quoi Freud commençant d’écrire [12], nous donnait à la pointe ultime d’une œuvre aux dimensions de l’être, la solution de l’analyse « infinie », quand sa mort y mit le mot Rien.

 

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Avertissement et références

 

Ce rapport est un morceau choisi de notre enseignement. Notre discours au Congrès et les réponses qu’il a reçues, l’ont replacé dans sa suite. Nous y avons présenté un graphe qui articule précisément les directions ici proposées pour le champ de l’analyse et pour sa manœuvre.

Nous donnons ici, classées par ordre alphabétique d’auteurs, les références auxquelles notre texte renvoie par les numéros placés entre crochets. Nous usons des abréviations suivantes :

G.W. : Gesammelte Werke, de Freud ; édités par Imago publishing de Londres. Le chiffre romain qui suit indique le volume.

S.E. : Standard edition, de leur traduction anglaise, éditée par Hogarth Press de Londres. Même remarque.

I.J.P. : International Journal of Psychanalysis.

The P.Q. : The Psychoanalytic Quarterly.

La P.D.A. : un ouvrage intitulé : La psychanalyse d’aujourd’hui, paru aux P.U.F., auquel nous ne nous rapportons que pour la simplicité naïve où s’y présente la tendance à dégrader dans la psychanalyse la direction de la cure et les principes de son pouvoir. Travail de diffusion à l’extérieur sans doute, mais aussi, à l’intérieur, d’obstruction. Nous ne citerons donc pas les auteurs qui n’interviennent ici par nulle contribution proprement scientifique.

 

 

[1] Abraham (Karl) – Die psychosexuellen Differenzen der Hysterie und der Dementia praecox (1er Cong. inter. de Psychanalyse, Salzburg. (205)26 avril 1908), in Centralblatt für Nervenheilkunde und Psychiatrie, 2e cah. de juIllet 1908, Neue Folge, Bd. 19, pp. 521-533, et in Klinische Beiträge zur Psychoanalyse (Int. Psych. Verlag, Leipzig-Wien-Zurich 1921). – The psycho-sexual différences between Hysteria und dementia praecox, in Selected Papers, de Hogarth Press, pp. 64-79.

[2] Devereux (Georges) – Some criteria for the timing of confrontations and interpretations, avr. 1950, in I.J.P., XXXII, (Janv. 1951), pp. 19-24.

[3] Ferenczi (Sandor) – Introjektion und Ubertragung, 1909, in Jahrbuch für psychoanalytische Forschungen, I, pp. 422-457. – Introjection and transference, in Sex in psychoanalysis, de Basic Books, N.Y., pp. 35-93.

[4] Freud (Anna) – Das Ich und die Abwehrmechanismen, 1936, in chap. IV : Die Abwehrmechanismen. Cf. Versuch einer Chronologie, pp. 60-63 (Intern. psychoanal. Verlag, Wien, 1936).

[5] Freud (Sigmund) – Studien über Hysterie, 1895, G.W., I, Fall Elisabeth von R…, pp. 196-251, sp. pp. 125-127. – Studies on Hysterla, S.E., II, 158-160.

[6] Freud (Sigmund) – Die Traumdeutung, G. W., II-III. Cf. in chap. IV : Die Traumentstellung, pp. 152-156, p. 157 et pp. 163-168. Kern unseres Wesens, p. 609. – The interpretation of dreams, S.E., IV, chap. IV : Distortion in dreams pp. 146-150, p. 151 et pp. 157-162 et p. 603.

[7] Freud (Sigmund) – Bruchstück einer Hysterie-Analyse (Dora), fini le 24 janv. 1901 (cf. la lettre 140 de Aus den Anfängen, la correspondance avec Fliess publiée à Londres) : G. W., V, cf. pp. 194-195. – A case of hysteria, S.E., VII, pp. 35-36.

[8] Freud (Sigmund) – Bemerkungen über einen Fall von Zwangsneurose, 1909, G.W., VIl. Cf. in I. d) Die Einführung ins Verständnis der Kur (L’introduction à l’intelligence de la cure), pp. 402-404, et la note des pp. 404-405, puis : I. ƒ) Die Krankheitsveranlassung, soit : l’interprétation de Freud décisive, sur ce que nous traduirions par : le sujet de la maladie, et I. g) Der Vaterkomplex und die Lösung der Rattenidee, soit pp. 417-438. – Notes upon a case of obsessional neurosis, S.E., X. Cf. in I. d) Initiation into the nature of the treatment, pp. 178-181 et la note p. 181. uis : I. ƒ) The precipitating cause of the illness, et g) The father complex and the solution of the rat idea, pp. 195-220.

[9) Freud (Sigmund) – Jenseits des Lustprinzips, 1920, G. W., XIII : cf. s’il en est encore besoin, les pp. 11-14 du chap. II – Beyond the pleasure principle, S.E., v. XVIII, pp. 14-16.

[10] Freud (Sigmund) – Massenpsychologie und Ich-Analyse, 1921, G.W., XIII. Le chap. VII : « Die Identifizierung », sp. p. 116-118. – Group psychology and the analysis of the ego, S.E., XVIII, pp. 106-108.

[11] Freud (Sigmund) – Die endliche und die unendliche Analyse, 1937. G.W., XVI, pp. 59-99, traduit sous le titre de : Analyse terminée (!) et analyse interminable (!! – les points d’exclamation de nous visent les standards pratiqués dans la traduction en français des œuvres de Freud. Nous signalons celle-ci parce que, pour l’édition des G.W., XVIe volume paru en 1950, elle n’existe pas, cf. p. 280), in Rev. franc. Psychan., XI, 1939, n° 1, pp. 3-38.

(206)[I2] Freud (Sigmund) – Die Ichspaltung im Abwehrvorgang, G. W., XVII, Schriften aus dem Nachlass, pp. 58-62. Date du manuscrit : 2 janv. 1938 (inachevé). – Splitting of the ego in the defensive process, Collected papers, V, 32, pp. 372-375.

[13] Glover (Edward) – The therapeutic effect of inexact interpretation : a contribution to the theory of suggestion in I.J.P., XII, 4 (Oct. 1931) : pp. 399-411.

[14] – Hartmann, Kris and Loewenstein – Leurs publications en team, in The psychoanalytic study of the child, depuis 1946.

[15] – Kris (Ernst) – Ego psychology and interpretation in psychoanalytic therapy, the P.Q., XX, n° 1, janv. 1951, pp. 21-25.

[16] – Lacan (Jacques) – Notre rapport de Rome, 26-27 sept. 1953 : Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, in La psychanalyse, vol. 1 (P.U.F.).

[17] – Lacan (Jacques) – L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud, 9 mai 1957, in La psychanalyse, vol. 3, pp. 47-81 (P.U.F.).

[18] Lagache (Daniel) – Le problème. du transfert (Rapport de la XIVe Conférence des Psychanalystes de Langue française,1er nov. 1951), in Rev. Franç. Psychan., t. XVI, 1952, n° 1-2, pp. 5-115

[19] – Leclaire (Serge) – À la recherche des principes d’une psychothérapie des psychoses (Congrès de Bonneval, 15 avril 1957), in L’évolution psychiatrique, 1958, fasc. 2, pp. 377-419.

[20] – Macalpine (Ida) – The development of the transference., in The P.Q., XIX, n° 4, oct. 1950., pp. 500-539, spécialement pp. 502-508 et pp. 522-528.

[21] – La P.D.A., pp. 51-52 (sur « prégénitaux » et « génitaux »), passim (sur le renforcement du Moi et sa méthode), p. 102 (sur la distance à l’objet, principe de la méthode d’une cure).

[22] – La P.D.A. Cf. Successivement p. 133 (rééducation émotionnelle), p. 133 (opposition de la P.D.A. à Freud sur l’importance primordiale de la relation à deux), p. 132 (la guérison « par le dedans »), p. 135 (ce qui importe… ce n’est pas tant ce que l’analyste dit ou fait que ce qu’il est), et p.136, etc., passim, et encore p. 162 (sur le congé de la fin du traitement), p. 149 (sur le rêve).

[23] – R L. – Perversion sexuelle transitoire au cours d’un traitement psychanalytique, in Bulletin d’activités de l’Association des Psychanalystes de Belgique, n° 25, pp.1-17 – 118, rue Froissart, Bruxelles.

[24] – Sharpe (Ella) – Technique of psychoanalysis, in Coll. Papers, de Hogarth Press. Cf. p. 81 (sur le besoin de justifier son existence) ; pp. 12-14 (sur les connaissances et les techniques exigibles de l’analyste).

[25] – Schmideberg (Melitta) – Intellektuelle Hemmung und Ess-störung. Zeitschrift für psa. Pädagogik. VIII,1934.

[26] – Williams (J.D.) – The compleat strategyst, The Rand Series, McGraw-Hill Book Company,Inc., New-York ; Toronto, London.

[27] – Winnicott.(D.W.) – Transitional object and transitional phenomena, 15 juin 1951, in I.J.P.,v. XXXIV, 1953, p. 11, pp. 29-97. Traduit dans La psychanalyse, vol. 5, pp. 21-41, P.U.F.

 

 



[1]. Les chiffres entre crochets renvoient aux références placées à la fin de ce rapport.

[2]. Pour retourner contre l’esprit d’une société un terme au prix duquel on peut l’apprécier, quand la sentence où Freud s’égale aux présocratiques : Wo es war soll Ich werden, s’y traduit tout uniment à l’usage français, par : Le Moi doit déloger le Ça.

[3]. « Comment terminer le traitement analytique » Revue franç. de Psychanalyse 1954, IV, p. 519 et passim. Pour mesurer l’influence d’une telle formation lire : Ch.-H. Nodet, « Le psychanalyste », In L’évolution psychiatrique 1957, n° IV, pp. 689-691.

[4]. Nous promettons à nos lecteurs de ne plus les fatiguer dans ce qui vient, d’aussi sottes formules, qui ici n’ont vraiment d’autre utilité que de montrer où en est arrivé le discours analytique Nous nous en sommes excusés auprès de nos auditeurs étrangers qui en avaient sans doute autant à leur service dans leur langue, mais peut-être pas tout à fait de la même platitude.

[5]. En France la doctrinaire de l’être, plus haut cité, a été, droit à cette solution : l’être du psychanalyste est inné (cf. La P.D.A., I, p. 136).

[6] . 0, qui plutôt que d’être vocalisé comme la lettre symbolique de l’oxygène, évoquée par la métaphore poursuivie, peut être lu : zéro, en tant que ce chiffre symbolise la fonction essentielle de la place dans la structure du signifiant.

[7]. Exemple ici : aux U.S.A. où Kris a abouti, publication vaut titre, et un enseignement comme le mien devrait chaque semaine prendre ses garanties de priorité contre le pillage dont il ne manquerait pas d’être l’occasion. En France, c’est sous un mode d’infiltration que mes idées pénètrent dans un groupe, où l’on obéit aux ordres qui interdisent mon enseignement. Pour y être maudites, ces idées n’y peuvent servir que de parure à quelques dandys. N’importe : le vide qu’elles font retentir, qu’on me cite ou non, y fait entendre une autre voix.

[8]. Parenthèse de l’auteur du présent rapport.

[9]. Ibid.

[10]. Ibid.

[11]. Cf. la Lettre 118(11-IX-1899) à Fliess in : Aus den Anfängen, Imago pub., Londres.

[12]. Voici ce rêve tel qu’il est consigné du récit qu’en fait la patiente à la page 152 des G.W., II-III : « Je veux donner un dîner. Mais il ne me reste qu’un peu de saumon fumé. Je me mets en tête de faire le marché, quand je me rappelle que c’est dimanche après-midi et que tous les magasins sont fermés. Je me dis que je vais appeler au téléphone chez quelques fournisseurs. Mais le téléphone est en dérangement. Ainsi il me faut renoncer à mon envie de donner un dîner ».

[13]. En quoi Freud motive l’identification hystérique, de préciser que le saumon fumé joue pour l’amie le même rôle que le caviar joue pour 1a patiente.

[14]. Dont il ne faut pas oublier : que le terme est employé pour la première fois dans la Traumdeutung au sujet du rêve, – que cet emploi donne son sens et du même coup celui du terme : distorsion qui le traduit quand les Anglais l’appliquent au Moi. Remarque qui permet de juger l’usage que l’on fait en France du terme de distorsion du Moi, par quoi les amateurs du renforcement du Moi, mal avertis de se méfier de ces « faux amis » que sont les mots anglais (les mots, n’est-ce pas, ont si peu d’importance) entendent simplement… un Moi tordu.

[15]. Cf. le (S <>D) <sic> et le (S<>a) <sic> de notre graphe, paru en extrait de notre séminaire, dans le Bulletin de psychologie 171-XIII-5 du 5 janvier 1960, par les soins de J.-B. Lefèvre-Pontalis. Le signe <> consigne les relations enveloppement-développement-conjonction-disjonction. Les liaisons qu’il signifie en ces deux parenthèses permettent de lire l’S barré : S en fading dans la coupure de la demande ; S en fading devant l’objet du désir. Soit nommément la pulsion et le fantasme.