Coll. Points Seuil 1970, p.7-12.

(7)A quelqu’un, grâce à qui ceci est plutôt signe…

Un signifiant qui donne prise sur la Reine, que soumet-il à qui s’en empare ? Si la dominer d’une menace vaut le vol de la lettre que Poe nous présente en exploit, c’est dire que c’est à son pouvoir qu’il est passé la bride. À quoi enfin ? À la Féminité en tant qu’elle est toute-puissante, mais seulement d’être à la merci de ce qu’on appelle, ici pas pour des prunes, le Roi.

Par cette chaîne apparaît qu’il n’y a de maître que le signifiant. Atout-maître : on a bâti les jeux de cartes sur ce fait du discours. Sans doute, pour jouer l’atout, faut-il qu’on ait la main. Mais cette main n’est pas maîtresse. Il n’y a pas trente-six façons de jouer une partie, même s’il n’y en a pas seulement une. C’est la partie qui commande, dès que la distribution est faite selon la règle qui la soustrait au moment de pouvoir de la main.

Ce que le conte de Poe démontre par mes soins, c’est que l’effet de sujétion du signifiant, de la lettre volée en l’occasion, porte avant tout sur son détenteur d’après-vol, et qu’à mesure de son parcours, ce qu’il véhicule, c’est cette Féminité même qu’il aurait prise en son ombre.

Serait-ce la lettre qui fait la Femme être ce sujet, à la fois tout-puissant et serf, pour que toute main à qui la Femme laisse la lettre, reprenne avec, ce dont à la recevoir, elle-même a fait lais ? « Lais » veut dire ce que la Femme (8) lègue de ne l’avoir jamais eu : d’où la vérité sort du puits, mais jamais qu’à mi-corps.

Voici pourquoi le Ministre vient à être châtré, châtré, c’est le mot de ce qu’il croit toujours l’avoir : cette lettre que Dupin a su repérer de son évidence entre les jambes de sa cheminée de haute lisse.

Ici ne fait que s’achever ce qui d’abord le féminise comme d’un rêve, et j’ajoute (p. 52) que le chant dont ce Lecoq voudrait, en le poulet qu’il lui destine, faire son réveil (« un destin si funeste… »), il n’a aucune chance de l’entendre : il supportera tout de la Reine, dès lors qu’elle va le défier.

Car la Reine redevenue gaie, voire maligne, ne fera pas pièce à sa puissance de ce qu’elle l’ait, sans qu’il le sache, désarmée, – en tout cas pas auprès du Roi dont on sait, par l’existence de la lettre, et c’est même tout ce qu’on en sait, que sa puissance est celle du Mort que chaque tour du jeu amincit.

Le pouvoir du Ministre s’affermit d’être à la mesure du masochisme qui le guette.

En quoi notre Dupin se montre égal en son succès à celui de psychanalyste, dont l’acte, ce n’est que d’une maladresse inattendue de l’autre qu’il peut venir à porter. D’ordinaire, son message est la seule chute effective de son traitement : autant que celui de Dupin, devant rester irrévélé, bien qu’avec lui l’affaire soit close.

Mais expliquerais-je, comme on en fera l’épreuve du texte qui ici garde le poste d’entrée qu’il a ailleurs, ces termes toujours plus, moins ils seront entendus.

Moins entendus des psychanalystes, de ce qu’ils soient pour eux aussi en vue que la lettre volée, qu’ils la voient même en eux, mais qu’à partir de là ils s’en croient, comme Dupin, les maîtres.

Ils ne sont maîtres en fait que d’user de mes termes à tort et à travers. Ce à quoi plusieurs se sont ridiculisés. Ce sont les mêmes qui m’affirment que ce dont les autres se méfient, c’est d’une rigueur à laquelle ils se sentiraient inégaux.

(9)Mais ce n’est pas ma rigueur qui inhibe ces derniers, puisque ses pièges n’ont d’exemple que de ceux qui m’en font avis.

Que l’opinion qui reste Reine, m’en sache gré, n’aurait de sens que de lui valoir ce livre de poche, vademecum qu’on l’appelait dans l’ancien temps, et rien de neuf, si je n’en profitais pour situer ce qu’elle m’apporte de mes Écrits comme bruit.

Je dois me persuader qu’ils ne soient pierre dans l’eau qu’à ce qu’elle en fût déjà l’onde, et même l’onde de retour.

Ceci m’est rendu tangible de ce que ceux ici choisis, me semblent épaves tombées au fond. Pourquoi m’en étonnerais-je ? quand ces Écrits, ce n’est pas seulement recueillis qu’ils furent en mémoire de rebuts, mais composés qu’ils ont été à ce titre.

Répétant dans leur sort de sonde, celui de la psychanalyse en tant qu’esquif gobé d’emblée par cette mer.

Drôle de radoub que de montrer qu’il ne nage bien qu’à atterrir.

Car c’est un fait d’histoire : mettez à son banc une chiourme éprouvée d’ahaner à la voix, et la psychanalyse s’échoue, – au soulagement des gens du bord. Jamais aucun progressisme n’a fait mieux, ni d’une façon si sûre à rassurer, ce qu’il faut faire tout de suite.

Bref on lira mon discours dit de Rome en 1953, sans que puisse plus compter que j’aie été strictement empêché, depuis le terme mis en France aux plaisirs d’une Occupation dont la nostalgie devait encore la hanter vingt ans par la plume si juste en son exquisité de Sartre, strictement barré, dis-je, de toute charge, si mince fût-elle, d’enseignement. L’opposition m’en étant notifiée comme provenant d’un Monsieur Piéron dont je n’eus au reste aucun signe direct à moi, au titre de mon incompréhensibilité.

On voit que je l’étais de principe, car je n’avais eu l’occasion de la démontrer qu’aux plus banaux de ses entours, et ce que j’avais écrit alors, n’était nullement abstrus (si peu que je rougirais de republier ma thèse, (10)même si elle ne relève pas de ce que l’ignorance alors enseignante tenait pour le bon sens en l’illustrant de Bergson).

Je voudrais qu’on me crédite de ce que ce retard qui me fut imposé, de huit ans, me force à pousser, tout au long de ce rapport, d’âneries, soyons exact : de paulhaneries, que je ne puis que hihaner pour les oreilles qui m’entendent. Même le cher Paulhan ne m’en a point tenu rigueur, lui qui savait jusqu’où « Kant avec Sade » détonerait dans son bestiaire[1] (cet Écrit est ici absent).

Le ménage n’est jamais bien fait que par qui pourrait faire mieux. Le tâcheron est donc impropre à la tâche, même si la tâche réduit quiconque à faire le tâcheron, J’appelle tâche ranger ce qui traîne.

Énoncer que l’inconscient s’est rencontré d’abord dans le discours, que c’est toujours là qu’on le trouve dans la psychanalyse, ce peut nécessiter qu’on l’articule avec appui, s’il en faut le préliminaire : avant qu’il vienne comme second temps que le discours lui-même mérite qu’on s’arrête aux structures qui lui sont propres, dès que l’on songe que cet effet ne semble pas y aller de soi.

C’est une idée qui se précise de relever ces structures mêmes, et ce n’est nullement s’en remettre aux lois de la linguistique que de les prier de nous dire si elles s’en sentent dérangées.

On doit s’habituer au maniement des schèmes, scientifiquement repris d’une éthique (la stoïcienne en l’occasion), du signifiant et du lektñn. Et aussitôt on s’aperçoit que ce λεκτον ne se traduit pas bien. On le met en réserve, et on joue un temps du signifié, plus accessible et plus douillet à ceux qui s’y retrouvent, dans l’illusion qu’ils pensent quoi que ce soit qui vaille plus que tripette.

Le long de la route, on s’aperçoit, avec retard heureusement, c’est mieux de ne pas s’y arrêter, que s’élèvent des protestations. « Le rêve ne pense pas… », écrit un professeur fort pertinent dans toutes les preuves qu’il en donne. (11)Le rêve est plutôt comme une inscription chiffonnée. Mais quand ai-je dit quoi que ce soit qui y objecte ? Même si au chiffonné, je n’ai, selon ma méthode de commentaire qui s’astreint à s’en tenir aux documents, fait sort qu’au niveau de la girafe que le petit Hans en qualifie.

Outre que cet auteur ne saurait même avancer les faits dont il argue qu’à tenir pour établi ce que j’articule du rêve, soit qu’il requière un support textuel, ce que j’appelle proprement l’instance de la lettre avant toute grammatologie, où peut-il prendre que j’aie dit que le rêve pense ? Question que je pose sans m’être relu.

Par contre il découvre que ce que j’inscris comme effet du signifiant, ne répond nullement au signifié que cerne la linguistique, mais bel et bien au sujet.

J’applaudis à cette trouvaille d’autant plus qu’à la date où paraissent ses remarques, il y a beau temps que je martèle à qui veut l’entendre, que le signifiant (et c’est en quoi je le distingue du signe) est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant.

Je dis à qui veut l’entendre, car une telle articulation suppose un discours ayant déjà porté des effets, effets de lektñn précisément. Car c’est d’une pratique de l’enseignement où se démontre que l’insistance de ce qui est énoncé, n’est pas à tenir pour seconde dans l’essence du discours, – que prend corps, quoique je l’aie pointé de ce ressort dès sa première sortie, mon terme du : point de capiton. Par quoi lektñn se trouve traduit à mon gré, sans que je m’en targue, étant plutôt que stoïcologue, stoïque d’avance à l’endroit de ce qui pourra s’en redire.

Ce n’est pas pour autant aller aussi loin que je pourrais dans ce que m’apporte ma parution en livre de poche. Elle tient pour moi d’un inénarrable que seul mesurera un jour un bilan statistique d’un matériel de syntagmes auxquels j’ai donné cours.

J’ai fourni de meilleurs emboîtages tout un marché de la culture. Mea culpa.

Il n’y a pas de métalangage. Cette affirmation est possible de ce que j’en aie ajouté un à la liste de ceux qui courent les champs de la science. Elle sera justifiée, s’il produit l’effet dont s’assurera que l’inconscient EST un discours.

Ce serait que le psychanalyste vienne à en être le lektñn, mais pas démoli pour autant.

Que le lecteur du livre de poche se laisse prendre au jeu que j’ai célébré à moi tout seul, à Vienne d’abord, puis à Paris, en l’honneur de la Chose freudienne pour le centenaire de Freud. S’il s’anime de la rigolade pincée, dont l’a accueilli mon auditoire d’alors, il saura qu’il est déjà de mes intimes et qu’il peut venir à mon École, pour y faire le ménage.

… de quelque chose à lire de ce 14. XII. 69.



[1] La N.R.F., un n. fût-il redoublé dans son sigle