Le 6 décembre 1967, le Directeur de l’École répond aux « avis » manifestés par les membres de l’École sur sa proposition du 9 octobre. Cette réponse orale, transcrite ipso facto par le Docteur Solange Faladé est distribuée à titre personnel aux membres de l’École, A.E. et A.M.E. Sa lecture suppose la connaissance du contexte : soit les « avis » auxquels Lacan répond en s’appuyant sur le séminaire qu’il vient de commencer L’acte psychanalytique. C’est un discours parlé, fixé après récollection de ces « avis » enregistrés sur bande. Il est ici reproduit tel qu’il nous est parvenu transcrit. Les « avis » étaient à l’époque accessibles aux membres de l’École qui les avaient entendus. Cet enregistrement sur bande fut publié dans Scilicet 2/3, pp. 9-29 mais il s’agit alors d’une réécriture de cette transcription, puisqu’au début de la page 27 de Scilicet la référence à l’émoi de mai indique que ce texte est postérieur à mai 1968 : rien de tel ici. La comparaison entre les deux textes montre cependant quelques phrases restées intactes dans le passage de l’un à l’autre, document photocopié, pp. 1-13.

(1)L’immixtion, opérée l’année dernière, de la fonction de l’acte dans ce que j’aurais bien appelé notre réseau si le terme ne paraissait maintenant réservé à un autre emploi ; disons dans le texte dont se trame mon discours, cette immixtion de l’acte donc, était nécessaire à ce que parut ma proposition du 9 octobre qui ne sera un acte qu’à partir de ses suites.

Les premières à se produire sont de nature à l’éclairer, si l’on procède par ordre.

Je l’ai adressée à un cercle, celui des présents, non pas choisi ad hoc, mais déjà constitué selon ce qui préside à toute agrégation sociale : toute classe s’y caractérise de ce qu’on y soit plus égaux qu’ailleurs. L’humour qu’on trouve à cette façon de s’exprimer, devrait lever un handicap pratique.

Quelle que soit l’approximation du tri dont sont sorties les deux classes des A.E. et des A.M.E., il faut l’accepter pour qu’elles fonctionnent comme telles. D’autant plus que ce tri, autrement dit l’annuaire 1965, est le premier produit de l’École prise comme telle, celui dont la question se pose s’il doit demeurer le seul à porter son cachet.

Ce tri suppose une référence à l’expérience de chacun en tant qu’évaluée par les autres. Une fois opéré ce tri, tout usage de ces classes y implique (2)l’égalité supposée et l’équivalence éventuelle, tout usage courtois, s’entend.

Inutile donc de nous assourdir entre nous des droits acquis dans « l’écoute », comme on s’exprime, des vertus du contrôle et du respect de la clinique. Quiconque prétend les représenter ne peut s’en targuer au moins ici plus qu’un autre de son rang.

En quoi (que les personnes m’excusent d’y associer des initiales faciles à remplir), en quoi Madame A. et Madame D. seraient-elles inégales à Monsieur P. et à Monsieur V. pour l’écoute, les contrôles et l’expérience clinique qu’elles ont à leur actif ?

Si ceci, je pense, qu’aucun ne songerait à contester aux autres, admet qu’y prévale chez certains une structuration plus analytique, il faut savoir dire d’où part cette structuration dont personne ne saurait prétendre que c’est une donnée : point premier, – point second : faire servir ces classes elles-mêmes à la mise à l’épreuve de cette répartition – de sorte que l’effet en prévale pour ce qui viendra au futur.

Que la distinction de ces temps n’ait jusqu’à présent pas été respectée, c’est précisément ce que prouve qu’on puisse soulever la question d’une expérience qualifiée. Et dire que c’est le privilège de notre École, est faux jusqu’à l’évidence.

L’invocation massive de je ne sais quelle garantie de surface (n’ai-je pas écho de ce qu’on vienne à brandir la menace de quelque incident propre à rebondir dans la presse ? Sachez donc que si la chose survient, elle n’aura pas surpris tout le monde) ; cette invocation n’a de portée que d’intimidation, non d’ordonnance.

Ce qui est impropre n’est pas qu’on s’attribue dans l’à-part-soi une supériorité d’écoute, ni qu’on tende le dos aux attaques à quoi toute thérapeutique est exposée de ses marges légales, c’est que ces prétentions et ces craintes fassent office d’arguments.

Alors que ce dont il s’agit, c’est de l’expérience dont nous avons à répondre, comme aussi du statut légal dont nous entendons nous couvrir.

Je dénoncerai à ce détour, cette façon de noyer le poisson de cet « être le seul » qui est l’infatuation la plus commune à toute expérience et familière au médecin, en le couvrant de l’être seul qui pour l’analyste constitue proprement le dépouillement qu’il renouvelle à chaque entrée dans son office, ou plutôt en faisant comme si l’être le seul n’était que la chasuble digne de revêtir sa solitude officiante.

Or il n’en est rien, c’est-à-dire qu’il n’en est pas plus que l’i(a) qui fonde le moi et toute relation narcissique, n’est la chape de cet objet a où le sujet découvre sa misère essentielle. Ceci même si le a s’y précipite (3)à l’occasion du délogement, source d’angoisse, comme ferait le bernard-l’ermite à trouver n’importe quelle coquille pour s’en faire camouflage et abri.

C’est là fonction qui n’est pas organique, et je me demande quelle distraction, voire quelle ruse peut animer une homélie qui joue sur l’appel ad hominem, si peu digne de notre contexte. Peut-être l’intention de me protéger moi-même qui sait ? contre moi-même ou contre la communauté en m’affectant du mal de tous. Car je me suis proclamé seul en une occasion, nommément l’acte de fondation de cette École : seul, ai-je écrit, comme je l’ai toujours été dans ma relation à la cause psychanalytique.

Et alors ? Dès l’instant qu’un seul autre s’y ralliait, comme par hasard celui dont j’interroge le discours, je n’y suis plus seul : ceux qui sont là m’en témoignent encore.

Qu’est ce que ce seul d’un acte décisif a affaire avec le seul qu’on se croit être à valoir dans l’expérience ? N’utiliserais-je pas celle des autres ? Qui peut croire même que je me croie seul à savoir ce qu’est la psychanalyse. Justement que je m’en explique, prouve le contraire. D’ordinaire c’est d’en avoir plein la bouche de l’écoute qu’on est le seul à apprécier congrûment, qu’on ne peut plus en dire rien d’autre.

Il n’y a même pas d’homosémie entre « le seul » et « seul ». Quant à la solitude à laquelle justement je renonçais en fondant l’École, qu’a-t-elle à faire avec la solitude dont se purifie toujours à nouveau l’acte psychanalytique, sinon d’y trouver exemple à se dispenser de l’examen de sa relation à cet acte.

Car cet acte dont j’ai la semaine dernière au lieu public où se tient mon discours, sans plus tarder tracé ce que j’entends en ouvrir en l’interrogeant par sa fin dans les trois sens qu’il donne à ce terme : visée idéale, terminaison et aporie de son compte-rendu, n’est-il pas un fait remarquable – d’avoir été remarqué par le moindre des intéressés, que les plus éminents à avoir fait une habitude, j’entends une habitude pour les autres, de leur présence à ce discours, s’en soient trouvés absents dans l’ensemble. Tandis qu’au moins ceux-là que passionne ma proposition au point de les faire se rabattre sur des recours qui vont à l’indistinct que je viens de dessiner, auraient intérêt à y saisir ce qui d’une articulation patente pourrait constituer la faiblesse ou le point de réfutation.

Cette fois c’est que je ne sois seul à m’inquiéter de cet acte, qu’on me refuse ce qui est dû au seul qui risque d’en parler. Je n’en ai demandé les raisons que dans les proportions d’un sondage. Qu’on m’épargne d’en dire les résultats : c’est bien d’un acte qu’il s’agit, d’un acte aussi psychanalytique que peut l’être un acte manqué, si j’ouvre la question de savoir si le refus d’en rendre compte lui est ou non inhérent.

(4)Question que je laisse ouverte en mon discours jusqu’à conclusion, qui est aussi épreuve. Car je ne crois pas qu’on puisse me la retourner à dire qu’à s’y pointer, on consacrerait un acte, celui de ce que j’y articule. Un enseignement n’est pas un acte, comme l’est ma proposition. Ceci de ce qu’il ne s’adresse à vous que d’être une thèse publiquement ouverte. L’acte commence à ceux qui se dérobent, d’y pouvoir porter l’antithèse.

Ma proposition du 9 octobre fut acte de vous requérir d’y répondre et sans tarder. On peut regretter cette hâte et y voir un vice de forme, si l’on oublie ce que j’ai dit de la fonction de la hâte en logique.

Elle révèle la nécessité d’un certain nombre d’effectuations pour qu’une clôture y soit valable. Voire elle démontre que la légitimité même de cette clôture ne peut être abstraite des ratages que lui offrent de fait les temps de son effectuation.

Il vous sera facile d’appliquer, quand vous le voudrez, sur la situation présente mon sophisme dit de l’assertion de certitude anticipée, – supporté par la fable de mes trois relaxes mis à l’épreuve de justifier de quelle référence ils portent la marque (disque blanc ? disque noir ? un des 3, un des 2), après en avoir assumé le pari sur celui qu’en forment les autres.

Cela n’a rien de sadien puisqu’à ne pas répondre au défi, on n’encourt pas plus de dommage que le personnage vaporeux de l’histoire qui veut qu’après avoir compté les barreaux qui le séparaient de l’obélisque, une nuit sur la place de la Concorde, et avoir retrouvé celui qu’il avait marqué en partant, il s’écrie : « les salauds, ils m’ont enfermé ».

Où est le dedans, où est le dehors : les prisonniers quand ils sortent, se posent aussi la question, vous le savez.

Je la propose à quelqu’un qui m’a fait la confidence dans une vapeur analogue (bien avant ma proposition) de l’avantage qu’il retirerait dans le monde à seulement faire savoir pourquoi il se serait séparé de moi au cas que son envie l’emporte.

Qu’il sache en cette difficulté que je goûte assez sa personne, pour penser à lui quand je déplore, comme il m’est arrivé récemment, le peu de monde à qui je peux faire partager mes joies quand il m’en arrive de neuves.

Ce n’est ici nulle digression. Mais bien façon de ramener ma proposition à sa mesure dont on peut dire quelle n’est pas mince, mais dont à la traiter comme telle, on laisse échapper la minceur justement, qui y fait tout.

À la considérer comme acte, elle n’a nulle prétention à être psychanalytique au second degré… il n’est pas vain d’user ici de ces formules qui, comme balises en mon discours, trouvent leur fil en sa poursuite, – se rangeant telles qu’au liminaire de cette année j’ai rappelé que s’il n’y a pas (5)d’Autre de l’Autre (Autre à grand A s’entend), pas plus que de vrai sur le vrai, aussi bien ne saurait-il être question d’acte de l’acte.

Ma proposition gîte au joint d’un acte dont la dimension, ne l’oublions pas, s’est découverte de ce qu’il ne réussisse jamais si bien qu’à rater, ce qui n’implique pas que tout ratage signe cette dimension dans un acte.

Ma proposition n’ignore pas que le discernement qu’appelle cette non-réversibilité, ne peut s’opérer qu’à se soumettre à cette dimension elle-même, et l’on voit bien à l’accueil qu’elle reçoit qu’elle n’échappe pas à sa question de base.

Qu’elle la porte dans l’acte psychanalytique, pris au sens où c’est l’acte instituant du psychanalyste, y change peu, si vous me suivez en cette remarque que cet acte ne diffère du premier qu’à maintenir son manque, justement d’avoir réussi. Car n’est-ce pas le cas d’avoir réussi comme psychanalysant qui est censé mener au désir du psychanalyste avec les paradoxes qu’il démontre.

Ces paradoxes sont ceux qu’a profilé mon faux détour plus haut comme un lieu dont on est hors sans y penser, mais où se retrouver, c’est en être sorti pour de bon, c’est-à-dire cette sortie, ne l’avoir prise que comme entrée, encore n’est-ce pas n’importe laquelle : ce lieu qui trace bien la voie de l’acte psychanalytique. Encore sa description à l’infinitif indique-t-elle qu’il laisse en suspens le désir, désir qui pourtant se définit du sens de ces infinitifs, au moins aussi loin que j’ai pu le dire.

C’est là qu’un contrôle n’est pas de trop : non pas contrôle de cas, mais du sujet (je souligne) seul en cause dan l’acte, alors que le désir (du psychanalyste) se doit tout au soutien de la demande qui l’assiège afin de s’y trouver.

Ce désir, nous ne pouvons qu’en théoriser la nécessité. Il est à prendre dans le fait pour satisfaire à cette nécessité. Sa correction reste au gré du sujet qui peut se resoumettre au faire du psychanalysant.

Le contrôle que j’évoque ne saurait remettre quiconque sur la sellette où il a gagné ses galons. C’est pourtant, semble t-il bien, le fantasme contre lequel semblent s’être édifié les primes sauts d’institution, d’où se sont cristallisées celles généralement reçues.

Ceci seul peut expliquer que notre École qui s’en croit libérée, du consentement affirmé à ce que certains ne tiennent que pour des aphorismes, conserve d’une position de se terrer, qui semble la règle si caractéristique des manifestations d’une opinion sur un produit analytique dans nos cercles, ceci notable au plus haut point dans tout débat, se qualifiât-il de scientifique, voire fût-il probatoire.

(6)D’où ce style de sortie, au sens le moins réglé, qu’y prennent les interventions, et la cible ouverte qu’y deviennent ceux qui n’ont pas encore de terrier reconnu. Mœurs aussi fâcheuses pour le travail que répréhensibles au regard de l’idée, aussi simplette qu’elle se veuille, d’une École.

Si adhérer à une École veut dire quelque chose, elle ajoute à la courtoisie que j’ai dite être le lien le plus strict des classes, la confraternité qui fait leur réunion.

Il est tout à fait sensible, dès qu’on en est averti, que non seulement l’acte psychanalytique s’y traduise en note de hargne, mais que le ton en monte à mesure de toute approche où s’en pressent, si je puis dire, la levée.

Ce que ma proposition introduit dans cet acte, c’est que s’il est notoire qu’en sortir, c’est y rentrer, on pourrait certes avancer plus à se fier à sa structure.

Il y suffirait, je pense, de l’enserrer d’un plus sérieux réseau. Vous voyez en somme combien je m’accorde à ces mots qu’on croit devoir m’être méchants (ou meschéant). Je tiens la gageure de cet usage – possible à désarmer. Car ce n’est pas moi qu’il blesse. Je ne parle pas du retournement de ce qu’on appelle mes aphorismes, sinon pour signaler que l’auteur de l’opération y gâche un mot que je croyais par lui promis à porter plus loin son génie.

En attendant c’est bien au nom de la garantie qu’elle croit devoir à son réseau, au second sens ici en cause, c’est-à-dire à ceux dont elle a pris la charge didactique, que de premier jet une personne, à qui nous devons hommage pour la place qu’elle a su se faire dans le milieu psychiatrique au nom de l’École, a déclaré devoir considérer les suites qu’elle pourrait donner à ma proposition. L’argumentation qui a suivi, n’est qu’un parti pris de là : elle tient pour affaire tranchée que la didactique en sera affectée mais pourquoi dans le mauvais sens ? Nous n’en savons encore rien.

Je ne vois aucun inconvénient à ce que la chose (la chose du réseau) soit claire, d’autant plus qu’elle est reconnue partout comme la plaie de la didactique : consultez sa courageuse dénonciation dans la littérature internationale, c’est un courage qui n’a pas à craindre d’avoir des suites.

Précisément il me semblait que ma proposition, dans ses plus minutieuses dispositions, se mettait en travers. De sorte que je ne m’étonne pas de son résultat sur ce plan. Ce dont on devrait s’étonner, c’est que ce ne soit pas mon réseau qui m’étrangle.

Le « plein transfert », un des mots-clefs de ce hourvari, est à traiter par le sourire. Car il donne droit à tout, et en fait de négatif, a fait ses preuves dans ce champ où l’intérêt ne badine pas.

Quand on n’est pas dans le coup, il se perçoit rien qu’à lire tel factum, que le réseau, le mien, a un tout autre sens et, c’est ce qui m’aide à en reprendre allègrement le terme. Car on le tend, ce réseau, on l’écrit noir sur blanc, de la rue de Lille à la rue d’Ulm. Et alors ?

Je ne crois pas au mauvais goût d’une allusion à mon réseau familial. Alors parlons de mon bout d’Oulm (prononcé comme ça, ça fait Lewis Carroll). Est-ce que je propose d’installer mon bout d’Oulm au sein des A.E. ?

Et pourquoi ? si par hasard un bout d’Oulm se faisait analyser. En ce sens, je puis vous affirmer qu’aucun ne fait encore partie de mon réseau, ni n’y est en instance.

Mais évidemment le réseau qui existe ici, est d’autre trame, et ne tient à rien de moins qu’à ma proposition de l’expansion à obtenir de l’acte psychanalytique.

Que mon discours aie retenu des sujets que n’y préparent aucune expérience analytique, prouve qu’il soutient l’épreuve d’exigences logiques à quoi ces sujets sont formés. Ceci suggère qu’il se pourrait que ceux qui ont cette expérience, ne perdraient peut-être rien à se former aux mêmes exigences pour en armer leur « écoute », voire leur regard clinique. L’expérience, surtout qui sort si assurée de son axe, s’en verrait peut-être renforcée, mais du même coup plus maniable, ne serait ce que pour la transmission, qui sait pour la modification, en tout cas pour la discussion.

Je ne vous ferai pas l’injure de croire qu’ici puisse être même évoqué l’intérêt que reçoit mon discours d’un public plus vaste encore, au nom du bénéfice que l’École pourrait en tirer.

Un porc dont il m’a fallu tolérer les avances malpropres au nom d’une certaine commission d’enquête, avait cru pouvoir faire le bilan des dix années que j’avais alors consacrées à forger pour un cercle confidentiel chacun de ces séminaires dont ceux qui les lisent encore ont au moins le sentiment, comme j’en ai recueilli le cri*, qu’il me fallait bien aimer ceux à qui je vouais un tel effort. Ce bilan s’exprimait en ces mots : en somme Lacan jouait chez vous la fonction de sergent-recruteur. On sait l’image que ce terme évoque de l’histoire anglaise : les ivrognes, c’étaient ceux qui, collaborant en toute amitié avec le porc, à ces mots ne mouffetaient pas.

Ce n’est pas devant vous que je vais me targuer d’un succès dont j’ai tout fait pour écarter l’impureté de mon travail et qui maintenant ne peut en rien l’affecter.

Mais cet intérêt pourrait vous inspirer l’idée que l’expansion de l’acte analytique pourrait un jour, si vous tenez l’héritage freudien sous le boisseau prendre un effet de rejet dans une région imprévue où les droits de priorité de notre expérience ne seraient pas automatiquement préservés.

(8)Et que c’est là encore à quoi ma proposition pare au plus vite.

Car le mot de non-analyste revient à la surface pour un office que je connais. Il épingle ceux qui m’entendent chaque fois que mon discours, à un carrefour de la pratique, a à porter effet sur l’acte psychanalytique. La « bande-à-Mœbius », pour l’appeler par son nom, est pour l’instant un ramassis de non-analystes.

C’est sans gravité. Dès que la question aura été résolue par la menace écartée, elle n’aura qu’une petite prime à payer. Ne plus essayer de rien dire sur quoi que ce soit d’analytique. Elle sera faite désormais d’analystes. Si elle se sépare de moi, elle pourra rentrer dans l’I.P.A. et continuer d’user de mes termes, désormais dépourvus de toute conséquence. Un petit vote, que dis-je une abstention, une excuse donnée au moment où il faut, elle y entre toutes voiles dehors. Même pas besoin d’un chef de file. Ils pourraient tous y être déjà.

Mais qu’ils m’excusent. Je leur donnerai tout à l’heure un moyen aussi sûr de redevenir des analystes et qui aura l’avantage d’être inédit. Il ne leur sera pas réservé : je ne pense à eux qu’à cause de leur déchéance présente.

Pour ce qui est des « non-analystes » auquel ma proposition aurait pour but de remettre le contrôle de l’École – on l’a écrit –, j’en ferai de même que pour le réseau : je relèverai le gant.

C’est bien en effet le sens de ma proposition : je veux mettre des non-analystes au contrôle de ce qui résulte de l’acte analytique, ceci pour détecter comment, quel que soit leur talent, les « analystes » s’arrangent pour que ne sorte de leur expérience qu’une production si stagnante, incomestible au dehors, une théorie toujours plus régressive, voire involutive au sens où elle évoque la ménopause, de l’un et l’autre sexe, la plus parfaite élusion de tous les problèmes de l’acte : pour autant qu’y réside la clef de sa terminaison et la fin à donner à la psychanalyse didactique, et qu’hors de cet abord, il est vain d’espérer qu’elle établisse son épistémologie.

J’en ai assez dit dans ces lignes pour qu’on sache qu’il ne s’agit nullement d’analyser le désir de l’analyste, mais d’enregistrer les effets de sa condition professionnelle sur l’acte fondamental où ce désir se manifeste qui est d’y entrer. D’où la première condition est décisive pour ce qu’elle interfère, dès la demande initiale d’où ce désir a à procéder, dans sa procession même : c’est l’idéal que représente le statut présent de l’analyste.

La première analyse didactique qui se présentera sous ces auspices de critique, se trouvera abrégée du handicap que constitue son actuelle demande, puisque celui qui l’entreprendra n’aura pour fin que de saisir à la fin ce qui peut bien pousser quelqu’un jusque dans l’acte psychanalytique, sûr qu’il sera que faute d’y être, il n’aura pour remplir sa tâche que les (9)présupposés de fiction qui le réduiront à l’inopérance du psycho-sociologue et au niveau de l’étude de marché. Cette demande-là, le psychanalyste n’avait pas à se soucier de la frustrer. Il aura fort à faire à la gratifier dans sa fin plutôt mythique.

Mais la façon dont en accord avec cette tâche, il se chargera d’expérience, il écoutera, il cliniquera, en prendra pour lui une autre valeur portante.

Vous voyez que ce n’est pas pour demain qu’il faut s’attendre à même à l’approche de ce point absolu.

Mais le seul fait de le poser introduit une dimension où le désir de l’analyste pour suspendre son acte, – car c’est seulement de la fallace de sa satisfaction qu’il se fera repère, – fera du non-analyste le garant de la psychanalyse.

Comme il doit l’être en ce sens. Je souhaite des non-analystes en effet, à tout le moins que se distinguent ce que sont les psychanalystes aujourd’hui, c’est-à-dire qui n’aient pas le recours d’être analystes au prix que j’ai dit plus haut.

Est-il impossible de répondre à une telle demande : qu’on le dise, cela éclaircira la portée des autres demandes à elles-mêmes. Et cela remet à d’autres la création de son emploi.

Le seul fait pourtant qu’une telle demande puisse être fondée dans l’existence d’un tel emploi suffirait à ce que toutes les demandes de psychanalyse didactique en subissent une correction initiale, puisqu’on saurait que c’est en fonction d’une psychanalyse en instance d’examen, et aussi avide de renouvellement, que le psychanalyste même tenu pour entravé d’un désir inégal à l’épreuve du psychanalysant, serait distingué par des juges avertis sur le style de sa pratique et l’horizon qu’il sait y reconnaître à y démontrer ses limites : c’est ce que j’appelle l’A.M.E.

Néanmoins ma bande garde un recours ouvert, dont j’espère qu’elle profitera : donner à mon discours des suites, c’est-à-dire le dépasser au point de le rendre désuet. Je saurais enfin que je n’ai pas pissé dans un violon.

En attendant, il me faut subir d’étranges musiques. Voilà-t-il pas la fable mise en cours du candidat qui scelle un contrat avec son psychanalyste « Tu me prends à mes aises, moi je te fais la courte échelle. Aussi fort que malin (qui sait un de ces normaliens qui vous dénormaliseraient une société tout entière avec ces trucs chiqués qu’ils ont tout loisir de mijoter pendant leurs années de feignantise), ni vu ni connu, je les embrouilles, et tu passes comme une fleur.

(10)Mirifique ! ma proposition n’aurait-elle engendré que cette souris que j’espère en son travail de rongeur. Je demande : ces complices que pourront-ils faire d’autre à partir de là qu’une psychanalyse où pas une parole ne pourra se dérober à la touche du véridique, toute tromperie d’être gratuite y tournant court. Bref une psychanalyse sans méandre. Sans les méandres qui constituent le cours de toute psychanalyse de ce qu’aucun mensonge n’échappe à la pente de la vérité.

Mais qu’est-ce que ça veut dire quant au contrat imaginé, s’il ne change rien ? Qu’il est futile ou bien que même quand quiconque n’en a vent, il est tacite.

Car le psychanalyste n’est-il pas toujours en fin de compte à la merci du psychanalysant, et d’autant plus que le psychanalysant ne peut rien lui épargner s’il trébuche comme psychanalyste, et s’il ne trébuche pas, encore moins. Du moins est-ce ce que nous enseigne l’expérience.

Ce qu’il ne peut lui épargner, c’est ce désêtre dont il est affecté au terme de chaque analyse, et dont je m’étonne de le retrouver dans tant de bouches depuis ma proposition, comme attribué à celui que j’ai connoté dans la passe du terme de destitution subjective.

On est bougrement plus dur dans l’être pourtant, personne ici ne le sait donc quand on abdique d’être sujet. On voit que vous n’avez jamais été à la guerre, vous êtes tous à quelque degré enfants de Pétain, en 14 pas nés encore. Pour vous, c’est immémorial : il en reste pourtant un témoignage à la hauteur, pour n’être ni d’un futuriste qui y a lu sa poésie, ni d’un salaud de publiciste rameutant le gros tirage : c’est Le guerrier appliqué, de Paulhan. Lisez ça pour savoir l’accord de l’être avec la destitution du sujet

J’ai raté ça de très peu, mais je vous ai eus de l’an 60 à 63. On se sent assez bien dans son être, quand un nommé dindon (en anglais) tranche de votre discours de dix ans comme si c’était un air de flûte destiné à induire vos élèves à la marque d’identification que sa perspicacité n’a pas laissé échapper : soit le port du nœud papillon (sic, j’en appelle aux témoins). Pour une destitution subjective, c’en est une qui suscite l’être, croyez-moi. Sans doute aussi l’être de ceux qui y assistaient impavides.

Les références que j’évoque, n’ont rien à faire avec le désir d’être analyste. Je ne vends pas la mèche du baratin pour les passeurs.

Mais la seconde peut-être appelle examen sur la nature du désêtre qui en l’occasion est en face. Car je ne songe pas à l’extraire du désir du psychanalyste, même si c’est un faux pli.

Nous avons vu des psychanalystes trempés, comme s’exprimait ce psychosociologue, – car ce n’est pas moi qui ai fait fonctionner un tel être (11)en notre sein – trempée dans du jus de Kapo, sans doute. Mais évoquer les camps, c’est grave, m’a-t-on dit.

Cela restitue à sa place le discours de Nacht sur l’être et ma raison d’y objecter.

À part cela, ma proposition est fasciste, du moins la métaphore de quelqu’un qui en a l’expérience, ramenait-elle ça sans scrupules.

Finissons-en avec les broutilles et avec l’admission de Fliess, que mon idée impliquerait. Le raisonnement ad absurdum a son prix.

Que Freud ait franchi la passe, c’est une affaire hors contrôle et qui peut sans inconvénient être mise en doute. Il ne pouvait être son propre passeur.

Si j’en crois les souvenirs si précis que Madame Blanche Reverchon-Jouve me fait parfois l’honneur de me confier, j’ai le sentiment que, si les premiers disciples avaient soumis à quelque passeur choisi d’entre eux disons : non leur désir d’être analyste, – dont la notion n’était pas même pas apercevable alors – si tant est que quiconque l’aperçoive encore –, mais seulement leur projet de l’être, le prototype donné par Rank en sa personne du « je ne pense pas » eût pu être situé beaucoup plus tôt à sa place dans la logique du fantasme.

Et la fonction de l’analyste de l’École fut venue au jour dès l’abord.

Car enfin il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, ainsi est-on dans la voie psychanalysante ou dans l’acte psychanalytique. On peut les faire alterner comme une porte bat, mais la voie psychanalysante ne s’applique pas à l’acte psychanalytique, qui se juge dans sa logique à ses suites.

Je suis en train de démontrer que, chaque fois que le psychanalyste s’intéresse à un objet qui lui parait prévalent, il est amené à déclarer que cet objet échappe à la voie de l’analyse (cf. Winnicott). Ce n’est pensable qu’en raison du seul point où c’est légitime : le psychanalyste en tant que tel, l’acte psychanalytique.

La fonction par exemple du narcissisme de la petite différence, que Freud articule comme étant de son expérience irréductible, est parfaitement analysable à la rapporter à la fonction de l’objet a, le psychanalyste comme on dit, veut bien être de la merde, mais pas toujours la même. C’est interprétable, à condition qu’il s’aperçoive que d’être de la merde, c’est vraiment ce qu’il veut, dès qu’il se fait l’homme de paille du sujet-supposé-savoir.

Ce qui importe n’est donc pas cette merde-ci, ou bien celle-là. Ce n’est pas non plus n’importe laquelle. C’est qu’il saisisse que cette merde (12)ne vient pas de lui, pas plus que de l’arbre qu’elle couvre au pays bénit des oiseaux. C’est le Pérou, qu’on dit.

L’oiseau de Vénus est chieur, on le sait. La vérité nous vient pourtant sur des pattes de colombe, drôle d’idée. Ce n’est pas une raison pour que le psychanalyste se prenne pour la statue du Maréchal Ney. Non, dit l’arbre, il dit non, pour être moins rigide, et faire découvrir à l’oiseau qu’il reste un peu trop sujet d’une économie animée de l’idée de la Providence.

Vous voyez que je suis capable d’adopter le ton en usage dans une assemblée d’analystes, quand il s’agit d’affaire vitale. J’en ai pris un peu à chacun de ceux qui ont manifesté leur avis, à la hargne près, j’ose le dire,– vous le verrez avec le temps : c’est là ce qui permet de voir si comme le loup, elle y est ou n’y est pas.

Et concluons.

Ma proposition adoptée n’eût changé que d’un cheveu, l’axe de la formation du psychanalyste. Il eût suffi, pour peu qu’elle fût publiée. Elle permettait un contrôle absolu de ses résultats. Elle respectait absolument les droits de l’expérience.

On s’y oppose. Je ne puis l’imposer.

Mince comme un cheveu, elle n’aura pas à se mesurer à l’ampleur de l’aurore.

Il suffirait qu’elle l’annonce. Car elle comporte sur 17 pages, 14 (je ne sais pourquoi ces chiffres ont paru à quelqu’un avoir un sens mystique), 14, dis-je, de théorie de la psychanalyse didactique, sur lesquelles je ne demande pas d’autre avis que d’en donner une réplique éventuelle, équivalente ou pas.

J’ouvre par priorité les lettres de l’École à la publication de ces énoncés, – qui constitueront, non l’ouverture, elle s’est faite, mais la mise en fonction du cartel sur lequel on a pu ironiser.

Cependant j’assure que ceux pour qui les fins que visait ma proposition sont les leurs, peuvent compter sur mon appui.

J’ai entendu qu’elle n’avait d’autre portée que politique, et que c’était une question de force entre certains et moi.

Il ne saurait être question de force pour moi comme analyste. À ceux qui tombent sous le coup de cette force si elle tient, de savoir s’ils l’acceptent ou s’ils la refusent.

(13)Je ne suis là que pour maintenir la primauté des fins de ma proposition, et m’opposer à ce qui leur fermerait tout accès.

Il est d’autres moyens d’y parer.

Je vous annonce la parution d’une revue ouverte à tous ceux de l’École qui voudront bien y participer dans les conditions qui vous seront produites par son premier numéro. Ces conditions, neuves en notre communauté, me paraissent de nature à lever l’obstacle grave à la production scientifique, dont je tente de cerner la source en mon discours de cette année sur l’acte psychanalytique. Dès maintenant ceux au travail de qui je fais confiance, – et nulle manifestation d’avis n’y est pour moi objection –, y ont leur place, s’ils le veulent.

Ce qu’il en est de l’ordre d’information que j’attendais des passeurs, n’est pas impossible à recueillir à côté du fonctionnement statutaire des jurys.

Ceux-ci seront mis en fonction selon la procédure antérieure, à ceci près que la conjoncture présente rend provisoirement le tirage au sort le mode de choix le moins discutable, et que ma présence que j’avais proposée réduite à la consultation, y aura voix.

Le jury d’agrément sera composé de 5 membres.

J’ai toujours été ménagé d’appels personnels, laissant jusqu’ici le champ libre aux initiatives les plus diverses, à vrai dire attendant plutôt qu’elles se manifestassent. Il faut croire que cet appel est nécessaire, puisqu’on a paru s’étonner que l’année dernière pour les séminaires de textes, il n’ai pas été vain.

Je m’adresse aujourd’hui à tous pour une réflexion mûrie et une compétition heureuse. Ce texte, tel qu’il est, jeté pour vous cette semaine et où vous n’avez à voir que mon cœur à l’ouvrage, vous sera à tous distribué. C’est le signe de ma confiance.

La date à fixer de notre prochaine réunion dépend de vos réponses. Ayez la bonté de les ajourner, pour que les choses reprennent leur juste place.

 

Ce discours a duré 55 minutes. Le président de la séance, Xavier Audouard annonce : « La séance est levée ».



*. Le texte source indique le ri.