Paru dans Scilicet n° 2/3 Seuil Paris 1970 page 49

(49)Adresse du jury d’accueil à l’assemblée avant son vote (le 25 janvier 1969)

Il y a la psychanalyse et il y a l’École.

À distinguer en ceci que l’École se présente comme une personne morale, soit comme tout autre corps : qui se soutient de personnes, elles physiques et un peu là.

La psychanalyse par contre est fonction de l’ordre du sujet, lequel se démontre dépendre de l’objet qui, ce sujet, le refend.

Peser les personnes, énonciation dont on n’aurait osé espérer l’impudence, est le moyen le plus impropre au recrutement du psychanalyste, qui fonctionne même à partir d’une personne de peu de poids. C’est pourtant ce qui s’est fait, Dieu sait comment ! jusqu’à ce jour.

Ce que met en cause la proposition du 9 octobre 1967, c’est de savoir si la psychanalyse est faite pour l’École, ou bien l’École pour la psychanalyse.

D’un côté la réponse brouille les traces à des exploits de bel esprit sur le dévouement à Lacan, soit à la personne de son auteur.

D’un autre côté, on argumente comme si, dans l’École, les personnes n’étaient pas déjà là, comme on dit : en titre, et bel et bien.

Or c’est ce dont la proposition tient compte. Car si elle va à décider de ce que l’École produise ou non du psychanalyste, elle ne méconnaît pas que la psychanalyse ne se produit pas sans moyens, qui ne vont pas sans de personnes se composer, ni sans, avec elles, composer.

La théorie de la formation, avons nous écrit, est absente. Qu’on lise le texte : elle est dite absente au moment qu’il ne faudrait pas, et nulle (50)contradiction à ajouter que c’est au moment où se résout une psychanalyse. Il faut bien, bien ou mal, en effet que le pas se résolve, pour quoi l’on se résout en fait à se passer de l’examen de la psychanalyse.

Faudrait-il pour autant contester les personnes, soit les situations acquises ? Ce serait se priver de l’acquis des situations, et c’est ce que la proposition préserve.

À en partir, nul n’est contraint de se soumettre à cet examen d’un moment, qu’elle marque comme la passe : ceci parce qu’elle le redouble d’un consentement à cet examen même, lequel elle pose comme épreuve de capacité à prendre part à la critique comme au développement de la formation.

C’est cette liberté même qui impose la sélection d’un corps dit A.E. Et s’il est ainsi confluent au corps existant déjà sous ce titre, c’est qu’il n’y a aucune raison de refuser à ce corps la capacité dont la nouvelle sélection se motive.

Il y a tout lieu au contraire qu’il en reçoive ici l’hommage.

Que cet hommage, tel le décline, pourquoi pas ? Qu’on applaudisse cette démission comme un défi, nous rappelle que la démagogie ne saurait être unilatérale. Il y faut aussi un public – ceci prouve qu’il ne manque pas.

Mais n’empêche pas qu’il faille s’en remettre à lui pour trancher des mérites des candidats à un premier jury.

En l’absence, oui, en l’absence de toute pratique d’un tel accès qui ne relève du pèse-personne, l’assemblée choisit ceux qui auront à en trouver une différente.

C’est faire fonds, Lacan l’a dit, sur l’esprit de la psychanalyse, qu’il faut bien censer pouvoir se manifester par vous, puisqu’on ne peut l’attendre ailleurs.

De toute façon il faudra bien que vous en passiez par l’attribution à certains de fonctions directives, pour obtenir une distribution prudente de votre responsabilité collective. C’est un usage qui peut se discuter en politique ; il est inévitable dans tout groupe qui fait état de sa spécialité au regard du corps social. À ce regard répond l’A.M.E.

Ces nécessités sont de base. Elles pèsent même in absentia pour employer un terme de Freud. Simplement, in absentia, elles se déchaînent dans tous les sens du mot.

Or le temps court et d’une sorte qui exclut qu’on continue de s’en tirer par des valabrégags.

C’est pourquoi les « principes concernant l’accession au titre de psychanalyste dans l’École freudienne de Paris », repris de la proposition du 9 octobre par le jury d’accueil, sont présentés au vote de l’assemblée sans un changement.

(51)Sur l’avis du directeur, l’assemblée votera en versant à l’urne un bulletin où s’alignent, de gauche à droite dans l’ordre du moindre assentiment, chacun des trois projets qui lui sont présentés : soit A, celui du jury d’accueil, B, celui de la liste que P. Alien se trouve alphabétiquement ouvrir, C, celui d’Abdoucheli.

Ce mode de vote dit préférentiel est un test au sens où il permet de se produire (dans 9% des cas pour un groupe de votants aussi étendu que le nôtre) à l’effet Condorcet.

On sait que cet effet désigne le résultat inconsistant, où un choix dominant un autre et celui-ci un troisième, le troisième domine néanmoins le premier, ce qui exclut d’en rien conclure.

Il serait ici signifiant redoutablement d’une carence de ce que nous avons appelé l’esprit de la psychanalyse.

K. J. Arrow, pour se référer à un autre ordre, celui d’une détermination logique de l’intérêt général, a démontré qu’hors l’unanimité, celui-ci ne saurait se déterminer que de l’opinion d’un seul.

Un corps constitué, quel qu’il soit, peut se permettre d’ignorer tout de la logique et de lui substituer le psychodrame par exemple.

Ceci n’empêche pas la logique de tourner, et de faire tourner ce corps avec elle, pour ou contre ses aises.