Interventions sur l’exposé de A. Didier et M. Silvestre : « À l’écoute de l’écoute » au Congrès de l’École freudienne de Paris sur « La technique psychanalytique », Aix-en-Provence (après-midi). Parues dans les Lettres de l’École freudienne, 1972, n° 9, pp. 175-182.

Exposé : […]

Discussion : […]

 

(175)[…]M. Martin – Qui désire prendre la parole ? J’aurais aimé pour ma part que, dans une sorte de conclusion, même si vous l’aviez laissé en suspens, vous ébauchiez quelque chose quant à la relation qui peut exister entre ce que vous nous avez décrit de manière quasi phénoménologique, avec la dynamique analytique ? (176)On peut se poser une question, entre autres, sur le rôle que joue ce circuit des auditeurs dont on nous a parlé, tenant position peut-être d’analyste pour le rapporteur, bien sûr. Mais la position peut aussi s’inverser.

 

M. Lacan – Si j’ai bien compris, il s’agit d’une mise en question de l’intercontrôle. Il s’agit, en somme, de la fonction de l’intercontrôle telle que vous la percevez comme à côté de votre expérience analytique. C’est là-dessus que vous pourriez en effet, après les réflexions que vous venez de nous apporter, ébaucher comment se présente pour vous la question.

En somme, c’est la question que vous refilez à l’assemblée. Mais elle n’a pas de raison de vous suivre si vous ne mettez pas un petit enjeu vous-mêmes.

Dites-nous déjà si vous pensez que je vous trahis en disant que c’est une mise en question de l’intercontrôle.

 

M. Didier – Je crois que ce n’est pas précisément une mise en question de l’intercontrôle qui est l’idée directrice de ce travail. C’est plutôt, à l’occasion de l’intercontrôle, une réflexion, en essayant de voir, à partir d’un texte originel qui est donné dans l’intercontrôle, qui est celui de l’analysant, la série de paroles données à partir de cet instant par le rapporteur d’une part, et d’autre part ce qui est entendu par les auditeurs. Le rapporteur a une position privilégiée dans la mesure où, quand les auditeurs ont parlé, il a entendu le discours de l’analysant et, en même temps, il entend ce que les autres, ceux à qui il a parlé, ont entendu de ce qu’il a dit.

 

M. Lacan – Mais vous parlez de texte originel. Donc, c’est de ça qu’il s’agit. Celui qui parle, qui lui transmet ce texte originel, ce qu’il a dit ou ce qu’il a lu ?

 

M. Didier – Comment, ce qu’il a dit ?

 

M. Lacan – Ça change beaucoup. Derrière, il y a toute la question de savoir si ce que vous transmettez, c’est ce (177)que vous avez, par exemple, pris en note. C’est un élément capital.

 

M. Didier – Le début de la communication précisait qu’un point qui nous est apparu, c’est que quand le rapporteur lit textuellement une séance, les débats qui ont lieu à la suite, du fait que la séance est textuellement rapportée, sont de nature tout à fait différente de ceux ayant lieu quand le rapporteur ne lit pas une séance mais parle, associe.

Il nous a semblé que quand il parle, les autres peuvent ensuite, sur ce qu’il a dit, parler à un niveau auquel ils ne peuvent pas parler quand il s’agit uniquement du texte lu littéralement.

 

M. Lacan – Et de ce fait, qui est certain, vous ne trouvez pas moyen de rendre compte d’ores et déjà par vous-mêmes sans interroger l’assemblée ?

[…]

(178) […] M. Didier – Nous disons que le discours de l’analysant, c’est un premier fragment, c’est un premier discours. Disons que l’on part d’un discours qui commence à naître à un moment donné, et qui est donné à des gens ; c’est là le sens du mot « originel ».

Alors que va-t-il advenir quand il y a une reprise ? Le parallèle qui a été fait, c’est : où réside le glissement, (179)l’inversion de sens qui se produit pour opposer l’esprit et la lettre, puisque quand la lettre est intégralement transmise, l’esprit non seulement est déformé mais s’inverse radicalement ?

Ce que nous observons, c’est que précisément, dans l’intercontrôle, beaucoup de matériel reste de côté, c’est-à-dire qu’on ne cherche pas du tout, finalement, à transmettre la lettre, qu’une grande quantité de matériel est laissée de côté. C’est là que Silvestre a introduit la notion de filtrage.

 

M. Nassif – Mais si vous introduisez cette notion de filtre, tout votre exposé, me semble-t-il, méconnaît la dimension de la topologie dont parle constamment Lacan et ceci déjà au niveau de ce schéma optique, où enfin la topologie du regard, c’est : « tu ne saurais me voir d’où je te regarde » : ce n’est pas le fait de mettre un second miroir qui va provoquer quoi que ce soit.

 

M. Lacan – C’est absolument certain !

[…]

(180)M. Silvestre – Je voudrais revenir sur un point qui a été, pour moi en tout cas, le départ de cette interrogation. Bien sûr que dans une situation de contrôle, de quoi que je parle, c’est moi qui parle. Mais malgré tout, je parle de quelque chose…

 

M. Lacan – De quelque chose mais pas de n’importe quoi. Vous parlez de ce que vous avez entendu d’un analysant. Ce n’est pas du tout une chose ordinaire.

 

M. Silvestre – C’est la découverte de ce que cette chose n’est pas ordinaire qui est, disons, assez particulière…

 

M. Lacan – Ça n’en est pas moins soumis aux lois ordinaires de la transmission. Alors, si vous ne vous souvenez pas de ce que j’ai dit : il faut mettre au premier point le sujet, l’émetteur, qui reçoit son propre message sous une forme inversée – si vous ne partez pas de là, vous n’en sortirez jamais.

(181)La question me semble là. Mais je la réduis peut-être trop. Si je la réduis trop, protestez ! Je viens tout à l’heure déjà de faire une tentative en disant : « Est-ce que c’est l’intercontrôle que vous mettez en question ? ». Il m’a dit que ce n’était pas ça. Bon, très bien. Ça ne veut pas dire, parce qu’il m’a dit que ce n’était pas ça, que ce n’était pas ça quand même !

Quelle est la différence de ce qui se passe dans l’intercontrôle ou dans un contrôle ? Dans un contrôle, il y a une chose très certaine, – c’est une chose d’expérience tout à fait quotidienne, tangible, sans ça l’usage des contrôles serait depuis longtemps abandonné – c’est que, dans un contrôle, il arrive ceci de tout à fait frappant que la personne tierce qui est là au titre de ce qu’on appelle contrôleur entend mieux ce que l’analysant dont il s’agit a dit que celui-là même qui le rapporte. C’est à partir de là qu’un contrôle fonctionne. Est-ce qu’à votre avis, dans l’intercontrôle, c’est pareil ?

 

M. Didier – Oui, absolument.

 

M. Lacan – Eh bien vous avez de la chance ! Ça prouve que vous êtes rudement bien, dans cet intercontrôle. Ça a une portée, ce que vous dites. C’est de vraiment vous permettre une schématisation de la chose. Car si c’est pareil, la question est non pas celle de l’intercontrôle mais du contrôle.

 

M. Didier – L’intercontrôle, dans une première étape, met une chose en évidence : parmi les auditeurs, il y a les collègues de même formation, et puis il y a l’analyste plus chevronné. Quand les collègues de même formation reparlent après, cela a été un étonnement pour nous de voir que même se situant à un niveau différent de celui de l’analyste chevronné, néanmoins ce qui est dit apporte quelque chose pour le rapporteur. Par conséquent ce qui est entendu est, d’un côté, lié bien sûr à la connaissance et à la compréhension de la théorie et de l’expérience analytique, puisque l’analyste qui est le contrôleur apporte tout le temps quelque chose d’autre que les autres n’apportent pas, mais cela met bien en évidence ce que vous avanciez : que l’émetteur reçoit du récepteur son propre message sous forme inversée, et (182)qu’au même niveau de formation, on entend plus que ce qu’on a dit.

 

M. Lacan – Vous l’avez dit tout à l’heure très bien.

M. Didier – Il y a une autre différence qui est apparue à certains : c’est que quand est rapporté un texte lu, une séance intégralement lue, ce qui en est dit après par les auditeurs est très différent de ce qu’il en est quand il y a libre association du rapporteur.

Il nous est apparu que souvent, quand la séance est lue, il y a des affrontements de points de vue irréductibles entre les auditeurs qui parlent ; peut-être s’agit-il d’affrontements narcissiques, chacun défendant son point de vue, chose qui n’apparaissait pas quand il s’agissait de la parole propre du rapporteur.

C’est là-dessus que s’étayaient les comparaisons tentées dans d’autres secteurs où existe également cette reprise du discours. Ce n’est pas comme le jeu du téléphone auquel jouent les enfants, où l’on se dit quelque chose à l’oreille de l’un à l’autre, et il s’agit de voir à la fin l’écart entre ce qui a été dit au départ et ce qui est obtenu.

 

M. Lacan – Heureusement que les choses ne se passent pas comme ça dans l’inter-contrôle !