« En guise de conclusion » Discours de clôture au Congrès de Paris, le 19 avril 1970, publié dans Lettres de l’École freudienne n° 8, 1971, pages 205-217. Ce discours qui est une transcription a été publié sous une forme complètement remaniée, écrite par Lacan dans Scilicet 2/3 pages 391-399.

(205)en guise de conclusion

j. lacan

Puisque, comme vous avez pu tous le constater j’ai énormément écrit, j’ai écrit tout ce qui se disait, enfin j’ai essayé, j’ai été absent à l’heure où ont parlé certains, pour des raisons futiles, ne serait-ce que la dernière qui me sert d’excuse auprès de Melman ; j’ai mis tellement longtemps à trouver un restaurant… le dimanche on n’a pas sa famille, c’est ça qui m’a mis en retard – alors j’ai manqué Melman, je le regrette beaucoup – Naturellement je n’ai pas écrit pour rien, j’ai écrit parce que ça me semble extrêmement important de recueillir tout ce qui a pu se passer pendant ce congrès. J’y ai un grand mérite ; non pas à cause de ce congrès, que je trouve moi dans le fond…, pour un congrès, plutôt satisfaisant ; il m’a ennuyé beaucoup le premier jour mais pas les deux derniers, ça ne m’est jamais arrivé. Ce n’est pas du tout que ce qui s’est dit le premier jour fût indifférent ou futile ; je dis qu’il m’a ennuyé, ça veut dire qu’il maintenait la place de ce qui m’habite le plus souvent, à savoir le désir d’autre chose. Je souligne que je ne suis pas là pour donner des bons points et que je prie ceux qui justement le premier jour ont pris une peine énorme pour me faire porter intérêt à ce congrès, enfin je vois ça de mon point de vue, je ne suis pas en train de dire certes rien de défavorable pour eux, je ne dirai d’ailleurs non plus rien de favorable pour quiconque, tout ce que je peux dire c’est que je remercie ceux qui, bien sûr il a fallu qu’on s’échauffe, on y a mis le temps, ceux qui se sont, comme on dit, comme ça doit se dire, exposés.

voilà, comme l’a très bien fait remarquer le cher Nemo qui est là, marquant une place d’espoir – à quand viendra le Nemo dont nous avons besoin ? – ce ne sera pas forcément lui, mais enfin il a quand même une chance, il a l’air d’un bébé, ça laisse de l’espoir – comme il l’a très bien fait remarquer ce congrès était intitulé, comme on dit, comme on l’a articulé plus d’une fois, intitulé c’est de ça que je parle, intitulé : de l’enseignement. Là je peux dire qu’il n’a pas complètement manqué à sa fin puisque, à moi tout au moins, il m’a enseigné beaucoup. C’est un enseignement, ce congrès. Ça ne veut pas dire (206)pour cela qu’on a mieux parlé de l’enseignement qu’ailleurs ; il y a une chose frappante c’est la façon dont on a conjugué la fonction, si tant est que ce terme mérite d’être employé, la fonction de l’enseignement avec ce je ne sais quoi dont il aurait la charge, et qui serait le savoir. C’est curieux, c’est curieux parce que, à vrai dire, ça ne va pas de soi. Tout le monde semblait, justement au niveau de la contestation de l’enseignement, pouvoir prendre pour visée que l’enseignement c’est fait pour véhiculer le savoir. Les choses en sont à ce point, n’est-ce pas, de crétinisation générale que cette chose, enfin que, même pour le plus humble, croyez bien que j’entends ce mot sans du tout adhérer à cette humilité, le plus humble des pédagogues, sait que c’est peut-être pas ça du tout la fonction de l’enseignement. Le savoir est déjà là, foisonnant, avant que quoique ce soit comme ça s’instaure, qui s’institue de l’enseignement. Rien ne dit à l’avance que l’enseignement ne soit pas là pour barrer le savoir, par exemple, enfin c’est pas joué à l’avance, mais cette question, bien sûr, personne ne l’a soulevée. Je ne dis pas que ça nous aurait conduit à des choses lumineuses mais enfin, je ne sais pas, que l’enseignement puisse servir à toute autre chose, que justement tout le monde est en train de dire pour l’instant que l’enseignement ça serve à faire vivre l’université et que l’université serve à protéger la société, qu’on la qualifie de bourgeoise ou pas, je me demande s’il y en a une autre, enfin de notre temps, merde, la contre-société, comme elle dit, l’autre, la chère amie, Kriegel qu’elle s’appelle, la contre-société que serait le Parti, je n’ai jamais vu d’endroit où les valeurs bourgeoises soient plus solidement instituées que dans le Parti, permettez-moi de le dire ; si elle avait appelé ça une contre-façon de la société, ça aurait eu une portée, une contre-société en quoi je le demande.

Vous savez hein, je n’ai rien préparé, comme je vous le dis, puisque j’ai écrit tout ce que les autres racontaient, alors je fais là une petite digression, comme ça je vide mon cœur. Les rapports de l’enseignement au savoir en tout cas ne sont pas clarifiés, ils pourraient l’être très aisément si quelqu’un avait bien voulu se servir de mes petits schémas de cette année… Je dois dire que je suis surpris qu’aucun de ceux qui ont fait les exposés, je dois dire les plus tangents, n’est-ce pas, à ce qui peut en résulter, de ces schémas, aucun donc n’a cru pouvoir y recourir ; ça aurait pourtant dans certains cas rendu les choses plus aisées, et peut-être, ça leur aurait évité, je parle même aux meilleurs, aux meilleurs, j’entends dans leur exposé, dans la façon dont ils se sont exposés, ça leur aurait (207)évité certains glissements. Oubli peut-être ? Faut dire que tout le monde part de l’idée qu’il n’y a personne qui vienne à mon séminaire, à ce qu’on appelle comme ça ; il doit pourtant y en avoir un certain nombre dans l’assemblée qui pouvait être supposé les avoir déjà vus, mes schémas. Maintenant il y a quelque chose aussi à quoi je suis habitué, j’étais habitué depuis très longtemps, depuis bien avant que je me sois laissé aller, laissé glisser dans cette position d’enseignement… après la guerre j’ai vu arriver le cher Tosquelles qui m’a embrassé, comme ça par le travers, pour me dire que ma thèse leur avait servi de fil béni pour se retrouver dans les difficultés de l’hôpital psychiatrique, il y avait une paye à ce moment-là qu’elle était sortie, une sacrée paye même, l’événement que je rapporte, le petit souvenir, l’historiole se passait donc en 1945, la thèse est de 1932, il l’a découverte en 1942, j’ai l’habitude en somme qu’on mette dix ans à faire usage des choses que, je dois dire, je ne peux pas dire que je ne les laisse pas traîner, hein, je les laisse traîner à la portée de tout le monde, il y a même des gens, qui ont su très bien, enfin, en profiter, les exporter à des usages divers, je n’y vois aucun obstacle.

Mais pour reprendre ce que je veux dire de l’enseignement, il y a eu encore quelque chose sur quoi personne n’a semblé faire la moindre objection, c’est cet étrange sort qui fait le participe présent avoir son répondant dans le participe passé, aimant-aimé par exemple, dans le cas présent enseignant-enseigné, portant-porté, ça peut continuer très longtemps, c’est très curieux qu’on ne se soit pas encore aperçu qu’il n’y a que des verbes intransitifs. Il y a des actions transitionnelles, qui se transmettent, qui d’ailleurs arrivent assez rapidement à leur limite, c’est ça qui nous intéresse, mais pour le transitif, je me suis toujours étonné que le rapport de l’aimant et de l’aimé n’ait pas donné depuis longtemps l’idée qu’il n’y a pas de verbes transitifs. Pourtant j’ai dit, ça peut paraître drôle, que l’amour est un sentiment qui est toujours réciproque, j’ai dit ça comme ça en passant, entre autre chose, j’ai dit aussi que c’était un sentiment comique, s’il était transitif il ne serait pas réciproque. L’aimant, je dis qu’il est réciproque parce qu’il suscite toujours de l’aimant, mais forcément en retour. En tout cas l’idée de la relation, comme on s’est exprimé, de la relation enseignant-enseigné, c’est justement ça que nous sommes ici pour contester ; si on essayait de l’écrire, cette relation, je veux dire avec les symboles, et puis quelque chose qu’on tracerait, qui serait je ne sais pas quelle relation, si on part de l’idée que c’est la transmission du savoir, eh bien essayez de l’écrire, (208)vous m’en direz des nouvelles ; tout le monde a un petit sentiment de ça, c’est évidemment ce qu’a voulu dire Kaufmann tout à l’heure, en disant que je n’avais pas fait un cours de psychanalyse. S’il a dit ça, comme ça lui est venu, en disant que c’était par à côté, ça aurait pu servir d’axe, c’est le cas de le dire, à ce congrès, à savoir comment on se comporte à l’endroit du savoir quand on s’est mis en position d’enseignant. Il me semble que ça serait le point à établir solidement. Pour ce qui est de l’enseigné, moi je vous ai dit tout à l’heure au départ que moi je l’ai été, mais justement, c’est ça l’exemple, chacun ne peut témoigner qu’à son chef propre ; il y a eu probablement ici d’autres enseignés, je le souhaite, il n’est pas démontré que les enseignés puissent constituer une catégorie ; ils peuvent déclarer qu’ils ont été enseignés, c’est pas forcément par la voie d’un enseignement. Dans l’intervalle du temps où j’ai fait ma thèse, et puis celui où comme je l’ai déjà plusieurs fois, une fois au moins depuis le début de ce discours, dit, j’ai été aspiré dans cette posture de l’enseignant, je l’ai fait comme ça pour rappeler aux gens mon existence, et puis surtout parce que les gens me la rappelaient, le cher Delay m’a demandé, comme ça, à un moment qui était encore celui où je passais mon temps à franchir dans un sens et puis dans l’autre la ligne de démarcation, un cours sur je ne sais plus quoi, à Sainte-Anne, où j’ai fait grand état du Zen, naturellement qui est-ce qui s’en souvient qu’est-ce que ça peut foutre à quiconque que je me sois référé au Zen pour exprimer quelque chose de ce qui se passe dans la psychanalyse ; quoiqu’il en soit, c’est pas à cause d’un enseignement que tout d’un coup quelqu’un se déclare avoir été enseigné, ça peut se produire par toute sorte de choses, par un geste, par un acte, par plus d’une catégorie et, que je sache, ce qui s’est appelé longtemps et ce qui tend à disparaître, ce qui s’est appelé longtemps apprentissage, n’a jamais consisté en un cours de quoi que ce soit – je ne suis pas en train de faire l’évocation du bon vieux temps, je ne vais pas vous parler des compagnons, des apprentis, n’est-ce pas, et autres histoires périmées, mais enfin tout de même c’est pas quand même si loin, qu’on ne puisse en donner comme ça l’indication nébuleuse, c’est déjà à quelques centaines d’années-lumière, ceci puisqu’on a parlé tout à l’heure de l’autre, Lumière lui aussi –, enfin il se pourrait que ce sur quoi j’ai aujourd’hui été enseigné le plus, est quelque chose qui me rapproche d’une certaine face de l’expérience analytique justement, et que j’ai un jour épinglé du désêtre.

II est évident que je ne passe pas mon temps dans le désêtre. Pour sortir pendant 16 ans tous les huit jours ce que j’ai (209)sorti, je ne peux pas me permettre d’être dans le désêtre, je travaille vachement et à la vérité c’est de ça que je sortais au moment où le congrès s’est ouvert, j’ai fait dans ces 48 heures dernières une bonne petite crise de désêtre et en particulier d’ailleurs sur ceci que je me suis aperçu qu’il y avait là une sorte de malentendu, j’ai écrit ça dans la proposition, comme ça, après des vacances qui n’étaient pas spécialement de désêtre, mais enfin qui étaient tout à fait alors occupées à autre chose, si tant est que je puisse m’en détacher jamais, que mon enseignement. Le mot désêtre m’est venu dans la proposition, je n’ai pas été la regarder (pour cette occasion), mais seulement dans un second temps, après le terme de destitution subjective qui est employé très proprement comme constituant ce qu’il en advient de l’analyste, dans le texte de la psychanalyse en tant que ce texte c’est le psychanalysant qui en est le support, – le fait que j’aie rendu général, il faut le dire, tout de suite, dans les huit jours, l’usage du mot (ceci jusque dans les instituts éloignés), l’usage du mot psychanalysant à la place du psychanalysé, il faut croire que ça avait une certaine résonance, mais ça n’a pas fait réfléchir, je veux dire personne, sur les rapports du participe présent au participe passé, il faut le croire, d’où il reste cette ambiguïté qu’on croit peut-être que j’ai retourné le psychanalysé comme une peau de lapin ; ce n’est pourtant pas tout à fait ça que je voulais dire ; si on s’en était aperçu on aurait usé certainement autrement du rapport de l’enseignant à l’enseigné –, bref, après cette destitution subjective je parle de désêtre, je n’aurais pas du tout été étonné bien sûr qu’au lieu de m’aboyer après comme ça s’est produit dès que je l’ai proféré devant un cercle de mon École limité à ceux qui étaient bel et bien titularisés, on me demande : qu’est-ce que vous en foutez de ce désêtre, qu’est-ce que ça veut dire ? Rien du tout, rien du tout, tout le monde s’est mis aussitôt à s’en servir comme s’il n’avait jamais eu que ça dans sa poche de toute sa vie, ça a ouvert, fermé le désêtre, tordu le désêtre, enfin il y avait dans le désêtre dont tout le monde parlait autant de lames qu’à ce petit couteau, il y en a une grande quantité.

Alors là-dessus je me suis peu à peu aperçu que l’usage du mot glissait, à savoir qu’on croyait que c’était la fin de la psychanalyse de choir dans le désêtre. Vraiment à quoi bon, alors j’ai cru devoir délicatement rectifier et dire écoutez : désêtre, c’est le désêtre du psychanalyste à la fin d’une psychanalyse, c’est de là que part le fait que l’autre jour la chère Irène a cru devoir réprimander Tostain d’avoir imputé au passant ce désêtre. Tostain a maintenu son point de vue mordicus, en (210)quoi chère Irène il avait raison, puisque, justement, ce qu’il en est de la passe, c’est de savoir comment quelqu’un qui justement ne l’est pas, à la fin de l’analyse, dans le désêtre – c’est bien pour ça qu’il y a passe de son côté – peut délibérément s’offrir au sort, et cent et mille fois renouvelé, qui sera celui dont il sait que c’est de son opération à lui, le psychanalysant, que c’est justement de là que part ce qui vient en quelque sorte d’être au psychanalyste infligé.

En sorte que, vous voyez, il s’agit là de rapports, de relations qui pour pouvoir s’écrire plus aisément que celle de la transmission du savoir, n’en sont pas moins à soutenir, justement, à soutenir au niveau de la relation, et là-dessus quelqu’un qui, que je sache, ne s’est jamais distingué par un zèle de théoricien particulier, le cher Abdoucheli, s’est amené tranquillement comme ça, je ne dirai pas du tout avec ses gros sabots, mais avec une savate fort leste et a fait remarquer que le désêtre n’avait peut-être pas beaucoup de rapport avec ce qu’on évoquait à cette occasion et qu’en tout cas, il ne saurait convenir à aucun psychanalyste dans aucun de ses fonctionnements étrangers à l’analyse même, de vivre dans le désêtre si je puis dire. Il semble qu’il y avait là un glissement, mais d’une nature fort douteuse, du désêtre, je dirai, au désintéressement par exemple. Je ne pense pas que jamais personne ait songé à faire ce glissement et cette synonymie, ça aurait été une nouveauté de ce congrès que de l’introduire.

Puisque j’ai parlé de mes petits schémas, je ne veux pas moi-même me livrer à la même dérobade, si on essayait comme ça, à se tenir, à se limiter à ce que j’ai mis cette année en fonction, en fonction tournante au quart de tour, si on essayait de poser la question : où est-ce qu’il est ? Qu’est-ce qui le symbolise ? Je suis fatigué à un point, vous ne pouvez pas imaginer, même pour me lever, mais enfin je vais quand même aller moi-même au tableau parce que, je ne peux pas demander à quelqu’un de le faire à ma place, alors ne nous fatiguons pas, je ne suis pas entrain de vous faire un séminaire, je vais vous donner des supports de réflexion ; je vais dire tout de suite de quoi il s’agit : partout où est le S, dans ce que j’appelle mes petites formules à quatre pattes, je ne dis pas partout où est le S il y a de l’enseignant, mais il ne peut y en avoir que là. Et dès qu’on y a pensé, vous savez il suffit d’y penser, hein, c’est comme l’œuf, et dès qu’on y a pensé, c’est évident. Prenez par exemple le schéma du discours universitaire, où est-ce qu’il est le S dans le discours universitaire ? Au niveau de la production. Ça a déjà un avantage,

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ça met sur la bonne voie, au lieu de partir de l’idée que le discours universitaire, sous prétexte qu’on est encore dans cette confusion entre le discours et la parole et ceci quoique j’aie pu dire : j’ai parlé de discours sans parole, mais ça n’empêche pas, la parole et le discours se sont entremêlés d’une façon inextricable pendant tout ce congrès, il y avait vraiment pas moyen d’en sortir – l’avantage de ce schéma, pour peu qu’on y ajoute à l’occasion quelques autres petits symboles, enfin, tel que, ça suffit bien à montrer qu’il n’y a pas de barre de relation à l’étage inférieur : il faut que tout passe dans le sens de la flèche : ça veut évidemment dire que le rapport est en effet d’un savoir à quelque chose dont nous aurons peut-être à reparler tout à l’heure, le a, et dont j’ai tout de même indiqué qu’il n’est pas sans rapport avec ce que j’ai cru devoir appeler l’astudé, ce n’est pas tout à fait la même chose que l’enseigné, parce que les résonances du mot astudé ont été choisies comme ça, j’ai fait ce que j’ai pu, ça résonne plutôt du côté de l’astreindre, ou de la stupidification, enfin c’est évidemment sous cette forme que se manifeste, à l’état pur, l’étudiant quand il arrive ce qui vient d’arriver, à savoir que ça grippe dans la machine. On devrait en tenir compte, évidemment il ne vient pas de n’importe où, il a été produit comme ça à un autre stade de la petite machine tournante, mais, laissons-le de côté pour l’instant, il y a une chose certaine c’est qu’au lieu de se gripper sur le fait qu’il s’agit avec ça de faire des cadres ou n’importe quoi qui peut rendre service à la société qu’on ferait mieux d’appeler capitaliste que bourgeoise, parce que bourgeoise ça mérite quelques précisions, c’est ce que j’ai essayé d’indiquer tout à l’heure, c’est là qu’on pourrait voir ce qui est tout à fait clair, c’est que quand on entre dans l’université, au niveau supérieur, c’est ce dont je me suis intéressé de raviver le brillant en rappelant que ça s’appelait de tout temps l’instruction publique, au niveau supérieur, la production c’est des enseignants.

La question donc qui est à poser c’est à savoir si ceci au niveau de ce discours est destiné à assurer une plus-value ou un plus-de-jouir, puisque c’est de l’oscillation entre ces deux fonctions que dépend ce qu’il en est toujours et en chaque cas de ce que j’ai désigné du symbole de l’objet a. (212)Peut-être, peut-être, ce n’est pas tranché, mais assurément c’est vraisemblable, plus-value du savoir, mais en quel sens encore faut-il entendre ici plus-value ? Vous voyez ce que ça ouvre ; ça ouvre en tout cas des chapitres, des têtes de chapitres aspirantes ; ça éveille des catégories qui ne se réduisent pas forcément à celles qu’on agite, enfin j’ai entendu parler comme ça à tout bout de champ d’habitudes ancestrales, Dieu sait pourquoi, des rapports de prestige, le narcissisme serait spécifiquement ancestral ? Est-ce que nous arriverions dans l’empyrée du symbolique tout d’un coup ? Inimaginable ! Donc, rien que de cette question de la plus-value à propos de ce qui se passe au moyen du discours universitaire de la production d’enseignant, nous avons déjà là deux sous-chapitres, dont il serait très intéressant de les explorer : la fonction de l’enseignant en tant qu’il réduit le savoir à la valeur dont il est porteur, ou en tant qu’il dirige vers l’accumulation du savoir. Vous savez que dans le discours universitaire ce savoir n’est pas n’importe lequel, c’est le savoir dont la vérité, dont la sous-jacence est le signifiant du maître ; or ce savoir et tout ce qu’il en est depuis un certain temps, franchi, de la mise en jeu de la science comme telle, il est du fait de son histoire un savoir dont la vérité est le maintien d’autant plus à jamais inébranlable du signifiant du maître comme tel que sa seule présence à cette place masque, occulte, bouche ce qu’il peut en être de la vérité.

La science ne se soucie aucunement de la vérité, c’est bien ce qui fait que je peux envoyer aux pelotes tout ce qu’il en est du système qui à quelque degré que ce soit en fasse état, je ne suis pas là pour en faire une liste, et il est exclu de son discours qu’il puisse y avoir en particulier une vérité qui se serait à quelque moment révélée, exclu qu’on départage le champ des choses entre la science et la religion au nom de ceci que la religion parlerait de ce que ne peut pas connaître la science ; ça ne veut rien dire. Je ne vais quand même pas vous faire un séminaire, mais enfin remarquez que dans le discours de l’hystérie, c’est le même tabac. J’en ai indiqué quelque chose depuis que cette année j’énonce quelque chose sur ce schéma du discours de l’hystérique : vous verrez que c’est le seul point où justement quelque chose d’à proprement parler enseignant se trouve en position maîtresse, révélant ce

 

                                          

 

(213)qui du désir est constitutif de cette position maîtresse. Dans le schéma dit du discours psychanalytique, qui veut dire et ne veut rien dire d’autre que le discours d’une psychanalyse, ici s’inscrit que l’analyste, l’analyste à la place directrice qu’il occupe, doit supporter ce qu’il en est de la fonction de l’objet a. Il doit la supporter et il doit d’abord la supporter tout seul, jusqu’à ce qu’il arrive que l’autre enfin la reconnaisse, c’est ça le désêtre, mais il est bien évident là aussi que c’est le psychanalysant qui est l’enseignant. C’est tout à fait indépendant du fait que son savoir à lui qui est l’enseignant, le psychanalysant dans l’occasion, est inconscient, c’est-à-dire qu’il n’en aura à aucun degré la disposition ; il n’en est pas moins vrai que c’est un savoir mis en position de vérité.

La vraie question c’est de savoir en effet si chez l’analyste, dans le discours analytique, le savoir joue le même rôle de couverture, de cache, d’occultation, de cette place de la vérité. J’ai plus d’une fois depuis que je suis ici, dans ce congrès j’entends, entendu parler de savoir et de vérité comme si c’était là deux parts équivalentes chacune dans un plateau de la balance. Avec le déficit du savoir, nous allons présumer de ce qu’il faudrait rajouter de vérité, ou inversement. Mais c’est très exactement ce dont j’ai essayé tout à l’heure d’écarter le fantôme, en vous faisant remarquer qu’il n’y a rien de commun entre le discours de la science et le discours de la religion. Le problème, c’est si l’analyste est capable, à l’aide de références dont rien n’exclut en effet, c’est là ce qu’a de juste la remarque qui a pu m’être faite tout à l’heure par Kaufmann pour le nommer, qu’en effet il y a quelque chose, il y a en face de ce que j’ai articulé qui en effet peut s’insérer dans d’autres registres du savoir, que ceux qui pourraient proprement s’articuler en forme de cours sur la psychanalyse – ça ne veut pas dire que j’aie jamais rien inventé en linguistique, j’ai fait de ce qui m’était offert par la linguistique l’usage que j’ai pu à cette fin propre de voir comment peut fonctionner un savoir qui en effet n’est pas le savoir psychanalytique, mais qui tout de même du fait que pour ce qui est de parler le français par exemple vous êtes tous compétents, c’est le principe même de la linguistique que de partir de ceci que sur l’usage de la langue française, on peut interroger le plus ignorant d’entre vous, ignorant sur la linguistique, voire même sur la grammaire, voire même si vous étiez illettrés, pour vous demander si une phrase est grammaticalement correcte en français. Qui ne sait pas ce savoir-là, déjà, celui qui est à la portée de tout le monde, le savoir de l’usage de la langue, dont (214)je dis que c’est le sort de l’être parlant de l’habiter, et encore c’est parce que je suis gentil et qu’il y a des points où il n’y a pas de raison que je force ; vous ne l’habitez pas tellement que ça, vous en êtes habités, c’est bien pour ça que ça ne tourne pas rond – enfin quoiqu’il en soit de quelque emprunt que j’ai pu faire incidemment à ce que le mot modèle désigne très mal et en tout cas d’une façon qui prête à confusion, mais je l’emploie pour ne pas être forcé de faire de longs paragraphes, à ce que tel modèle très précis de la logique mathématique vous force d’admettre quant aux limitations à donner à ce qui peut être démontré vrai, quel que soit le contenu que vous vous plaisiez à rêver de ce terme, et justement c’est là d’autant plus frappant que ce qui se démontre des limites de ce qui peut être démontré vrai, la logique mathématique l’obtient de ceci que d’abord elle a posé « vrai » comme un terme vide qui n’a strictement, je ne dis pas de sens, car c’est le pur non-sens, qui n’a strictement son sens que de sa dissymétrie avec ce qui est désigné faux par un F, comme le vrai est désigné par un V, de sa dissymétrie dans un certain nombre de relations tout à fait basales qui sont celles que vous entendez évoquer à l’horizon de ce que je dis, la conjonction, la disjonction, l’implication, c’est de cette dissymétrie seulement que le V prend son usage.

Que ceci serve, que ceci doive servir, pour ce qu’il en est de la fonction de l’analyste en tant que l’analyste est celui qui s’expose dans le discours analytique à être à la fin réduit au rejet, à l’éjection, dont se désigne ici la fonction de l’objet a, voilà ce que le dernier schéma que j’ai repris à cette occasion met en relief, en même temps qu’il montre dans la position de l’S le seul point où dans le discours analytique l’analyste peut espérer accéder à la fonction de l’enseignant. Dans toute la mesure où il va où qu’on puisse aller comme scène, une ou multiple, au titre d’enseignement, s’il y va – ce n’est pas une question de résolution au départ –, disons qu’il y reste analyste, il se trouve dans la position du psychanalysant offert comme tel dans cette position de l’Autre qui, c’est sa définition même, n’est en aucun cas maîtrisable, je veux dire – écrivez-le maîtr-isable – où quoi que ce soit puisse se manifester de l’ordre du maître.

Ce ne sont là que des amorces. Bien sûr, j’eusse mieux aimé que de s’engager dans ces voies quelque chose se produise, et ce qu’assurément j’ai toujours en moi souhaité, c’est un Wunsch, à savoir que quelqu’un me relaie, prenne la trace, il n’y a certes pour ça pas besoin de faire preuve d’originalité, quelqu’un qui cavalerait en avant, je ne vois pas en quoi (215)ça diminuerait son originalité d’être parti de mes bases. Enfin, disons qu’après ce congrès, après en avoir entendu certains, et puis surtout à cause d’autres, à qui ça arrive aussi – pourquoi être toujours les premiers à s’exposer – qui ne se sont pas faits entendre, enfin, pour nous en tenir à ceux qui se sont faits entendre, il y en a, au moins un certain nombre, qui ont marqué par la justesse, par l’évitement des glissements qui ne se sont produits je dois dire que trop souvent, dans les discours les plus brillants, qui ont assez évité les glissements pour que je puisse espérer, que je puisse espérer par exemple on ne sait pas, ça a été mon anniversaire, le 13 Avril, c’est plus connu que je ne l’imagine mais enfin je suis particulièrement reconnaissant à l’ensemble de ne pas m’avoir accablé ce jour-là de condoléances, enfin le 13 Avril dernier j’ai atteint l’âge de 69, c’est un joli nombre hein ? Quand je pense que j’en ai pour un an à être sous ce signe-là, c’est pas désagréable à penser, je ne déteste pas ça, puis c’est aussi le signe du Cancer, rassurez-vous je n’en ai pas ; voilà, le signe du Cancer c’est comme ça ; enfin quoiqu’il arrive, cancer ou pas, je pense, je pense que ce que j’ai frayé n’est pas très facile à éteindre ; même s’il n’y avait pas l’École Freudienne, n’est-ce pas, je crois comme ça avoir le sentiment que je me suis trouvé, ne pas trop mal situer ce qu’il en est de ce que j’appellerai un tourbillon, ce tourbillon comme ça qui est en train de s’amorcer tout doucement, tourbillonnaire comme ce petit signe-là du crabe, je crois que ce que j’ai amorcé coïncide assez bien pour permettre aux quelques personnes qui en effet bien au-delà du cercle étroit de nos petits convents et autres conciliabules s’y trouveront pris dans le tourbillon, leur permettre d’avoir une petite orientation, une petite boussole, où est le nord du tourbillon c’est difficile à trouver, pas très facile en tout cas ; de sorte que je ne trouve pas en arrivant sur mes 69 ans que je sois en retard sur ce qui effectivement pour moi, je veux dire par rapport à ce champ court qui est celui d’une vie, s’est fait attendre.

Pour terminer sur quelque chose, je ne veux pas rester sur ce pathétique, demanderai-je si l’école Freudienne n’est pas aussi comme les autres, enfin comme les Vincennes diverses dont il s’agit – l’école a-t-elle une institution ? Il ne faut pas vous y laisser prendre, ce n’est pas à cause de ce qu’on vous raconte que vous allez le croire, je dis ça pour ceux qui n’en font pas partie, ceux qui en font partie savent à quel point en fait d’institution c’est plutôt un trou justement, parlons pas du tourbillon, mais enfin un trou c’est déjà pas mal, (216)ça pourrait servir d’esquisse, à partir d’une certaine scission, dont je ne peux pas dire vraiment que j’ai fait des efforts pour la provoquer, parce que là vraiment j’ai, c’est bien là qu’on peut dire qu’il n’y a pas de verbes transitifs, je n’ai ni agi, ni subi, j’ai été expulsé, quoi, tout bonnement. À ce moment-là bien sûr ça a créé quand même un certain malaise, des gens qui étaient agglutinés on ne sait pas pourquoi, si on sait pourquoi, on sait pourquoi, c’est au niveau de phénomènes colloïdes, il faut tenir compte de ça, nous sommes des êtres de chair, il y a eu un moment de gêne et puis alors il y a eu une petite ébauche de tourbillon comme ça, moi vous savez je suis d’une telle prudence ; déjà pendant tout le temps que ça se préparait, je n’avais songé qu’à une chose – je savais ce qui se tramait, enfin on me l’avait dit, mais naturellement je faisais comme si j’en savais rien, – c’étaient mes deux dernières années de séminaires, je les ai fait comme ça, l’Identification, l’Angoisse, – après ça il y a eu l’école Normale, c’est évident là qu’il y a eu un petit tourbillon, un petit tourbillon qui n’était pas forcément un tourbillon analytique, mais c’était quand même un tourbillon, dont même une Flacelière s’est aperçu que ça avait un rapport avec le tourbillon qui est sorti un certain mois de mai.

Enfin la proposition heureusement a été faite avant ça et même publiée avant le tourbillon, la proposition suffit très bien à constituer un petit début de mouvement tourbillonnaire. l’école Freudienne c’est ça, sinon c’est que le tourbillon aura été trop vite et qu’il se sera dispersé dans l’espace, ça ne changera rien à la nature du tourbillon, je dois dire, puisque malgré tout l’école Freudienne, quoi, c’est un certain nombre d’individus qui se sont retrouvés pris comme ça plus ou moins par mon fait, encore je n’en suis pas très sûr, dans le tourbillon.

Il y avait quand même, malgré que je n’aie pas pris de notes, trente six mille choses comme ça que je voulais dire histoire de rectifier – Sur la question et la réponse, je m’excuse, est-ce que Schotte est là ? Parce que je ne voudrais pas lui faire de peine, mais vous savez, les concepts-question et les concepts-réponse, alors vous savez nous ne sommes pas sur le plan analytique parce qu’il n’y a pas de question dans l’analyse, mais sur le plan philosophique. Vous comprenez, je tiens à marquer que, quelle que soit toujours pour moi la séduction d’une intervention qui tient debout, la question et la réponse, ce n’est pas du tout comme ça que je prends les choses : la question n’est jamais faite parce que la réponse est déjà là avant. Quant au (217)fameux concept ouvert, c’est également la chose qui est la plus antipathique à tout ce que j’enseigne, car ce qui pour moi, si vous me permettez d’être philosophe à mes heures, constitue un concept, c’est très exactement la fonction d’une limite. C’est justement en ceci qu’il y a une limite indéfiniment approchable que quelque chose est saisi qui est de l’ordre du concept, c’est-à-dire qui à proprement parler se rapporte au réel. Je tenais à le signaler parce que quand même il faut pas que des choses comme concept-ouvert, concept-question, etc. … je puisse paraître en favoriser la circulation, étant donné qu’il y a bien assez de choses, n’est-ce pas, qui tendent tout le temps à glisser dans ce frêle édifice.

Enfin, frêle… ce qui n’est pas frêle c’est les choses finalement qui passeront sous forme de schémas dont il faudra bien tenir compte : comme l’a dit tout à l’heure Kaufmann, il y a quand même un certain graphe qui se trouve être tout à fait utilisable ailleurs. Mais en voilà une objection ! Ce n’est pas parce que c’est utilisable ailleurs, que ça n’a pas été forgé très exactement dans mon cours, dans mon cours de psychanalyse et que ça soit utilisable ailleurs, tant mieux, c’est une confirmation justement, mais il faut distinguer quand même la notion de limite, la notion de cercle clos et aussi le caractère – pas forcément fermé, mais le caractère petit cercle, n’est-ce pas, qu’a une certaine pratique.

Donc, évidemment il m’est difficile de laisser passer des choses comme ça et dans le discours que quelqu’un a qualifié de remarquable, n’est-ce pas, celui de Rabant ce matin, il était très, très frappant de voir tout le temps le signifiant avancé comme étant ce qui signe l’impossibilité de la jouissance ; sans doute Rabant a-t-il été occupé par diverses réquisitions de l’État, mais le fait est qu’il a tout à fait laissé de côté et méconnu ce qui est là absolument essentiel, c’est non pas du tout que le signifiant soit ce qui interdise la jouissance, mais ce qui fait le clivage de la jouissance. Mais c’est tout autre chose ; quand l’éternel a séparé comme ça les eaux supérieures et les eaux inférieures, il les a pas pour autant interdites ni les unes ni les autres. Il s’agit seulement de savoir à partir de ce moment-là comme ça va crever ou nous tomber sur la tête ; bon, au revoir.