Intervention dans la discussion après l’exposé de J. Rudrauf : « Essai de dégagement du concept psychanalytique de psychothérapie », à propos également de l’exposé de J.-C. Schaetzel, la veille : « Casque de Bronze ». Parue dans les Lettres de l’École freudienne de Paris, n° 7, mars 1970, pp. 135-137.

(135)Discussion :

 

G. Michaud – Je veux reprendre un petit point de l’exposé de Rudrauf, à savoir ce qui s’est passé entre Bruno et Casimir au moment où il a parlé de contagion et même de contagion hystérique. Je pense que l’on peut dire que dans un collectif où il existe des phénomènes à un niveau immédiat, surtout chez des borderlines, quand il se produit des phénomènes de contagion ou d’agitation, on a remarqué, et ceci permettrait d’embrancher sur les événements de mai, que chez certains schizophrènes pouvaient se produire des impulsions, comme la défenéstration dont il a parlé. Il me semble que l’on peut dire qu’il y a quelque chose qui communique à partir du moment où dans le contexte du collectif quelque chose change dans les positions du psychothérapeute ou des gens de l’équipe, que quelque chose change des personnages sur lesquels un certain nombre des schizophrènes ont pu projeter une image de leur corps morcelé. Au moment de mai, il y a eu des phénomènes de ce genre, dans des institutions où beaucoup de choses se sont passées, et sur certains borderlines la restructuration a été très manifeste ; cela s’est vu dans les psychothérapies – sur certains autres cela a été tout à fait le contraire.

On peut poser la question : qu’est-ce qui se passe au niveau du fantasme ambiant, du fantasme collectif ? Il faudrait qu’on reparle de la possibilité de ce qu’il en est de l’objet a dans un collectif, et ce serait peut-être une façon de reprendre ce que disait Melman : est-ce qu’on peut parler de l’objet a du psychotique ? Je pense pour ma part que quelque chose se passe dans le collectif à partir du moment où on touche au manque, à la barre, à la coupure. Les événements de mai ont mis cela au premier plan.

 

J. Oury – Hier un certain problème a été esquivé concernant la position du psychanalyste à l’hôpital. On a présenté comme une prouesse qu’un malade n’ait pas été mis à l’asile, terme correspondant hélas encore à la structure actuelle de certains hôpitaux psychiatriques.

Mais la tâche même d’une société psychanalytique est d’envisager que la psychanalyse n’est pas simplement destinée à l’approche du malade hors asile. Rudrauf justement présente l’esquisse d’une possibilité de travail analytique au sens le plus rigoureux du terme, dans un contexte combien difficile, à l’intérieur d’un hôpital, mais selon une dimension strictement analytique.

Son exposé fait entrevoir combien c’est un faux problème de distinguer l’intérieur de l’asile et l’extérieur qui serait d’une certaine pureté. Tout ce qu’a dit Rudrauf relève précisément de cette théorie que les analystes ont à faire concernant ce qu’il en est du champ analytique à l’intérieur des hôpitaux.

 

J. Lacan – Il y a certainement lieu d’illustrer à ce propos une théorie de la signification des frontières. Ces frontières en apparences géographiques (le franchissement d’un portail) se recouvrent avec d’autres frontières ; et ce qu’il y a de singulier, et exige des petites connaissances topologiques, c’est que ce n’est pas la façon en quelque sorte spatiale dont on la franchit, qui détermine effectivement le sens réel dans lequel ça se passe.

Pour revenir à l’observation de Schaetzel hier, il est certain que ce cas on l’a rendu psychotique, car en fin de compte le premier psychothérapeute en a fait une psychose, ce qui ne veut pas dire qu’il a fait des fautes, mais que cela est lié à la façon dont il a franchi la frontière de la psychothérapie : on l’a amené par les oreilles à un moment particulièrement sensible, qui était celui où il se dérobait devant l’initiation sexuelle, et la façon dont il est passé de là à la psychothérapie en a fait incontestablement, un objet.

Dans chaque contexte, l’objet a est fort difficile à manier ; mais si on ne lui donne pas cette fonction et cette position qui permet d’en assurer la polyvalence dans la multiplicité des situations, on risque toujours de manquer quelque chose d’essentiel parce qu’on lui donne un corps trop intuitif. Il l’a été bien manifestement lui-même depuis toujours, ce sujet dont a parlé Schaetzel, comme c’est le drame d’un secteur important de la population infantile : son rôle a été réduit à la fonction d’un objet a dans le désir d’un certain nombre de personnes, et quand il se trouve que ce sont les personnes qui devraient remplir un tout autre rôle auprès de lui, à savoir les parents, ça donne des drames. Il est quand même difficile de dire que nous ne pouvons rien faire tourner autour de ce pivot de l’objet a, quand il s’agit de la psychose.

Votre cas a franchi une certaine frontière dans un sens ravageant ; c’est la même frontière et en apparence dans le même sens franchie, qui fait que Bruno fait quelque chose un jour, que Rudrauf attrape au vol, et qui permet une évolution toute différente.