« Postface », publiée à la suite de la transcription par J.A. Miller du Séminaire de 1964 qu’il intitule : « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse », Seuil, 1973, pp. 251-254.

 

(251)Ainsi se lira – ce bouquin je parie.

Ce ne sera pas comme mes Écrits dont le livre s’achète : dit-on, mais c’est pour ne pas le lire.

Ce n’est pas à prendre pour l’accident, de ce qu’ils soient difficiles. En écrivant Écrits sur l’enveloppe du recueil, c’est ce que j’entendais moi-même m’en promettre : un écrit à mon sens est fait pour ne pas se lire.

C’est que ça dit autre chose.

Quoi ? Comme c’est où j’en suis de mon présent dire, je prends ici cas de l’illustrer, selon mon usage.

 

Ce qu’on vient de lire, au moins est-ce supposé de ce que je le postface, n’est donc pas un écrit.

Une transcription, voilà un mot que je découvre grâce à la modestie de J. A. M, Jacques-Alain, Miller du nom : ce qui se lit passe-à-travers l’écriture en y restant indemne.

Or ce qui se lit, c’est de ça que je parle, puisque ce que je dis est voué à l’inconscient, soit à ce qui se lit avant tout.

Faut-il que j’insiste ? – Naturellement : puisque ici je n’écris pas. À le faire, je posteffacerais mon séminaire, je ne le postfacerais pas.

J’insisterai, comme il faut pour que ça se lise.

 

Mais j’ai encore à rendre à l’auteur de ce travail de m’avoir convaincu, – de m’en témoigner son cours durant –, que ce qui se lit de ce que je dis, ne se lit pas moins de ce que je le dise. L’accent à mettre étant sur le dire, car le je peut bien encore courir.

Bref qu’il pourrait y avoir profit pour ce qui est de faire consistant le discours (252)analytique, à ce que je me fie à ce qu’on me relise. Le mettre à l’heure de ma venue à l’École normale n’étant là que prendre note de la fin de mon désert.

 

On ne peut douter par le temps que j’y mis de ce que l’issue me déplaise que j’ai qualifiée de poubellication. Mais qu’on p’oublie ce que je dis au point d’y mettre le tour universitaire, vaut bien que j’en marque ici l’incompatibilité.

 

Poser l’écrit comme je le fais, qu’on remarque qu’à la pointe c’est acquis, voire qu’on en fera son statut. Y serais-je pour un peu, n’empêcherait pas que ce fut établi bien avant mes trouvailles, puisque après tout l’écrit comme pas-à-lire, c’est Joyce qui l’introduit, je ferais mieux de dire : l’intraduit, car à faire du mot traite au-delà des langues, il ne se traduit qu’à peine, d’être partout également peu à lire.

 

Moi cependant vu à qui je parle, j’ai à ôter de ces têtes ce qu’elles croient tenir de l’heure de l’école, dite sans doute maternelle de ce qu’on y possède à la dématernalisation : soit qu’on apprenne à lire en s’alphabêtissant. Comme si l’enfant à savoir lire d’un dessin que c’est la girafe, d’un autre que c’est guenon qui est à dire n’apprenait pas seulement que le G dont les deux s’écrivent, n’a rien à faire de se lire puisqu’il n’y répond pas.

Que ce qui se produit dès lors d’anorthographie ne soit jugeable qu’à prendre la fonction de l’écrit pour un mode autre du parlant dans le langage, c’est où l’on gagne dans le bricolage soit petit à petit, mais ce qui irait plus vite à ce qu’on sache ce qu’il en est.

Ça ne serait déjà pas mal que se lire s’entendît comme il convient, là où on a le devoir d’interpréter. Que ce soit la parole où ne se lise pas ce qu’elle dit, voilà pourtant ce dont l’analyste sursaute passé le moment où il se poussah, ah ! à se donner de l’écoute jusqu’à ne plus tenir debout.

 

Intention, défi on se défile, défiant on se défend, refoule, renâcle, tout lui sera bon pour ne pas entendre que le « pourquoi me mens-tu à me dire le vrai ? » de l’histoire qu’on dit juive de ce que c’y soit le moins bête qui parle n’en dit pas moins que c’est de n’être pas un livre de lecture que l’indicateur des chemins de fer est là le recours par quoi se lit Lemberg au lieu de Cracovie – ou bien encore que ce qui tranche en tout cas la question, c’est le billet que délivre la gare.

Mais la fonction de l’écrit ne fait pas alors l’indicateur, mais la voie même du chemin de fer. Et l’objet (a) tel que je l’écris c’est lui le rail par où en vient au plus-de-jouir ce dont s’habite, voire s’abrite la demande à interpréter.

 

Si du butinage de l’abeille je lis sa part dans la fertilité des plantes phanérogames, si j’augure du groupe plus ras-de-terre à se faire vol d’hirondelles la fortune des tempêtes, – c’est bien de ce qui les porte au signifiant de ce fait que je parle, que j’ai à rendre compte.

 

(253)Souvenir ici de l’impudence qu’on m’imputa pour ces écrits d’avoir du mot fait ma mesure. Une Japonaise en était hors-de-soi, ce dont je m’étonnai.

C’est que je ne savais pas, bien que propulsé, justement par ses soins, là où s’habite sa langue, que ce lieu pourtant je ne le tâtais que du pied. Je n’ai compris que depuis ce que le sensible y reçoit de cette écriture qui de l’on-yomi au Kun-yomi répercute le signifiant au point qu’il s’en déchire de tant de réfractions, à quoi le journal le moindre, le panonceau au carrefour satisfont et appuient. Rien n’aide autant à refaire des rayons qui ruissellant d’autant de vannes, ce qui de la source par Amaterasu vint au jour.

C’est au point que je me suis dit que l’être parlant par là peut se soustraire aux artifices de l’inconscient qui ne l’atteignent pas de s’y fermer. Cas-limite à me confirmer.

 

Vous ne comprenez pas stécriture. Tant mieux, ce vous sera raison de l’expliquer. Et si ça reste en plan, vous en serez quitte pour l’embarras. Voyez, pour ce qui m’en reste, moi j’y survis.

 

Encore faut-il que l’embarras soit sérieux pour que ça compte. Mais vous pouvez pour ça me suivre : n’oubliez pas que j’ai rendu ce mot à son sort dans mon séminaire sur l’angoisse, soit l’année d’avant ce qui vient ici. C’est vous dire qu’on ne s’en débarrasse si facilement que de moi.

 

En attendant que l’échelle vous soit propice de ce qui se lit ici : je ne vous y fais pas monter pour en redescendre.

Ce qui me frappe quand je relis ce qui fut ma parole c’est la sûreté qui me préserva de faire bêtise au regard de ce qui me vint depuis.

Le risque à chaque fois me paraît entier et c’est ce qui me fait fatigue. Que J. A. M. me l’ait épargné, me laisse à penser que ce ne sera rien pour vous, mais aussi bien me fait croire que si j’en réchappe, c’est que d’écrit j’ai plus que je n’écrois.

 

Rappelons pour nous qui nous écroyons moins qu’au Japon, ce qui s’impose du texte de la Genèse, c’est que d’ex nihilo rien ne s’y crée que du signifiant. Ce qui va de soi puisqu’en effet ça ne vaut pas plus.

L’inconvénient est qu’en dépende l’existence, soit ce dont seul le dire est témoin.

Que Dieu s’en prouve eût dû depuis longtemps le remettre à sa place. Soit celle dont la Bible pose que ce n’est pas mythe, mais bien histoire, on l’a marqué, et c’est en quoi l’évangile selon Marx ne se distingue pas de nos autres.

L’affreux est que le rapport dont se fomente toute la chose, ne concerne rien que la jouissance et que l’interdit qu’y projette la religion faisant partage avec la panique dont procède à cet endroit la philosophie, une foule de substances en surgissent comme substituts à la seule propre, celle de l’impossible à ce qu’on en parle, d’être le réel.

(254)Cette « stance-par-en-dessous » ne se pourrait-il qu’elle se livrât plus accessible de cette forme pour où l’écrit déjà du poème fait le dire le moins bête ?

Ceci ne vaut-il pas la peine d’être construit, si c’est bien ce que je présume de terre promise à ce discours nouveau qu’est l’analyse ?

Non pas que puisse s’en attendre jamais ce rapport dont je dis que c’est l’absence qui fait l’accès du parlant au réel.

Mais l’artifice des canaux par où la jouissance vient à causer ce qui se lit comme le monde, voilà, l’on conviendra, ce qui vaut que ce qui s’en lit, évite l’onto-, Toto prend note, l’onto-, voire l’ontotautologie.

Pas moins qu’ici.

 

Le 1er janvier 1973.