Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines. Scilicet n° 6/7, 1975, pp. 42-45.

 

(42)Le symptôme

 

Dans l’analyse, il y a quand même, il faut le dire, certains résultats. Ce n’est pas toujours ce qu’on attend : c’est parce qu’on a tort d’attendre, c’est ce qui fait la difficulté d’être analyste. Les analystes, j’ai essayé d’en spécifier quelque chose que j’ai dénommé le discours analytique

Le discours analytique existe parce que c’est l’analysant qui le tient… heureusement. Il a l’heur (h-e-u-r), l’heur qui est quelques fois un bon-heur, d’avoir rencontré un analyste. Ça n’arrive pas toujours. Souvent l’analyste croit que la pierre philosophale – si je puis dire – de son métier, ça consiste à se taire. Ce que je dis là, c’est bien connu. C’est tout de même un tort, une déviation, le fait que des analystes parlent peu. Il arrive que je fasse ce qu’on appelle des supervisions. Je ne sais pas pourquoi on a appelé ça supervision. C’est une super-audition. Je veux dire qu’il est très surprenant qu’on puisse, à entendre ce que vous a raconté un praticien- surprenant qu’à travers ce qu’il vous dit on puisse avoir une représentation de celui qui est en analyse, qui est analysant. C’est une nouvelle dimension. Je parlerai toute à l’heure de ce fait, la dit-mension que je n’écris pas tout à fait comme on l’écrit d’habitude en français. Le mieux, c’est que je fasse un effort et que je vous montre comment je l’écris :

dit-mension

C’est comme ça que je l’écris… dit-mension…, mention, c’est-à-dire – en anglais, ça se comprend – mention, l’endroit où repose un dit.

(43)Alors, l’analyste, quand même, a des choses à dire. Il a des choses à dire à son analysant, à celui qui, tout de même, n’est pas là pour s’affronter au simple silence de l’analyste. Ce que l’analyste a à dire est de l’ordre de la vérité. Je ne sais pas si vous avez de la vérité quelque chose de très sensible. Je veux dire : si vous avez une idée de ce que c’est que la vérité. Tout discours implique au moins une place qui est celle de la vérité. Ce que j’appelle discours est en référence avec un lien social. L’analyse est de cet ordre. À ceci près que, comme elle est toute neuve, parce que, après tout, elle ne date pas de si longtemps, elle comporte un pacte. Un analysant sait que l’analyste l’attendra un certain nombre de fois par semaine et en principe il doit s’y rendre. Sinon, l’analyste – même s’il n’est pas venu – réclamera des honoraires. Naturellement, ça implique que l’analyste aussi a des devoirs. Il doit être là. La vérité, à partir de quand ça commence-t-il ?

Ça commence à partir du moment où on emploie des phrases. La phrase, c’est un dire. Et ce dire, c’est le dire de la vérité.

J’ai quelque part – pas seulement dit, mais écrit, il y a une nuance… il y a plus qu’une nuance, il y a une montagne entre le dire et l’écrit. La preuve, c’est que les gens se croient beaucoup plus sûrs d’une promesse quand ils ont ce qu’on appelle un papier. Un papier qui est une reconnaissance de dette, par exemple. Ce papier, ça donne support à la vérité de la promesse. On voit mal quelqu’un dire : « Cet écrit n’est pas de moi ». En tout cas, c’est à partir de ce moment-là qu’interviennent des expertises, à savoir des graphologues qui disent : « Oui, c’est bien cette écriture-là », ce qui prouve qu’une écriture a aussi quelque chose d’individuel. Mais l’écriture n’a pas toujours existé. Avant, il y avait la tradition orale. Ça n’empêchait pas que des choses se transmettent de voix à voix. L’origine du principe de la poésie, c’est ça.

J’ai énoncé un certain nombre de points sur ce qu’il en est de la vérité. C’est soutenable de dire que la vérité a une structure de fiction. C’est ce qu’on appelle normalement le mythe – beaucoup de vérités ont une existence mythique –, c’est bien en cela qu’on ne peut pas l’épuiser, la dire toute. Ce que j’ai énoncé sous cette forme : de la vérité, il n’y a que mi-dire. La vérité, on la dit comme on peut, c’est-à-dire en partie. Seulement tel que ça se (44)présente, ça se présente comme un tout.

Et c’est bien là que gît la difficulté : c’est qu’il faut faire sentir à celui qui est en analyse que cette vérité n’est pas toute, qu’elle n’est pas vraie pour tout le monde, qu’elle n’est pas – c’est une vieille idée – qu’elle n’est pas générale, qu’elle ne vaut pas pour tous. Comment cette chose est-elle possible, qu’il y ait des analystes ? La chose n’est possible que du fait que l’analysant reçoit cognition – si on peut dire – d’observer une règle, de ne dire que ce qu’il peut avoir à dire, que ce qui lui tient à cœur comme on dit en français. Ce qui est faire écho, mais ce n’est pas parce qu’une chose est un écho qu’elle est spécifiée, ce qui est faire écho à une très vieille idée de ce qui était le centre de l’être dit humain – celui qu’on appelait anthropos : le centre, c’était cœur – tumos –, c’est comme ça tout au moins que ça se désignait ; ce qui était sous le cœur, c’était épitumien. Mais c’était une conception qui donnait à l’homme un privilège. Il y avait deux espèces d’hommes : celui qui se spécifiait d’être d’une polis –… lambda, iota, sigma – d’être un citoyen, celui-là seul était un être humain plein de droit. Bien sûr, tout ceci s’est brouillé. Il n’en reste pas moins qu’à travers les structures différentes la relation dite politique continue d’exister. Elle existe tout de même plus solidement que tout autre.

J’ai frayé le chemin à quelque chose que j’ai appelé le dire de la vérité. L’analyste a averti, avant que le postulant entre en analyse, il a averti qu’il devait tout dire. Qu’est-ce que veut dire « tout dire » ? Ça ne peut pas avoir du sens. Ça ne peut vouloir dire que dire n’importe quoi. En fait, c’est ce qui se passe. C’est par là qu’on entre en analyse. L’étrange, c’est qu’il se passe quelque chose qui est de l’ordre d’une inertie, d’une polarisation, d’une orientation. L’analysant (si l’analyse, ça fonctionne, ça avance) en vient à parler d’une façon de plus en plus centrée, centrée sur quelque chose qui depuis toujours s’oppose à la polis (au sens de cité), c’est savoir sur sa famille particulière. L’inertie qui fait qu’un sujet ne parle que de papa ou de maman est quand même une curieuse affaire. À dire n’importe quoi, il est curieux que cette pente se suive, que ça fasse, ça finisse par faire comme l’eau, par faire rivière, rivière de retour à ce par quoi on tient à sa famille, c’est à dire par l’enfance. On peut dire que là s’explique le fait que l’analyste n’intervient que d’une vérité particulière, parce qu’un enfant n’est (45)pas un enfant abstrait. Il a eu une histoire et une histoire qui se spécifie de cette particularité : ce n’est pas la même chose d’avoir eu sa maman et pas la maman du voisin, de même pour le papa.

Ce n’est pas du tout ce qu’on croit, un papa. Ce n’est pas du tout forcément celui qui, à une femme, a fait cet enfant-là. Dans beaucoup de cas, il n’y a aucune garantie, étant donné que la femme, après tout, il, peut lui arriver bien des choses, surtout si elle traîne un peu. C’est pour ça que papa, ce n’est pas du tout, forcément, celui qui est – c’est le cas de le dire – le père au sens réel, au sens de l’animalité. Le père, c’est une fonction qui se réfère au réel, et ce n’est pas forcément le vrai du réel. Ça n’empêche pas que le réel du père, c’est absolument fondamental dans l’analyse. Le mode d’existence du père tient au réel. C’est le seul cas où le réel est plus fort que le vrai. Disons que le réel, lui aussi, peut être mythique. Il n’empêche que, pour la structure, c’est aussi important que tout dire vrai. Dans cette direction est le réel.

C’est fort inquiétant. C’est fort inquiétant qu’il y ait un réel qui soit mythique, et c’est bien pour ça que Freud a maintenu si fortement dans sa doctrine la fonction du père.

Bon. Jusqu’ici j’ai parlé lentement pour que au moins vous entendiez quelques vérités fondamentales, mais je dois vous dire ceci : c’est que, comme j’enseigne depuis excessivement longtemps, je ne me souviens même plus de ce que j’ai dit la première fois – celle que vous trouverez reproduite dans le Séminaire I, paru déjà, il y a presque vingt-deux ans, paru en reproduction de mon séminaire –, je fais confiance au sténographe, à la personne qui a bien voulu être sûr de remettre les choses dans son français à lui, c’est quelqu’un de très bien, de mon immédiate parenté, qui veut bien faire ce travail.

Ce que j’ai énoncé d’abord concernant le dire, le dire de la vérité, c’est la pratique qui nous l’enseigne. Et j’ai amorcé, dans ce que je viens d’énoncer, j’ai amorcé ceci : c’est que c’est une par-dit, une analyse. Une partie entre quelqu’un qui parle, mais qu’on a averti que sa parlote avait de l’importance. Vous savez il y a des gens à qui on a affaire dans l’analyse, avec qui il est dur d’obtenir ça. Il y en a pour qui dire quelques mots ce n’est pas si facile. On appelle ça autisme. C’est vite dit. Ce n’est pas du tout forcément ça.

C’est simplement des gens pour qui le poids des mots est très (46)sérieux et qui ne sont pas facilement disposés à en prendre à leur aise avec ces mots. J’ai quelquefois à répondre à des cas comme ceux-là dans cette fameuse supervision de tout à l’heure que, plus simplement, nous appelons en français un contrôle (ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que nous croyons contrôler rien). Moi, souvent, dans mes contrôles – au début tout au moins – j’encourage plutôt l’analyste – ou celui ou celle qui se croit tel –, je l’encourage à suivre son mouvement. Je ne pense pas que ça soit sans raison que – non pas il se mette dans cette position, c’est très peu contrôlé – mais je ne pense pas que ça soit sans raison que quelqu’un vienne lui raconter quelque chose au nom simplement de ceci : qu’on lui a dit que c’était un analyste. Ce n’est pas sans raison, parce qu’il en attend quelque chose. Maintenant, ce dont il s’agit c’est de comprendre comment ce que je viens là de vous dépeindre à très gros traits peut fonctionner.

Fonctionner de façon telle que, quand même, le lien social constitué par l’analyse rebondisse, se perpétue. C’est là que j’ai pris parti et que j’ai dit… – dans quelque chose où, d’un côté, il y a quelqu’un qui parle sans le moindre souci de se contredire, et puis, de l’autre, quelqu’un qui ne parle pas – puisque, la plupart du temps, il faut bien laisser la parole à celui qui est là pour quelque chose ; quand il parle, il est supposé dire la vérité, mais pas n’importe laquelle, la vérité qu’il faut que l’analysant entende. Qu’il faut que l’analysant entende : pourquoi ? Pour ce qu’il attend, à savoir d’être libéré du symptôme.

Qu’est-ce que ça peut supposer que, par dire, quelqu’un soit libéré du symptôme ? Ça suppose que le symptôme et cette sorte d’intervention de l’analyste – il me semble que c’est le moins qu’on puisse avancer – sont du même ordre. Le symptôme lui aussi dit quelque chose. Il dit, il est une autre forme de vrai dire et ce qu’en somme fait l’analyste, c’est d’essayer de faire un peu plus que de glisser dessus. C’est bien pourquoi l’analyse, la théorie analytique use d’un terme comme résistance. Le symptôme, ça résiste, ce n’est pas quelque chose qui s’en va tout seul ; mais présenter une analyse comme quelque chose qui serait un duel est aussi tout à fait contraire à la vérité, c’est bien pour ça que j’ai – avec le temps, ce n’est pas venu tout de suite – essayé de construire quelque chose qui rende compte de ce qui se passe dans (47)une analyse. Je n’ai pas la moindre « conception du monde », comme on dit. Le monde, c’est cette charmante petite coquille dans laquelle on met au centre cette pierre précieuse, cette chose unique que serait l’homme. Il est censé avoir (étant donné ce schéma) des choses qui palpitent en lui : un monde intérieur. Et puis, le monde, ce serait un monde extérieur. Je ne crois pas du tout que ça suffise. Je ne crois pas du tout qu’il y ait un monde intérieur reflet du monde extérieur, ni non plus le contraire. J’ai essayé de formuler quelque chose qui incontestablement suppose une organisation plus compliquée. Si nous disons – nous, analystes – qu’il y a un inconscient, c’est fondé sur l’expérience. L’expérience consiste en ceci, c’est que dès l’origine il y a un rapport avec « lalangue », qui mérite d’être appelée, à juste titre, maternelle parce que c’est par la mère que l’enfant – si je puis dire – la reçoit. Il ne l’apprend pas. Il y a une pente. Il est très surprenant de voir comment un enfant manipule très tôt des choses aussi notablement grammaticales que l’usage des mots « peut-être » ou « pas encore ». Bien sûr l’a-t-il entendu, mais qu’il en comprenne le sens est quelque chose qui mérite toute notre attention.

Il y a dans le langage quelque chose qui est structuré. Les linguistes s’y enclosent, à manifester cette structure qu’on appelle grammaticale. Et que l’enfant y soit si à l’aise, que si tôt il se familiarise avec l’usage d’une structure qui – ce n’est pas pour rien qu’on l’y a repérée, mais d’une façon élaborée – est ce qu’on appelle figures de rhétorique manifeste qu’on ne lui apprend pas la grammaire. On élabore la grammaire à partir de ce qui déjà fonctionne comme parole. Et cela n’est pas ce qu’il y a de plus caractéristique. Si j’ai employé le terme : « l’inconscient est structuré comme un langage, c’est bien parce que je veux maintenir qu’un langage, ça n’est pas le langage. Il y a quelque chose dans le langage de déjà trop général, de trop logique.

C’est tout le système qui se présente comme s’il était inné que l’enfant joue, à propos d’un départ de sa mère, avec l’énoncé qui a tellement frappé Freud – cela chez un de ses petits-enfants –, l’énoncé Fort-Da. C’est là que tout s’insère. C’est déjà, ce Fort-Da, une figure de rhétorique.

Quelqu’un dont j’étais plutôt étonné qu’il m’ait cité, parce que je ne savais même pas qu’il me connaissait – il me connaît (48)manifestement à travers Paul de Man, Paul de Man qui m’a accueilli à Yale, Paul de Man à qui bien sûr je ne peux qu’être reconnaissant de tout le soin qu’il a pris pour frayer mon arrivée aux Amériques –, mais, quand même, je suis surpris de ceci que tellement de personnes après tout disent certaines choses qui ne sont pas tellement loin de ce que je dis… Il se produit comme ça dans plusieurs places une sorte de petit tourbillon, une manière de dire qui est ce que j’appelle, moi, le style. Je n’ai pas de « conception du monde », mais j’ai un style, un style qui, naturellement, n’est pas tout à fait facile, mais c’est là tout le problème. Qu’est-ce que c’est qu’un style ? Qu’est-ce que c’est qu’une chose ? Qu’est-ce que c’est que la façon dont un style se situe, se caractérise ? Moi, au temps où je parlais seulement avec des camarades, ce qui était, le plus naturel, c’était de dire « ce n’est pas tout à fait ça » et si ce que j’ai écrit après l’avoir dit, si ce que j’ai écrit, d’élaborer ce que j’ai dit, a un cachet, c’est de marquer que j’essaie de serrer au plus près ce qui est « tout à fait ça ». Bien sûr, ce n’est pas facile, ce n’est pas facile de partir, comme par exemple font des structuralistes, d’une division entre nature et culture. La culture, moi, c’est ce que j’ai essayé d’écarteler sous la forme de quatre discours, mais bien sûr ce n’est pas limitatif. C’est le discours qui flotte, qui surnage à la surface de notre politique à nous, je veux dire de notre façon de concevoir un certain lien social. Si le lien était purement politique, nous y avons ajouté autre chose. Nous y avons ajouté le discours qu’on appelle universitaire, le discours qu’on appelle scientifique, qui ne se confondent pas, contrairement à ce qu’on imagine. Le discours scientifique, ce n’est pas pour rien que, dans le champ universitaire, on lui réserve des facultés spéciales. On le tient à l’écart, mais ce n’est pas pour rien. J’ai montré quelque part qu’il y a un rapport, qui n’est pas anodin, entre le discours scientifique et le discours hystérique. Ça peut paraître bizarre – à un certain enchaînement près de certaines fonctions que j’ai définies en y employant un certain S1 et un certain S2, qui n’ont pas la même fonction, et aussi un certain S que j’appelle sujet et un certain objet (a), à un certain ordre tournant près de ces quatre fonctions –, le discours scientifique ne se distingue du discours hystérique que par l’ordre dans lequel tout cela se répartit.

(49)Tout cela a abouti à quelque chose qu’on peut dessiner en employant plusieurs couleurs différentes. J’ai cru pouvoir lier le symbolique (c’est celui-là, c’est l’arbitraire), le réel et l’imaginaire.

 

 

Comment se fait-il qu’après avoir distingué ce symbolique, cet imaginaire, et ce réel, et les avoir spécifiés de ceci que le symbolique, c’est notre lien au langage, c’est de cette distinction que nous sommes des êtres parlants ? C’est un cercle vicieux de dire que nous sommes des êtres parlants. Nous sommes des « parlêtres », mot qu’il y a avantage à substituer à l’inconscient, d’équivoquer sur la parlote, d’une part, et sur le fait que c’est du langage que nous tenons cette folie qu’il y a de l’être : parce que c’est sûr que nous y croyons, nous y croyons à cause de tout ce qui paraît faire substance ; mais en quoi est-ce de l’être, en dehors du fait que le langage use du verbe être ? Il use du verbe être, mais modérément. L’homme pourrait dire qu’il est un corps, et ce serait très sensé, car c’est évident que le fait qu’il consiste en un corps est ce qu’il a de plus certain. On a émis quelques doutes sur l’existence d’un monde extérieur au nom de ceci qu’après tout nous n’en n’avons que des perceptions, mais il suffit de se faire (comme j’ai fait moi-même toute à l’heure), de se faire une bosse en rencontrant quelque chose de dur pour qu’il soit tout à fait manifeste qu’il y a des choses qui résistent, qu’il y a des choses qui ne se déplacent pas si facilement ; en revanche, ce sur quoi l’homme insiste, c’est non pas qu’il est un corps, mais, comme il s’exprime (c’est là quelque chose de saisissant), qu’il en a un.

Au nom de quoi peut-il dire qu’il a un corps ? Au nom de ceci qu’il le traite à la va-comme-je-te-pousse, il le traite comme un meuble. Il le met dans des wagons par exemple et là il se laisse trimbaler. C’était quand même vrai aussi, ça commençait à s’amorcer (50)quand il le mettait dans des chariots. Alors, je voudrais dire que cette histoire de parlêtre, ça se rencontre avec cette autre appréhension du corps et ça ne va pas tout seul. Je veux dire qu’un corps a une autre façon de consister que ce que j’ai désigné là sous une forme parlée, sous la forme de l’inconscient, en tant que c’est de la parole comme telle qu’il surgit. Ce sont des marques dont nous voyons la trace dans ce qu’il en est de l’inconscient. Ce sont des marques qui sont celles laissées par une certaine façon d’avoir rapport à un savoir, qui constitue la substance fondamentale de ce qu’il en est de l’inconscient. L’inconscient, nous imaginons que c’est quelque chose comme un instinct, mais ce n’est pas vrai. Nous manquons tout à fait de l’instinct, et la façon dont nous réagissons est liée non pas à un instinct, mais à un certain savoir véhiculé non pas tant par des mots que par ce que j’appelle des signifiants. Des signifiants, c’est ce qui dit, c’est une rhétorique bien sûr beaucoup plus profonde, c’est ce qui prête à équivoque. L’interprétation doit toujours – chez l’analyste – tenir compte de ceci que, dans ce qui est dit, il y a le sonore, et que ce sonore doit consoner avec ce qu’il en est de l’inconscient.

Il y a quelque chose d’important dans cette façon de représenter le lien : le lien du symbolique, de l’imaginaire et du réel, et voici quoi. C’est que ce n’est pas nécessairement à plat que nous devons poser ces trois termes. Le corps, bien sûr, a aussi forme, une forme que nous croyons être sphérique, mais nous devons aussi savoir dessiner des choses autrement.

 

 

Il est comme vous le voyez remarquable que pour un objet qui m’est aussi familier que vous pouvez (51)imaginer que me soit cette façon de dessiner le nœud, que je sois forcé de garder un petit papier. Ça veut dire que ce n’est pas si naturel de dessiner ça comme ça. Ceci est donc un nœud.

 

J’espère que tous voient que ça fait nœud. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que, au regard de cette référence à la sphère, 1 enveloppe 2. Le 1 par rapport au 2, on peut lui en faire faire le tour très exactement, d’ailleurs comme on peut faire faire par le 1 le tour de 2. Mais qu’est-ce que veut dire le fait que le 3 se dispose de cette façon-là ? Il se dispose d’une façon qui est rendue sensible par cette manière de disposer ce que nous appelons dans l’occasion la sphère et la croix, à ceci près que ce n’est pas une sphère, mais que c’est un rond. Un rond, ce n’est pas du tout la même chose qu’une sphère. Supposez que je rétrécisse ceci par le milieu et nous obtiendrons ça, qui est une forme de plus de ce que nous pouvons énoncer comme étant un nœud borroméen.

 

Je veux dire que, de quelque façon que le numéro 3 ici enveloppe le 1, il est enveloppé par l’autre, mais il est enveloppé par l’autre dans une troisième dimension. Contrairement à ce qu’on imagine – nous autres qui sommes ambitieux et qui passons notre temps à rêver à une quatrième –, nous ferions mieux de (52)penser au poids que la dit-mension troisième a (celle que j’ai décrite tout à l’heure). Il faudrait s’émerveiller de la troisième avant d’en faire une de plus. Il n’y a rien de plus facile que d’en faire une de plus. Quand elles sont toutes séparées, à savoir si nous supposons trois cercles… qui s’en vont tous à la dérive, il suffit d’en faire un quatrième ; il suffit de le rattacher par un cercle d’une façon dont ça fasse un rond pour que nous retrouvions ce qui fait de ces cercles la consistance.

 

 

Après vous avoir fournit de ces nœuds la donnée qui aboutit à cette notion qu’il n’y a pas d’espace, qu’il n’y a que des nœuds – ou, plus exactement, c’est en fonction des nœuds que nous pensons l’espace –, maintenant, puisque je ne termine pas trop tard…, je serais heureux d’entendre vos questions…