Intervention au cours d’une table ronde réunie autour de J. Clavreul (après midi). Journée d’étude de l’École freudienne de Paris, parue dans les Lettres de l’École freudienne, 1973, n°11, pp. 213-230.

 

[…]

(213)[…] M. Didier – Je répondrai en même temps à une autre question : je ne crois pas avoir employé le mot « dérisoire » ou si je l’ai employé, c’est vraiment pour essayer d’établir un contraste (214)entre l’importance d’un symptôme et un fait qui peut paraître minime de l’extérieur.

 

M. Lacan – Vous avez dit « dérisoire » parce que la salle a ri. C’est tout !

 

M. didier – Mais ce grain de sable, bien sûr, est métaphorique, il n’a rien de dérisoire. C’est même quelque chose de plutôt dramatique.

Ce sur quoi j’ai voulu insister, c’est que tant qu’un sujet pouvant souffrir d’un symptôme névrotique, même cruellement, il pourra envisager l’analyse, en se disant « quand même, ça me ferait du bien, ça serait pas mal, mais enfin, je n’ai pas le temps… » tandis que, par opposition, cette métaphore du petit « grain de sable », introduit qu’il n’est même plus question de se poser la question : il n’est plus libre du tout de choisir ou de ne pas choisir.

J’ai pris cet exemple là ; il y en aurait d’autres, peut-être plus forts, à citer. J’en ai un en tête qui me paraît très significatif aussi : c’est un ami analyste qui m’a raconté ce fragment d’analyse d’un pervers et de la façon dont ce pervers est entré en analyse : ce monsieur était un prêtre dont la perversion consistait à aller voir des prostituées et, après la consommation de la situation, de dire à la jeune personne : « Est-ce que tu sais avec qui tu viens de faire l’amour ? Avec un curé ». Et tout son plaisir lui était procuré par la tête que faisait, à ce moment-là, la dame, parce qu’il faut croire que c’est un milieu dans lequel un curé, c’est important, voire sérieux.

Un jour, il répétait son machin, et après avoir dit à la jeune personne : « avec un curé ! » elle lui a répondu : « Mon pauvre vieux ! ». Il est sorti dans un état d’angoisse indescriptible, et il n’a pas eu le choix de ne pas courir chez un psychanalyste ! (Rires).

Ce qu’il a vécu à ce moment-là n’avait rien de dérisoire, c’était très grave pour lui. Alors le problème qu’on se posait, au niveau d’opposer des diagnostics de structure avec ce que métaphoriquement on a appelé grain de sable, c’est : est-ce qu’on ne pourrait pas penser que, dans les entretiens préliminaires, quand (215)cette situation n’existe pas, on a à essayer d’utiliser les entretiens préliminaires, éventuellement de les multiplier, pourquoi pas, pour arriver à créer cet instant où vraiment les choses ne tiennent plus en place.

 

M. Lacan – Dans un cas comme dans l’autre, dans vos deux exemples, il s’agit à proprement parler de faits de structure. D’ailleurs certains vous l’ont indiqué. Ça peut même se préciser d’une façon tout à fait étroite. Ce sont des faits de structure. Il y a en effet une structure exigible – pas exigible comme limite, mais une structure exigible au sens que c’est la plus souhaitable pour déclencher une analyse.

 

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(229)[…]M. Benoît – Je pense qu’il y a quelque chose d’autre, quelque chose de plus à propos de la médecine. Ce passage que vous avez pointé du discours du maître, c’est le diagnostic, l’examen si je vous ai bien compris. Et le traitement, c’est le discours universitaire.

Ça, bien sûr, c’est vrai, pour le médecin, en tout cas pour le médecin moderne, pour l’idéologie médicale moderne. Mais si on voit les choses du côté du patient, le traitement ne fonctionne pas du tout comme ça. Ou en tout cas très souvent ne fonctionne pas du tout comme ça.

Par exemple, lorsque le traitement prend la forme d’un médicament ; le médicament va fonctionner chez le patient – ou peut fonctionner – tout à fait autrement que ce que d’après son savoir pense le « maître » qui l’a prescrit.

On pourrait développer cela : comme ça fonctionne, un médicament ? Je ne veux pas m’étendre. Mais prenez par exemple un des plus courants, l’aspirine – aspirer, aspiration. L’aspirine d’ailleurs, bien des gens y aspirent et se la prescrivent à eux-mêmes (230)sans passer par le savoir et la prescription du médecin (la preuve, c’est que l’aspirine sous sa forme la plus commune originelle, l’aspirine Usines du Rhône, n’est pas remboursée par la Sécurité Sociale). Ils se la prescrivent d’après une croyance intime à son effet. Même lorsque un médicament est consommé sur prescription il se passe souvent quelque chose, comme une vacillation qui fait que ses vertus éprouvées, supposées, espérées ou craintes peuvent l’emporter sur ses propriétés pharmacologiques. C’est très important dans la pratique médicale la plus courante, cela explique comment la thérapeutique médicale échappe si fréquemment aussi bien à ce que vous avez pointé comme le discours du maître que comme le discours universitaire.

Pour conclure, un petit exemple à cause du mot qu’il va me permettre de faire. Supposez un médecin qui fonctionne avec un pendule – ça existe – et que pour lui, le traitement soit ensuite de faire des « passes » magnétiques au-dessus du patient. Je vous assure, qu’il arrive que ça fonctionne très bien ! Qu’est-ce qui se passe ? Et qu’est-ce qui passe ?

 

M. lacan – M. Benoît vous rappelle que c’est la dimension sacrale. Il est effectif, comme il l’a dit aussi, que le médecin moderne se situe là où vous l’avez dit.

 

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