Lettre de Piera Aulagnier à Jacques Lacan et sa réponse, parues dans Analytica, n° 7, 1978, p56-57.

Paris, le 13 février 1968

Cher Monsieur,

Vous m’avez demandé de mettre par écrit la réponse verbale que je vous ai donnée, lors de notre entretien d’hier, au sujet de la lettre que vous m’avez remise – ce que je fais bien volontiers.

Vous avez souhaité, au lendemain de ma désignation par tirage au sort, que je vous donne dans la semaine une réponse résumant dans ses grandes lignes « ma position de départ » :ce que j’ai fait par ma lettre du 6 février.

J’y ai énoncé quels étaient selon moi les critères que le Jury pourrait provisoirement choisir comme base de départ pour ses activités. J’ai ajouté de façon claire que ces critères (comme ceux qui pourront être formulés par chaque membre du Jury) doivent, comme première condition à leur éventuelle application, être soumis à l’approbation de l’ensemble des membres désignés, et cela pour la raison évidente que si le Jury, quelle que soit sa constitution, ne peut arriver à s’accorder sur un premier projet de travail il ne pourra simplement pas fonctionner. Je ne crois vraiment pas qu’il y ait là la moindre exigence abusive de ma part, ni la moindre velléité de réclamer un traitement de faveur, au nom d’une quelconque « minorité ».

Je pense que la procédure que je vous propose ci-après serait la plus apte à respecter et à sauvegarder les intérêts de l’École, c’est pourquoi j’espère très vivement qu’elle obtienne votre accord.

1. Avant toute officialisation les analystes tirés au sort devraient répondre à votre demande, i.e. préciser leur « position de départ ».

2. Ils devraient prendre connaissance de leurs réflexions respectives et juger si leur collaboration peut être fructueuse et répondre à ce que l’École est en droit d’attendre (ceci dans une réunion en votre présence).

3. Si cette rencontre démontrait à tel ou tel des analystes désignés que les divergences sont trop profondes, il ne pourrait que céder sa place à un autre : la tâche que le Jury doit assumer exige que la première mise en forme des critères qui guideront son travail soit acceptée et respectée par la totalité de ses membres.

4. Si de cette rencontre résultait la mise au clair d’un projet commun, ce projet devrait à ce moment être soumis au vote des A.E.. Leur éventuel accord donnera ainsi à ce Jury la possibilité de fonctionner au nom d’une responsabilité collective.

Je persiste à croire qu’il serait non seulement utile mais indispensable que les A.E. soient pour cette occasion consultés, non pas simplement en tant que membres de l’École, mais en tant que groupe auquel vous avez donné le droit de revendiquer une responsabilité spécifique et par là le devoir d’en assumer les conséquences. C’est pourquoi une réunion préalable à leur niveau (réunion qui ne porte aucun préjudice aux droits des A.M.E. à se prononcer dans un deuxième temps sur les décisions qui pourront être prises) me paraît nécessaire.

Croyez à mon amitié.

P. Aulagnier-Spairani

 

P.S. Vous avez eu la gentillesse de m’informer que votre lettre a été par vous communiquée au Directoire : je vous demanderais de bien vouloir lui donner connaissance de ma réponse.

 

Lettre de Jacques Lacan à Piera Aulagnier du 14 février 1968

Ma chère Piera,

Croyez-moi sensible à ce que vos réponses se distinguent par leur précision. C’est pourquoi je souhaite qu’elles débouchent sur une collaboration.

Je vous le montre en entérinant que dans la dernière vous mainteniez en clair que votre acceptation n’est que conditionnelle.

J’en ai communiqué par ce même courrier le texte aux membres du Directoire avec celui du présent billet.

J’attends les autres réponses pour réunir ce Jury : temps à prendre.

Croyez-moi vôtre.

Ce 14.2.68 J.L.


Parue dans : François Perrier, La Chaussée d’Antin, Paris, Albin Michel, 1994, p. 204.

 

(204)Mon cher Perrier,

 

Merci de votre hommage[1] – généreux.

Un instant néanmoins : pour qui fais-je cet effort ? Oui pour qui, croyez-vous.

Puisqu’enfin je sais que je n’attendais pas moins de vous. Pourquoi voulez-vous que je n’attende pas – plus.

 

Vous avez, je pense, entendu mon accueil…

 

Vôtre

Lacan

ce 29 (!) II 68



[1]. Fait référence à une lettre dont on n’a pas la trace.