Intervention sur l’exposé de Ch. Melman : « Propos à prétention roborative avant le congrès », Congrès de l’école Freudienne de Paris à Paris le 19 avril 1970, publié dans Lettres de L’école Freudienne 1971 n° 8 pages 193-204.

Ch. Melman. – Argument […]

 

(199)Débats :

 

O. Mannoni. – On a parlé assez souvent imprudemment de la vérité. Comme analyste ils sont dans le champ de la vérité, mais la vérité elle-même n’est pas dans le champ. Le fait qu’elle commande ne nous permet pas de mettre la main dessus.

 

Lacan.– Ça l’a lui aussi beaucoup chiffonné, l’usage qu’on a fait du mot vérité.

 

[…]

(201)Kaufmann.– Quelque chose n’arrive pas à s’expliciter, à savoir qu’il y a quelque chose que l’assistance appelle enseignement et qu’elle trouve intéressant, voire amusant (l’enseignement de Lacan) et il y a quelque chose qui paraît décevoir (ce qui est professé et publié par Leclaire à Vincennes).

Il semble que l’origine de ce malaise se trouve dans le fait que le discours de Leclaire est considéré comme un discours sur la psychanalyse, correspondant à un enseignement de la psychanalyse. Or il est bien vrai que si on prend les œuvres complètes de Lacan, il ne s’y trouve pas grand chose pour expliquer aux gens ce qu’est la psychanalyse. Les enseignants ne savent peut-être pas assez que dans les matières littéraires la seule manière d’enseigner est de procéder par convergence et approximation, de parler à côté, chose connue depuis Platon. Dans les Écrits ou même chez Freud, ce qui se dit trouve un remploi remarquable dans bien des domaines qui en sont renouvelés sans cependant nous apporter le moindre élément de représentation. Dans ces Écrits on apprend des tas de choses passionnantes sur la communication, le langage des abeilles, Hegel etc. mais ce que les gens cherchent à travers un prétendu discours psychanalytique, c’est quelque chose qui se dérobe toujours.

(202)Le meilleur service que les psychanalystes puissent rendre à leurs élèves, c’est de renouveler tel ou tel domaine, de participer à l’élaboration de quelque chose comme une culture psychanalytique.

Intervention au sujet de son expérience à Trousseau avec Françoise Dolto, quelqu’un demande l’avis de Dolto sur les incidences réciproques de la théorie et de la pratique clinique.

 

Françoise Dolto.– Elle fait office dans l’assemblée présente de quelqu’un qui enseigne la pratique. Elle pense que c’est en travaillant avec un malade – sans filet – avec des assistants qui sont tous analysés, qu’eux-mêmes acquièrent une formation : ils se reposent leur propre question en même temps qu’ils lui posent à elle des questions sur ce à quoi ils assistent et sur le comportement de l’enfant qui est en face d’eux. À ce propos, F. Dolto rappelle comment se déroulent les séances à Trousseau : elle fait des traitements en public devant des analystes. Au cours des consultations en vue de traitement d’enfants, dans des familles où l’inconscient s’est noué, a disparu dans le somatique et où il y a un malaise existentiel pour telle famille, on voit parfois que le détecteur est justement l’enfant et cependant il n’est lui-même que le porte langage – et non le porte-parole, puisqu’il n’a pas de parole dans cette famille. C’est à cela que les assistants sont confrontés. Dès qu’il s’agit de questions de théorie on sait tout de suite que ce sont des pulsions de mort qui sont en jeu. Qui dit pulsion de mort dit qu’il n’est pas question de sujet puisque le sujet ne meurt jamais : les pulsions de mort, c’est l’inconscient qui se paie sur la bête et la bête a peur. Ceux qui travaillent en analyse sont des gens qui assument la peur de la bête.

 

Marc Levy répondant à Kaufmann dit que « l’à côté » de l’enseignement possède un grave danger : le cercle fermé. Par exemple à Vincennes pour parler de la théorie lacanienne et de la psychanalyse il était question de parler de Bataille, or à propos de Bataille il est possible de dire qu’on ne peut parler d’une chose qu’en en parlant à côté, donc cela impliquerait qu’il faut par exemple parler du cri ; mais du cri, seul le peintre Munch a su « parler », et seul Lacan a parlé de Munch, et ainsi le cercle se trouve fermé. Une autre voie existe qui consisterait à lire un texte comme lui-même – ayant une formation (203)talmudiste – a appris à lire les textes : il ne s’agit pas de regarder ce que contient un texte, mais de se demander pourquoi c’est écrit comme cela et pas autrement. Si on lit un texte dans cette optique – non pas en essayant de comprendre ce que ça veut dire, mais à la limite « qu’est-ce qu’à dire cela ça veut » comme disait Lacan – on peut alors avancer.

 

Lacan.– répond à Lévy à propos de « l’à côté » de Kaufmann qu’il ne pense pas pour sa part que ses Écrits soient à côté de la question.

 

Kaufmann […] conclut en disant que si les analystes veulent enseigner ils n’ont qu’à écrire des travaux de linguistique, de poétique, etc. voire même de mystique.

 

(204)Lacan : Pour sa part en tout cas il n’a jamais rien écrit de semblable ! il n’a pas écrit de traité de psychanalyse, mais il fait un cours et ne voit pas pourquoi on dénierait au cours sa fonction légitime, qu’illustrent les noms de Saussure, Mauss et Kojève. Un cours de psychanalyse est là pour recueillir les rebuts, c’est-à-dire ce que les psychanalystes ne veulent pas entendre, et qu’ils produisent cependant eux-mêmes.